L’ensemble de ses possessions terrestres peut contenir dans un sac à de sport.

Ça n’a pas toujours été le cas. Glitter souffre d’une tendance à l’accumulation. Et à la nostalgie. Tout peut toujours resservir, et le gâchis la fout en l’air. Il faut ajouter à cela sa manie d’entamer de nouvelles collections (plumes, coquillages, silex, etc.). La vie en commun la contraint à faire du tri régulier et chaque séance lui fait l’effet d’un déchirement. Quand elle décide de jeter quelque chose, elle regrette aussitôt. Et trop souvent, elle ramène des choses dont elle était sensée s’être séparer.

Le départ du Grand Arbre a été difficile. Elle a d’abord tenté de tout fourrer dans un énorme sac à dos mais n’a pas été capable de le porter. La mort dans l’âme, elle a dû abandonner la moitié de ses affaires. A son retour, sans surprise, presque tout ce qu’elle a laissé a disparu.

Aujourd’hui, il lui reste ses fringues, ses carnets, quelques bijoux et un peu de bric à bras. Bref, de quoi remplir le sac de sport qu’elle peine à soulever.
C’est un peu essoufflée que Glitter arrive à la Maison Sous Terre. Les deux sentinelles postées devant l’entrée la regarde trainer ce gros sac jusqu’à eux sans esquisser un mouvement. La Sainte se fait la remarque qu’ils pourraient poser leurs lances et venir l’aider une minute mais qu’ils n’ont peut-être pas le droit de quitter leur poste.

« Bonjour ! », elle fait entre deux inspirations.

Comme ils n’ont pas l’air de s’écarter, elle ajoute :

« Je suis cheffe, je voudrais rentrer.
— T’as ta médaille ? »

Sa nomination est encore toute récente, elle ne devrait pas être étonnée. Glitter se rappelle bien avoir glissé la médaille dans son sac. Le seul souci c’est que c’est l’une des premières choses qu’elle y a mis alors c’est probablement tout au fond.

« Ok, alors une minute.
— On a le temps. »

A genoux, elle commence à enlever des trucs de son sac et c’est un peu embarrassant. Elle avait essayé de tout plier comme il faut mais elle n’a pas d’autre choix que tout sortir en vrac.

« C’est tout au fond, je pense. », elle ne peut pas s’empêcher de rajouter sur un ton d’excuse.

Mais les sentinelles s’en foutent un peu au fond. Leur métier doit être chiant alors il en faut davantage pour les distraire.

Quand il arrive devant la Maison Souterraine, il voit une forme courbée au sol, des cheveux blonds platine. Il lui faut deux-trois secondes pour replacer le jumeau correct. Si ça avait été Sinner, il serait peut-être passé sans s’arrêter – après tout le gars ne le calcule pas tellement non plus. Là, il s’arrête.

« Glitter ? »

Ca fait un moment que Glitter est cheffe. Pourtant, elle a pas emménagé avec eux. Freckles s’imagine que ça peut prendre du temps, surtout si on a beaucoup d’affaires. Et ça prend aussi du temps de perdre l’habitude de dormir avec le reste de son groupe. Pour être honnête il se rappelle pas du tout comment c’était, pour lui, d’emménager.
Surement beaucoup moins long.

Mais bon elle est là.

Il se met à sa hauteur, accroupis à côté d’un grand sac qu’elle est en train de vider sur le sol et jette un regard en biais vers les deux sentinelles qui gardent la porte aujourd’hui. Un d’entre eux les regarde à peine, l’autre a un petit sourire – ni moqueur ni spécialement sympa. Ils ont tous les deux l’air de bien s’en foutre, et Freckles décide que ça veut dire que la situation n’est pas complètement urgente.

« Ça va ? T’as perdu un truc ? Tu veux que je t’aide ? »

Il ne lui fait pas longtemps pour sortir la moitié de ses affaires et les rassembler en une grosse pile à côté d’elle. Fiévreusement, Glitter glisse les mains dans toutes les poches, entre chaque pile de fringues. Des doigts, elle presse à travers le tissu, à la recherche de quelque chose de dur et d’anguleux. De temps à autre, elle lève la tête, adresse un sourire gêné aux sentinelles qui ont tout leur temps.

Vu qu’elle bloque le passage, elle est quand même soulagée de ne gêner personne.

« Glitter ? »

L’intéresser tourne la tête dans une direction puis l’autre avant de remarquer le chef des livreurs accroupis à côté.

« Ça va ? T’as perdu un truc ? Tu veux que je t’aide ? »

La proposition lui arrache un rire nerveux. Freckles est un gentil garçon, de ceux qu’elle aurait préféré avoir comme petit frère. Mais malgré ses bonnes intentions, elle a un peu honte qu’il la surprenne comme ça.

« Ouais, je cherche ma médaille. », elle admet. « J’imagine qu’on fournit pas des doubles, hein ! »

Elle a beau tenté de maquiller son embarras derrière ses blagues dissimule et son air dégagé, elle sens ses joues lui brûler. C’est déjà pas très malin de paumer sa médaille, mais avoir toutes ses affaires étalées sous son nez, même s’il n’y a rien de compromettant, c’est pas terrible.

