Griffes d'acier

Le premier écran de toute Never Never Land, c'est ça hein ? Dis. Pour tout le monde, pour tous les autres et les Perdus, il faut trouver. À l'aube on leur avait dit : "À la Machine, il y a tout ça." Trouver trouver trouver. "Une télévision ! Oui oui, il y en a. Et elle sera la première à trôner fièrement au Grand Arbre. Peut-être la Dernière. Trouvez-la." C'est cher. La nouveauté coute cher. Des Enfants ont lâché des Ooooh ! de bonne surprise ; Bidule a été un peu déçu. Mais même les plus grands ils étaient un peu contents d'imaginer plein de trucs colorés défiler sur un cadre numérique. La vie au Grand Arbre a besoin de joie. C'est beau, c'est chouette, on applaudit d'avance en imaginant les vainqueurs revenir avec l'or sur les épaules.

Oui mais tout ça a un prix.

Ce prix c'est Peekaboo.

Il allait falloir emmener Peekaboo. Beaucoup d'entre nous ont chassé la sueur sur le front. D'autres ont cligné des yeux, très nerveux. Certains ont passé la langue sur la peau abimée des lèvres. L'épreuve se fait stressante. Des Mères ont soufflé, Enfin ce petit salopiaud va disparaitre d'ici le temps d'une journée. Une journée et pourtant on n'osait pas espérer plus, même pour la pire des Mauvaise Herbe. Parce que le lieu de la mission, le recueil de l'électronique, a quelque chose de particulièrement effrayant. Plus effrayant encore que la Verte Tête ! Cette chose qui fait peur à tout le monde c'est Grandir. On ne prononce pas le mot Grandir devant Pan.

Alors la troupe Chasseresse s'est tue. Les meilleurs d'entre eux, il fallait choisir. Un coup du sort compose un groupe de Un, deux et trois. Un Trio pour les Trois. Comme ça c'est parts égales comme un gâteau.


Dusty, Unlucky, Peekaboo.

(Des Aaaaaah ! de crainte)
(Des Mmmm de soulagement)
(Des silences d'effarement)

Où sont Arrow, Apache et les autres ? Partis. En mission, déjà. Vous trois à la Machine. Dépêchons dépêchons.

Tôt le matin. Tout le monde levé. Hop hop, vite fait. On enfile les peaux animales protectrices à la façon des Piccaninny. On se donne courage avec le regard baissé sur la nourriture qu'on ne reverra peut-être pas. On emmagasine des forces pour le chemin. C'est pourtant la fête tout autour, mais trois d'entre eux savent.

- Tu sais je vous fais confiance, même s'Il n'est pas facile.

Unlucky portait bien son nom, mais Dusty l'aimait bien. Dusty il se laisse accompagner par lui (et seulement lui) pendant certaines parties de Chasse, quand c'est les bons jours et pas la pluie. Le Il dans les mots d'Unlucky, c'est la Verte Tête, la seule ici. On ne sait pas trop ce qu'elle fiche au bout de la table à hurler partout... Sûrement plein de bêtises comme d'habitude. Il hausse des épaules Dusty, l'air de dire : Rien, Prépare-toi, On y va.

Sauf que le Chiendent et la Mauvaise Herbe ont pas encore croisé le fer aujourd'hui. Elles sont encore calmes les saloperies de la terre. Elles préfèrent s'ignorer le temps du silence. Comme si ça ne se connaissait pas. Comme si Dusty n'avait pas les lacérations brûlantes qui couraient le long de son échine jusqu'à ses bras. Alors chacun se lève, se pare, s'arme de tranchants sur les hanches et de gourdes, de baumes rapides à appliquer en cas de pépin, de plein de choses pouvant servir à la Chasse à l'Or. On resserre les ceintures comme pour amaigrir la gourmandise des estomacs. Sois un bon Chasseur.

Et Unlucky il prend son courage à deux, à trois, à quatre mains. Tout pour approcher la furie en vert qui gesticule sur place, hors d'haleine. Ils sont sur le point de partir vers la Machine, mais on préfère quand même vérifier que tout le monde est bien sur la même longueur d'onde.

- Ok Dusty, prêt ?
- Prêt.
- Peekaboo ?

On s'attend à une réaction monstrueuse.

