Rain ne passe pas une journée agréable. D’abord, un patient s’est autorisé à tituber au cabinet, s’écroulant dans ses bras et ruinant une chemise blanche—certes, Rain aurait pu se contenter des vêtements sombres qu’elle porte habituellement, c’était juste une belle chemise, avec des boutons en forme de croissant de lune—qui macère à présent dans un seau avec de l’eau froide et assez de produit pour rattraper le coup. Wallace, une fois réveillé et recouvert d’assez de bandages pour ressembler à une momie, a immédiatement réclamé sa main. Celle qui était attachée à son poignet, voyez-vous. Une création dans un bois fin lui permettant d’ouvrir n’importe quelle bouteille avec l’aide d’un tire-bouchon vissé sur le petit doigt.

Il a larmoyé sur son besoin affectif de récupérer la prothèse arrachée par un enfant vorace qui l’aurait mordu jusqu’au sang à de multiples endroits. Rain pencherait plutôt pour un animal, par souci de logique. Elle n’a pas l’impression qu’un enfant irait courir à quatre pattes avec un trophée en bouche. Quoique, ça fait un bail qu’elle a quitté le Grand Arbre. Ses souvenirs se font flous, outre bien sûr, les détails glauques de sa vie. D’une humeur massacrante, la jeune femme quitte le Port pour retracer les pas de Wallace Smith.

Elle a enfilé ce qui lui passait la main, peu songeuse de sa tenue du moment qu’elle peut rentrer avant que le soleil ne soit plus qu’un lointain souvenir. Honnêtement, Rain ne sait même pas pourquoi elle a accepté la demande du patient ; par envie de sortir, de profiter d’un corps qui paraît moins prompt à la lâcher sans raison. C’est qu’elle va mieux, sans pour autant aller bien. Ah, ça serait trop en demander, l’Impardonnable suppose.

Sa longue jupe n’est pas des plus pratiques pour traverser l’île. Qu’importe, c’est sa jupe et Rain s’amuse à tournoyer sur le chemin. Son corps est différent aussi, elle l’a remarqué en gagnant quelques années suite au retour de son frère ; elle apprécie cette féminité qui semble gommer tout ce qu’elle détestait sur ses traits, et espère que l’île continuera de l’écouter dans ce sens. Après tout, un soupçon de magie est normal, dans le coin.

Les traces de sang, témoins abstraits d’un combat féroce, la stoppent dans son élan. Elle ne doit plus être très loin de sa destination—ses pas se font plus légers, en un souvenir d’un rêve oublié de danse qui ne s’est jamais concrétisé. Elle n’a pas spécialement l’intention de combattre un quelconque ennemi, encore moins un gosse. Le cas de figure le plus logique c’est que le pénétrateur s’en est retourné au Grand Arbre une fois son rite destructeur accompli.

Eh, comme si Wallace n’aurait pas tué l’enfant s’il en avait été capable.

L’herbe arrachée le long de la rivière est un excellent guide, et Rain se dit qu’elle va bien finir par tomber sur cette foutue main au détour d’un arbre. Peut-être qu’elle aurait pu demander à Jim de l’accompagner. Hm, elle ne le connaît pas assez pour ça, et puis Wallace est son patient, donc elle ressent une bague forme de responsabilité ?

Près de l’eau, entouré de poussière, une petite silhouette est accroupie. Pas exactement le plan, quoique Rain pourrait s’approcher et la pousser dans la flotte—bien sûr, son cerveau rechigne à l’idée de rajouter une mort par noyade à son compteur. Après s’être avancée, en essayant de ne pas faire de bruit, elle constate un objet couleur bois dans la mâchoire de—

« Qu’est-ce que tu t’es fourrée dans la bouche ? » Qu’elle soupire, désabusée par la scène. Elle presse une main contre son front, se demandant si la créature miniature va lui sauter dessus ensuite.

Est-ce que le truc se rend compte du nombre de bactéries sur la prothèse sur laquelle elle est probablement en train de baver ? « Recrache cette main, j’en ai besoin. »