L’emmener c’est—une erreur, une sorte d’horreur dont ils ne peuvent pas s’extraire—l’unique solution qui vient. Pensée unique qui s’écrase avec fracas contre l’unité supposée, ce jeu malsain dans lequel elle semble trop bien s’enliser. Wrath n’a pas remarqué de son plein gré, c’est uniquement l’habitude, apercevoir l’élément perturbateur et avoir conscience de sa fin proche. Kitty est comme lui, ils sont tous pareils. A la surface, tant qu’on ne gratte pas le Givre qui s’est infiltré, qui compose leurs chairs et qui recouvre leurs dents en une monstruosité de plus. En-dessous, les orbleus ne se ressemblent pas tant que ça.

Kaze lui a fait remarquer, les détails, leur façon de s’y prendre, de s’en prendre aux autres. Wrath trouve ça pénible, une once d’individualité impossible à suffoquer, même avec les deux mains. Il prétend que ce n’est pas important, pas si réel, que les vivants ne sont qu’un passé encombrant et inutile. Un qui brûle ses veines, avec des insultes bien placées et un regard familier; Nasty. C’est pour ça, parce qu’il a conscience de ces différences, de la manière dont Kitty s’éteint, dont ils se laissent progressivement mourir les uns après les autres, pour que l’intérieur et l’extérieur soient de parfaites copies.

Pensées claires, sauvées par une vague de douleur qui l’a empêché de voir de longues secondes, Wrath en a profité pour l’entraîner avec lui, pour sortir de la forteresse. En ce moment, avec les douleurs qui se répercutent d’un monstre à l’autre, qui leur font perdre du terrain, les ordres sont moins constants. Étendre le Givre, détruire ceux dont le sang est encore chaud, tout ça, rien de plus. Mauvais enfant, excellent soldat, La Flamme a une pointe de contrôle qui se profile parfois à l’horizon. Une qui meurt généralement rapidement néanmoins.

Ainsi, lorsqu’il s’élance sur le lac, avec ses patins de glace, dérapant au gré de ses envies—ou des besoins de quelque chose qui partage son corps—ce n’est guère surprenant qu’un sourire amusé naisse sur ses lèvres, dents bien trop pointues qui apparaissent. Il pivote, traçant un arc de cercle sur l’étendue qu'il gèle au fur et à mesure sous ses pieds (pas sûr que ça dure).

« Kitty s’ennuyer en ce moment, non ? Sortir pour aider. »

S'éloigner là où le Givre n'a pas totalement le contrôle, c'est dangereux. Wrath trouve certainement ça plaisant, de se mettre en danger, puisqu'il est immortel.

« Je et—moi et Kaze, avoir jeu. Avec humains. Kaze dit que c’est ‘jouer au chat’. Jeu pour Kitty. »

Si, pour se raccrocher à la vie, il leur faudra en voler une autre, tant pis.

Depuis le début, elle était restée seule. Malgré le semblant d'unité qui semblait les unir tous, Kitty se sentait de plus en plus exclue.
Quelque chose n'allait pas, elle le savait, mais n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce n'était pas naturel. Mais en quoi exactement ?
Au fond, ce qui leur arrivait, c'était simplement une énième curiosité de l'Île. Avec le temps, ne devrait-elle pas simplement l'accepter, se laisser porter, et voir où ça la mène ?

Était-ce la migraine qui l'avait laissée se faire entrainer par un compatriote (d'où venait-il déjà, celui-là ?) ou simplement ce coup de mou qui trainait un peu trop en longueur, et qui avait laissé des marques gris souris sur ses joues, là où les larmes avaient fini par couler ?
On dirait qu'il n'y a que ça d'assez chaud sur le moment pour avoir endommagé, craquelé la fine couche de Givre qui macule le visage de la jeune fille.