Si la Mère a passé autant de temps avec Peekaboo ce matin, c'est parce que Peekaboo doit partir en mission. Il a fallu le préparer, le canaliser, lui faire comprendre : « la gravité de la situation ». Peekaboo ne part presque jamais en mission, sauf quand c'est très dangereux, parce que tout le monde s'en foutrait si Peekaboo mourrait. Peekaboo le sait, et ça le fait rigoler – même s'il doit se forcer un peu.
Les Missions excitent Peekaboo, le gonflent d'adrénaline jusqu'au bord de l'explosion, c'est à partir de là qu'il ne devient plus que soubresauts, piailleries et clignements, à partir de là que son sourire éventre son visage comme une grosse cicatrice mal soignée. A partir de là que les autres s'écartent, le fuient et le craignent, et que ça le rend encore plus bruyant et fou.

Unlucky et Dusty.
Le premier nom disparait bien vite, recouvert par la poussière, avalé par la poussière. Dusty Dusty Dusty.
Le sourire-cicatrice s'élargit encore, puis quelques OUAH OUAH sonores qui font dérater les derniers téméraires, Dusty Dusty Dusty !


Peekaboo l'avait repéré le premier, au plus tard le deuxième jour de son arrivée. Quand on l'a placé chez les Chasseurs sous le seul prétexte que : lui il n'a peur de rien. Dusty était déjà là (il sait pas depuis quand, on aurait dit longtemps), et son regard a envoyé une décharge bizarre dans le corps de Peekaboo. C'était très fort, et douloureux, et un peu agréable.
Depuis ce jour-là, Peekaboo il cherche Dusty, il le cherche de toutes les façons possibles, à tous les moments possibles, et ils ont du le changer de Cabane parce que c'était plus possible.

Pendant tout l'Avant-Mission, Peekaboo fait tout pour retarder le moment de la confrontation, pour pas tout gâcher. Il est intenable, insupportable, et la Mère est un peu triste car elle croyait qu'elle avait pas trop mal réussi. Il fout le bazar pendant tout le Petit Déjeuner et il doit finir dans un coin, dehors, tout seul. Même là on l'entend cracher, lâcher des gros mots et des éclats de rire.

▲▼▲

C'est presque l'heure.
Ils se réunissent, parés au départ.
Peekaboo fait attention de ne pas planter son regard dans celui de Dusty. Pas avant l'heure. Il se connait un tout petit peu. Il ne veut pas tout gâcher.
A cause de cet effort, son corps est incontrôlable. Il a donné 7 coups de poings, 2 griffures, il lui reste quelques cheveux sous les ongles. C'était trop dur.

— Ok Dusty, prêt ?
— Prêt.
— Peekaboo ?

Les yeux vert canard de Peekaboo rencontrent ceux de Unlucky. Il semble le redécouvrir, apercevoir ses contours sous la poussière si dense.
Le sourire cicatrice s'étale, il se marre mollement.

— PRÊT !!

Il lui donne un grand coup dans l'épaule.
La présence de Unlucky l'importune, le gêne même, comme si ça compromettait un plan dont il n'a même pas conscience.

C'est l'heure.

Pendant que Unlucky s'occupe de son bras, Peekaboo se glisse derrière Dusty et souffle dans son oreille :

— C'est moi qui vais gagner.

Peekaboo, ça lui fait pas peur, de mordre la poussière.

Un murmure et c'est l'évocation d'une bataille future. C'est une promesse constante, latente qu'on redoute un peu et qui émane de fous furieux. Parce qu'il n'y a jamais vraiment de vainqueur entre les frères sauvages, jamais vraiment de perdant. Y en aura toujours un suffisamment bête pour se relever même après les contusions et les coups de dents. C'est partout comme ça chez les Chasseurs de toute façon : Ça sait pas abandonner correctement. Non, ça sait pas ce que c'est que ça, l'abandon.

Mais plusieurs d'entre nous l'ont déjà goûté dans une autre vie.

- Ta gueule.

