Ces derniers temps, Howl avait sans doute été décrit comme étrange, trop énergique, bruyant (encore plus que d'habitude), avec des difficultés à rester tranquille, à s'endormir mais pas à se lever, et une fâcheuse tendance à fredonner des airs provenant de chez lui, quand il ne se mettait pas en plus à rire pour un rien. Il avait plusieurs fois écopé de remontrances et d'yeux noirs, mais rien ne semblait vouloir y faire : Howl avait changé, et ça datait du retour de Peter et des autres. Des premiers flocons. Au départ il n'y avait pas cru, de la neige à Neverland ça ne lui avait pas semblé possible. Puis il avait entendu les cris joyeux de certains gamins et leurs "Il neige !" un peu partout autour de lui. Alors il avait commencé à sourire tout le temps, à vouloir attraper les minuscules cristaux s'échappant du ciel juste pour sentir le froid au creux de ses paumes. Il avait aussi un peu moins regardé du côté de la montagne, car c'est comme si elle descendait enfin jusqu'à lui. En somme il est juste heureux. Reconnaissant à l'Enfant Roi de se sentir un peu gris comme les nuages tandis que les plus sages s'inquiètent, craignant quelque chose de pire, de plus dangereux. Pour l'île et pour eux. Howl au fond sait qu'ils ont raison, c'est aussi comme ça qu'avait commencé la Pluie n'est-ce pas ? Avec quelques gouttes insignifiantes qui apportaient à la terre séchée un peu de force pour continuer.

Alors, pour vivre son bonheur, Howl part seul dans la forêt après le repas du midi. Il a le pas léger et la joie dans les yeux, les sourires qui ne font que s'amplifier. Il manque de prudence bien sûr, il pourrait être attaqué par des Pirates, des Peaux Rouges, ou même une créature, mais c'est pas ça qui l'inquiète, parce qu'il n'y a rien pour gâcher ce moment. Même pas l'arcade, l'arcade par laquelle il passe. Il l'avait pas vue il avait le regard sur le ciel. Et puis de toute façon, il faisait pas attention. Mais le soleil il lui fait mal aux yeux quand il arrive de l'autre côté, il regarde autour de lui avec les paupières plissées, sauf qu'il sait pas dire où il est. C'est pas grave pourtant. Il est heureux. Alors il avance tout droit devant lui, même si le tunnel il l'aime pas avant même d'y être entré. D'abord il entend pas de bruit, c'est un peu angoissant, puis à mesure qu'il s'enfonce dans le chemin sans lumière il lui semble que quelqu'un chante. C'est doux, calme, triste, il prend une seconde pour s'arrêter, écouter, paupières abaissées. Il a le cœur qui bat, le cœur qui bat contre les os, un peu de peur peut-être, un peu de tendresse, il écoute sans bouger, sans un mot, il écoute et il trouve ça beau.

Pour ça, Howl avance à la recherche de la mélodie et ne fait pas demi tour, et il trouve quoi ? Un petit portrait de tristesse, un petit garçon en noir et blanc devant qui il s'accroupit, sans crainte et sans méfiance avec même un sourire tranquille posé sur les lèvres.

"Tu es perdu ?" Howl a la voix douce et rassurante et les yeux plein d'amour parce qu'il n'a aucune raison de ne pas aimer. Et il a même la main qui se tend vers le portrait mais sans le toucher, il veut pas faire peur après tout ou même l'abîmer. "Moi c'est Howl, et si tu veux bien je peux essayer de t'aider."

Il s'anime le petit portrait, le noir, le blanc, ça bouge et ça s'agite, et Howl l'observe se mettre en route, tout fait d'une voix mélodieuse, de mouvements légers et délicats, dénués d'hésitation. Les doigts le caressent, effleurent et apprennent sa peau, sa main sans qu'il ne s'en dégage, nullement gêné par ce contact si l'enfant en a besoin. Car Howl ne se méfie pas. Il n'a pas vu les canines briller dans l'ombre du tunnel ni senti la menace, le danger, même, qui émane du portrait. Pourquoi le ferait-il après tout, quand il ne voit en ce petit corps qu'un gamin égaré ? Il n'a aucune raison de craindre, alors il attrape puis serre doucement et tendrement les petits doigts entre les siens.

