« Goldfinger, va chercher ! »

L’après-midi -ou ce qui y ressemblait- s’étendait sur le Pays de Jamais. La matinée de travaux était terminée et les Enfants Perdus pouvaient profiter de leur temps jusqu’au prochain repas comme bon leur semblait. Pendant longtemps, la routine de Wobbly avait été la même : enfiler son costume d’espion du jour et partir en mission d’infiltration top-secrète, seul ou accompagné. Cela avait changé avec l’arrivée du petit labrador.

Malgré un sens des responsabilités quasi-inexistant chez l’enfant de 5 ans qu’il était, le Passe-Partout avait bien conscience qu’un chien devait savoir des choses. Des choses que seul son humain pouvait lui apprendre : être assis, donner la patte et ramener le bâton. L’animal avait rapidement du s’adapter au premier ordre, restant souvent dans la Mercerie quand Wobbly y travaillait. L’enfant n’aimait pas s’éloigner de ce qui était très certainement devenu son meilleur ami jusqu’à la fin des temps. Mais plusieurs grands Raccommodeurs avaient été clairs : pour que Goldfinger reste avec lui, il fallait qu’il soit sage et assis. Alors, Wobbly avait beaucoup travaillé pour que le petit chien se tienne tranquille pendant la matinée.

Et l’après-midi, quand ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient, il l’emmenait dans le Bois Joli, où ils pouvaient s’amuser à courir après les papilunes, à jouer à cache-cache, et à ramener des bâtons. Le soir, ils étaient si fatigués tous les deux qu’ils s’endormaient avant même la fin de l’histoire, sans Dé à coudre ! C’était très fort.

Le chiot revint vers l’enfant, laissant tomber le bâton à ses pieds avant de pousser sur ses pattes arrières pour s’appuyer sur le petit garçon, qui perdit l’équilibre et tomba dans l’herbe. Aussitôt, l’animal se mit à lui lécher le visage avec force jappements ravis, bientôt suivis par des rires d’enfant. Il n’y avait pas à dire : Wobbly était heureux. Son cadeau ne Noël des Amis Top-Secret était vraiment le meilleur cadeau du monde.

« Hihihihi ! Goldy arrêêêêêêêêête ! Ça chatouuuuuuuille ! Hihi... »

Après quelques galipettes sur fond de rires et d’aboiements -sans oublier un gros câlin, quand même !- Wobbly parvint à faire en sorte que le chiot s’éloigne assez de lui pour se redresser dans l’herbe et s’essuyer le visage avec sa manche. Le temps du geste, son animal de compagnie était déjà reparti vers un buisson, la queue battant gaiement.

« Hé, attends moi ! »

Une fois sur ses pieds, l’enfant rejoignit le buisson d’un pas bringuebalant, tandis que le chiot aboyait de manière continue, les oreilles dressées, la gueule ouverte et le regard fixé sur quelque chose que le Passe-Partout n’arrivait encore à identifier. Par contre, il reconnaissait cette attitude.

« Qu’est-ce que tu as trouvé, Goldfinger ? »

Il faisait particulièrement bon aujourd'hui. Il n'y avait pas un nuage au-dessus de la petite Mistral et le vent était d'un grand calme. Le temps idéal, songea-t-elle. Cet après-midi, la fée du vent était décidé de s'exercer sur sa magie et sa puissance, histoire de déterminé ses limites et voir plus tard si elle pouvait se dépasser. Elle virevoltait ici et là, avant de trouver un endroit tranquille, éloignée des autres fées qui gambadaient dans les environs. Mistral faisait face à un grand arbre, dont les feuilles semblaient robustes et bien accrochées.

— Il est parfait ! s'exclame-t-elle.

Elle ne perd pas de temps à débuter son exercice. Mistral ferme les yeux, tend ses bras et se concentre autant qu'elle pouvait. Une étape pas si simple que ça pour la petite fée distraite qu'elle était. Les bruits aux alentours stimulaient sa curiosité et passer outre n'était pas facile.

— Aller, je dois le faire, marmonne-t-elle.

Elle devait y arriver, ce n'est qu'ainsi qu'elle pourra nettement s'améliorer et pas autrement. Elle respire profondément, ses sourcils se froncent, elle pouvait sentir sa magie se canaliser entre ses doigts, elle y était presque, Mistral pouvait le sentir... mais l'aboiement d'un chien la ramène aussitôt sur terre. Elle redresse la tête, les yeux pétillants. L'exercice va attendre un peu, elle n'a jamais vu de chien depuis qu'elle était née ! Elle virevolte de nouveau avec une certainement impatience, mais la petite fée n'eut pas besoin d'aller loin, car l'animal était juste en face d'elle. Une grosse boule de poils dont la bouille et la langue pendante pouvaient attendrit le plus impitoyable des pirates.

— Qu’est-ce que tu as trouvé, Goldfinger ?

Mistral carillonne de surprise. En plus, il y avait un humain ! Elle devrait se balader plus souvent dans le Bois Joli pour faire plus de rencontres de ce genre. Elle s'élève et virevolte autour du petit humain pour l'observer sous toutes ses coutures, bien heureuse.

Du pas bringuebalant qui lui a valu son nom, Wobbly rejoignit son compagnon pour tenter de savoir ce qui attirait tant son attention. Il n’eut pas besoin d’attendre longtemps : presque sitôt arrive au niveau de Goldfinger, il remarqua quelque chose qui s’élevait et commença à tourner autour de lui. Avec entrain, le Passe-Partout s’écria :

« Une fée !!!! »

Ce n’était pas la première qu’il rencontrait, loin de là ! Sans compter que la Clochette était souvent avec eux à l’Arbre, Wobbly adorait les fées, il était persuadé qu’elles faisaient les meilleures espionnes du monde ! Alors il faisait souvent en sorte d’aller à leur rencontre. Dans le Bois Joli, il en avait déjà vu plein ! Et puis, il y avait son ami Poncho aussi, qui était une fée maintenant ! Même qu’il s’appelait Geyser et qu’il pouvait jouer avec l’eau, et ça c’était vraiment trop cool !