C'est simple, c'est tout. C'est craché dur-sec comme du bois plein d'échardes. (Pardon Unlucky tu pourras pas brider ces deux-là ensemble) Tous ils s'enfoncent dans la jungle et font craquer les bois sous eux. Dusty y va à pas plus lent et les deux autres prennent un peu d'avance sur lui, jusqu'à ce qu'on se rende compte. Dusty dépêche-toi s'il te plait. Et Dusty, ne regarde pas Peekaboo comme ça, on dirait que tu vas le tuer.

Oui c'est vrai. Tout le monde s'en foutrait si la Mauvaise Herbe brûlait à cause d'une mission trop dangereuse. Tout le monde ? Non c'est faux. Y en a un parmi nous qui continuera toujours de chercher après les cheveux verts. Hein Chiendent, la truffe collée au sol, trop habitué à renifler la bêtise de ton cadet.

En silence tous, faites attention où vous mettez les pieds. Êtes-vous bien armés ? De temps en temps Dusty il taillade le paysage de son regard de rouge rouillé, fait comme s'il était tout seul à fendre la flore en deux. Les sillons derrière eux les éloignent du Grand Arbre. On va toujours plus profondément là-dedans.

Dusty n'a pas encore regardé Peekaboo.
Droit dans les yeux,
Non, il n'a pas encore fait.

- Faites gaffes, on ne sait pas quand est-ce qu'elle apparaitra. Guettez la fumée noire.

Parce que le dragon de fer ambulant tousse beaucoup d'écume en charbon, c'est facile de le repérer. Et c'est encore plus facile de se faire avaler. Du coup, quand Unlucky pose sa mise en garde, Dusty a les muscles qui commencent à se tendre. Très vaguement on se dit que la mission est plutôt bien partie. Il n'y a pas encore eu de coup d'éclat, pas d'engueulade, pas de mésentente... Les peaux sont encore neuves.

Mais ça fait peur aussi. Parce que quand il se passe rien alors qu'on a les deux mauvaises herbes sur le même terrain, c'est que dans le noir silence ça affûte la hargne au couteau.

C'était un accès de combativité : Dès qu'il effleure du bout des iris le dos de Peekaboo, sa dextre glisse sur le poignard endormi à la hanche, prêt à tirer le tranchant. C'est dangereux là tout à coup, violent. Au coin des yeux ça sonne le glas. Et quand il réalise ce qu'il est en train de faire, Dusty, il fronce des sourcils, secoue la caboche et abandonne la manœuvre.

Non, qu'est-ce que je fais. C'est pas du gibier, Peekaboo.

C'est un Chasseur, comme lui.
Comme lui.

- Vous avez tout pris ? L'eau, de quoi se soigner si ça tourne mal.

Peut-être que c'est une tentative pour préparer la discussion et réchauffer un peu le platonisme du Trio.

- On entre, on trouve l'écran, et on revient au Grand Arbre tout de suite. Faut pas trainer les gars, la Machine nous fera grandir sinon.

Oh oh oh ! Misère. Le mot banni du vocabulaire de Pan (vraiment, au sens propre). Et puis ça parait clair comme ça non ? On grandira si on reste trop dans l'estomac du dragon de fer. C'est pas sûr que Peek ait entendu - et s'il a entendu il s'en fout probablement -, mais Dusty la prévention ça le fait tiquer un peu. Dans son esprit ça commence à trembler de rougeoiement. Tu peux pas grandir toi. T'es trop con pour ça. Putain de Verte Tête.

Le Chiendent il va lancer son attaque.

- Tu te crois capable de rester plus longtemps que moi la Mauvaise Herbe ?

Une attaque terrible.

Peekaboo n'a rien pris. Pas d'eau, pas de sparadrap.
Il a pris un couteau et une arbalète qu'il tient pendue à son côté – c'est son arme de chasse, il est trop nul à l'arc. Il porte un t-shirt avec le symbole des rolling stones et un jogging trop petit, ses baskets jaunes et c'est tout. De toutes façons il a pas soif.

— On entre, on trouve l'écran, et on revient au Grand Arbre tout de suite. Faut pas trainer les gars, la Machine nous fera grandir sinon.

Unlucky irrite beaucoup Peekaboo, qui se ronge fort les ongles pour cacher son agacement. On dirait qu'Unlucky ne comprend pas ce qui se passe, qu'il gâche tout un peu, avec sa présence, avec ses mots, ses grandes phrases. Peekaboo aimerait bien qu'il soit pas là. Même si ça lui ferait peur aussi, d'être seul avec Dusty, ça ferait battre son coeur.

