Pour la première fois depuis une éternité, j'observe les parois de la Sangrotte. C'est moi qui l'ai baptisé ainsi, c'est une certitude. Pourtant, je ne me souviens du quand et du comment, et encore moins de ces dessins grotesques. Parmi les massacres de sirènes maladroitement exécutés d'une main d'enfant -ou d'adulte avec peu de talent- flotte un visage redondant : qui est cette fille aux cheveux de feu et aux joues parsemées de tâches grossières ? Est-ce Eileen ? J'aimerais que ce soit elle. J'aime bien Eileen. Sa compagnie m'apaise d'aucune autre manière.
Pourtant, je recouvre peu à peu ces fresques de peintures neuves, illustrant la parole de Mère et ses récits de l'Autre Monde. Les sortes de messes que nous organisons ici attirent de plus en plus d'adeptes. La Sangrotte est notre premier temple, notre premier refuge à
nous, les Monstres. Il est important de faire valoir notre histoire, de l'ancrer à ces premiers murs. C'est notre devoir et notre oeuvre avec ma nouvelle soeur, mon petit bout d'âme, ma Ya orr'e.

Je caresse tendrement sa chevelure d'encre alors qu'elle se repose, la tête au repos sur ma cuisse. Elle est ma "première" convertie réussie, la première de la fratrie que je constitue pour le bonheur de mère. J'éprouve une profonde satisfaction rien qu'en la regardant, assoupie, en pleine et parfaite confiance. J'observe la peau de ses mains tâchées de pigments avec un petit rire ronronnant. Elle travaille avec un zèle et une dévotion qui ne peut faire que ma fierté.

Sica s'ébroue doucement, émergeant du royaume de R'lyeh, là où le sommeil nous emprisonne tous.

- Buenos dias, petite soeur... As-tu bien dormi ?