Drapée dans ses vêtements amples et - malgré elle, dans la fumée de l’opium, elle tente tant bien que mal d’imiter l’élégance travaillée qui se dégage de Moriko, sa patronne. Se plaisant parfois à être son ombre, l’ancienne artisane s’y cache, observe, apprend.

Pâle silhouette allant çà et là dans l’opiumerie du Port, il semble ne rester de l’Harmony révolue, la Perdue, celle qui fredonnait, que la douceur et le calme apparent à ses gestes. Son visage s’est affiné, sa silhouette a prit davantage les formes d’une femme. De la grâce, il y en a encore dans chacun de ses mouvements et jusque dans les traits de son visage, dont l’exotisme est rehaussé par le rouge à lèvres et le fard à paupière. Car pour paraître plus adulte et s’éloigner de la simplicité de son ancienne vie, Tayysan imite. Moriko, principalement. Mais également la gestuelle des femmes qu’elle juge élégante, leur maquillage, leur façon de se parer. C’est qu’elle ressent terriblement le besoin de se dissimuler, comme si elle portait en elle la stupide crainte d’être découverte tôt ou tard.

Si elle imite l’élégance des femmes adultes, Tayysan semble parfois persuadée de ne pas avoir grandi plus que ça. Persuadée que sa peur du grandissement est bien plus puissante que cela. Du vent, du vent. L’ancienne Garçonne Perdue, l’échappée de sa Birmanie natale, aura impulsé son grandissement sous la peur de sa capture, de son combat, de la foule imposante, de sa possible mort, de cette horrible impression d’abandon. Mais l’Altesse Harmonie ne se souvient plus de tous les détails. Elle ne se souvient que de la silhouette nonchalante, féline, joueuse, qui s’amusait de la scène et qui semblait l’indirect commanditaire de son enlèvement.

Et c’est peut-être cette silhouette qui dicte ses craintes. Car Tayysan se cache dans la discrétion et les artifices d’une femme adulte pour ne pas être reconnue. Ses prunelles vertes ne s’accrochent jamais bien longtemps à ses interlocuteurs. Elle apprend, mais n’aime pas être remarquée - et dans ce genre de situation, le masque que Moriko lui avait demandé de porter à ses débuts lui manquerait presque. Tayysan se tient droite, maîtrise une apparence qu’elle veut élégante, mais baisse les yeux et vaque à ses tâches ; elle fait de tout, du nettoyage des salles à la préparation du thé. L’asiatique se veut discrète et silencieuse ; elle ne parle pas beaucoup, le moins possible, même, cherchant toujours à se déplacer sans bruit.

De sa vie précédente comme de la première, elle a gardé sa passion insatiable du travail manuel et l’imagination qui en découle. Sous sa frêle apparence, se trouve encore les souvenirs de ses travaux au Grand Arbre : des cicatrices et une condition physique qu’elle s’emploie à cacher, sous les amples tissus. A l’écart des autres, et quand Moriko le lui permet, Tayysan maintient ses habitudes de bricoler à tout va ; offrant parfois, à celle qu’elle considère comme sa sauveuse, des breloques qui peuvent alimenter la décoration déjà bien chargée de la fumerie. L’artisane révolue, mais pas tant que ça, garde à terme dans un coin de sa tête l’envie de subvenir dans le Port en vendant ses créations artisanales.

Comme elle en rêvait dans le Monde Ordinaire.

မြ Ancienne artisane, présente depuis 1963. Capturée par un pirate puis ramenée au Baron Samedi, elle se voit obligée de combattre l’un de ses zombis avant de s’enfuir et de trouver refuge, épuisée et blessée, chez Earl.

မြ Après s’être ressourcée aux cotés de ce dernier, elle se retrouve chez la tenancière de l’Amanite Viride, Moriko. Tayysan considère cette dernière comme sa sauveuse et, en guise de remerciement silencieux, s’emploie à ses tâches sans faillir. Voltigeant de la préparation du thé au nettoyage des salles et à l’accueil des clients.

မြ Elle aura conservé les traces de ses labeurs du Grand Arbre, sa pâleur, ses cheveux de jais bien trop longs, son calme et son attitude fermée.