« Désolée, je t’empêche de passer, c’est ça ? Vas-y tu peux m’enjamber. »

Glitter lève vers lui un regard un peu éperdu, les joues roses.

« Ouais, je cherche ma médaille. J’imagine que qu’on fournit pas des doubles, hein ! »

Il grimace un sourire navré.

« Euh ouais, non. »
« Désolée, je t’empêche de passer, c’est ça ? Vas-y tu peux m’enjamber. »

De nouveau, Freckles lève les yeux vers les deux sentinelles, ou en tout cas le seul des deux qui les regarde, et leur adresse un haussement d’épaule. Super.

« Non, non, t’inquiète, je peux t’aider à trouver. »

Glitter a l’air un peu paniquée et il se sent pas de la laisser là toute seule en galère. Surtout que l’histoire de la médaille, c’est un peu trop frais dans sa tête pour qu’il ressente autre chose que la plus grand compassion pour la cheffe des artisans. Il prend sa suite et se met à fouiller dans le sac, déplaçant les fringues et autres objets avec autant de délicatesse dont il est capable.

« Et puis bon j’ai la mienne donc au pire je te fais rentrer », il ajoute avec un sourire et un pouce en l'air à l'intention de Glitter.

Elle a beau lui avoir proposé, Glitter ne s’attend pas vraiment à ce que Freckles l’enjambe pour passer. Elle n’est donc pas surprise quand il lui dit :

« Non, non, t’inquiète, je peux t’aider à trouver. »

C’est un bon gars. La Sainte lui adresse un sourire, trahissant tant de gêne que de reconnaissance. Le Lionceau s’accroupi à côté d’elle et se joint aux recherches. Ses gestes sont précautionneux.

« Et puis bon j’ai la mienne donc au pire je te fais rentrer », son collègue ajoute en lui adressant un signe rassurant.

C’est vraiment un bon gars. Glitter hoche la tête sans s’arrêter de farfouiller.

« C’est gentil mais elle est sûrement là, j’en suis s- »

Elle s’interrompt, se rappelant soudain un endroit où elle n’a pas encore cherché. Sa médaille ne peut être qu’ici, sinon il n’y a plus rien à faire.
Glitter pince entre ses doigt la doublure d’une petite poche intérieure glissée sous la hanse de son sac et ça ne rate pas : elle sent quelque chose de dur et anguleux.

« J’y crois pas. »

Elle ouvre la fermeture éclaire et tire une petit pièce métallique au bout d’un ruban. C’est elle. C’est sa putain de médaille.

« Conchatumadre, j’oublie toujours que j’ai une poche là ! Je suis trop c- », elle s’interrompt. « Bête. »

Réflexe d’ancienne mère.

Elle pense brandir sa médaille sous le nez des sentinelles sans se redresser mais il y a quelque chose dans cette scène qui lui parait un peu humiliante. Avec beaucoup moins de patiences et de précautions, elle fourre toutes ses affaires qu’elle a sorti dans son sac et se redresse.

« Voilà ! », elle fait à l’adresse des sentinelles.

Elle a du mal à cacher une note d’impatience dans sa voix. Elle ne sait pas ce qui l’exaspère le plus : son étourderie ou ces deux couillons qui s’en fout de la voire galérer.

« C’est gentil mais elle est sûrement là, j’en suis s- »

Glitter s’interrompt, avec l’attitude de quelqu’un qui vient de réaliser quelque chose. Elle fouille une petite poche dans la doublure de son sac.

« J’y crois pas. Conchatumadre, j’oublie toujours que j’ai une poche là ! Je suis trop c- Bête. »

Freckles dissimule un peu son sourire devant les accents très très familiers de ce qu’il devine facilement comme une insulte sérieuse – que Glitter tente de faire passer sous le tapis. Charitablement, il fait pas la remarque, et l’aide à ranger en vrac le contenu de son sac avant de se relever avec elle.

« Voilà ! »

Les deux sentinelles lui adressent un regard très peu impressionné. L’un d’eux a vaguement l’air de se demander s’il va applaudir pour la forme, mais n’en fait rien. Il se contente d’un mouvement d’épaule pour leur indiquer de rentrer.

« Bon ben c’est parti », fait Freckles, dans un effort pour détendre l’atmosphère.

La situation lui rappelle vraiment un peu trop une mésaventure récente, mais heureusement, celle-là est résolue bien plus vite.
Pour un premier jour, ça aurait été dommage.
Il fait donc un geste courtois en direction de la porte, avant de réaliser :

« Attends, tu viens pour t’installer ? Ça y est ? »

Il adresse à Glitter un grand sourire.

« Je te fais visiter ? »

Sans surprise, les sentinelles ne sont pas très émus par sa victoire. L’un d’entre eux laisse même échapper un bâillement tandis qu’ils s’écartent pour les laisser passer.

