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MessageSujet: Gris perle   Gris perle EmptyMer 25 Oct 2017 - 20:56

L'Amanite Viride avait l'atmosphère particulière de ces lieux qui parlent à la place de leur propriétaire. Jamais l'on n'avait vu telle débauche de bibelots en tous genres et autres ornements dépareillés. Comme des pièces issues de puzzles différents que l'on aurait contraint à s’emboîter ensemble, l'édifice croulait sous les bribes incarnées des souvenirs de Moriko Yamanaka.
Tout ceci donnait au lieu son caractère étouffant, presque étourdissant... Comme un trop plein d'information qu'un esprit fatigué aurait grand peine à contenir.

Je traversais justement l'un de ces moments.

La nuit s'était acharnée sur moi à force de migraines et de rêves tourmentés. Le coup de poing reçu quelques jours plus tôt n'était certainement pas étranger à l'affaire... Depuis l'aube, je tentais en vain de produire quelque chose. Assit devant mon bureau, la masse de travail en attente appelait mes pulsions jamais satisfaites... De comprendre, de percer à jour.
Héléna et moi avions fort bien travaillé, en dépit des quelques péripéties qui émaillèrent notre voyage. Je devais à présent donner un sens à cette masse brute de données en chantier sur la table. Trier, ordonner... Faire de belles statistiques, de ravissantes courbes... Comme j'en rêvais.
Comme je me sentais appelé à la tâche...

Mais rien.

J'étais rendu incapable par le trop plein. Avide, négligent, peut-être. J'avais tiré sur la corde jusqu'au dernier millimètre, épuisé jusqu'à la dernière goutte de suc. Travailler encore, au détriment du sommeil, au détriment du corps. Et me voilà, rendu incapable par la fatigue et un cerveau saturé.

Tout ceci me frustrait abominablement.

Hélas, là était ma mécanique. Je la connaissais, l'ignorais, puis la redécouvrais à chaque répétition de ce cycle. Plus que le repos, il me fallait un exutoire. Purger mon esprit de toutes les pensées stériles que mon intelligence se refusait à capturer.
Puis, reprendre, au retour de la paix.

Aujourd'hui était l'un de ces moments, mais il y avait autre chose, aussi...

Un visage auquel je ne cessais de penser. Il me hantait. A mort l'intelligence, ne demeurait qu'une sotte contemplation forgée de sentiments ahuris. Plus je le rejetais, plus il s’invitait à mes yeux. Encore et encore... Et moi de nier la signification de tout ceci.

Non, il en était hors de question.

Et c'est bercé dans le remous de toutes ces considérations que j'entrais à l'Amanite Viride, ce jour là. L'air fatigué, mais d'une allure toujours soignée en dépit de mon sourcil fendu pas encore cicatrisé, j'approche. Mon regard se pose immédiatement sur la silhouette grise qui se trouve près de l'entrée. Je le reconnaît : Adam. Un homme fantôme, presque une image déjà passée. Je l'ai déjà croisé.
La première fois, c'était au sortir de la chambre de Babylone. Il était là, affairé comme peuvent l'être les employés de la maison close. Moi, je pensais encore à elle... à notre moment, à son odeur, son goût. Je ne me souviens plus de ce qui me traversa l'esprit, quand nos regards se croisèrent dans le couloir.

Mais peu importe.

« Bonjour Adam.

Je lance, courtois comme à l'habitude. Bref soupir, je détourne brièvement le regard, inspecte les lieux. Une main fatiguée passe sur mon front douloureux. Je m'en reviens à lui.

« J'ai besoin d'un peu de tranquillité. Et de quoi me vider la tête.

Fais-je, l'air d'énoncer quelque banalité.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyJeu 26 Oct 2017 - 19:26

Un frisson le fit resserrer sa veste en laine grise contre son buste. Il rentra la tête dans son col et frotta ses mains l'une contre l'autre. Du coin de l'oeil, il détailla Eliette, sa collègue et amie qui s'affairait à la tâche, manches de sa robe relevées et le front luisant. Lui avait l'impression de mourir de froid, et ce, malgré les quelques bonnes couches de vêtements qui le recouvraient. Il avait toujours, toujours froid.

La nuit avait été courte. Terrassé par sa toux en premier lieu qui déclencha ensuite une crise de 'grand-père', il avait passé une bonne partie de la nuit à essayer d'en sortir seul. Il avait l'impression de voir des petites bêtes voler autour de lui. Il arrivait à peine à bouger. Sa vision du monde était altérée. Au bout d'une bonne heure à lutter seul, il n'avait eu d'autre choix que d'appeler Eliette, sa voisine de chambre. Et elle, bonne âme, avait passer le reste de la nuit à veiller près de lui, le laissant seul seulement au petit matin, une fois assurée qu'il était endormi, apaisé.

Il se frotta les yeux, étira son dos et entreprit de se mettre sur ses jambes afin de se dérouiller un peu, conscient de la longue journée de travail qui l'attendait. L'accueil, ce n'était pas la tâche qu'il préférait. Parce que c'était difficile pour lui de sourire à chaque client – même s'il restait toujours poli et agréable -, et parce que, demeurer sur place, ça lui faisait mal partout, même assis. Mais c'était pas grave. C'était son travail.

Ses doigts glissaient sur le carnet de l'accueil. Il s'amusait avec lassitude à tourner les pages. Au début, il essayait de lire un peu. Des souvenirs de lorsqu'il était garçon perdu lui permettait de pouvoir déchiffrer plus ou moins ce qu'il avait sous le nez. Mais très vite, sa vision défaillante l'avait forcé à arrêter. De toute manière, ce qu'il y avait sur ce carnet ne le concernait pas.

Il était debout, de l'autre côté du comptoire, lorsque le troisième client de la matinée – c'était bien calme, ce jour-là – entra. Les prunelles d'Adam détaillèrent une seconde cette silhouette familière, avant qu'il ne détourne le regard, un brin gêné lorsqu'il se rappela où il l'avait vu pour la première fois. Il était habitué, pourtant, à la Maison Close et à tout ce qui s'y passait. Mais … les yeux de cet homme sortant de la chambre de Babylone l'avaient sondé, ce jour-là. Au-delà d'être gêné par son imagination, l'Eteint avait été transpercé par les yeux clairs du client. Il s'était senti honteux, alors même qu'il n'avait rien fait d'autre que de traverser le couloir, bras chargés de draps propres. Ce jour-là, Adam avait viré de grisâtre à rouge écarlate. Il se rappelait avoir piqué du nez et tracer son chemin sans adresser une parole à cet homme.