Il a un souci, ce gars comme elle, là (c'est Wrath, le Soigneur au snag chaud, elle s'en souvient, elle a pu le voir lors de ses visites à l'Infirmerie -elle n'est pas encore un chat qui retombe toujours sur ses pattes).
Probablement est-il aussi un peu paumé, elle ne sait pas. Peut-être qu'elle aurait dû s'intéresser un peu plus à lui, avant l'incident, histoire d'avoir un vrai lien qui ne soit pas seulement le fruit d'un Virus dont personne ne voulait.

La Chapardeuse se surprend à lui rendre son sourire, alors qu'ils glissent grâcieusement sur la glace, tous les deux, suivant les traces glacées qu'il créait lui-même au fur-et-à-mesure de leur progression.
Dans peu de temps, le Lac allait devenir une gigantesque et solide patinoire, sûre et fiable, pour quiconque voudrait y faire quelques glissades.
Il peut se passer n'importe quoi, elle s'en fiche complètement. Du moment qu'elle peut rester accrochée à lui, à sa main, et ne pas être laissée sur le carreau, tout lui sera agréable.

Ce n'était pas ce semblant d'unité froide qui vous comble seulement les premiers temps, avant de vous rendre seul et triste dans votre coin.
Non, là, c'est plus réconfortant, plus réel. En vrai, elle ne saurait expliquer en quoi, pourquoi.

- Kitty s’ennuyer en ce moment, non ? Sortir pour aider.

Le sourire sincère et plein de dents pointues que l'adolescente affiche, qui s'agrandit même un peu plus, sert de remerciement.
Wrath voulait jouer à chat avec des humains, ensemble. Il semble s'être plutôt amélioré en anglais. Au fond, tout au fond d'elle, si imperceptiblement qu'elle ne s'en rend pas compte, ça lui fait plaisir.
En réponse, elle hoche la tête.

- Oui, c'est vrai. Je suis un chat.

Fait-elle remarquer en effleurant de ses doigts ses oreilles de chat postiches, maintenant si bien ancrées sur son crâne par le gel que l'on pouvait croire qu'elles faisaient partie intégrante de son anatomie.

- Ça me va. Du moment que tu me laisses pas toute seule...

Ajouta Kitty d'une voix plus suppliante que ce qu'elle aurait voulu.
Le Lac Scintillant n'est pas un de leurs territoires, n'est-ce pas ? À moins qu'elle ne se trompe ?
Quoi qu'il en soit, il pouvait tout de même devenir leur terrain de jeu. Car déjà, elle sentait du mouvement dans les fourrés... humain, ou animal ?

Les humains sont autre chose. Pas exactement—ah, c’est presque drôle, il a oublié où se situait la différence, ce qui se passait dans son esprit avant que le Givre ne s’y immisce. Outre une douleur sourde et perfide, une qui devenait voix ou violence selon son humeur, qui glissait contre ses doigts jusqu’à ce que tout soit sanglant et désagréable. Ses patins sont parfaits, et il se focalise sur ça, sur la glace qui s’épaissit, même si elle risque de ne pas tenir très longtemps après leur départ. Est-ce que quelqu’un (quelque chose, ils ne sont pas comme eux) sera assez stupide pour s’approcher, pour tenter le destin ?

« Oui, c'est vrai. Je suis un chat. »

Les oreilles sur sa tête sont une bonne confirmation de ce qu’elle est. Lui aussi possédait un chat—une énorme créature monstrueuse tuée par le Givre et ramenée à la vie. Qu’il aimait poursuivre les vivants, assis sur son dos. Malheureusement, elle n’est pas parvenue à tenir, à ne pas s’égarer—peut-être a-t-elle brûlé sous leurs mains dégoûtantes ?

« Ça me va. Du moment que tu me laisses pas toute seule... »

« Nous êtres pareils. Jamais seuls. Même quand notre tête faire hurler. » Il a rajouté un verbe de trop. Un peu ennuyé par ce fait, Wrath trace un arc de cercle dans la glace, un qui projette des éclats un peu partout autour de lui, en évitant néanmoins Kitty. Il a noté le mouvement également, celui qui agite les buissons qui ne sont pas encore recouverts totalement de Givre. Sa main se tend, imaginant déjà la créature tremblante tapie là-bas, uniquement pour se tourner vers Kitty, tapotant son front doucement.