« Bon ben c’est parti, fait Freckles.
— C’est parti, renchérit Glitter.

Elle se penche, glisse la bandoulière de son sac derrière sa nuque avant de se redresser en réprimant un grognement d’effort. Elle aurait bien fait le tri dans ses affaires si elle ne l’avait pas déjà fait. C’est pas la première fois qu’elle déménage mais se séparer de quoi que ce soit lui fait l’effet d’un déchirement.

« Attends, tu viens pour t’installer ? Ça y est ? », s’écrie soudain Freckles. « Je te fais visiter ? ».

Après tous ces échanges tendus et ces silences lourds de sens avec ses artisans, un peu de bienveillance et de chaleur lui met du baume au cœur.

« Avec plaisir, monsieur ! », elle répond d’un ton faussement cérémonieux avant de lui emboiter le pas.

Alors qu’elle franchit le pas, elle ressent comme une petite bouffée d’espoir. Elle savait que sa promotion serait un changement en bien. Il fallait juste attendre un peu pour en avoir la preuve. Maintenant, elle va vivre avec des gens ont traversé la même chose. Ils se serreront les coudes et partageront leurs difficultés.

Ce sera une chouette coloc. Elle veut y croire.

« Avec plaisir, monsieur ! », dit Glitter, ce qui répond à ses deux questions en même temps.

Ils franchissent le rideau de fourrures qui sépare le couloir de la pièce principale de la  Maison Souterraine, large et creusée dans la terre. Comme avec Salvo, Freckles pose les yeux sur l’endroit avec un espèce de recul qu’il n’a pas d'habitude, comme s’il essayait d’imaginer ce que ça fait de le regarder pour la première fois. C’est le bordel, un bordel organisé pour lui et pour les autres, mais le bordel quand même. Y a la grande table de leurs réunions au sommet, couverte de jeux, de plans, de trucs, des vêtements jetés en travers des fauteuils ou accrochés aux racines qui serpentent sur les murs, les machines d’arcade, et les hamacs et couchettes dans le fond.

« Voilà », il dit.

Il oublie d’y mettre de l’enthousiasme. C’est que ce topo, il l’a déjà un peu fait récemment. Les nouveaux chefs se sont enchainés, et à chacun, ça lui rappelle l’ancien.
Bon, Grumpy, il s’en foutait.
Mais quand même.

Il sourit à Glitter quand même, un peu embarrassé, à la fois par le foutoir et par l’étalage de trucs jalousement gardés, les bonbecs et les jeux vidéos qui sont que pour eux – en plus il y joue jamais.

« J’crois que l’ancien hamac de Grumpy c’est celui-là, mais en vrai tu peux te mettre où tu veux. On peut tout bouger. »

Il hésite, et puis désigne une des couchettes, déjà occupée.

« Ton frère s’est mis là. »

Il s’apprête à proposer qu’elle se mette à côté, avant de se rendre compte qu’elle désire peut-être rien de moins que ça, alors il conclut juste :

« Si jamais. »

Arrivés dans la pièce principale, elle ne sait pas vraiment où poser le regard. Ce n’est pas tout à fait ce à quoi elle s’attendait. Oh bien sûr, il y a de l’espace. Beaucoup d’espace même. Pour une cavité souterraine, c’est étonnamment bien éclairé et sec. Où qu’elle pose le regard, l’espace est saturé de coffres, de hamacs, de tas d’affaires ou de fringues. Elle repère quelques coins organisés différemment qui semblent répondre à des fonctions diverses : une table de réunion, un coin salon pour discuter, une sorte de cabinet d’essayage fermées par des rideaux en feuilles, des coins jeux…
Le désordre ne la dérange pas (à peine un tout petit peu). Elle sent qu’il lui faudra du temps pour trouver ses marques mais qu’elle y prendra goût. Pour l’instant, la Sainte est surtout perdue, pas certaine de savoir où elle peut poser ses affaires sans marcher sur les plates-bandes de quelqu’un d’autre. Est-ce qu’il y a de la place pour elle, au moins ?

« Voilà », fait simplement Freckles.

Il lui sourit gentiment, l’air presque gêné. Alors, elle se rend compte que l’expression sur son visage et son silence et s’empresse de le rassurer d’un :

« C’est cosy, c’est chouette !
— J’crois que l’ancien hamac de Grumpy c’est celui-là, mais en vrai tu peux te mettre où tu veux. On peut tout bouger. »

Glitter glisse un regard vers le coin qu’il désigne. Ça n’a pas l’air si mal mais ça reste le lit d’un mort.  C’est sûrement le cas de tous les lits de ce grand arbre mais là c’est trop frais. Elle n’est pas à l’aise avec cette idée.

« Ton frère s’est mis là. Si jamais. »

Une information très importante.

« Super ! Je peux trouver un truc le plus loin possible comme ça. »

Elle fait quelque pas dans la direction opposée, balaye du regard le large choix de hamac avant de demander :

« Tu sais qui a le sommeil léger ici ? Je ronfle. »