- Bonjour Adam.

Adam, oui, c'était lui, Adam. Il avait eu le temps de s'y habituer, à ce prénom qui n'était pas le sien. Mais ça lui faisait toujours un effet étrange, de l'entendre de la bouche d'inconnus.

- Bonjour, bienvenue à l'Amanite Viride, enchaîna-t-il automatiquement, avec toute la politesse dont il disposait.

Il eut même un bref mouvement de tête pour le saluer alors qu'il sentait une légère chaleur rehausser le teint de ses pommettes. C'était fou, l'effet que cet homme lui faisait. Peut-être que sa prestance y était pour beaucoup. Dans tous les cas, il n'avait l'air de souffrir d'aucun malaise. Et c'était peut-être ça qui le gênait, Adam.
À la demande de l'homme aux boucles brunes, il hocha la tête et cocha une case de son carnet. L'argent remis, il lui fit signe de le suivre.

Une série de voiles aux couleurs toutes plus chaudes les unes que les autres furent écartés de son chemin. Adam connaissaint l'architecture par cœur. Il n'eut aucun mal à rejoindre le couloir de salons privés, pour les clients un peu plus fortunés souhaitant être seuls.
Étirant un grand voile drapé orangé, il sortit un jet de clefs de sa poche et ouvrit la porte qui s'y cachait, pour laisser entrer l'inconnu et entrer à sa suite.

Le lieu n'était pas bien grand : une quinzaine de mètres carrés à la décoration un brin étouffante, aux coussins aux milles couleurs, aux étoffes glissant du plafond et à la forte odeur d'encens. L'Eteint n'était pas friand de ces pièces-là, trop petites et confinées selon lui. Il avait l'impression d'être sous terre.
Il vint allumer des bougies à quelques coins stratégiques de la pièce avant de se tourner vers le pirate à l'allure trop propre sur lui.

- Souhaitez-vous que je vous prépare du thé, avant de commencer ?

Dans un renfoncement du mur, se trouvait tout ce qu'il fallait pour se vider la tête. Une liste explicative était également présente, néanmoins, la plupart des clients préféraient généralement se référer aux employés.

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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyJeu 26 Oct 2017 - 22:13

Adam est courtois, mais il peine à dissimuler le fait que je l'intimide. Les couleurs ressortent toujours sur le gris. J'ignore toutefois l'origine de ce trouble... Peut-être les restes de notre première rencontre ? Qui sait.
L’Éteint avait cette réputation d'homme réservé, souvent en retrait, toujours terne. D'autres le disaient versatile, changeant... Comme un voile de poussière qui toujours épouserait la forme de ce qu'il touche. Je connais fort bien cette attitude.

Mon regard se maintient sur lui un moment et puis le script de notre interaction reprend son cours. Je vois avec lui quelques formalités d'usage, règle les prestations à venir... Puis il m'invite à le suivre à travers les couloirs de la fumerie. Je m'exécute, docile. La migraine me compresse les tempes. Je suis épuisé.

Lorsque nous arrivons, je prends quelques instants pour détailler la pièce. L'odeur persistante d'encens m’écœure, comme c'est souvent le cas des senteurs artificielles... Sans doute éprouverais-je semblable aversion à l'endroit des couleurs des étoffes, s'il n'y avait la pénombre pour en atténuer la force.
La fatigue m'a toujours rendu intolérant aux excès de sollicitations sensorielles. Fatalité d'hypersensible... Je tente toutefois de les ignorer en focalisant mon attention sur les gestes mesurés de mon hôte. Parfaite alliance entre minutie et retenue, le voir ainsi me procure un sentiment de réassurance diffus.

Je le laisse terminer d'allumer les dernières bougies et vais m'installer sur l'une des banquettes, derrière une petite table basse de bois noir ouvragé. Mon manteau termine un peu plus loin, tandis que je me laisse tomber lourdement dans les coussins mous.

Un profond soupir s'échappe d'entre mes dents serrées. Je passe une main lourde sur mon front, paupières closes, pestant intérieurement contre cette douleur qui me cisaille.

Adam me propose du thé. J'entrouvre une paupière, afin de rester courtois et le regarder au moment de répondre.

« Oui, s'il te plaît... Fais-je, avant d'ajouter. Pardon, je suis familier... Mais entre adultes on peut peut-être se tutoyer, mmh ?

La phrase est prononcée avec une certaine nonchalance impatiente, trahissant l'état de délabrement mental dans lequel je me trouve. Je ferme à nouveau les yeux pendant plusieurs dizaines de secondes... Une minute peut-être, laissant ainsi à Adam le loisir de s'activer en silence.

Lorsque mes paupières s'ouvrent à nouveau, je le vois servant le thé. Mes prunelles glacier s'ancrent sur lui, encore. Je profite de ce moment de relative immobilité pour le mieux détailler. Il m'évoque un être rendu vulnérable par la trop grand éloquence de sa gestuelle.
On le dit vide, mais ce n'est pas l'impression qu'il me fait... Bien au contraire. Lorsque je l'ai vu, la première fois, et qu'il a rougit en m'évitant dans ce couloir... Il débordait. Débordait d'émotions... et d'images, peut-être. Il ne savait plus qu'en faire.
Je me demande s'il m'a imaginé en train de coucher avec Babylone... Probablement, oui. Je l'aurais fait à sa place. Sans le vouloir, à priori : ces choses se font à nos dépends.

Me redressant d'un geste agile, j'approche doucement de la table basse. Mon regard cherche toujours les iris bleu horizon, tandis que ma main s’empare de la petite tasse de thé.  

« Merci.


Fais-je, l'ombre d'un sourire passant sur ma bouche.