— Tu te crois capable de rester plus longtemps que moi la Mauvaise Herbe ?

Peekaboo se retourne automatiquement, très brutalement, ses lèvres tremblent comme quand on va pleurer. Puis il lâche un rire aigu, en plissant les paupières, ses mains s'agitant sans aucun sens sur son visage.
Il ne dit rien d'autre. C'est comme se forcer à pas être trop curieux avant d'ouvrir un cadeau, pour pas gâcher la surprise. C'est comme ça.

Ils marchent longtemps, tellement longtemps que Peekaboo est quasiment sur le point de renoncer. Finalement, ça vaut le coup ? Il a envie de...

— La fumée noire !

Oui c'est vrai, toujours là lui.
Peekaboo lève ses yeux turquoise. Il darde un regard rond sur les contours de la Machine, qui paraissent un peu irréels dans le paysage de nature expansive. Puis il sourit, rougit, et lance :

— Le dernier arrivé est une salope !!!!

Il éclate d'un nouveau rire, moins aigu et plus reniflant, et s'élance en direction de la Machine.

— Mais il est débile !

Peekaboo se fait fouetter par les fougères, les branches basses et l'adrénaline, et rien de tout ça ne ralentit sa course. Il vérifie sans cesser de sprinter que Dusty ne l'a pas rattrapé. C'est un peu dur de se concentrer sur tout à la fois.
Lorsqu'il arrive devant la Machine, il dérape un peu, des nuages de poussière ornent ses baskets jaunes.
Elle est énorme, toute en ferraille et en oscillations, on dirait presque qu'elle est vivante. Des jets de fumée divers s'échappent de son toit et de sa façade, ils font des « psssshhhht » et des « kkrrrrrr ». C'est cacophonique, monstrueux, c'est un des trucs les plus impressionnants que Peek a jamais vu.

Il met du temps à remarquer que les autres sont arrivés.
Son visage change dès qu'il s'en rend compte.

— Hé hé !! Il va se placer juste devant la bouche de la Machine et se met à danser grossièrement. Avale moi, avale moi !! La la la ! GROSSE MERDASSE ! Hahahahaha LA LA LA !

La Machine ouvre grand sa bouche, beugle une sorte de hurlement mécanique. Peekaboo pousse un cri. Il replie ses bras contre son visage. C'est quand même vachement plus gros que lui.

Unlucky est mortifié, c'est normal. Dusty a la réaction beaucoup plus rapide, il s'est élancé après la Mauvaise Herbe (elle se tape tous les obstacles pourris avant lui). La course dure pas longtemps en fait, c'est décevant, parce que Peek est déjà planté devant la Gueule de Fer, à faire n'importe quoi.

Et... Wouaaaa !

Pssssssht Krrrlrkrlrkr ! Rppphhthshtht...

C'est infernal tout ce bruit, même qu'on entend moins Peekaboo.

Psshtht frrrrlklrklkr ! Bbrbrlllkrrrrr

La Machine n'a aucun sens, elle fait des sons de métal rouillé, menace de s'écrouler et de cracher un lava terrible sur la Verdure qui provoque, Avale-moi Avale-moi tout entier. Dusty aussi, il est scotché sur place, sa nuque craque pour élever son nez vers le ciel et voir un peu l'écran qui s'est soudainement noirci. La Fumée Noire.

(Unlucky - la Salope - finit par arriver, essoufflé. Il récupère en prenant appui sur ses genoux.)

- Je vais finir par le tuer avant qu'il meurt !
- Comment on entre ?
- Hein ?
- Dans le tas de ferraille.

La Machine a pourtant deux grands yeux jaunes. C'est très faible, les diodes ont l'air de sursauter à chaque pas dans le sol, de s'éteindre et de ne plus jamais se rallumer. Mais on voit que quelque chose vit, de l'autre côté de ces pupilles de mouche. Unlucky n'a pas de réponse à donner, Dusty s'approche. Il s'approche si près qu'il sent l'haleine du dragon de fer. Il s'approche si près qu'il pourrait planter Peekaboo tout de suite.

Un souffle de fournaise s'évapore, ça brûle la peau comme quand on est trop près du feu.