« Toi et moi sommes les chats, allons attraper proie. »

Proie. Il est fier de ce mot, de le maîtriser, de le comprendre. C’est Kaze qui lui a chuchoté. Kaze lui dit beaucoup de choses, la majorité sans même utiliser sa voix. Wrath, qui est un monstre supposé ne rien ressentir, trouve ça plaisant. Il n’est pas totalement—les traces sur les joues de Kitty, il n’avait pas fait attention jusqu’à ce moment. Retirant sa main, il les désigne en posant ses doigts contre son propre visage.

« Fais attention. »

Reste comme nous.
Comme moi.

Être ainsi rassurée lui plait. Ce sentiment de solitude, alors qu'ils étaient censés être tous si proches, n'était donc qu'une illusion ?
Bah, mieux valait ne pas se poser de questions et vivre l'instant présent en lâchant prise. Après tout, tout est si compliqué quand on passe son temps à se creuser la cervelle pour tout et pour rien.

- Toi et moi sommes les chats, allons attraper proie.

- Oui, les chats...

Murmure l'adolescente en réponse, de manière automatique, comme si ce n'était pas elle-même qui l'avait pensé. Était-ce l'effet d'une quelconque connexion ?
Ses yeux bleu glacier sont rivés sur le buisson frémissant. Du coin de l'œil, elle discerne Wrath qui semble lui montrer quelque chose sur son visage.
Moue interrogative.

- Fais attention.

Intriguée, la Chapardeuse passe ses propres mains sur ses joues. C'est effectivement plus lisse à ce niveau, sous ses yeux, comme si la fine couche de givre sur sa peau avait fondu.
C'en était presque doux. Pourquoi serait-ce une mauvaise chose ?

En vérité, c'est ça, son souci.
Elle se pose trop de questions et oublie d'obéir aux ordres chuchotés dans sa tête sans réflechir.

Comme pour le lui rappeler, quelque chose la fait s'apaiser brusquement. Nouveau sourire plein de dents, plutôt doux pourtant, alors qu'elle hoche lentement la tête et se reconcentre sur son buisson, qui aurait pu choisir un autre moment avant de se remettre à bouger.
Instinctivement, l'Orbleue se rue dessus, lançant à son compagnon de chasse un petit regard complice. À moins que ce ne soit un regard de défi, l'air de lui faire comprendre "celui qui remporte le plus de trophées gagne" ? Allez savoir. C'était ambigu.

Son aisance sur la glace ne la surprend plus, à ce stade, pas comme à ses débuts. Elle a pris conscience de sa rapidité, de sa dangerosité, de sa létalité. Alors, elle la contrôle, juste pour faire durer le jeu un peu plus longtemps.
Sa présence soudaine juste à côté du buisson fit fuir son occupant, qui n'était malheureusement qu'un jeune lièvre ayant revêti son pelage d'hiver. Cependant, ce n'est pas parce qu'il était ton sur ton qu'il allait pouvoir s'en sortir vivant.

- Viens donc !

Lance Kitty à l'attention du Soigneur, sans se priver de prendre un peu d'avance en se mettant à courser la petite bestiole qui zigzaguait tant bien que mal entre les arbres morts afin de semer sa poursuivante.
Oh, elle n'y mettait pas toute sa force d'ailleurs, ou du moins, pas tout de suite. Encore une fois, il fallait faire durer la chasse. Sans ça, elle ne s'avérerait sans aucune saveur.
Si ce n'était pas le cas, elle l'aurait déjà rattrapé.