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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyVen 27 Oct 2017 - 19:05

L'homme avait visiblement l'air d'être au bout de sa vie. Il n'avait pas attendu plus de quelques secondes avant de se laisser choir sur l'une des banquettes en velour, et, l'espace même de quelques instants, Adam crut qu'il s'était aussitôt endormi. Il fallut qu'il ouvre la bouche pour lui répondre pour qu'il se rende compte qu'il était encore bien réveillé. Du moins, pour l'instant.
L'Eteint hocha juste de la tête, juste un petit coup, un sourire en coin, pour lui montrer qu'il était d'accord. Sans oser articuler un mot. Soit, ils se tutoieraient, alors. Après tout, ça allait peut-être l'aider à être plus à l'aise.

Avec concentration, l'employé de la fumerie s'évertua à faire le thé. Ses prunelles glissèrent sur ses mains qui s'activaient. Des mains d'hommes, aux ongles rongés, aux petites blessures et cicatrices multiples. Loin des petites mains graciles qu'il avait lorsqu'il était garçon perdu.
Herbes en sachet plongé dans de l'eau bien chaude, il rajouta une infime pincée de poivre, comme lui avait expliqué Moriko. Ses gestes étaient habiles, réglés comme du papier à musique. Il se contentait de reproduire ce qu'on lui avait dit de faire, et le faisait très bien, et ce, même s'il sentait le regard pesant de l'homme dans son dos.

Psy.

C'est ça, cet homme s'appelait Psy. Il faisait parti de l'équipage de Hook. Pourquoi ne s'en était-il pas souvenu plus tôt ? On parlait assez de lui, dans le Port. Psy était connu et reconnu, peut-être à son grand dam, pour son intelligence remarquable et pour avoir été le seul à être arrivé sur l'Île avec Peter alors même qu'il était déjà un homme. Il avait un visage assez atypique pour ne pas se fondre dans la masse. Pourtant, il fallut un temps fou à Adam pour pouvoir le reconnaître.
Et le fait de pouvoir mettre un nom sur cette face d'adulte ayant grandi trop vite ne le rassurait pas plus. Au contraire. C'était pour cela, qu'il se sentait sondé, Adam. Pour ça aussi, peut-être, qu'il avait l'impression d'être si gauche et stupide, à côté de lui. Il l'avait senti, au plus profond de lui.

Le petit plateau fut posé sur la table basse. Une grande tasse en terre cuite et aux peintures raffinées était assortie à la théière. C'était un joli service à thé, ça oui. Qui se fondait dans le décor du salon privé.
Tandis que Psy cherchait à accrocher les yeux d'Adam, ce dernier prenait soin de les garder baissés. Il se sentait vulnérable. Nu. Et il avait peur de lire des choses dans ses yeux à lui qu'il ne comprendrait pas. Psy était au-dessus de lui, et probablement au-dessus de la majorité des habitants de l'Île. Il avait presque l'impression de servir une entité.

- Avec plaisir, souffla-t-il en lui rendant son sourire.

Le pire, ce n'était pas le fait que le pirate soit reconnu, intelligent et rusé. C'était bien le fait qu'Adam n'arrivait pas à se calquer sur ses émotions. Il n'arrivait pas à ressentir. Et alors, c'était terrible, parce qu'il ne pouvait se rattacher à rien, rien, rien. Il avait l'impression de patauger dans le vide, d'être livré à lui-même. D'être mort de nouveau.

- Est-ce qu'il vous faut … est-ce qu'il te faut quelque chose d'autre ?

Le tutoiement, il n'aimait pas ça, finalement. Cette fausse intimité le dérangeait. Il ne voulait pas tutoyer Psy. Il ne le connaissait pas, n'était pas assez à l'aise pour donner cette impression.
Le dos un peu voûté, il essuya ses mains moites sur son sombre pantalon, prêt à prendre congé et laisser le client vaquer à ses occupations.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyDim 29 Oct 2017 - 18:23

L'attitude d'Adam parvient sans peine à capter toute mon attention. Face à lui, je me sens comme un prédateur... Un dominant à même de l'anéantir d'une simple phrase. Il n'a pas idée de l'impact de sa posture sur mon ego.
A flatter mon intelligence par tant de retenue... Car je la sens vibrer, cette crainte d'être mis à nu. L'empathie rendue d'autant plus saillante que mes barrières mentales sont en lambeaux. Je bois littéralement le moindre frémissement de ses émotions. Il pourrait me noyer.

Il pourrait...

Je porte la petite tasse fumante à mes lèvres. Le goût du thé contribue à diluer la sensation désagréable qui me noue les entrailles.
Car je déteste me trouver ainsi déshumanisé. Essentialisé en cette « chose » tellement brillante... Tellement au dessus de la masse que l'on ose à peine s'adresser à elle. Je pourrais le tuer de contribuer à nourrir cette vieille passion morbide.

Pourquoi faut-il que l'on se tienne toujours si loin de moi ?

Une gorgée de thé.
Tout ceci ne me dérangeait pas, avant. J'ai même fais en sorte de bâtir cette aura. Nourrir cette posture d'observateur du monde. Pourquoi cela me pose-t-il problème maintenant ?

« Je te demanderais bien de me tenir compagnie, Adam.
Fais-je d'un ton tranquille. Mais je n'ai pas l'impression que tu en ais très envie.

Qu'il reste et m'aide à comprendre. Je ne peux décemment demeurer ainsi, ébranlé comme un enfant. La tasse, en retrouvant sa coupelle, émet un petit claquement sonore. Je me tourne à demi, afin d'attraper le nécessaire à fumer.

« C'est dommage.

J'ajoute d'un ton égal. Mon regard est rivé sur le matériel. J'ai les mains qui tremblent et cela m'agace : un effet de la fatigue additionné à la migraine. Mes gestes demeurent assurés, néanmoins, d'avoir largement pratiqué en compagnie de Moriko : nous avions eu notre heure, ensemble. Et puis tout s'en était allé : les pulsions sont aussi fugaces que des nuages de fumé chez les grands individualistes.

« Je te mets mal à l'aise ?


Je demande alors, la voix légèrement assombrie. La réponse, je la connais déjà. Ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il va en dire, lui. Quels mots il va décider d'utiliser et dans quel ordre. Une fragment de subjectivité.

