Sa tête se penche avec lourdeur alors qu’il s’agenouille. L’odeur de la terre fraîchement retournée l’accueille, presque réconfortante au milieu du silence. Il fait presque sombre mais Death ne voit rien, pris dans un recueillement mortifère.

Et tendre, si tendre.
À sa manière.

Cub était de ces enfants qu’il peinait à supporter, pleine d’énergie et d’entrain. À courir sur les branches de l’arbre, ses capes de fourrure sur le dos. C’était une petite Armurière aux yeux plein d’étoiles lorsqu’elle était arrivée sur l’Île, inconsciente du piège dans lequel elle avait atterri. Le Sombre avait reconnu son existence sans s’en intéresser, la catégorisant comme cause perdue.
Puis le temps - en était-ce vraiment ? - avait passé.
Et tout s’était corrompu.

L’existence de Cub était unique, mais ce qui l’avait poussée à réaliser la futilité de l’existence n’avait rien d’original. Peu à peu, Death avait vu son éclat se ternir, sa démarche s’alourdir. Canicule, Pluie, Hiver, la réalité de l’Île s’était imposée à elle et la petite n’avait pas pu s’y dérober.

Alors Death avait attendu. Patiemment, doucement. Les rumeurs avaient repris, sa réputation avait fait effet. Un jour, Cub avait franchi le seuil de sa Cabane.
Les larmes aux yeux, à se tordre les doigts. Lui demander quoi faire, d’une toute petite voix.

Et il l’avait aidée.
Avec toute son empathie, il l’avait aidée.

Je me souviens quand tu as serré ma main, d’une dernière pression avant la raideur. Cela ne fait pas longtemps que Cub les a quittés, Death porte encore en lui son souvenir et l’entretiendra du mieux qu’il peut - une promesse de lui à ses disparus. Et c’est ce qu’il fait, penché sur sa tombe de fortune.
Une meilleure sépulture aurait convenu, mais au moins l’enfant ne souffre plus.

À travers ses paupières, la luminosité a changé. Dans le silence du soir, les habitants de l’Arbre se préparent à un repos temporaire. Death était seul, puis un bruit de pas discret a résonné derrière lui. Il ne bouge pas, pourtant, prend le temps de finir de se recueillir.
Avant de redresser sa grande silhouette, se retourner lentement.

Et aviser la silhouette d’une jeune Mère.

Sa voix résonne, dénuée de venin.

- Bonsoir.

On ne le prendra pas à causer des problèmes là où les chanceux peuvent enfin se reposer.

Aujourd'hui était l'un de ses jours.
Ceux ou Christa, plutôt que de se reposer, ou de distribuer sa timide affection, décidait d'aller offrir quelques prières en guise d'Hommage aux dommageables.

A ceux tant ancrés en terre qu'il n'en ressortiraient plus, eux aussi prisonniers de L'Île, de son Tyran, de ses aléas.
Très peu de différence avec les vivants, en somme, si ce n'est qu'ils avaient pour la plupart souffert leur existence une dernière fois, passant ainsi le relai aux autres, encore bien debout -pour les plus chanceux.

Avant le Froid, elle serait allée dans un premier temps se munir d'un bouquet ou des quelques ornements appréciés par les défunts de leur vivants, ou aurait recueilli auprès d'elle quelques jeunes armuriers aux larmes encore chaudes, afin de les guider, du moins, si elle se sentait capable de ne pas les accompagner dans leur lamentations.
Bien sur, Christa était triste, elle trainait avec elle et ce depuis son arrivée une paire de deuils inachevés qui eux, contrairement à un bien trop grand nombres de perdus, avaient bien survécus à tout les cataclysmes remodelant l'île dans son intemporalité cruelle et douloureuse.

Après le Givre cependant, les fleurs avaient fanés, ne demeuraient que les edelweiss aux yeux des plus tourmentés.
Alors ce soir, elle part sans plantes cueillir ni enfant accueillir, l'Effacée serait seule à entretenir les mémoires de ceux partis en avance, tout en tentant incessamment d'en oublier les siennes.

Alors qu'elle traversait le territoire à peine repris des perdus, tout le monde savait.
Il n'y avait qu'en ces occasions que l'ont pouvait apercevoir la jeune mère toute vêtue de noir.

Alors qu'elle en arrive aux portes, elle aperçoit de loin le communément admis gardien de ces lieux.
Death,
Nom évocateur.

En se dirigeant vers la tombe abritant la dernière née du cimetière, elle toise les rangées de sépultures, plus ou moins ordonnées, plus ou moins jolies, plus ou moins pardonnées par les affres du temps.
Elle repense, émue, à tout ceux que l'on aura doublement perdu,
ceux qui n'auront même pas eu le droit à leur place ici, et ainsi, aux cieux.
Les véritables disparus.

Il se retourne, mu par cette illusion de fatigue qui l'habille habituellement, et la salue dans un calme mortuaire.

-Bonsoir.

La Jeune fille n'avait jamais réellement su situer Death,
Bien qu'il était porteur d'un nom très équivoque et que son physique lui avait même fait peur de premier abord, ce qu'elle ressentait le plus, c'était sa tristesse.

Il est justement à l'endroit ou elle comptait se rendre,
alors elle s'agenouille, à ses côtés, sans un bruit, dans un silence témoignant de respect.

-Bonsoir Death.

Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait à le côtoyer et ce ne serait sans doutes pas la dernière, mais pourtant, c'était toujours.. étrange.
Elle continue de chuchoter, les mains jointes.

-Je te remercie.. pour Elle.

Elle n'évoquait que le respect, et l'entretien des tombes.
Elle ne savait pas, si elle avait su, elle l'aurait doublement remercié.

La jeune Mère, toute de noir vêtue, s’agenouille. Il ne faut pas longtemps à Death pour la situer, se rappeler d’une drôle de coïncidence. Cub était Armurière, le groupe dont se charge - en partie - Christa
S’il était d’humeur, il en rirait.
Autant dire qu’il n’en rira jamais.

- Bonsoir Death.

Christa lui répond, d’une petite voix. Tout dans son attitude respire un recueillement solennel, bienvenue en ces lieux.

- Je te remercie.. pour Elle.

Death ignore ce dont elle parle exactement et au fond, peu lui importe. Ce qu’il fait, au regard de tous ou non, se passe de remerciement. Il n’a jamais cherché la reconnaissance, se préfère nimbé d’ombres.
Un vent froid se lève, provoque un frisson. Nullement pressée, la Faucheuse finit par répondre :

- Je n’ai pas besoin de remerciements.

Ses mots sont dénués de douceur, mais de rudesse également. Il n’élabore pas plus, économise son énergie. Ni le silence, ni la contemplation le dérangent. Au contraire, il n’a besoin de rien d’autre là où les morts se reposent.

La présence de Christa n’était pas annoncée, elle ne le déroute pas pourtant. Le temps où sa résolution vacillait devant ceux qui restaient est depuis longtemps écoulé. Il sait le deuil poignant, mais tristement ordinaire et nécessaire face à la mort. Si Christa pleurait, il n’en frémirait pas. Toutes les larmes de l’Île ne l’empêcheront pas de remplir sa mission.
Il lui devait bien ça.

C’est un petit miracle, en quelque sorte, que ce soit lui qui brise le silence en premier. Ses mots sont mesurés, énoncés avec justesse, comme l’on tendrait une main.

- Cub peut se reposer, désormais.

Il n’a pas peur de prononcer le nom de celle qui est mort grâce à lui.
Qu’on ne vienne pas lui reprocher de manquer de compassion.