L'errance d'Iseabail ne connaissait pas de fin et n'en connaîtrait jamais. Sans relâche elle parcourait cette île, encore et encore, uniquement pour la parcourir une nouvelle fois. La topographie changeait sans cesse, les distances s'allongeait ou se rétrécissaient et des lieux pouvaient apparaître comme disparaître. Comme elle détestait cet endroit, vide de sens et d'avenir. Pourtant, sans relâche, la gargouille continuait son chemin. L'espoir de retrouver les siens, son clan, son foyer, son compagnon, l'avait depuis longtemps quitté. Elle avait tout perdu, elle le savait et s'était résignée à son sort. Mais elle ne pouvait rester sur place à s’apitoyer sur elle-même, alors elle continuait à avancer mais sans but, vide, cherchant à combler ce gouffre qui ne pouvait jamais l'être réellement.

C'est ainsi que la nuit dernière, ses pas la conduisirent au bois joli, au cœur de la vallée des fées. Pourquoi avait-elle décidé de s'y rendre ? Impossible de le savoir, même pour la principale concernée. Elle c'était tout simplement laissé porter par les courants qui avaient guidés son vol. Alors que le soleil menaçait de pointer son nez, elle avait du atterrir au premier endroit où les arbres n'étaient pas trop dense. L’imprévisibilité des levers et couchers du soleil était l'un des principaux problème qu'Iseabail rencontrait sur cette île. Car voyez-vous, la jeune "femme" était une gargouille, une créature qui ne vivant que la nuit et qui chaque jour se voyait plongée dans un profond sommeil de pierre. Ce n'est qu'avec encore quelques minutes devant elle que la créature avait du trouver refuge entre les arbres, comptant sur la pénombre pour la protéger. C'était loin d'être l'endroit idéal mais elle devrait faire avec. Et puis si jamais quelqu'un réduisait sa statue en miette au moins cela mettrait fin à son errance.

Une fois encore le soleil se coucha sur l'île de jamais. Et une fois encore Iseabail reprit vie. La statue qu'elle était se mis à craqueler, des bouts de plâtres se détachèrent de sa peau alors qu'elle dans un rugissement animal elle s'extirpa de sa cocon de pierre. Alors qu'elle s'étirait, reprenant le contrôle de son corps et de ses muscles, la gargouille entreprit de rapidement prendre connaissance de son environnement. La première chose qu'elle nota fut l'étrange odeur qui régnait autour d'elle. Fronçant les sourcils elle se tourna vers la clairière pour y apercevoir un jeune garçon. Grognant, n'appréciant pas d'être observée lors de son réveil, ses yeux se mirent à luire d'une étrange lumière blanche, caractéristique de son espèce lorsque celle-ci se mettait en colère.

Malgré ses grognements, une voix lui parvient, un simple "bonsoir", poli mais presque timide. L'intonation avait tout d'une question et c'est donc d'un ton cassant que la gargouille répondit le plus naturellement du monde :

"Ce n'est jamais un "bon soir" quand on est sur cette île."

Se révélant aux yeux de son interlocuteur Iseabail s'avança dans la clairière, sortant enfin de la pénombre des bois. L'étrange lumière avait quitté ses yeux mais son visage n'affichait pas pour autant une expression amicale, au contraire, on pouvait y lire du dédain et un agacement non-dissimulé. Grande et musclée la gargouille dépassait sans mal le jeune homme, bien trop maigre. Au vu de son âge, visiblement un adolescent, il ne pouvait que s'agir d'un des laquais de Peter. L'un de ses insupportables garnements obéissants aux ordres du pire d'entre tous. A moins qu'il ne s'agisse d'un jeune pirate, comment savoir ? Dans tous les cas Iseabail décida qu'elle ne l'aimait pas. Son odeur de tabac mêlé au fait qu'il l'avait surprise au réveil ne pouvait que lui attirer son antipathie. Il avait été au mauvais endroit au mauvais moment ou alors la gargouille s'était tout simplement levée du mauvais pied, impossible de savoir avec elle.

"T'es qui toi ? Un des larbins de Peter ou de Hook peut-être ? Humpf t'es bien trop maigre en tout cas, quelque soit ton maître on ne peut pas dire que tu lui fasses honneur."

Un petit rire moqueur accompagna sa déclaration. Que cherchait-elle en insultant ainsi un inconnu ? Provoquer une bagarre ? Passer ses nerfs ? Certainement un mélange de tout cela. En tout cas il ne pouvait y avoir de doute, Iseabail avait été fidèle à elle-même, désagréable au possible.

Si l'intervention ne vous convient pas, demandez à l'Ombre de la supprimer.

S'inquiéter de sa santé ? Est-ce que ce maigrichon se moquait d'elle ? Iseabail n'appréciait pas que l'on ignore ses provocations. Quand on chercher la bagarre il n'y a rien de plus frustrant de se la voir refuser. En même temps le gamin en face d'elle était si chétif qu'elle se demanda un instant si c'était bien la peine de le provoquer. Après tout il n'avait rien de l'adversaire idéal et le moindre coup un peu trop violent semblait risquer de le casser en deux. Cette constatation ne fit qu'irriter encore plus la gargouille qui répondit donc de la façon la plus désagréable possible à ce laquais de mini-tyran.  

"Smoke ? A cause de cette horrible puanteur j'imagine. Et santé tu peux te la carrer où je le pense. Même si cela ne m'étonne pas qu'un des serviteurs du mioche soit en si mauvais état."

