Pour l’occasion, Dice a enfilé ses plus belles chaussettes, les toutes douces avec des petites fleurs carmins et violacées qui grimpent le long de ses chevilles. Quel beau présent envers elle-même, n’est-ce pas ? Tout a été minutieusement préparé, à coups de ratures sur le cahier à spirales qu’elle a déniché, et d’une tour dépliable en carton destinée à protéger ses plans de vils regards conquérant. Bien sûr, les précieux dés, les siens qui semblent habités de flammes maladroites, tant d’oranges et de rouges qui font battre son cœur, et d’autres plus simples pour ses braves compagnons, sont présents également.

Oh pas que les trois héros ne méritent pas le meilleur, le plus beau qu’elle puisse offrir, c’est juste que c’est leur première fois, qu’elle ne voudrait pas leur offrir quoi que ce soit sans les connaître. Ses présents à Peter sont toujours emplis d’un profond amour, de quelque chose de viscéral qui est difficile à retranscrire dans un autre contexte. Elle déplie sa tour, les trois pliages la cachant sans pour autant l’effacer. Elle sera assise sur un tabouret un peu plus haut que les autres et leurs chaises avec coussins, pour tout de même contempler sa petite équipe.

Vont-ils même jouer, aujourd’hui ? Elle l’ignore, il y a tant à écrire, à inventer. Et qu’elle aime la création, de repousser les limites jusqu’à atteindre les cieux. Dice a distribué des copies pleines de maladresse des feuilles de personnage fournies dans son manuel, espérant que cela leur donnerait le temps d’y penser, de ne pas partir de rien.

La salle de jeux est un lieu parfait, dont l’accès restreint leur permettra un soupçon de calme. Enfin, outre si un jouet se dit qu’il faudrait mieux dévorer les quatre enfants venus le déranger. Elle a fait attention, en rangeant la table, en installant chaque set de dés, à ne rien troubler. L’Exaltée s’est même permise une révérence pleine de douceur devant une rangée de poupées au regard qui ne cesse de la suivre dès qu’elle se déplace dans la pièce. « Mes chères amies, je promets de ne point vous troubler. »

Au pire, leur prochaine séance se déroulera ailleurs. Oh qu’il est excitant de penser que son club va marcher, que les Tréfonds auront une première pleine campagne pleine de rebondissements et de jeux variés. Dice porte une bien jolie robe, aux manches longues et à la longueur qu’elle juge plus que raisonnable. Ses nattes, dont une ornée d’un ruban noir, sont tout aussi symétriques que possible et elle attend.

Posée sur son tabouret, à faire rouler le dé devant ses yeux, encore et encore. Il y a une odeur de peinture fraîche, quelques toiles qui sèchent dans un coin, et une marelle à moitié effacée là où elle a tiré la table. Un décor absolument parfait pour une campagne, et comment vont-ils la nommer ? Oh qu’elle a hâte, au point de presque s’en sentir un peu mal. Si une mère et ses enfants débarquent, ça ne sera pas bien grave, le lieu est ouvert, du moment qu'on sait attendre son tour.

Auront-ils assez de crayons et de feuilles pour prendre des notes ? Très certainement. Tout ici appelle au jeu, à la création.

La veille de la première session, Bambi n’a presque pas dormi. Un peu à cause de l’excitation bien sûr, mais aussi parce que pour tout dire, Bambi ne dort plus beaucoup. Elle essaie, elle se cale dans son hamac, sur le dos, regarde le plafond, mais son cerveau refuse de s’éteindre. A tous les coups, elle s’imagine l’obscurité se faire plus profonde, les respirations des chasseurs autour d’elle s’éteindre d’un coup, et la laisser seule dans le noir.
Et puis il y aurait une lueur.

Elle sait que c’est complétement idiot, mais ça ne change rien.
Alors cette nuit elle a juste veillé, un carnet sur les genoux, à peaufiner la fiche déjà terminée de son personnage.

« Tu fais quoi ? »

Une de ses chasseuses se penche par dessus son épaule. La veille, la gamine s’est rasée toute la moitié du crâne pour faire comme Lacerate et Bambi a du sérieusement la dissuader d’aussi se taillader la figure.