"Ta maman est ici ? Tu es sûr ?" Son regard s'égare lui aussi vers les profondeurs silencieuses. "Non je ne suis pas un monsieur. Je suis juste Howl." qu'il répond distraitement.

Il n'a pas vu les canines mais la tête qui tourne si. Il a perçu la rapidité du mouvement mais ça ne le met pas en garde. Il connaît juste pas Howl, il connaît pas les signes qui en disent long, et il s'imagine pas non plus la nature de l'enfant en noir et blanc. Puis sur l'île de toute façon elles sont nombreuses les choses qui n'ont pas de sens, souvent plus étranges que ce petit compagnon d'infortune dont il a suivi la chanson. Alors pourquoi s'en éloigner ? Pourquoi le laisser là quand il a besoin d'aide, au moins pour retrouver sa maman ? Howl, toujours plein de sourires, serre plus fort la main.

"Tu es venu là avec elle ? Pourquoi est-ce qu'elle t'as laissé ?" Il ne comprend pas. "Tu peux te lever tu crois ? Il faut la trouver."

D'une pression ferme contre le bras il l'oblige presque à se remettre debout, et s'il ne tient pas debout il le soutiendra sans peine. Parce que Howl est un peu grand pour son âge et il a la force dans ses bras fins, celle qu'il utilisait pour porter le sel, pousser les yaks tombés au sol, tenter, tenter de sauver.

Pauvre petit portrait... est-il malade ? Howl s'inquiète, s'interroge, se demande sans comprendre, se torture l'esprit, un peu, à l'entente de son nom plusieurs fois répété, aux paroles sans aucun sens qui franchissent les lèvres. Il ne comprend pas non, ni ce mot étrange ni les nuances, et penche la tête, répète. "Hashberry ?" Sa bouche écorche, les sons changent, raclent le fond de sa gorge. Ce n'est pas comme il faut et c'est souvent comme ça, et ça fait même éclore une grimace sur son visage, mais de toute façon le portrait s'arrête et Howl oublie ce tout petit tracas.

"Cancrelune ? C'est quelqu'un d'ici, dans le tunnel avec ta maman ?"

Howl ne sait pas. Howl essaye pourtant, mais l'enfant est si confus, comme un petit peu fou, un petit peu perdu. D'ailleurs Howl a du mal à croire que sa maman est là, dans ce grand tunnel sans aucun bruit à part leurs pas et leurs voix, et même si elle est vraiment là, il ignore pourquoi elle ne l'aide pas son enfant, pourquoi elle ne l'aime pas, puisqu'elle le laisse au mains d'un inconnu. Néanmoins, pas le temps d'y songer plus car le délire reprend et Howl, Howl se sent désemparé à nouveau durant un instant d'entendre le rire et le cri, le cri et le rire, de voir briller enfin les petites canines, et de sentir la main le tirer pourtant. L'entraîner plus loin. Howl s'arrête, c'est un peu brusque, un peu soudain, mais il s'inquiète oui. Pour lui, et puis aussi pour le petit portrait.

"Moi aussi j'adore manger." Son visage s'assombrit, rien qu'un peu, comme une ombre douce passant sur ses traits. "Je ne suis pas sûr qu'elle soit là ta maman bonhomme." Il s'accroupit une autre fois, tire doucement le petit vers lui pour poser brièvement la main sur son front, dérangeant par la suite les cheveux noirs qu'il ébouriffe. "Est-ce que tu te souviens comment tu es arrivé dans le tunnel ? Ta maman t'a amené ? Il faut me dire, je veux t'aider."

Il n'a toujours pas peur, ne craint pas le portrait et ne se méfie pas, d'ailleurs il passe les doigts sur sa joue et sourit encore. Mais il ne veut pas aller plus loin, plus loin dans l'ombre, s'enfoncer dans un milieu dont il ne connaît pas, où il ne verra rien. Où finalement, il ne pourra pas protéger comme il le fait tout le temps.