Bien entendu Iseabail ne révéla pas son nom, à quoi bon ? Ce n'est pas comme si elle comptait s'attarder ici et faire causette. Il lui fallait reprendre sa route, avancer, continuer à avancer malgré tout. Alors qu'elle s’apprêtait à prendre congé, sans un mot de plus, quelque chose attira son attention. S'approchant pour y voir de plus près elle n'apprécia pas le spectacle qu'elle découvrit. Une de ces immondes petites fées contaminées, surnommées à tort "gargouille" (un surnom qu'elle haïssait, les gargouilles étaient des créatures nobles comme elle, pas une vulgaire maladie) était entrain d'attaquer une famille de hiboux au cœur même de leur foyer.

Empli de rage et de colère, où se mêlait son instinct de protection, la frustration ne pouvoir se défouler sur Smoke ou encore l'injustice de partager le nom de ces horribles petites choses, Iseabail poussa un rugissement bestiale avant de porter un coup violent sur la créature. Les yeux illuminés par la colère, la gargouille entreprit de réduire en miette l'envahisseur, ravie d'enfin pouvoir passer son humeur sur quelque chose de vivant.

Ses mains lui faisaient mal. Non à cause des coups qu'elle avait porté, elle avait bien trop l'habitude de frapper pour s'inquiéter de ce genre de douleur, mais plutôt à cause de cette étrange sensation, proche d'une brûlure. Un simple contact avec cette sale bête suffisait à la blesser. Heureusement que sa peau était plus semblable au cuir d'un animal qu'au délicat épiderme d'un humain. De plus, et pour une étrange raison, elle appréciait cette douleur. Cela la rendait un peu plus vivante, un peu plus présente, ne serait-ce que pour quelques instants.

Un coup un peu plus violent que les autres projeta la fée au loin. Iseabail ne chercha pas à la poursuivre, elle n'en ressentait pas le besoin. Elle avait protégé ce qu'il fallait protéger, maintenant que la menace n'était plus à un distance menaçante, tout allait pour le mieux. Prenant un moment pour observer ses mains, elle y vit des marques rouges, signe que l'horreur l'avait en effet blessé. Heureusement, son sommeil de pierre aurait tout arrangé d'ici demain soir, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Comme il n'y avait pas de quoi s'inquiéter pour le maigrichon à côté, lui elle n'en n'avait rien à faire, il pouvait se faire attaquer encore et encore que cela n'était pas son problème.

Cependant cela le devint lorsque le garçon perdu se mit à courir dans sa direction, la fée au trousse. Rugissant de colère, la gargouille déploya ses ailes pour se rendre plus menaçante encore. Décidant de prendre l'initiative elle bondit sur Smoke, le plaquant à terre grâce à ses grands pieds pourvus de griffes, avant de bondir une nouvelle fois sur le petit danger. Cette fois-ci elle réussit à la capturer entre ses pattes. La fée était lourde et désagréable au toucher, la garder entre ses paumes était un réel test de volonté. Cependant la gargouille était suffisamment bornée pour y arriver. Histoire de résoudre le problème une bonne fois pour toute, Iseabail entreprit d'écraser la créature entre ses mains pour la réduire en bouillis.

Les cris de rage, le craquement des os, la douleur de ses mains. Toutes ces petites choses la rendait vivante. Concentrée, inébranlable, elle continuait son exécution, incapable de penser à autre chose. Il n'était pas question qu'elle en reste là, il n'était pas question qu'elle fasse preuve de pitié. Cela faisait longtemps qu'à ses yeux plus personne ne méritait sa pitié. Enfin dans un craquement final, le petit corps entre ses mains cessa de lutter. Ouvrant ses paumes, la gargouille put constater son oeuvre. Tout souffle avait quitté le corps de la créature. Dégoûtée, la gargouille jeta le cadavre au loin. Sa tâche était terminée.

Ses mains saignaient. Un cadeau de la fée maudite. Jurant entre ses dents Iseabail fut tenté de déchirer un bout de ses vêtements pour bander ses plaies. Elle abandonna rapidement cette idée, de toute façon, d'ici la nuit prochaine, ses blessures auraient disparu. Tant pis si elle était un peu gênée en attendant, ce n'était vraiment pas grand chose et cela ne méritait certainement pas de détruire ses vêtements. Elle prit néanmoins la peine d'essuyer du mieux qu'elle pouvait le sang, histoire de ne trop se tacher.

La voix de Smoke la fit se retourner. C'est alors qu'elle aperçut le garçon perdu plus ou moins effrayer un hibou. Certainement un des habitant du nid. Ce geste eu le mérite de faire grogner la gargouille mais sans plus. Visiblement le gamin voulait juste récupérer son bien, un bien qui aurait fait plus de mal que de bien à l'oiseau. Décidant donc de ne pas attaquer l’adolescent, Iseabail se contenta de se diriger lentement vers lui. Une fois à sa hauteur elle grogna légèrement avant de ramasser le hibou et de le remettre dans son nid.

"Et une bonne chose de faite. Et toi je te conseil de ne pas t'approcher de ce nid. Sur ce, je me tire."

A ces mots la gargouille sauta sur un arbre et commença à l'escalader, plantant ses griffes profondément dans l'écorce pour s'élever. Une fois qu'elle aurait assez de hauteur il ne lui resterait plus qu'à trouver un courant pour la porter et l'emmener loin d'ici.