- On entre pas, c'est toi qui nous dévores.

Dusty n'essaye pas d'arrêter Peek. Il y a une sorte de flottement bizarre, muet. Peut-être que la Machine comprend ce qui se passe, elle se dandine nerveusement dans son cliquetis d'acier trempé comme si les mots-couteaux de la Mauvaise Herbe plantaient en son dedans.

Oui la Machine elle a ouvert grand ses rangées de dents. Au fond de sa gueule rouillée on peut voir le vent qui se met à aspirer une partie de la jungle... et sa mâchoire terrible qui se referme sur les trois Chasseurs.

On entre pas, c'est toi qui nous dévores.

Peekaboo se tourne vers lui, mais Dusty ne le regarde pas. Son regard tout rouge fixe avec une froideur de métal la Machine. Peek résiste à l'envie de lui serrer la main quand l'énorme bouche s'abat sur eux.

Le bruit que ça fait, est cacophonique, incroyable d'intensité, de chaos et de disparité. C'est comme un mauvais doublage, exagéré, et ça nique les oreilles. Par contre, Peek aime assez la sensation d'être aspiré. Ses vêtements claquent sur la peau et ses cheveux-gazon se dressent sur sa tête, ce qui provoque des picotements rieurs sur sa tête. Il est trop impressionné pour vraiment rigoler toutefois.

Alors qu'ils continuent d'être inspirés, ils traversent un entremêlas de tuyaux qui semble ne jamais finir, et Peekaboo a quelques secondes pour se souvenir d'un jeu vidéo qui ressemblait à ça, puis il reçoit un petit choc sur la tête et sa pensée crève comme une bulle de savon.

— FAIS CHIER ! il crie, mais c'est si faible par rapport aux cris de la Machine.


Il écarquille les yeux quand ils sont propulsés dans l'air, un air noir et sale, celui du Garage Métallique.
Il lâche un son mat et rauque quand il s'éclate contre le sol dur, légèrement quadrillé et tout en fer rouillé. Il se relève vite, les muscles bandés, de la poussière plein les yeux. Le lieu est envahi d'une pénombre moite ; mais les nombreuses ampoules dispersées qui percent l'obscurité, d'une lueur de bronze, lui agressent la rétine.
Ils n'ont déjà plus l'habitude des lumières artificielles.

— Okay je vois où on est, dit-il, et c'est un mensonge.
— Comment ça, tu es déjà venu ?

Peekaboo ne répond pas, peut-être qu'il n'a pas prévu sa parade aussi loin.
Il s'approche d'une forme affaissée dans un coin, contre un tableau de bord qui clignote indolemment.

— Woh ! Y a un robot!
— C'est pas le moment, Peekaboo... Vous avez rien sinon ? Personne n'est blessé ? J'ai du matériel de premier secours s'il faut.

Peekaboo effleure le robot. Il est marron, marron écaillé, avec des boutons éteints. Il dort.

Il ne sait plus pourquoi ils sont là.
Peut-être qu'ils l'a jamais su.

image ambiance:

... Peekaboo ?

Oh oui, Peekaboo est là. C'est impossible de pas le sentir.
Unlucky aussi, est là.
Ils sont tous là, embrassant le sol de tôle.

Il fait très chaud tout à coup, mais pas le chaud du soleil, c'est le chaud de plomb qui nous tombe sur les épaules, et c'est très lourd. Dusty se redresse mais pas aussi rapidement que Peekaboo.

Ensemble ils se déploient dans l'habitacle fait de clous et de plaques et de métal et de dur. Le moment où ils étaient encore dans la jungle a l'air d'avoir jamais existé. Du souffle ardent s'échappe de mille tuyaux, Chiendent évite les murs, ça pourrait être fatal.

Sur le tableau de bord qui attire l'attention de tout le monde il y a un gros bouton rouge placé sous une visière. Dessus il est marqué "SURPRISE". Mais pas sûr que Dusty sache lire.

- Bon. On cherche un écran plasma. Il y en a tellement...

Des écrans oui. Placardés sur la paroi jonchant le panneau de contrôle, il y a plein de petites télés qui grésillent des tempêtes de neige, parfois des coins de la Machine un peu incertains où toute la vue est bouchée par des jeux d'escalier, des canalisations, ou bien c'est la qualité qui est pourrie et on voit rien.