Cette fée là ne lui disait rien. Elle ne ressemblait ni à Geyser, ni à la jolie dame qui faisait un peu peur avec sa mare verte. Wobbly tournait sur lui-même pour observer Mistral autant que cette dernière lui tournait autour, et Goldfinger faisait de même en sens contraire. Évidemment, le petit Perdu se retrouva bientôt sur les fesses avec un « Aïeuh ! » plus grincheux que réellement plaintif.

Assis par terre, il prit son chiot dans les bras pour le mettre sur ses genoux et le caresser tranquillement pendant que son regard chocolat fixait la fée.

« Comment tu t’appelles, petite fée ? Moi, c’est Wobbly et lui, c’est mon chien ! Il s’appelle Goldfinger, comme dans James Bond ! Tu connais James Bond ? C’est un espion, il peut aller partout, comme toi ! »

Avec un grand sourire enfantin, le garçon enchaîna, comme s’il ne s’intéressait pas forcément aux réponses possibles (ce qui était faux, mais Wobbly posait toujours beaucoup de questions).

« Tu as l’air gentille, tu veux jouer avec nous ? »

— Une fée ! s'était écrié le petit garçon.

Avec une sincère curiosité, Mistral s'observe de toutes les coutures. Oui, elle était bien une fée pardi ! Est-ce que lui aussi, ce genre de rencontre était une première ? Elle sourit tendrement et alors qu'elle et lui se tournaient autour, le petit garçon finit par s'en mêler les pieds et tomber à la renverse. Mistral pose sa petite main contre sa bouche, soucieuse en l'entendant se plaindre. Est-ce qu'il s'était fait mal ? Certainement, pauvre enfant ! La fée s'approche de lui, tandis que le garçon attrape son chiot et le papouille. Il se présente, Wobbly dit-il ? Comme drôle de prénom ! La boule de poils aussi, avait un bien drôle de prénom. Goldfinger, comme dans James Bond. Elle secoue la tête pour signifier que non, elle ne connaissait pas.

— J'm'appelle Mistral, comme le vent du nord ! Mais je ne souffle pas encore aussi fort que lui...

Elle lève les yeux au ciel, l'air rêveuse.

— Un jour, peut-être ! Et toi ? Pourquoi tu te nommes Wobbly ? Est-ce que ça une signification ? Et qui est James Bond ? Est-ce qu'il existe vraiment ?
— Tu as l’air gentille, tu veux jouer avec nous ?

Voulait-elle jouer ? Quel question, bien sûr ! Elle acquiesce, tout en carillonnant d'un ton enjoué. Oui, elle voulait jouer ! Et tant pis pour son exercice, elle le fera tout à l'heure, personne ne lui en voudra de prendre une pause, si ?

« Bonjour Mistral ! C’est qui le vent du nord, ton chef ? Moi aussi j’ai un chef, il s’appelle Pit, et même que c’est le meilleur chef du monde avec Peter Pan ! ... Et Monsieur M aussi. Parce qu’il donne toujours des missions trop cool ! Mais peut-être que ton chef est cool aussi ! »

Le voilà reparti dans un de ses monologues dont il avait le secret. Pourtant, Wobbly écoutait ! Bien assez pour hausser les épaules à la première question de la fée.

« Signifiquoi ? C’est mon nom, et puis voilà ! Même si des fois, les plus grands ils disent que mes fils quand je recommode bah ils sont comme moi ! Tout comme ça ! » Expliqua-t-il (...plus ou moins) en faisant un mouvement de vague avec sa main.

Il s’arrêta brusquement, posant sur la petite fée un regard chocolat aussi surpris qu’indigné. Est-ce qu’elle venait vraiment de dire ce qu’il avait entendu qu’elle venait de dire ?!

« Évidemment qu’il existe pour de vrai ! Même que je l’ai vu pleiiiiiin de fois ! Au cinéma ! Il est trop fort, on lui donne toujours des missions super difficiles et il y arrive tout le temps ! Même que moi aussi je vais réussir des missions trop dures un jour ! »

Techniquement, c’était déjà le cas... si on occultait le fait qu’il s’octroyait ces missions lui-même... Et qu’on avait été obligé de le secourir à plusieurs reprises. Détail.

A sa proposition suivante, la fée s’enflamma (...métaphoriquement, ce n’était pas une fée des feux), amenant le Passe-Partout à éclater de rire en frappant dans ses mains avec son enthousiasme habituel. « Génial !!! Hein Goldfinger ?! » L’animal, bien élevé -selon les critères de son propriétaire-, jappa d’excitation à son tour. De retour sur ses deux jambes bringuebalantes, l’enfant s’adressa à Mistral.

« Tu veux jouer à quoi ? A cache-cache ? Mais c’est toi qui cherche sinon c’est de la triche, c’est trop facile pour toi t’es une fée tu peux te cacher partout ! On peut jouer à chat ? Goldfinger il va super bien chercher maintenant alors il peut attraper tu sais ! Sinon, on peut faire une ronde aussi mais faut chanter ! Maman Kaitlyn elle m’a appris des chantines ! Y’en a une faut mettre les mains comme ça et les bouger comme ça en chantant... » Puis, l’explication passée. « Ou un jeu de fée ! Vous avez des jeux, non ? Tu joues à quoi toi ? »