Pendant ce temps, l'opium chauffe.

J'attends toutefois qu'il me réponde pour prendre une première inspiration.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyLun 30 Oct 2017 - 21:52

La requête du pirate fut tellement surprenante qu'Adam eut un petit rire nerveux. Baissant les yeux et secouant la tête, il eut l'audace d'avoir un sourire un peu provocant sur les lèvres. Balançant son poids sur l'une de ses jambes afin de se soulager, il redressa partiellement le menton.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Il demeura sur place, Adam. La nervosité avait transformé ses jambes en chiffon. Il craignait de se retrouver au sol s'il tentait un pas. Alors, il écouta Psy qui continuait à supposer, et qui osa même demander s'il le mettait mal à l'aise. De nouveau, l'Eteint secoua la tête, non sans parvenir à dissimuler sa gêne.

- Non je … j'ai du travail … J-je ne sais pas si Moriko accepterait que je passe du temps avec les clients.

Il marqua une pause, où son regard se perdit une seconde dans le vide.

- La plupart nous congédie plutôt rapidement, au contraire.

C'était vrai : les gens venant ici souhaitaient être seuls ou entre proches. Les employés de l'Amanite Viride faisaient presque office de meubles. Alors, non seulement l'Eteint avait été surpris de la demande de Psy, mais venant de ce pirate du Jolly Roger, la gêne était plus grande encore. Qu'est-ce qu'il lui voulait ?
L'observant du coin de l'oeil récupérer ce qu'il recherchait pour se détendre l'esprit, Adam porta un doigt à ses lèvres, d'où il se mit à grignoter l'ongle – ou ce qu'il en restait-. Il attendant, malgré tout, curieux de savoir ce que le grand Psy lui voulait. Cette envie de savoir était plus forte que son angoisse.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyLun 30 Oct 2017 - 22:31

Sans mot dire, j'observe la manière dont Adam se débat avec ma franchise. Des excuses toutes faites : il n'ose pas assumer le fait que ma présence l'incommode. Cela dit, je ne m'attendais pas à autre chose... Encore que. Sa curiosité semble malgré tout piquée, en un sens. De susciter l'intérêt d'un autre : il aimerait bien savoir pourquoi... Ce qu'un homme tel que moi peut bien vouloir d'un homme tel que lui.

Je répond d'abord par un simple haussement d'épaule.

« Je connais bien Moriko. Fais-je, le ton suave. Je suis sûr que ça ne lui fera rien.

C'est dit comme on le ferait d'une confidence. Qui sait... Je ne me suis plus enquis de son état depuis bien longtemps. Coincée qu'elle est, dans ses songes enfumés... Nos ébats aussi avaient le goût de l'opium : je crois pouvoir affirmer avoir oublié les deux tiers de nos interactions.

« Enfin, pour en revenir à nous...

J'abandonne brièvement les prunelles bleu horizon d'Adam, pour m'assurer du fait que la dose chauffe correctement.

« Je le sais, c'est tout. Il n'y a pas besoin d'être un aigle pour s'en rendre compte.

Un court soupir s'échappe d'entre mes lèvres. Je me laisse doucement retomber dans les coussins et le regarde à nouveau.

« Mais il n'y a pas de honte à cela non plus.

J'ajoute, avec une certaine douceur. Le moment se suspend dans l'air. Pendant quelques secondes, je demeure ainsi figé, comme arrêté en plein mouvement. L'expression de mon visage traduit toute l'intensité des pensées qui m'absorbent.

« Il y a des jours comme ça...

Fais-je alors, à propos de cet intérêt que je lui porte... A propos des raisons qui nous poussent à requérir la compagnie d’autrui, plutôt que de se retrancher dans la solitude.

Il y avait simplement des jours comme ça.

Sans rien ajouter de plus, je porte la pipe à mes lèvres et inspire. La fumée s'insinue immédiatement dans ma gorge, emplissant ma poitrine. L'effet est instantané. Sensation d’extase intense, suivit du total relâchement des muscles. Anesthésié, les pensées anéanties.
Mon corps s'affaisse un peu plus dans les coussins... Alors, mon regard se décroche d'Adam, vidé. Inerte. Pendant quelques secondes, j'oublie même jusqu'à ma propre conscience.

Et puis... Mes paupières se ferment.

J'expire lentement, le corps baignant de cette relaxation quasi orgasmique... Une fumée gris perle.

« Il y a des jours... Comme ça.

C'est à peine un murmure.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyJeu 2 Nov 2017 - 22:44

Apparemment, il connaissait Moriko. À croire que tous les clients de l'Amanite était des proches de la jeune femme. Pour un peu, Adam pourrait se montrer jaloux. Pour un peu. À la place, il garda le silence, puisque c'était bien ce qu'il savait faire le mieux. Et il baissa un peu les yeux, aussi, parce que le ton mielleux qu'avait employé Psy pour lui raconter cela avait créé dans l'esprit de l'Eteint des connexions qui le mettaient mal à l'aise. Les mots du pirate semblaient avoir ce pouvoir. De déclencher des choses dans sa tête.

La conversation revint néanmoins rapidement sur le sujet initial. Psy savait. Et son seul argument était également le plus valable. Il savait. Et, sortant d'entre ses lèvres, c'était suffisant à faire capituler. Si bien qu'Adam hocha la tête, fatalement. Comme un enfant qu'on réprimanderait. Ses bras demeurèrent balants, son regard fixé sur un point invisible, au-dessous du visage du Penseur.

Il se dégageait du pirate du Jolly Roger des sentiments étranges, qu'Adam avait du mal à saisir. Une grande lassitude. Une fatigue immense. Mais aucun jugement réellement négatif à son égard. Psy semblait ailleurs. Il semblait seul. Vide. Et, tout à son envie d'aider les gens, l'Eteint ne pu se résoudre à le laisser seul avec son opium. Perdu dans les méandres de ses pensées embrumées, le Penseur s'enfonça un peu plus dans le canapé. Ailleurs.