- Quelqu'un sait c'est quoi, un écran plasma ?

Peekaboo est parti voir le cadavre d'un robot avec des oreilles de lapin, il parle tout seul. Du coup Unlucky tente de trouver une explication logique à l’enchaînement des images rapportées par les caméras.

Et personne voit que Dusty a soulevé la visière transparente.

- Avec un peu de chance on ne va pas tomber sur les chefs qui commandent la Machine.

Il appuie sur le bouton.

- Je sais, voilà ce qu'on va faire. Dusty ! Peeka...--

Une boule disco émerge du plafond, elle tourne et fait un OUIIN OUIIIN OUIIIIN des enfers qui fait tout trembler. De la vapeur chaude s'écrase, les écrans se brouillent, des cotillons s'envolent et il fait noir.

Dusty, frappé par la foudre (on dirait), recule et son dos rencontre un mur qui lui fait l'effet de l'eau. Il déglutit fort parce qu'il ne peut plus voir.

- Vous êtes où. C'est trop bas, personne a entendu. VOUS ÊTES OÙ !

Il tangue, secoué par une Machine en colère, la chaudière qui déborde. Dusty essaye de longer les murs qu'il n'évite plus pour attraper quelqu'un qu'il connait, pour attraper une rampe d'escalier, pour attraper des cheveux verts.

Mais pendant la grande peur, un angle de la salle s'illumine et deux autres diodes s'éclairent. Elles sont d'un jaune vif qui perce le noir, qui se lève et qui plisse des yeux.

... et qui plisse des yeux.

hrp:

Peekaboo sursaute si fort qu'on croirait qu'il s'est pris une décharge.
Son regard vert d'eau se fixe sur la boule à facettes, hypnotisé, comme tétanisé aussi. C'est cacophonique, ça transperce les tympans, la peau, les os. Il se prend quelques morceaux de... il sait pas, dans la figure, recule, se débat dans le bruit et dans la nuit. Il entend un grognement, c'est celui de Dusty. Le geignement est celui d'Unlucky, mais Peekaboo l'a à peine entendu.

Il s'est racrapoté contre un mur et griffe son visage pour enlever les bouts d'il sait pas, qui n'y sont plus pourtant.

— Putain bordel ça gratte

Sa voix se brise, se craquelle.
Des lumières s'énervent plus loin mais ses yeux lui font mal, dur de les tenir ouverts longtemps.

— Tu es là, Peek ?
— Où est Dusty ?
— On l'a perdu mais je pense que c'est lui qui a activé le...
— Perdu où ? Il était là.
— C'est ce que je te dis, je pense qu'il est là-bas regarde.

Peekaboo se tourne à nouveau vers les lumières vives, agressives. Il a l'air hébété, il met du temps à comprendre.
Quand ça vient, visiblement, il court comme un dératé, enjambant ou sautant les obstacles à la hâte. Difficile de savoir s'il vole au secours du Chiendent ou s'il angoisse à l'idée que le Chiendent vive un truc dingue sans lui.
Quand il arrive, il est essoufflé et excité.

— Oh c'est quoi ?


Peekaboo considère Dusty, il a pas l'air de savoir. Il aimerait trop savoir, lui. Dans les films ils devinent toujours.

— OKAY ! il crie.
— Mais t'es pas bien ? Tu connais pas le code !

Unlucky vient de débarquer, il est encore plus essoufflé, sa respiration irrite Peekaboo. Celui-ci fait face à... au truc qui parle.

— C'est 2488 !!

Le nombre lui parait pertinent, pourtant il sait pas d'où il sort, peut-être que c'est le code de l'ancien appartement. Il s'en souvient plus maintenant.
Il y a un silence de mort, enfin presque de mort puisqu'on entend encore dix mille trucs souffler et cracher partout.


— Wah il va nous tirer dessus !
— Courez !!
— Nan !

Unlucky bug, le visage pétrifié, mais Peekaboo prend pas le temps de s'expliquer. Il a vu une sorte d'énorme maillet en métal, là sur la gauche. A côté y a une tronçonneuse.

— Viens Dusty on lui nique sa race de chien !!!

C'est eux qui décident quand on détruit.