Sa question, celle de Zeb, l’enchaînement créa une légère confusion dans l’esprit du médecin, ce qui se traduisit par une réponse tout aussi confuse que Jim ne sut pas immédiatement interpréter. Mais très vite, on lui donna des directives très claires :

« Je vais avoir besoin de toi pour m’amener ce dont j’ai besoin. Comme par exemple un bac d’eau et d’autres chiffons propres. Son matériel est déjà prêt, mais on est jamais trop prudent. »

Le vieil homme eut à peine prononcé ces mots que déjà le jeune mousse balayait la pièce du regard à la recherche de ce qu’il lui indiquait. Malgré un apparent manque d’ordre, les outils étaient à portée de main et il ne mit pas longtemps à trouver ce qu’il cherchait.

« Je vais commencer à nettoyer la brûlure. », enchaîna Earl, s’adressant cette fois à son patient. « Même si tu as été anesthésié, je te préviens, ça va te faire bizarre. Si je te fais mal ou tu veux que j’arrête, dis-moi. Je commence. »

Planté à côté de lui, Jim effectua un pas sur le côté pour ne pas se prendre un coup de coude et lui la place d’opérer. Ça s’annonçait moche mais il avait en quelque sorte le devoir d’y assister s’il voulait apporter son aide. Il tentant de conserver une expression neutre mais il eut du mal à cacher quelques grimaces tandis que l’Argenté opérait.

« Qu’est-ce que tu faisais avec une bouteille de Von Jutz, d’abord ? Tu as voulu faire peur à un ours ?
— C’est quoi du Von Juice ?
— Oh, si seulement... C’était un Orbleu. »

Ils étaient visiblement parti vers une grande discussion, sans doute à viser de distraire Zeb de la vilaine boucherie qui s’opérait sur son visage. En regardant faire, Jim se surprit à penser au boucher du port qui tranchait si finement le jambon sur son stand. Il y retrouvait la même précision dans le geste, peut-être un peu l’odeur mais certainement pas le même attrait.

« C’était Wilhelm. », reprit Zeb.

A l’évocation du Pied-Beau, Jim déglutit, ravalant la tasse d’amertume qui lui remontait du fond des tripes. Il n’avait pas encore fait la paix avec la manière dont Dogfish avait été séparé du groupe. Le mousse se savait innocent dans l’affaire puisqu’absent. Mais il avait une vision plus large, et des reproches plus généraux : on s’inquiétait rarement pour ce grand débile, pas assez probablement. Et voilà qu’on l’oubliait, tout simplement, dans l’œil du cyclone.
Jim n’était pas sans reproches. Il attribuait au Pied Beau les pires intentions, le désignait souvent responsable même sans preuves à l’appui. Et si trois fois sur dix, il tombait juste, ça faisait quand même sept injustices. En plus, il l’insultait tout le temps.

Il avait de quoi se remettre en question.

« Je l’ai croisé sur le rivage près de l’Îlot du Crâne, là où mouille le Roger. Il m’a reconnu. On a même... On a parlé. Mais... Je suis désolé, je n’ai pas pu le faire revenir à la raison. »

Le mousse, qui n’avait pas approché d’orbleu depuis le début de l’Hiver ouvrit de grands yeux. Ils ignoraient quel genre de conversation on pouvait tenir avec ces vestiges d’êtres humains qui n’en avaient plus qu’une vague ressemblance. Il essaya d’imaginer Dogfish, déjà bien flippant dans son genre, changé en monstre. Ça lui fit peur.

« Oh le salo ! Il vous a attaqué ? », laissa échapper le mousse sans réfléchir.

C’était l’explication la plus évidente mais une demi-seconde après l’avoir lâché, il le regretta. Les orbleus ne brûlent pas, si ?