Et Adam s'approcha un peu plus. Détailler plus en détail ce visage qu'il n'avait jamais vu mais que tout le monde connaissait. Avec une fascination presque dérangeante, ses prunelles claires retraçaient les quelques légers sillons qui creusaient la peau de Psy. Considéré comme une légende depuis son arrivée sur l'Île. N'ayant, au final, rien de plus impressionnant d'un autre homme si ce n'est son esprit.
Il avait envie de l'entendre parler, à présent. De savoir, à son tour. D'essayer de comprendre. De comprendre pourquoi Psy. Était-il tel qu'on le décrivait ? Ou est-ce que les rumeurs faisaient comme toujours elles faisaient : déformer la réalité ? Et puis, cette solitude qui émanait du Penseur l'empêchait de fuir.

Alors, Adam, il s'installa à son tour. Sur le fauteuil face à Psy. Il fit passer une jambe par-dessus l'autre et s'efforça de se détendre en le regardant encore. Dans ses yeux : un milliard de questions. Qui pourtant ne franchissaient pas la barrière de ses lèvres. De toute manière, l'homme était en plein rêve à cet instant. Mais, puisqu'il l'avait demandé, il ne verra aucun inconvénient à ce qu'Adam soit toujours ici lorqu'il rouvrira les yeux.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyVen 3 Nov 2017 - 18:45

Il n'y a rien.

Rien que de pures sensations flottant dans le noir. Brume tiède. Des perceptions en lambeau, qui me traversent en ne laissant qu'une vague empreinte dans leur sillage. Pensées évaporées, le corps anesthésié.

Les angoisses sont mortes : ne demeure que la plénitude.

J'entrouvre les yeux. La pièce me semble baignée dans le noir : conséquence de mes pupilles étrécies. Un léger flou voile ma vue. J'ai l'impression de tanguer très doucement. C'est agréable, pourtant.

Artificiellement jouissif.

Mon regard s'en va naturellement chercher Adam. Je constate qu'il est toujours là, assit sur un fauteuil en face de moi. Ses yeux me scrutent... Il se demande.
Il se demande beaucoup de choses. Je sens son état résonner à travers moi, comme si mes pensées, incapable de prendre corps, se voyaient remplacées par une forme très pure d'instinct. Alors, les conclusions m'apparaissent, semblant jaillir du néant. Je n'arrive plus à retracer le chemin de mes raisonnements... Et pourtant, je sais que je ne me trompe pas.

Je le sais : je le sens. Un animal pensant.

« Tu es un français, Adam, non ?

Je l'observe un instant, l'air infiniment concentré, en dépit du voile de brume qui éparpille l'intensité de mon regard à travers la pièce.

« Mon âme elle est là-bas,
Mon âme en joie et en alarmes,
Elle est là-bas
Où l’on s’élance, où l’on se bat,
Mon âme elle est là-bas,
Dans les clameurs et dans les armes...


Les mots sortent avec peine, dans un français approximatif et à l'accent châtié. Je fronce les sourcils.

« Je ne me rappelle plus de la suite...

Ma main se pose sur mes yeux : je les frotte du pouce et de l'index. Pourquoi m'évoque-t-il ce poème, Adam ? Impossible de le savoir. Les mots se sont simplement imposés à mon esprit, avant de disparaître dans le noir.
Tout est trouble, tout tremble.

Je souffle.

« Pose moi tes questions.

Fais-je alors, laissant mollement la main retomber contre mon ventre. Mon visage traduit de l'inquiétude... Ou de la préoccupation. Je ne sais pas pourquoi.  
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyLun 6 Nov 2017 - 21:25

Psy, lentement, sortit de ses songes. Et Adam, sans pudeur aucune, était resté présent. À scruter le moindre détail de son visage, à imaginer les sensations que l'opium pouvait bien lui procurer. À presque l'envier. À vouloir tester à son tour, avant de s'arrêter dans cette pensée. L'Île de Jamais était déjà assez étrange comme cela, et le cerveau de l'Eteint assez perturbé. Il ne voulait pas plus se faire du mal encore. Alors, à la place, il choisit de s'imbiber des sensations qui enveloppaient Psy. Cette douce béatitude, cette absence incontrôlée, ce songe éveillée. Ça lui fit du bien. Pendant une seconde, il s'offrit même le luxe de fermer les yeux. C'était beaucoup plus léger que pour le Penseur. Beaucoup plus doux, peut-être. Lentement, il prit une inspiration, par la bouche. Et souffla longuement par le nez, paupières toujours closes. Il eut l'impression que cela le soulageait de son mal quotidien.

Il reprit contact avec la réalité peu avant Psy. Et les deux se jaugèrent des yeux. Le pirate fut le premier à percer le silence. Sa question n'appela aucune réponse, aussi, Adam se contenta d'un hochement de tête mesuré. Un peu impressionné aussi, peut-être. Il avait certes gardé un accent malgré tout ce temps, mais il était léger, à peine perceptible. Selon lui.

Le poème fut soufflé dans sa langue natale. Et rien que d'entendre ces intonations propres à son pays lui donna l'envie de pleurer. Ses yeux se mirent à briller, mais rien ne sortit. Pas devant Psy. Parce qu'il en savait déjà trop sur lui, et que ça le dérangeait.
Adam baissa les yeux à la fin de cette citation, honteux. Le Penseur ne se souvenait pas du reste du poème. Adam ne le connaissait pas du tout. Il n'aurait même pas pu citer l'auteur. C'était le problème, d'être né il y tellement, oh tellement longtemps : l'éducation n'avait pas une place importante dans sa vie. Il savait à peine lire. Alors, la littérature, qu'importe soit-elle … lui était inconnue. Peut-être devrait-il profiter de sa fragile immortalité pour s'y mettre.

- Pose-moi tes question.

Hésitant, Adam s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, un soupir au bord des lèvres. Lui aussi, aurait aimé pouvoir lire en Psy comme lui le faisait. Mais il n'était bon qu'à percevoir ce qu'il ressentait. À cet instant, il voyait de la lassitude. Une crainte constante. Beaucoup de doutes, et plus encore de questions.

L'employé de la fumerie avala sa salive, lia ses mains sur ses jambes. Laissa quelques secondes filer.