Le petit portrait a un prénom, Cancrelune, ça sonne doux, ça sonne bien, c'est joli et mignon et Howl trouve que ça lui va comme un gant. Puis maintenant qu'il a rattrapé le corps fin il le serre, il l'étreint, il glisse sa joue contre lui et la presse contre sa tête, et même qu'il le berce un peu ce petit bonhomme qui n'est pas tout chaud comme les autres. Alors Howl le frictionne un peu, écoute ce qu'il dit et mémorise.

Caveau, le mot lui saute aux yeux, il ne lui est pas inconnu. Alors il fouille dans sa tête, et oh ! Oui, il se souvient, mais pourquoi une maman attendrait-elle son enfant là bas ? Howl ne comprend toujours pas. Pourtant s'il faut il l'y mènera, après tout ça n'est pas dans ses habitudes de laisser tomber quelqu'un.

"D'accord Cancrelune." Ce n'est pas une promesse en l'air, le Protecteur fera tout pour la trouver ou au moins conduire l'enfant en lieu sûr.

"Je ne crois pas qu'on puisse y aller par les tunnels, mais je te promets qu'on va la trouver, elle te donnera du sucre." Il se lève. Le portrait est léger comme une illusion alors il n'a aucun mal à le soulever mais il le tient bien quand même pour pas le faire tomber.

"Il faut qu'on passe par dehors, ça ira ?" Il sait que certains enfants n'aiment pas vraiment le soleil, ça fait mal aux yeux et ça fait très chaud, mais y en a d'autres qui adorent ! Howl aimerait bien que Cancrelune soit comme ceux là et si ce n'est pas le cas, il le couvrira sans doute de ses propres habits. Après tout, le caveau il lui semble que ce n'est pas si loin ! Et puis même si ça l'est, avec ses grandes jambes ça va bien vite d'aller quelque part.

Howl ne savait pas que le portrait aurait mal mal mal comme ça, à vrai dire il ne savait même pas que le soleil pouvait faire ÇA, brûler et faire fumer la peau, créer des cloques et des plaies qui font crier et pleurer. Il savait pas non, il avait jamais vu ça et au début y a juste de la surprise puis juste une seconde plus tard la réaction, il attrape l'enfant même si c'est juste pour le tirer en arrière. Il sait pas quoi dire, il a le cœur qui bat fort fort dans sa poitrine, et la peur un peu au creux des os. "Ça va mon bonhomme, ça va, calme-toi..." Sa voix n'est plus comme avant, moins assurée très certainement. Et d'une main pleine de délicatesse il prend la sienne, souffle de toute sa douceur sur les blessures. Il n'est pas mère et encore moins soigneur, il sait pas trop comment ça marche tout ça, comment on soigne quelqu'un, sûrement qu'en oubliant, le mal s'en ira loin, nan ?

Alors le hurleur souffle, tente car on sait jamais. Il ne veut pas entendre plus encore les pleurs, il ne veut plus non plus voir la douleur, mais il sait pas comment l'effacer, c'est un peu compliqué. "Je savais pas que ça ferait ça Cancrelune.." Et c'est un peu une excuse. "Je voulais pas, je te jure... Je voulais pas que tu aies du mal." Depuis quand le soleil peut-il mordre les chairs ? Blesser volontairement comme il l'a fait là ? Howl s'interroge et se pose encore tout un tas de questions, mais vu son état le portrait ne pourra pas expliquer.

Il le tire une énième fois dans ses bras, il embrasse son visage, son front, ses joues, il chatouille du bout du nez et se perd en toutes petites chatouilles. Il veut juste protéger Howl, lui faire oublier. Et lorsque l'enfant se sera calmé, il l'écartera un peu pour pouvoir le regarder, lui parler. "Tu sais ce qu'on va faire ? Je vais mettre mon poncho sur toi", il l'a pris car il avait un peu plus froid, "et je vais te porter dans mes bras. Et je vais courir vite vite vite jusqu'au caveau, y aura ta maman avec le sucre là bas." Ça lui semble bien, si le petit le veut, ils feront ça.