« Rien, rendors toi. »

Quelques jours plus tôt, elle a étudié le manuel sous la supervision de Dice, trop frileuse pour la laisser partir avec - ce qu’elle peut comprendre ; les gosses de cet arbre détruisent tout ce qu’ils touchent. Elle s’est retrouvée séduite par le hasard du jeu, les chiffres, les règles si précises et la multiplicité des options. En bref, Bambi est tombée amoureuse de Donjons et Dragons. Elle a pris des tonnes de notes avec des vieux crayons qu’elle a trouvé dans la salle de jeu (les seuls survivants, un marron et un jaune), et puis a rendu à Dice son livre en lui promettant d’être présente à la première session.

Et maintenant, ses tâches du jour accomplies, elle se rend vers le lieu de rendez-vous d’un air très décidé. C’est rare pour les mères de les avoir, ces moments de répit, mais Max lui a jeté un regard entendu, et Bambi l’a pris comme un accord tacite. C’est sa journée. Elle a même mis sa robe préférée.
Dice est déjà là quand elle arrive, disposant son petit matériel sous le regard d’une rangée de poupées de porcelaine. Il y a une chaise d’un côté et trois de l’autre, la table coupée en deux par un paravent de papier.

« Je suis là », fait Bambi d’une voix chaude.

Dice a bien dû se rendre compte mais elle le dit quand même. Elle est la première. Impossible de savoir si elle est en avance ou si les autres sont en retard. Pendant une seconde, elle est prise d’une angoisse à l’idée qu’ils ne viennent pas.

« J’ai tout bien préparé », elle dit tout de même. « Normalement tu n’as plus rien à faire et je serai prête à jouer. Je peux même aider les autres s’il manque quelque chose. »

Elle a déjà aidé Justice après tout. Loin d’elle l’idée de prendre la place de Dice, mais elle est si enthousiaste que ça déborde. Quand elle s’assied sur une des chaises et pose devant elle ses feuilles couvertes d’une écriture étonnamment brouillonne, c’est avec un sourire flottant sur ses lèvres.

« Il nous manque quelqu’un, non ? »

C’est vrai. Quelques minutes plus tard, la porte de la salle de jeu s’ouvre une troisième fois. Cette fois, c’est un sentinelle qui est planté dans l’encadrement, une fiche écornée qui a été pliée trop souvent dépassant de la poche arrière de son jean.

« Hey ! », il fait avec un signe de main amical.

Just les rejoint en quelques enjambées tranquille, tire sa fiche qu’il pose sur la table devant lui, pose son sac à dos dans un coin.

« Désolé du retard ! Ma relève a tardé. »

C’est vrai, mais c’est vrai aussi qu’il aurait pu presser le pas pour arriver ici. Mais bon, pour 5 minutes, c’est pas si grave, non ? A priori c’est un jeu assez rapide, non ?
Il tire la chaise du milieu, s’asseoit. A sa droite, il y a Bambi qu’il commence à connaître et qui l’a aidé pour sa fiche. En face, il y a Dice l’aristocrate qu’il connait peu mais qui lui a proposé de se joindre à sa table.

« Ça va ? »

Tandis qu’il déplie sa feuille, il tourne la tête vers sa gauche et il découvre un grand bonhomme un peu pâle qu’il croit avoir déjà vu quelque part. Mais où déjà ?

« Just. Sentinelle. Et toi, tu es ? »

Que Bambi est jolie dans sa robe—Dice lui adresse un sourire solaire, si soulagée de sa venue. Oh, pas que les enfants soient prompts à faire faux bond, c’est simplement que l’Oubli est monnaie courante, et que l’anxiété était en train de dévorer son ventre tel un monstre particulièrement vorace.

“Oh, je te remercie, tu as été si gentille l’autre jour, mon coeur est empli de joie à l’idée que nous puissions jouer ensemble.” Ce n’est pas rien, pour une mère apprentie de trouver le temps de rejoindre une si vaillante campagne, et Dice est pleine de reconnaissance et d’autres sentiments aussi doux que de la barbe à papa, “J’ai moi-même bien avancé sur le projet, façonnant tout un petit monde pour vous trois.”