La Flamme a déjà chassé—innocents cherchant à s’enfuir, ou ayant trouvé refuge au mauvais endroit. Certains diraient que le crime est devenu une répétition presque lassante dont l’horreur s’est muée agacement. Quant a affronter ce que ça provoquera, une fois que tout se termine—Wrath ne songe pas que ça pourrait finir. Ou tout du moins qu’ils vivront pour un après. A quoi bon prévoir lorsque le monde est déjà contre eux, qu’ils sont les monstres que l’ont craint lorsqu’ils ne font que changer les règles à leur avantage pour la première fois depuis le début ?

« Viens donc ! »

« Course ! » Qu’il répond, dents glacées qui pressent trop fort contre ses gencives tandis qu’il s’élance à son tour. La différence c’est que Wrath course le lièvre—une victime de plus, rien d’autre, son ancienne promesse de ne pas s’en prendre aux plus faibles oubliée depuis une éternité—uniquement depuis l’étendue gelée. C’est qu’il devrait détruire ses patins pour courir sur la terre ferme, et ça l’emmerderait.

Les reconstruire n’est pas une corvée—juste qu’il a de plus en plus de mal à se concentrer pendant le processus, à cause des migraines fulgurantes qui les frappent les uns après les autres. Donnant un grand coup dans la glace sous ses pieds, Wrath fait dévier le lièvre pour éviter qu’il ne s’éloigne trop du chemin, tout en faisant attention à ne pas non plus le toucher avec les projections. Les petits animaux ne tiennent vraiment pas longtemps une fois contaminés.

Les humains procurent un plaisir sur la durée, au moins. De grandes courses sur des étendues qui n’en finissent pas. Les bestioles—ah, ça passe quand même.

« Kitty, c’est trop facile—toi avoir une idée ? »

Qu’ils pimentent un brin le jeu. Oh, peut-être en se donnant un handicap quelconque ? Wrath a beau comprendre que réfléchir n’est pas supposé être l’une de leurs attributions, ça reste une fonction cérébrale des plus utiles. Le lièvre, totalement apeuré, commence ça tourner en rond pour éviter les deux créatures qui le maintiennent prisonnier, se demandant probablement quand est-ce qu’ils vont en finir.

Pas trop vite, si possible.

C'est lassant, de devoir moduler sa vitesse pour éviter de rattraper trop vite sa proie. Même en courant à quatre pattes, la Chapardeuse arrivait malgré tout à gagner du terrain.
Que faire ? Ça n'allait pas être amusant très longtemps.

- Je m'enn-

- Kitty, c’est trop facile—toi avoir une idée ?

Eh bien, les grands esprits se rencontrent. Ou alors, c'est leur conscience universelle qui les fait se lasser en même temps.
C'est qu'ils ne sont plus vraiment eux-même... Plutôt proches en ce qui concerne la conscience justement, mais différents en même temps car leur identité est toujours là.
Ils n'ont juste plus d'emprise sur leur manière de raisonner, c'est tout.

- Je sais pas...

Fit mollement l'Orbleue en s'arrêtant lentement, se retrouvant bientôt assise dans la neige. Visiblement, son compère ne voulait pas décoller de son étendue glacée.
Elle, elle ne rechignait pas d'y retourner, mais ça leur enlevait bien un morceau de terrain, non ? Le lac n'est pas infini non plus.

Et, pendant qu'elle était assise là sans bouger, le lièvre en avait profité pour décamper plus loin, reprenant son souffle.
Elle le laissa. Après tout, elle l'avait toujours en visu.

- Des poids ? Se repérer au bruit seulement ?

Proposa-t-elle soudainement, sans réussir à se décider quelle option était la plus intéressante, entre des poids de glace au niveaux des jambes ou une course à l'aveugle.
À moins qu'ils n'aient pas à se poser la question plus longtemps, car quelque chose les observait en silence, non loin. Et cette fois-ci, c'était un peu plus intéressant qu'un simple lièvre.
Encore fallait-il repérer ce nouveau venu.

