HRP:

Kei & Rain

KoalaVolant

Le deuil existe sous des formes variées, et aucune n’est parfaitement juste—on peut faire le deuil d’une personne, d’un amas de souvenirs, ou tout simplement d’un mensonge. La douleur varie, parfois insoutenable, et à d’autres moments rien de plus qu’une arrière-pensée. Kei le sait en arrivant sur l’île, il le sait depuis l’enfance. Il a vu le deuil avant de le vivre, il a entouré des portraits de fleurs sans devoir pleurer qui que ce soit, il s’est tenu là, à regarder, à compter les pétales sur des bouquets qui ne cessaient de se multiplier.

Lorsque, par une chaude soirée, Kei passe dans l’entrée de la maison funéraire, et qu’il croise le regard baigné de larmes d’un visage familier, c’est simplement une autre douleur. Il lui avait semblé qu’après leur combat, une fois les poings et les lames, hurlements et reproches passés, il ne resterait plus qu’une vague indifférence. Une douleur qui aurait eu le temps de guérir accompagnée d’une distance bienvenue que seul un drame serait en mesure de briser. Bien sûr, il avait oublié que pour Rain, il n’y a pas besoin de grand-chose pour créer une tragédie.

Uniquement des cheveux coupés de manière inégale, une paire de ciseaux et des larmes.

♡♡♡

« Qu’est-ce que tu ferais sans moi ? » Qu’il charrie—après tout, c’est mérité. Sa journée a été affreusement longue, et le voilà à jouer au coiffeur dans ses appartements au premier étage, Rain assise sur les marches, Kei derrière elle. La frange était le pire, il a cru qu’il n’arriverait jamais à faire droit—pourtant, ça aurait idiot d’aller voir quelqu’un d’autre.

Après tout, Kei a déjà fait ça, couper les cheveux de Rain, quoique ça demandait une pile de magazine et la lampe de son bureau.

Leur enfance n’a pas été qu’une série d’erreurs, enfin si. Mais pas que ça. Il y avait des moments mieux, des bulles de joie. Alors Kei coupe, fredonnant une chanson à la mode à une autre époque, pendant que Rain ne cesse de toucher sa frange pour vérifier que ça n’est pas si terrible. Il y a un miroir abandonné à leurs côtés, sur une marche, et Rain n’ose pas se regarder avant la fin.

Kei coupe un peu plus, se demandant s’il ne devrait pas donner ses anciens vêtements à Rain au passage—ah, vraiment, ils pourraient avoir treize ans à échanger leurs identités de nouveau, que ça ne serait guère différent.

En un sens, ils étaient vraiment des génies, d’avoir deviné ce qui allait se produire sans avoir les mots pour. Pas vraiment, quoique ça amuse Kei de se dire que si.

« Tu ne me menaces plus de me planter les ciseaux dans le visage. »

Il doit arrêter de couper pour pouffer puérilement, « J’avais treize ans ! Pardonne moi d’avoir un minimum évolué depuis. Si je voulais te planter, je te préviendrais pas, » qu’il se moque sans réelle animosité. C’est drôle, mais avec Rain, ça n’a jamais été bien difficile, d’être lui-même. Depuis, il y a eu d’autres gens comme ça, comme Mae, ou Marianne.

Pourtant avec cette dernière, il avait commencé leur discussion en étant poli et trop dans son rôle commercial. A la fin—disons que c’était plus agréable. Qu’il a toujours été plus habile pour parler des morts que aux vivants.

« Je crois que j’ai terminé—le moment est venu de juger mes doigts d’artiste, princesse. »

Peut-être qu’il devrait demander à Rain de lui rendre la faveur, parce que ses cheveux courts sont devenus un mulet à une vitesse record. Il lui prend le miroir des mains, le passant derrière tel un coiffeur de l’Ordinaire. « Absolument parfait ! »

La langue tirée étant suivie d’un sourire timide, son travail est accompli.
Il leur fallait juste quelques années de plus, au final, pour se supporter.

« Monsieur Moribund, vous avez de la visite, » une voix s’élève alors du bas de l’escalier, le forçant à abandonner son ancienne petite amie d’un autre monde pour regarder qui est venu le troubler aussi tard. Il enjambe Rain, lui faisant signe de rester assise, pour descendre les marches.