Quel comportement indécent ! S'écrouler ainsi pour une simple salutation. Ginger est déçue, bien qu'elle ne soit pas d'humeur à le mentionner. Son nom à lui seul, statut presque divin, suffit généralement à amener n'importe qui à l'écouter. Ginger trouve un tel pouvoir mérité quoique terriblement cruel également. Les hérétiques méritent un minimum de compassion—de compréhension. Malgré la voix qui monte, elle reste maîtresse d'elle-même, se contentant d'un regard appuyé pour signifier que tel n'était pas son attention. Après tout, il est bien trop tôt pour un règne de terreur.

« Ta chute est bien malencontreuse, mon enfant. Je n'ai fait que te saluer, avec un enthousiasme que j'espérais moins néfaste. »

Est-ce qu'un plan démoniaque a été déjoué ? S'éloigner n'est pas forcément synonyme de trahison, surtout au sein du camp bien trop bruyant. Par conséquent, Ginger en doute. L'Exaltée se contente de se baisser, pliant ses genoux et faisant bien attention que sa robe ne se redresse pas trop. Elle s'accroupit, curieuse et fantasque, prête à dévorer quiconque oserait vouloir provoquer la perte de son amour convalescent dans son cocon.

« Est-ce que ton fessier s'en remettra ? Je n'ai rien à te proposer outre des paroles, et une main si tu désires de l'aide pour te redresser. »

Les yeux de l'enfant sont-ils humides ? A la voix, aucun besoin de vérifier. Un dilemme habite certainement ce corps et elle fouille dans une large poche, pour en ressortir un mouchoir brodé et plié en quatre avec grand soin. Pit aimerait sans doute ce pliage simple mais si évocateur de son nombre fétiche. Au moins, elle est certaine que l'enfant en face d'elle n'est pas l'un des siens. Les Raccommodeurs sont si précieux, comment pourrait-elle ne pas les reconnaître ? Ses doigts s'ouvrent, le mouchoir reposant dans sa paume offerte à la jeune fille.

« Désires-tu une conversation ? Je t'aurais bien offert du thé si je n'avais pas crains que tu ne veuilles t'éloigner du camp autant que possible. »

Oh le contact de la chair, une invitation aux pires démons. Néanmoins, les doigts de Caroline sont si agréables autour des siens, une pression parfaite, une pointe de timidité et juste assez de courage. Ginger n'a pas envie de voir une égarée pleurer ou s'effondrer, oh ça lui briserait le cœur. La jeune mère—une apprentie certainement—a simplement besoin qu'on l'écoute et si ses secrets ne vont pas contre leur bien-aimé Roi, alors elle vivra et s'épanouira comme elle le mérite. Ses doigts se retirent, laissant le mouchoir entre celles de la cadette. Qu'importe les sentiments qui l'envahissent, Ginger se refuse à les imposer si promptement.

Elle tapote sa robe, déjà poussiéreuse au niveau des genoux, s'asseyant un peu plus confortablement. Il est évident que se déplacer attendra un moment. Le temps que la poitrine de Caroline soit en mesure de se soulever avec plus de calme. Le corps tend à s'emballer, dirigé par ses émotions contradictoires.

« Le mal n'était pas présent au sein de tes paroles, j'en suis consciente. Je suis Ginger, Courtisane. Mon rôle n'est guère important, au contraire de ce qui te chagrine. Est-ce un garçon qui t'as causé souci ? Ou bien notre situation ? »

Oh, punir ce monde n'est pas une mince affaire. L'Exaltée souhaiterait que le Givre les abandonne, que ce test sans fin s'achève sur leur victoire. Elle sait qu'une telle demande serait bien égoïste, alors elle se contente de croire.

« La honte ne devrait pas tant peser sur tes épaules, nous sommes tous pêcheurs après tout. »

Les larmes ne sont guère divines, lorsqu'elles roulent sur les joues, perles chargées de tant d'émotions. Ginger n'y voit rien de condamnable, au contraire. La solitude peut les abattre si brutalement, au camp, forçant parfois au cœur de déverser ses maux sans prévenir. Si le sol en vient à salir sa robe, ça ne sera pas de la faute de cette pauvre enfant qui a simplement besoin d'être écoutée, voir comprise. Et qui d'autre que Ginger pour tenir ce rôle, elle qui représente un amour si puissant et incontrôlable ?

Il est regrettable qu'une partie des paroles de Caroline soient mangées par le mouchoir et les vibrations dans sa voix. Il ne reste que des bribes à la Courtisane. Être présente pour—Ginger se contente de ce qu'on lui offre, son regard brillant tandis qu'elle joint ses mains à l'avant de sa robe. Une position des plus innocentes pour une simple conversation entre amies. N'est-ce pas ce qu'elles sont à présent ? Si présentes l'une pour l'autre !

« Tu es là, avec moi. Si tu parlais de tes enfants—oh tes mots se sont égarés dans le vent, je le crains—mieux vaut que tu pleures un bon coup ici pour leur revenir pleine d'énergie. Et si tu n'en es pas capable, qu'attendre la lumière brillante t'épuise, je veux bien t'apporter mon soutien. Moi aussi, j'étais destinée à devenir mère. J'ai simplement refusé la position. »

Quelle drôle d'ambition, de vouloir s'entourer d'enfants et de responsabilités lorsqu'on peut se tenir au sommet du monde à la place !

L'arche sera t-elle assez grande pour les contenir toutes les deux ? Ginger ne peut en être certaine, pas alors que les larmes lui paraissent un symbole de la vie éternelle. Qu'elle a envie de la rassurer, de guider cette enfant jusqu'à sa libération de son esprit. Oh, il est bien chanceux que cette petite ne soit pas trop jeune, sans quoi son amour se serait fait dénué de raison.