- C'est toi qui souhaitais que je reste. Souhaitais-tu répondre à des questions qui ne t'intéresse pas, qui ne t'apporte rien et qui sont plus barbantes qu'autre chose ? Je n'ai rien à t'apporter dans tes recherches, je le crains. Je ne suis rien de plus qu'un curieux sans connaissance. Et même ça : ma curiosité n'est pas bien grande. La vérité fait parfois mal. Mais ça, tu le sais déjà, non ?

Oh, qu'il en avait, des questions. Des plus simples aux plus réfléchies. À commencer par comprendre pourquoi est-ce qu'il souhaitait la présence d'Adam à ses côtés. En quoi est-ce qu'il pourrait l'intéresser. Qu'est-ce qu'il pourrait lui rapporter. Ce genre de pensées un peu futiles et personnelles qui, en soit, ne lui apporteraient pas grand-chose. Quant aux vraies questions … Adam avait juste la crainte d'agacer Psy. De passer pour un idiot.
Un petit rire jaune lui échappa.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyMer 8 Nov 2017 - 21:09

J'écoute Adam me répondre, sans mot dire, tranquille et silencieux comme à l'habitude. Une fois de plus, il semble que l’Éteint cherche à éviter la discussion. L'invitation était simple, pourtant. Elle répondait à une envie. Malgré cela, il ne se l'autorise pas, préférant relativiser sa place. L'estime que cet homme portait à lui-même n'étais visiblement pas bien épaisse.

« C'est vrai oui, je t'ai demandé de rester.
Fais-je alors, l'intonation un brin plus chaleureuse que jusqu'alors. Mais tu n'y étais pas obligé. Ce n'est d'ailleurs toujours pas le cas.

Remarque douce, sans ironie aucune. Il est resté en dépit de ma torpeur. Tranquillement, il a patienté, tandis que je me laissais aller aux songes enfumés. Malgré cela, il n'assume pas cette décision et préfère en reporter sur moi la responsabilité. Un brin de passivité agressive : cela lui va bien, je pense. L'arme favorite des natures condamnant toute forme de confrontation... Les ego fragiles, les ego blessés.

Un brin d'herbe au vent, l’Éteint.

« Si je t'invite à me poser des questions, Adam, c'est que je vois bien qu'elles existent...

C'est d'une extrême lenteur que je me redresse. Mes mouvements sont lents, approximatifs, mais pas maladroits. Je le regarde : il semble une flamme grise dansant sur un décors mouvant. L'opium m'appesantis... J'ai néanmoins la sensation de voir à travers lui. Il est d'une étrange clarté terne, presque transparent.

« Et qu'y répondre m'intéresse.

Je conclus. Bref soupir d'effort. Ma main passe sur mon front, je me frotte les yeux. La pipe à opium retourne chauffer pour quelques secondes. Je réfléchis, un peu.

« La vérité c'est...

Je commence, reprenant ses dernières paroles. Ma bouche est anesthésiée, je peine à articuler correctement.

« Douloureux lorsqu'elle s'écarte de nos attentes initiales.

Je repense à Héléna, à notre conversation. N'avoir pu simplement répondre à son amour par un « je t'aime aussi » : cette sensation là, cet instant... Je ne peux m'empêcher d'y songer à nouveau. Comme un film qui tournerait en boucle, un vieux disque rayé. Pourquoi faut-il qu'elle m'ait avoué ses sentiments ? N'étions-nous pas mieux à jouir dans nos beaux faux semblants ? Ils me donnaient l'illusion d'être libre, indépendant... Les beaux faux semblants.
Je lui ai brisé le cœur, ce soir là. Qu'importe si les choses se sont arrangées par la suite. Elle ne l'oubliera pas : la première déception, celle qui reste.

« Tu as tort de te déprécier de cette façon.

Fais-je alors, l'esprit encore baigné des les images de ma dispute avec Héléna.

« Je ne sais pas pourquoi tu le fais... Et je ne te demanderais pas de me l'expliquer, naturellement... Mais c'est regrettable.

Sur ces mots, je me laisse doucement retomber contre les coussins.

« Car vois-tu... Il arrive aussi à des hommes comme moi... Le propos est ironique : j'ai à cœur de me considérer comme un individu relativement ordinaire. D'avoir simplement envie de discuter.

L'esquisse d'un sourire vient égayer le coin de ma bouche : doux amer. Je porte la pipe à ma bouche et tire une courte bouffée... De quoi me maintenir dans un état de flottement cotonneux, mais pas assez pour m'endormir.
La fumée s'échappe d'entre mes lèvres.

Volutes...
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyVen 10 Nov 2017 - 23:16

Il était flegmatique, le Penseur. Ainsi affalé sur le sofa, débraillé, les mèches en vrac, il lui faisait penser à un chat. Même son regard était semblable à ceux de ces félins. À observer à la dérobée.
Adam ne cilla pas. Il affronta avec un calme qui lui était propre, ces yeux clairs qui sondaient malgré la brume qui les recouvrait. Psy ne perdait pas son charme malgré l'opium. Il ne perdait pas cette aura atypique qui planait autour de lui.

Sa première remarque était juste. Elle en devenait vexante de vérité. Si bien que, si l'Eteint n'avait pas été si détaché de sa propre fierté, il serait parti, frustré de s'être fait clouer le bec aussi simplement. À la place, il se contenta de retenir un soupir, exaspéré par son propre manque de réflexion et de répartie.
Il se redressa, le Penseur, alourdi par la fumée qui ployait sur ses épaules et dans ses poumons. Cet entrevue était un échange de regards, où chacun essayait de lire à travers l'autre. Chacun à sa manière. L'un, par instinct, l'autre, par savoir et habitude.

Il était intéressé, apparemment, Psy, de répondre aux questions d'un illettré, d'une ombre parmi les ombres, d'un figurant. Cela titilla la curiosité d'Adam. Penchant la tête sur le côté, il observait les mains du pirate autour de la pipe exécuter des gestes tout en flegme et habilité.

- Que devrais-je faire sinon me … déprécier ? J'ai assez conscience du monde qui m'entoure pour voir qui je suis, et ce que je vaux.