La secouer n’est pas impossible, il n’aurait pas de mal à la tirer par la capuche de sa veste pour la redresser. Le lièvre est déjà loin, et cette chasse là est terminée. La prochaine aura sûrement le mérite d’être plus intéressante. Restant sur le lac, Wrath s’autorise un saut sur l’étendue gelée, ceci avec une grâce qui vient bien plus simplement lorsqu’on ne craint pas de se rater et de se casser la jambe. C’est qu’il pourrait presque devenir patineur—non, manque d’expérience.

« Des poids ? Se repérer au bruit seulement ? »

Ah, pourquoi pas. Après tout, la glace qui les recouvre, ce Givre qui est ancré au plus profond d’eux-mêmes, ça devrait être suffisant pour les laisser gagner quand même. D’ailleurs—au loin, une branche craque, et un cri étouffé résonne. Intéressant, n’est-ce pas ? Avec une sorte de paresse pleine d’orgueil, Wrath laisse ses yeux trouver la cause de ce remue-ménage. C’est un adolescent, probablement un perdu. Qui tient un ridicule bâton comme si ça allait faire quoi que ce soit. Il s’est redressé pour mieux s’enfuir, laissant tout le loisir aux monstres de le repérer.

« Kitty, toi pas utiliser tes mains pour attraper. Moi, pas voir. » Il ferme les yeux, glissant ses doigts gelés contre les paupières, les recouvrant d’une fiche couche de Givre qui l’empêchera de tricher. Certes, ça sera difficile, de ne rien heurter, mais pourquoi pas. Ce qui arrête les gens dans le noir, c’est la crainte de se blesser. Eux, ils ne sont plus humains.

Si le Nord-Coréen aurait préféré garder ses patins, il ne pourra pas s’en servir si loin, avec un équilibre précaire. L’un après l’autre, il les brise contre la surface du lac, en un bruit sourd.

Les indications sont données, un nouveu jouet apparaît. Cette fois, il s'agit d'un enfant. Le pauvre est simplement muni d'un bâton et reste figé sur place en les regardant, terrifié.

C'est un Perdu, c'est un des leurs ! Il faut qu'il s'enfuie, vite !

Il est bien jeune, bien petit, bien imprudent. Peut-être faisait-il parti de ceux se croyant trop puissants et malins pour écouter les autres, ceux qui disaient de ne pas sortir seuls ?
En tout cas, il fait bien pâle figure, devant eux.

- Pas mes mains ? Comme c'est cruel, de priver un chat de ses pattes. Mais soit ! C'est fair-play, j'imagine.

Si elle ne voulait pas tout faire rater, elle devrait se détacher un moment de sa nature féline.
C'est que les chats, comme leurs cousins de plus grande taille, chassent en finissant leur proie d'un bon coup de crocs derrière la nuque.
Et dans leur cas, c'était comme si le Givre était un poison. Il serait donc ennuyeux de perdre leur jouet suite à un malheureux coup de dent.

Bras nonchalament croisés derrière le dos, Kitty s'avançait donc d'un pas sautillant vers leur future victime, qui, tétanisée, ne pouvait rien faire de mieux que couiner des "n'approchez pas, n'approchez pas !" à chacun des pas des deux Orbleus.

- Eh bien ! Sur ce... entamons donc les réjouissances.

Déclara la Chapardeuse qui fit mine de bondir sur l'enfant, qui ne réfléchit pas plus longtemps et s'enfuit à toutes jambes, lâchant son bâton dans sa course.
Qu'il ne coure donc pas trop vite; il allait s'épuiser encore plus vite que prévu, et les deux Orbleus n'auraient même pas le temps de jouer.

C'est que l'adversaire de la Grimpeuse se retrouvait tout de même momentanément aveugle; et elle, dans son cas, avait donc un avantage certain... même sans les mains.
Autant laisser Wrath profiter un peu du jeu, lui aussi ! Qui sait, sa compagne de chasse pourrait peut-être faire en sorte de guider le gamin vers lui pour lui laisser l'occasion de le frôler... sans pour autant réussir à lui mettre la main dessus ?