Howl est nul, inutile, minable et s'en veut même très fort ! Il voit Cancrelune pleurer, il l'entend chouiner et crier, mais il sait pas du tout quoi faire pour aider, alors il donne des bisous et ça soigne pas, non ça soigne pas, mais ça calme un peu les larmes, les pleurs, peut-être même la douleur, sauf que ça dure pas assez, c'est comme si c'était tout de suite oublié. Et le Portrait pleure pleure pleure et Howl, Howl panique un peu, il a ses mains qui tremblent et de la détresse dans les yeux quand il regarde le petit visage, l'inquiétude qui cogne avec ses mots : un "Non" qui frappe sa poitrine, une explication écoutée, aussitôt oubliée. Pour finir avec une requête, que cette fois Howl garde dans sa tête. Car c'est important ! Le petit a faim.

Alors il pose sur sa tête une caresse du bout de la main et puis se relève, les yeux courant autour d'eux sur les murs bruns de chocolat, de sucre qu'il n'aime pas. Ça lui rappelle la Mère pour sûr, la Mère qui l'a rendu malade à son arrivée à le gaver – c'est le seul mot qui vient – de plats que le sucre rendait immangeables, et il comprend pas pourquoi les enfants en raffolent tant. Pourtant c'est la première chose qu'il lorgne, les murs, parce que mis à part eux il ne voit pas trop comment il pourrait combler le trou dans l'estomac du petit gars. S'il allait chercher quelque chose ailleurs ? Trop peur qu'à son retour Cancrelune ne soit plus là.

"Attend, on va se débrouiller pour que tu peux manger."

Il attrape donc le petit couteau qu'il a d'accroché à la taille. Et le geste est maladroit, pas naturel, lorsqu'il le plante comme il pleut dans l'une des paroies sur laquelle il s'acharne un moment, jusqu'à parvenir à en expulser LE bout qu'il voulait. Un peu petit, mais bon, quand il regarde le Portrait il se dit que lui aussi il est petit, du coup ça semble équilibré même si au fond de lui il espère que ça sera suffisant. Il sait pas trop combien il en faut pour que le petit soit réparé, et puis d'ailleurs il sait même pas comment ça marche et pas non plus comment ça peut faire ça, le chocolat ! Et il fronce les sourcils, un peu Howl, parce que le soleil qui brûle, le chocolat qui soigne, c'est bien étrange quand il y pense... Alors il pose la question.

"Est-ce que tu es vraiment un petit garçon ?"

Le visage du Protecteur se chiffonne légèrement alors qu'il observe le gamin manger avec trop d'enthousiasme le chocolat qu'il a donné. Et même qu'il a pas besoin d'attendre qu'il parle pour savoir qu'il en voudra d'autre, pas besoin car c'est évident, et il s'acharne déjà de nouveau sur le mur pour lui en découper un autre morceau. Après tout il peut bien faire ça tant qu'on ne lui demande pas d'en manger ! Même s'il se sent un peu contrarié de sentir qu'à force, ça poisse désagréablement contre ses mains.

Heureusement, Howl est un garçon joie alors il retrouve vite vite le sourire une fois la nourriture donnée au petit, après tout pas besoin d'en faire tout un plat.

"Oui bien sûr tu es un gentil garçon." qu'il finit par dire.

Mais il y a trop de choses étranges avec lui, et Howl il se sort pas de la tête que c'est peut-être pas très naturel. "Mais est-ce que tu es sûr d'être comme tout le monde ?" Il se remet à genou devant lui et avec ses doigts il efface le chocolat de ses joues. "Tu sais les autres enfants là où j'habite ils ont pas... ils ont pas une maman. Enfin pas comme la tienne, tu comprends ?"

Peut-être que c'est lui en fait qui a pas compris ? En tout cas pour sûr, les petites Mères de l'Arbre elles habitent pas dans un caveau, et pas non plus les Peaux-Rouge ! Alors le Portrait il peut pas être comme lui, pas vraiment au moins, mais Howl il voudrait l'entendre le dire, juste pour confirmer ses doutes.

"Tu peux me dire tu sais, je vais pas te manger." Il sourit et rit et ses yeux se plient un peu comme pour disparaître de son visage. "Et après tous les deux on va aller au caveau pour te rendre à elle !"

Content Howl, toujours, même avec les questions qu'il se pose.