C'était regrettable, selon Psy, d'ainsi se dévaloriser. Adam ne rajouta rien. Il se contenta de remuer un peu dans son fauteuil pour mieux s'y installer. Un coup d'oeil vaguement inquiet vers l'entrée. Personne ne s'inquiétait de son absence à l'accueil. Si ses collègues ne voyaient personne derrière le comptoire, l'un d'eux s'y posterait naturellement, presque instinctivement.

- Simplement discuter …

Il eut un petit soufflement de nez, un vague sourire sur les lèvres.

- Est-ce se déprécier que d'affirmer n'être pas à la hauteur, même pour une simple discussion ? Tu es Psy. Tout le monde te connaît. Connaît ton histoire, ou du moins, les rumeurs qui flottent autour de toi. Tu connais Hook.

Hook. Pas Capitaine Hook. Juste Hook.

- Tu le connais personnellement. Tu connais les grosses têtes de l'Île. Devrais-je me sentir flatté de te côtoyer aujourd'hui ? D'avoir l'honneur d'être invité à passer du temps à tes côtés ? De pouvoir être écouté, entendu ? D'échanger avec toi ?

C'étaient des mots froids, presque hautains. Pourtant, aucun mépris ne se lisait dans la voix de l'Eteint. Sa voix restait constante. Douce, comme une caresse. Chaque mot, mesuré, articulé avec soin.

- Je te sers de distraction ? Je permets de … je permets à ton esprit de te détendre ? De ne pas avoir à pousser trop loin la réflexion ?

Il secoua la tête, eut un petit rire amère. Il avait l'impression d'être un clown. Un simple sujet, que l'on irait voir pour s'occuper un peu, pour s'amuser. L'on disait de Psy qu'il ne parlait pas à tout le monde. Qu'il choisissait, et que ceux qui n'avaient pas d'importance dans sa recherche éternelle de réponses étaient comme inexistants pour lui. Adam faisait parti de cette case-là. Alors, si l'on croyait ces rumeurs …

L'esquisse d'une envie dessina un sourire légèrement joueur, provocateur, sur les lèvres d'Adam. Il s'enfonça dans son fauteuil, croisa ses jambes, reposa ses bras sur ses accoudoirs.

- Ai-je tort ?


Dernière édition par Adam Noguchi le Sam 11 Nov 2017 - 19:44, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptySam 11 Nov 2017 - 19:26

J'écoute Adam dérouler son raisonnement, tandis que l'opium se fraie un chemin des alvéoles aux veines, jusqu'au fond de mon cerveau. L'impression douceâtre de flotter dans un rêve me force à l'apaisement. Je pourrais me laisser couler...
Je pourrais moquer le complexe qu'il me dépeint, rire de l'image qu'il offre de moi même... Une silhouette frayant avec l'omniscience... Une chose qui ne daigne s'adresser à la plèbe que pour répondre de son ennui. Rire de l’Éteint comme d'un pathétique arlequin décoloré, baigné que je suis dans cette euphorie enfumée.

Je pourrais...

« Il n'y a pas de bonne réponse à cette question.

Fais-je finalement, sans rire ni sourire. Lui donner raison, c'est insulter sa dignité en l'enfonçant dans ce rôle de bouffon qu'il m'imagine lui avoir attribué. Lui donner tort reviendrait à remettre en cause ses facultés de raisonnement, en démontant cette démonstration appliquée.
J'ignore où épingler la vérité entre ces deux extrêmes... Et y songer m'indiffère assez. L'opinion d'Adam est plus intéressante que ma version de la Réalité. Ce qu'il dit de moi renseigne avant tout sur la manière dont il se perçoit, lui. Entre intonations et postures... Je vois bien cette envie qu'il a de me démontrer quelque chose.

« Tu penses n'être pas digne d'intérêt ? Qu'étant à ce point brillant, mon envie de parler avec toi devrait nécessairement être teintée de condescendance ?

Je demande alors. Mon intonation n'est pas cassante, ni méprisante. C'est tout l'inverse : de la bienveillance, de la douceur. Le phrasé est long... Je prend mon temps pour reformuler ses propos, lui donner à voir son propre discours.

Les secondes s'égrainent. Les yeux dans le vague, je ne dis rien. Sens enfumés...

« Je suis désolé.
Fais-je finalement, le regard toujours perdu dans l'air. Je n'ai aucune prise sur ma propre réputation.

Voilà bien des limites à la volonté de contrôler son image. Le murmure de nos actes s'en revient à la conscience collective, jusqu'à gonfler en une chanson. Presque une parodie de nous-même... Les « on dit ». C'est amusant. Adam est certainement la première personne à me renvoyer cette image de manière aussi frontale. Je n'imaginais pas qu'elle fut à ce point spectaculaire.

Devrais-je me sentir flatté, ou bien consterné par tant de naïveté ?

Un bâillement meurt contre le dos de ma main. Je me sens terriblement las, en dépit de l'euphorie provoquée par l'opium : brouillard en arrière plan, obscurcissant toutes perspectives... Paysage décomposé. Mes doigts glissent dans mes cheveux. Je ramène vers l'arrières quelques mèches désordonnées.

« Toi qui ne connaît pas Hook, comment le vois-tu ?

Mes yeux se posent finalement sur lui, clairs et acérés. Les coudes terminent sur mes cuisses, les doigts entrecroisés.

« Moi je peux te dire que c'est un homme rongé par son obsession... Et, de fait, très seul.


Parler des autres pour éviter de parler de soi. J'esquisse l'ombre d'un sourire. Encouragement muet : Adam est plus intelligent qu'il ne veut bien le dire...
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyJeu 16 Nov 2017 - 23:09

Il eut un petit rire, Adam. De défi. Psy évitait de répondre. Il esquivait avec habilité de mettre une réponse aux interrogations de l'Eteint. Pour lui laisser tout le loisir d'interpréter, de choisir. Ainsi, le Penseur restait lisse. Il gardait cet air de confident, d'homme qui sait et qui ne juge pas.

- Tu penses n'être pas digne d'intérêt ?

Il releva le nez vers lui. Le laissa parler, supposer à son tour. Après un silence, sa voix s'éleva dans une phrase simple.

- C'est à peu prêt ça, admit-il.