S’ils sont distraits assez longtemps, l’enfant sera leur unique victime du jour. Un mal pour un bien, n’est-ce pas ? Wrath s’agace du sol gelé sous ses pieds, de l’absence des patins avec lesquels il aurait certainement chuté en butant sur un obstacle. Il a perdu l’habitude de marcher, de faire autre chose que de glisser sur de longues étendues, lames qui laissent des plaies béantes sur ses victimes.

« Pas mes mains ? Comme c'est cruel, de priver un chat de ses pattes. Mais soit ! C'est fair-play, j'imagine. »

Il lâche un ricanement sec, tête légèrement inclinée en direction de la voix ; il va lui falloir un moment pour s’habituer à l’absence de lumière.

« Le chat a ses dents, même si pas griffes. »

Et les leurs, de dents, sont particulièrement pointues, en un remerciement de la part du maître pour avoir réduit à néant tout espoir de ce monde. Wrath se rappelle, vaguement, que Kitty était là aussi, qu’elle a participé aux réjouissances.

L’enfant émet un bruit de crissement en se redressant, chaussures qui peinent à trouver un appui sur la glace. Wrath ne s’élance pas immédiatement, il prend quelques secondes pour frapper son pied contre la surface du lac, éclats de givre qui partent dans toutes les directions. Parfait, pas besoin d’attraper le gosse, uniquement d’être assez près pour le faire chuter. Enfin, en théorie.

Il ne s’élance pas exactement dans la bonne direction. Ce n’est pas comme s’il partait dans l’opposée non plus, juste que l’enfant est assez malin pour tenter de faire des virages et que c’est compliqué à suivre. Le truc, c’est que Wrath prend de l’assurance à chaque pas, ne trouvant pas que les patins manquent autant qu’il aurait pensé.

« Kitty! Chaud ? Froid ? » Qu’il crie, noyant les couinements de sa victime encore bien loin. Une idée lui traverse l’esprit et Wrath tapote son épaule avec ses ongles bien trop longs. « Toi vouloir monter sur moi ? Pour me guider ? » Bien sûr, ça serait plus de la coopération, tout en restant drôle.

“Oui, assez fait joujou. Le travail d'équipe sera plus pratique.”

Elle l’escalade avec son aisance habituelle—un véritable félin. Wrath ricane, tête légèrement penchée en arrière jusqu’à ce que Kitty trouve sa prise et qu’elle soit bien installée.

“Avec tes mains et ma vue, ce sera bien trop simple, alors déplaçons-nous lentement... si possible.”

Oh, rajouter des règles pour que le jeu dure. Pourquoi pas ? Quant à leur victime, déjà elle s’essouffle, commettant l’erreur de s’arrêter pour leur lancer un regard paniqué. Un léger espoir que ses poursuivants aient abandonné, mais déjà Wrath avance, un pied après l’autre, prenant son temps.

“Allez, hue dada, comme on dirait. Au pas.”

“Chevaux mordent tu sais. Nous faire quoi avec proie ?” Si leur but est la prolifération, infectés par le virus dans leurs têtes, Wrath tend à tuer celleux qui ne survivraient de toute façon pas. Pas temps par compassion que ôter la vie est devenu si simple—plus besoin d’excuses. L’adolescent abandonne son bâton, le jetant dans leur direction en une bien maigre distraction.

Le bois craque sous le poids de Wrath tandis qu'il écrase la pathétique arme. “Chaud, froid. Le froid gagne toujours. Tout le monde comme nous. Pareil.”

Sans prévenir, Wrath tourne sur lui-même, perdant tous ses repères d’un coup. Kitty ne tombera pas, il suppose, et si c’est le cas, chat retombe sur ses pattes. “Plus drôle comme ça. Où nous allons ? Je ne sais plus.”

Est-ce qu’ils ne laissent pas trop de chances à l’adolescent tétanisé ?
C’est probable.