Et déjà, Death arrive, moins solaire quoique plein d’un quelque chose (peut-être est-ce de la volonté ?) qui dessine un grand sourire sur le visage couvert de tâches de rousseur de Dice. “Sois le bienvenu, est-ce que tu as pu avancer sur ton personnage, Bambi était justement en train de me dire qu’elle serait ravie d’aider si besoin.”

Néanmoins, il leur manque quelqu’un—et Dice fait rouler un bien joli dé sur la table, sentant les numéros contre sa paume, et s’il ne venait pas ? Déjà, pourtant, la porte s’ouvre sur une silhouette pas si familière.

En vérité, Dice ne connaît pas encore très bien ses joueurs, et c’est tout aussi bien, ils pourront se rapprocher durant la campagne. “Te voila ! Pas de souci, nous venons de nous installer, prends place.”

Oh ! Dice ne s’était pas dit qu’ils ne se connaissaient pas les uns les autres, et elle décide de leur laisser un petit moment pour se présenter, en profitant pour relire les notes qu’elle a griffonné sur une feuille. “C’est la première fois pour moi aussi, donc si tu veux me seconder, j’apprécierais grandement ton soutien. Oh, bien sûr, je peux me débrouiller, j’ai bien étudié chaque page—mais on joue mieux ensemble, n’est-ce pas ?” Qu’elle murmure à Bambi.

Bambi ne se rend pas compte qu’elle frétille d’impatience jusqu’à ce que Death passe le pas de la porte. Devant son air morne, quelque chose comme de la pudeur la fait se calmer, lisser le pan de sa robe, et s’assoir plus droite.

« Ils furent donc trois. Il nous manque quelqu’un, non ? »

Oui, il manque Justice. Ils l’attendent tous les trois un petit moment, pendant lequel Dice, déjà dans son rôle, fait la conversation, s’assure, chaleureusement que chacun a fait sa part et a les informations qu’il faut. Bambi sourit et hoche la tête, intriguée par la promesse que la courtisane lui a fait quand elles n’étaient que toutes les deux, de ce jeu- ce monde sur mesure, rien que pour eux. Le trio, quand on y pense, semble presque pioché au hasard, alors elle se demande à quoi ça va ressembler.

« Désolé du retard ! Ma relève a tardé », fait Justice en passant la porte à son tour. Il vient s’assoir avec eux avec nonchalance. « Ça va ? »

Il déplie sa feuille de personnage un peu froissée, celle que Bambi l’a aidé à faire plusieurs jours plus tôt.

« Te voila ! Pas de souci, nous venons de nous installer, prends place. », dit Dice. « C’est la première fois pour moi aussi, donc si tu veux me seconder, j’apprécierais grandement ton soutien. Oh, bien sûr, je peux me débrouiller, j’ai bien étudié chaque page—mais on joue mieux ensemble, n’est-ce pas ? »
« Bien sûr ! Pas de problème. »

Elle sent ses joues rougir un peu, gênée par son propre enthousiasme. Mais c’est vrai qu’elle a dévoré le manuel quand elle a fait sa propre fiche, et qu’elle se rappelle déjà très bien de ce qu’elle a lu - avantage de mère, elle suppose.

« Enfin, juste pour les règles », elle ajoute, plus doucement.

Le côté roleplay l’intimide bien plus, surtout devant une audience plus vieille que les gamins de dix ans à qui elle raconte encore des histoires. Elle baisse les yeux sur sa propre fiche, à l’écriture stérile et pas si belle, mais sur laquelle elle a entouré les nombres, catégorisé les informations dans des cases, pour tout voir d’un seul coup d’œil. Pour l’instant, son personnage n’est pas grand-chose d’autre qu’un ensemble de statistiques et une liste de sorts soigneusement étudiée.

« Par quoi ... » elle hésite. « Par quoi on commence ? »