Pourquoi cette douceur qui marquait le timbre de la voix de Psy le mettait tant sur ses gardes ? Pourquoi il avait l'impression de devoir rester méfiant ? De devoir tenter de le surplomber, de se montrer limite menaçant ? C'était idiot. Psy était resté poli, respectueux et même sympathique depuis le début. Était-ce que parce qu'Adam ne ressentait pas ses émotions qu'il se sentait obligé de se montrer si froid ? Il y avait quelque chose de louche chez lui. Adam se sentait perdu. Il n'arrivait pas à se calquer sur ses sentiments et à s'adapter.

Il observait ce visage. Encore. Sans se lasser. S'il osait, il irait même jusqu'à le toucher, pour peut-être parvenir à ressentir quelque chose. Ce vide lui faisait peur.

La conversation dévia sur Hook lui-même. Souriant légèrement, Adam hocha la tête, comme pour accepter. Soit, il allait jouer le jeu.
Laissant une seconde sa tête basculer en arrière afin de réfléchir, il finit par ouvrir la bouche.

- Hook …

Il marmonna, soupira longuement par le nez, entendant d'une oreille distraite la remarque du pirate. Une oeillade intéressée lui fut offerte. Hook, seul … ça ne l'étonnait pas.

- S'il est là depuis toujours, sa solitude est compréhensible, supposa-t-il.

Ses deux mains se glissèrent dans ses cheveux. Il garda un instant la position, regard vers le plafond.

- Je ne le connais que par des rumeurs, une fois de plus. Et par mes impressions d'enfant … Qui ont grandis avec moi. Comme beaucoup de perdus … Je ne l'aime pas. Ou du moins, je ne l'apprécie pas. Mais je crois …

Il pinça ses lèvres, abaissa son visage pour regarder le sol.

- Je crois que j'ai de la compassion pour lui, malgré tout. Et j'ai peur de comprendre chaque jour un peu plus son obsession pour Pan. Je … je ne sais pas.

Il haussa les épaules. Distraitement, il attrapa un coussin et le posa sur ses genoux. Le lissant du plat de la main, il enchaîna.

- Je me sens détacher de tout ça, alors que … que toute mon existence … elle est liée à eux. À Pan, en tout cas.

Un petit rire lui échappa. L'air concentré de Psy le sortit de sa réflexion. Il se sentait bête.

- Je crois que je n'en apprécie aucun des deux, en fait. Et j'ai même du mal avec ceux qui les côtoient de prêt, je crois bien.
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MessageSujet: Re: Gris perle   Gris perle EmptyDim 19 Nov 2017 - 14:11

Les mots d'Adam m'atteignent comme un écho lointain. Je les laisse s'insinuer en moi, attendant tranquillement le moment d'en cueillir les fruits. C'est un propos riche, de ceux qui me laissent songeur longtemps. Sans doute pourrais-je m'en contenter, comme terme de notre échange. Ils m'accompagneraient alors dans mes songes enfumés... Où je pourrais les y décortiquer, encore et encore.

« Je vois...
Fais-je dans un souffle. Je comprends mieux pourquoi tu ne m'apprécies pas.

L'ombre d'un sourire passe sur ma bouche. « Apprécier » n'est pas le terme exact. Il s'agit plutôt de méfiance, en vérité... Mais je le préfère à dessein, car c'est celui qu'il a lui-même employé.
Bref soupir, je me laisse doucement retomber contre les coussins de la banquette, le regard alourdi. D'en arriver là me satisfait. Il y a de l'honnêteté chez ce garçon et j'aime bien cela. Par delà la réserve, la méfiance... Après le gris... Il y a...

Il y a...

« Nous sommes tous liés à eux, tu as raison.

Hôte de l'esprit de Pan, nos existences ont été réduites à des faisceaux de sa psyché, au moment où l'on nous a privé de nos noms. Nous évoluons dans une sphère antagonisée, où il faut choisir entre enfance sauvage et civilisation adultéenne corrompue. L'essentialisation se fait à nos dépends, tant et si bien qu'il devient impossible d'espérer s'en tirer hors de toute allégeance.

« Hook et Pan sont les deux facettes d'une même pièce.


Fais-je alors, l'air soudain infiniment concentré.

« Pan est l'enfant qui ne grandit jamais. Il vit dans l'instant, oublie le passé, sans jamais envisager l'avenir. Le Capitaine, lui, est obsédé par le temps. Il le craint par dessus tout... La mort... Pourquoi craint-il à ce point le crocodile ? Le tic, tac, tic, tac...

Ombre d'un sourire. Je déroule les idées en pagaille, trop embrumé pour élaborer entre elles une véritable cohérence. N'est qu'un fil, un fil conducteur...

« Leur combat c'est le notre. Comme une allégorie.

Soupir, gémissement étouffé. Je passe la main sur mon front, suspendant mon propos pendant un instant. La migraine se manifeste par intermittence. J'aborde le cœur de mon idée.

« Devenir adulte, c'est accepter l'idée que l'on va mourir.

Le silence retombe sur nos têtes l'espace d'un moment. Je songe, j'assemble les pensées. J'élabore.

« Peter Pan n'en est pas là... Il se bat toujours contre l'évidence... Il se bat contre le capitaine et, tant qu'il gagne, ne grandit pas.

Mon regard se pose finalement sur Adam. Je le détaille un instant, avant de poursuivre.

« Mais cette île est le domaine de Pan. Il y est tout puissant et c'est pour cela que le Capitaine ne gagnera jamais.


Il y aurait tant de choses à dire... Tant de choses à ajouter, à préciser... Mais je suis las. Il y a d'autres pensées qui encombrent ces pensées.

« Toi et moi, nous sommes adultes. La question que nous avons à nous poser n'est plus de savoir qui doit gagner. Le Capitaine a déjà gagné pour nous. Ce que l'on doit donc déterminer c'est... Que faire du temps qui nous reste à vivre ici ?

Je m'arrête sur ces mots. Ma tête s'en vient échouer au creux de ma main, le bras replié, en appuis contre le dossier de la banquette. A ce stade, j'ai la sensation de parler pour moi-même plutôt que pour lui. Trop absorbé, trop en dedans. Je ne sais pas. J'y songe. Je suis perplexe.
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