La demande qui fuse alors est plus dangereuse qu'aucune autre parole. Un câlin ? Une étreinte frontale ? Oh, ces dernières sont bannies depuis la nuit des temps. Elles ne peuvent qu'attirer que le pêché et le malheur, un soupçon de tentation. Ginger en fronce les sourcils, juste un peu, ses yeux d'un bleu encore plus fort que l'hiver paraissant hésiter.

« Les câlins frontaux sont interdits de là d'où je viens. Je vais donc venir à tes côtés, me placer avec grand soin, un bras autour des tes épaules et tu pourras pleurer contre la mienne. Je ne peux aller contre mon éducation. » Sauf quand ça l'arrange, qu'elle gratte les règles qui la dérangent pour s'en débarrasser. Là, ça serait trop lui en demander. Sur ses genoux, elle vient se mettre sur la gauche de Caroline, prête à étendre son bras autour d'elle dès qu'elle en aura l'autorisation.

Inconcevable ! Elle ne peut tout simplement pas se laisser aller à tant de débauche avec une enfant au visage si doux, larmes le recouvrant tel un masque d’honnêteté. A présent, elle est sienne pour ce jour et tous ceux qui suivront, oh quel moment fantastique. La joie se répand dans son cœur tandis que ses doigts glissent dans les mèches de la petite, laissant ses sanglots s’écouler. Il serait simple d’y mettre un terme, mais elle a dépassé l’âge du pardon, à présent il faut que l’enfant vive avec le poids de ses pêchés, qu’elle les porte en elle comme tous doivent le faire.

« Mes croyances—mon amour pour Peter, pour l’île toute entière, tout cela protège mon âme. Je ne peux dévier de ma mission, encore moins cesser de croire. Je n’ai pas peur, car si l’ennemi venait tenter mon cœur, je me sais capable de lui résister. »

Peu probable qu’il en aille de même pour la jeune mère, sans quoi elle ne serait pas effondrée contre Ginger. Ce n’est pas grave, son rôle est également de veiller sur ceux qui s’égarent, de les ramener et de les éliminer si jamais ils ont trop changé pour mériter de vivre.

« Pleure ton malheur, évacue-le. Tu dois te souvenir que nous sommes tous ici pour une raison et que tu trouveras bientôt la tienne, ma chère enfant. »

Est-ce un mystère qui sommeillait au fond de l’enfant ? Ou bien pire encore, un secret enfoncé au plus profond de son être ? Ginger n’avait pas songé—pas plus que d’ordinaire, que le mal était parvenu à s’infiltrer ainsi, à lui faire perdre de vue son rôle. Oh, son esprit a sauté quelques étapes, les prières habituelles, rejoignant la cruauté de ceux qui jugent sans preuve. Si ça se trouve, elle songe en tenant l’enfant contre son épaule, ce ne sont que de vieilles choses égarées dans son esprit, des promesses faites à des morts. Dans ce cas, pas de traîtrise, juste un vide immense au sein de Caroline.

« Ma chère aimée, que tes larmes sont dures. Je ne peux partager ta peine si tu ne me dis pas ce que tu cherches. Peut-être pourrais-je aider, si tu me le permets. »

Pleine de bonté, Ginger ne souhaite que s’investir dans ce qui ne la regarde pas pour consoler celle qui est si précieuse à ses yeux depuis environ cinq minutes. Qu’il est complexe d’être courtisane, d’offrir tant aux autres.

« Je ne cherchais pas de réponse, lorsque je suis venue ici, et pourtant j’en ai trouvé tant—même des souvenirs que je voulais oublier. Oh, tu vas te dessécher en pleurant tant, fais moi penser à te donner du thé et une couverture à notre retour. »

Un oiseau blessé guérira, placé avec soin dans la cage la plus somptueuse, mais pour combien de temps ? A quel moment est-ce que ses ailes se mettront à heurter les barreaux, à quémander un soupçon de clémence ? Si Ginger garde Caroline à ses côtés, si elle la couve et l’enserre jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une vérité impure et peu propice à leur avenir commun, quel sera son rôle ? Le corps contre le sien se crispe, un écho du pêché qui se répand dans les veines. La crainte du jugement dernier, d’un sacrifice que l’on refuse. Oh, la pauvre enfant, Ginger ne lui fera rien, pas alors qu’elles se tiennent sur ces terres désolées à chercher un sens à leur existence.

« Il en va de même pour moi, que chaque âme recouvre sa chaleur, que nous puissions trouver le Printemps et le ramener à nous. Néanmoins, » ses doigts tracent la chevelure de Caroline un instant pour ensuite se retirer, « je m’inquiète pour toi. Ton investissement est si immense qu’il semble ronger ton cœur. Ô ma lumière, que feras-tu une fois qu’il ne restera rien de toi ? Désires-tu demeurer à mes côtés quelques temps au camp ? Je promets de te chérir, moi mère qui a renoncé à ce rôle. »

Ginger en a contemplé des dizaines, des filles forcées de tout offrir, de jeter leur existence à des crocodiles qui portaient un autre nom ; celui d’époux. Certaines étaient ses propres sœurs, baignées dans le même sang et le pêché tout autant qu’elle. Et il y a, sous l’instabilité latente de l’enfant qui se refuse à l’adolescence, un besoin de protéger, que cela ne se reproduise plus.

« Il m’arrive de m’emporter, d’être trop—tout simplement trop. Pour toi, pourtant, je veux m’assurer que ça ira, que tu n’iras pas t’égarer. »

Son amour est sincère.
C’est pour cela qu’il est en est terrifiant.