မြ Mais personne n’a appris à Tayysan à paraître plus femme, et ce même si elle s’entête à ne pas remarquer les très légères évolutions de son corps. Et puisque personne ne lui a appris, elle imite les autres. Se maquillant légèrement, avec des résultats qui ont parfois été catastrophique - ou risible, ça dépend où on se place. Parfois, elle se coiffe et se pare, cherchant à ne jamais trop en faire. Dans sa gestuelle, Tayysan a conservé son éternelle douceur, bien qu’elle ait tendance à imiter Moriko. Tout ce théâtre pour qu’elle ne se fasse pas remarquer, et se fonde plus facilement dans le décor.

မြ Car oui, elle semble plutôt craintive. Du moins, on ne peut pas dire qu’elle se sente parfaitement en sécurité, ni à l’aise. C’est pourquoi elle cache toujours sur elle un poignard. Après tout, les circonstances lui ont appris à s’en servir.

မြ Aime observer pour apprendre. Et si elle n’a jamais aimé se faire remarquer inutilement, c’est davantage le cas aujourd’hui.

မြ Encore et toujours peu encline aux bavardages. En soit, ça dépend de la personne qui lui fait face.

မြ Si elle avait tant l’habitude de chanter pendant son labeur au Grand Arbre, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Elle fredonne, parfois, quand elle sait être seule. Si elle le fait moins, c’est peut-être parce que sa maison lui manque.

မြ Elle a parfois l’air un peu ailleurs. Rêveur, peut-être. Ne pouvant mesurer le temps qui passe, il lui arrive de se demander comment vont les autres. Les Artisans, ses amis. Mais elle n’y pense jamais bien longtemps - du moins c'est ce qu'elle voudrait. Il est trop effrayant de s'imaginer être oubliée.

မြ Elle continue à bricoler, dans son coin, parfois à l’abri des regards. Il lui arrive également de donner des breloques à Moriko - et ce même s’il y en a déjà bien assez dans la fumerie.

Si elle ne se voit plus chez les Garçons Perdus, cela ne l'empêche pas de se voir comme chez elle dans ce monde imaginaire. De toute façon, on ne lui donne pas le choix non plus.

Dégoût, crainte, étouffement. Parfois, nostalgie, quand des bribes semblant irradier de couleurs irréelles s'imposent à sa mémoire. Mais elle n'y pense jamais bien longtemps ; ces souvenirs sont désormais si loin qu'ils lui semblent tout droit sortis de ses interprétations.

Elle l'aimait, fut un temps. Maintenant, elle ne sait plus quoi en penser. Parfois, la honte d'avoir abandonné son poste s'impose devant elle. En vérité, elle en a peur tant il l'a fatigué entre la Nuit, la Canicule, la Pluie. Et si elle en avait davantage peur avant, on parlera plutôt de crainte respectueuse pour le personnage d'Hook ; parce qu'après tout, elle est une pirate, et qu'elle subsiste au Port grâce à lui - indirectement.

Arrivée en 1963, elle est affiliée aux Artisans et devient probablement cheffe à la mort de son prédécesseur.

Note:

Durant la Pluie Salée - Capturée par Baron Samedi, elle s’échappe à la suite de sa confrontation avec l’un de ses zombis. Soignée par Earl, elle reprend des forces aux côtés de ce dernier. Par crainte d’un possible Bannissement et ne pouvant mesurer le temps qui s’est écoulé depuis sa disparition, l’ancienne artisane craint bien trop de retourner au Grand Arbre. Elle décide finalement de rester au Port et de travailler à l’Amanite Viride - grâce au contact entre le médecin et la tenancière de l’opiumerie, Moriko. Et cela le temps de se faire aux subtilités de sa nouvelle vie.

Elle était terrifiée.
Son sang pulsait avec tant de violence qu’elle était capable d’entendre son pouls dans ses oreilles. Elle sentait, contre sa cage thoracique, son coeur qui cherchait à tout prix à s’enfuir. Désespérément, en son for intérieur, elle cherchait à s’accrocher à l’infime once de courage et d’espoir qu’elle pouvait, faiblement, sentir.

Elle était terrifiée, et ne se rendait même pas compte de l’endroit où elle se trouvait. Quand une bribe de sa conscience daigna s’intéresser à son environnement, la future Tayysan vit, autour d’elle, une foule étrange et compacte. Elle baissa les yeux. Et semblait se trouver dans une sorte d’arène.

Et qu’est-ce que tu fiches ici ?
Voilà ce qu’elle se hurlait à elle-même depuis un bon moment. Ça lui apprendra, à s’éloigner un peu trop de l’Arbre toute seule. En un instant, elle avait senti un violent coup sur le crâne. Et quand elle avait repris conscience, un homme la trainait en direction de cette étrange arène. Mais pour qui était-elle faite ?

Pour elle, visiblement.
L’Harmony d’alors ne se rendait même pas compte du jeu sordide dans lequel elle se trouvait. Elle ne cherchait même pas à observer son environnement. Sa vision était bien trop flou. Alors, elle fixa le sol. Jusqu’à ce qu’elle entendre des bribes de voix. Une foule. Et, face à elle, un zombi.

Ah.
Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale.
Quand Tayysan repense à cet événement, elle ne s’en souvient pas très bien. Elle rapporte tout sur la silhouette qu’elle a aperçu, et qu’elle craint toujours ne serait-ce qu’un peu. Le zombi attaque et alors, elle esquive. Maladroitement, lentement, tant ses jambes sont paralysées par la peur la plus profonde. S’entame une danse étrange durant laquelle elle esquive, parce qu’elle s’imagine qu’elle ne peut attaquer. Le zombi lui fait mal, une fois. Du moins se souvient-elle. Deux fois. Trois fois.

Pulsion d’adréaline. Son corps prend le relais sur sa pensée quand elle attrape l’éclat de lame qu’elle cache dans ses manches.
Puis, bon Dieu, c’est pas si compliqué que ça. Harmony a déjà tué un zombi, fut un temps. En y repensant, elle se souvient de cette vieille escapade avec Freckles et se demande s’il va bien. Dans sa tête, il brille autant qu’un rayon de soleil qui chercherait à dissiper ses sombres craintes. Ca la motive davantage dans ses gestes, d’ailleurs. Ceux-ci se débloquent, et deviennent plus souples. D’ailleurs, elle ne sait même plus depuis combien de temps elle est là, depuis combien de temps elle a disparu. Après Freckles, elle pense à ses Artisans. Meteor, Seedy, Clover. à Soul, à Rose, à Caroline. Mais elle revient vite sur Freckles puis Nuwala, le lion qu’ils avaient trouvé il y a peu. La cheffe d’alors se demande si elle est si indispensable que ça. Bon. De toute façon, le lionceau la narguait en lui préférant Freckles.

Elle blague, elle blague, mais elle a peur. Peut-être que personne ne la cherche et que tout le monde s’en fout. Ou qu’on la croit désertée. Dire que cela arrive à nombre d’Enfants. Et l’espace d’un instant, l’Harmony d’alors se sent terriblement seule tandis qu’elle se prend un énième coup et que son corps fatigue. Sur son visage, sur l’un de ses bras, elle sent un liquide chaud et poisseux s’écouler, tandis qu’une douleur lancinante la prend.

Elle fatigue, elle fatigue, et l’hystérie de la foule se fait davantage sentir. Voix qui percent ses oreilles.
Elle veut rentrer.
Cette pensée semble la galvaniser, tandis qu’elle bondit vers le zombi et que sa lame, machinalement, cherche à atteindre sa gorge. Quand elle entend un bruit sourd contre le sol, et un changement de ton dans les voix de cette foule qui lui semble infinie, elle sait qu’enfin, c’est fini.

Là-haut, quelque part, on semble discuter. Harmony se fait violence pour reprendre ses esprits et lever les yeux vers ces étranges types. Quand elle prend conscience de la situation, elle n’écoute plus que son corps qui lui hurle de bouger. Tournant les talons malgré une vision flouée par la douleur, l’Altesse Harmonie accélère le pas, puis court.

Elle s’enfuit. Puisqu’elle ne sait pas où elle se trouve, elle court et hésite presque à appeler tous les noms qui lui passent par la tête. Mais ce serait le meilleur moyen, le plus ridicule, de se faire repérer. Tayysan se souvient d’avoir couru, couru, d’avoir évité des gens. L’adrénaline l’aidait bien, débloquant ses jambes menaçant de cesser leur travail si l’artisane ne ralentissait pas. Il lui semble qu’elle saignait, mais elle n’avait même pas eu le réflexe de bander ses plaies. Elle avait trop peur et elle voulait rentrer. Une honte d’être aussi paralysée par la peur, quand on y repense.

Mais elle n’est pas rentrée. Au contraire, elle a couru dans le Port. Elle se souvient être tombée - par hasard ?, sur une silhouette avec une barbe blanche. Ravalant sa fierté qui s’était sans doute fait la malle depuis un bon moment, elle demanda de l’aide une fois, à voix basse. Une deuxième fois. A voix trop basse. Une troisième.

Puis le noir.