Elle le sait, que tu n'aimes sans doute pas la conversation. Que tu voudrais qu'elle arrête de te titiller. Peut-être faudrait-il qu'elle s'arrête et respecte ça ? Mais à l'instant où cette pensée effleure sa conscience, une autre vision se superpose avec fracas : toi. Toi au bord du vide, toi ailleurs, toi tellement loin qu'elle n'avait plus aucun moyen de te rappeler à elle. Non, non elle ne peut pas te laisser risquer ça à nouveau. Pas sans essayer de désarmer ça, ce drôle de truc que tu trimballes.

C'est pour ça qu'elle est aussi soulagée, quand enfin tu lâches le morceau à contre coeur. Tu la sens peut-être se détendre un peu, ralentir son massage. C'est que ta révélation amène sa louche de sentiments qui s'accumulent. Le soulagement on l'a dit, parce que tu parles et d'une simple phrase en révèle beaucoup. De la tristesse, de ne découvrir cela que maintenant, de ce que tu dois avoir comme stress quand tu ne trouves personne. Et.. Et un petit truc qui tinte, qui lui dit que quelque chose ne tourne pas rond. Mais quoi ? Pour l'instant elle ne le sait pas, mais s'interrompt dans le massage pour t'enlacer un peu plus dans un câlin simple mais ô combien sincère.

- Hey. Tu peux venir ici autant de fois que tu le veux, tu le sais, hein ? Si tu ne trouves personne, ou juste par envie, tu peux.

Ne dors pas tout seul, Pretty, si c'est pour risquer ce genre de situation. S'il le faut, Her demandera d'avoir moins de rondes de nuits pour être plus là. Tant pis pour ses petits moments à elle, avec la Lune pour seule compagnie. Her a toujours préféré les tours de gardes nocturnes qui sont plus calmes et chargés d'une atmosphère si différente. Mais pour toi, oui, elle mettrait ça de côté. Parce que ta vie -oui, on parle de ça, là- ta vie est plus importante que ses petits plaisirs à elle. Te serrant un peu plus, Her dépose sur ta chevelure d'or un baiser avant de nicher sa tête un peu plus contre la tienne. Ting ! Ting ! Toujours ce petit tintement, ce sentiment qu'elle passe à côté d'un truc important.

- C'est bizarre, n'empêche, parce que justement t'étais pas tout seul, là.

DING. Le voilà, ce détail qui ne collait pas au reste. Oui, c'est vrai, là il n'était pas tout seul. Mais il y a toujours des exceptions, pas vrai ? Her avait laissé échapper cette pensé d'un air un peu lointain, sans trop réaliser qu'elle le verbalise vraiment. Et ce n'est qu'après l'avoir fait que la sentinelle se rend compte et de la portée de ses mots, et du fait de les avoir prononcé.

- J'ai pas envie de te perdre, Pretty. Qu'il se passe un truc quand je ne fais pas gaffe et qu'après, y ai plus rien à faire.

Cette simple idée, le Grand Arbre sans toi, c'est tout bonnement terrifiant. Ce n'est même pas imaginable, à vrai dire. Rien que d'y sioger, la brunette en a la chair de poule et se mordille la lèvre d'un air nerveux.

- Tu sais, t'es la personne la plus importante pour moi, ici. C'est pour ça que des fois comme ce soir, je dois te sembler chiante avec mes questions. Mais c'était vraiment vraiment flippant, de te voir comme ça.

Et c'est tout aussi terrifiant de se dire que tout ce temps, elle est passé à côté d'un truc aussi gros.

Il détestait cette sensation. Cette vulnérabilité, complète et totale, incontrôlée. Ce lâché prise. Il n'était jamais doué pour le lâché prise. Tout semblait spontané avec lui, pas parce que ça l'était effectivement, mais parce qu'il était tellement habitué à toute sorte de situation qu'il savait comment réagir en fonction. Alors qu'avec cet aveu, non seulement c'était désormais Her qui tenait les rênes, mais en plus il marchait en terrain inconnu.
Il ne s'était jamais confié à ce sujet, faisait toujours passer cette habitude pour l'une de ses nombreuses lubies excentriques. Il ne savait pas trop pourquoi -ce n'était pas comme s'il était en danger de mort en admettant la chose. Mais il y tenait, à le garder secret.

Il la sentit se détendre subrepticement, ralentir en conséquence le massage. À l'inverse, Pretty n'avait jamais senti ses muscles aussi tendus. Même sa mâchoire était serrée bien trop fort, comme pour l'empêcher de révéler d'autres détails à ce sujet.
Même le câlin qu'il reçut ensuite l'apaisa à peine, malgré toute la tendresse qu'il transmettait.

▬ Hey. Tu peux venir ici autant de fois que tu le veux, tu le sais, hein ? Si tu ne trouves personne, ou juste par envie, tu peux.
▬ Ouais... Ouais, je sais.

Le ton n'était pas insolent, seulement... Seulement las. Dénué des émotions qui lui font mal à la tête. C'était toujours plus facile de ne pas se poser des questions, d'accepter le fait établi et de s'y adapter simplement.
Bisou sur le crâne, et Pretty cligna des yeux. Son regard sembla s'éveiller un peu -pendant un instant. Puis il sombra de nouveau dans le vide.

▬ C'est bizarre, n'empêche, parce que justement t'étais pas tout seul, là.

Elle posait trop de questions.
Elle ne laissait pas sa tête se vider en faveur d'un silence confortable.
Il avait mal au crâne, maintenant.

▬ J'ai pas envie de te perdre, Pretty. Qu'il se passe un truc quand je ne fais pas gaffe et qu'après, y ai plus rien à faire.

Il fronça les sourcils, à la fois à cause des paroles de sa sœur de cœur et du malaise grandissant dans son esprit.
La simple idée de mourir à cause de ce truc (parce que, non, il ne savait toujours pas comment l'appeler) lui paraissait absurde. Il ne cherchait pas à mourir -n'en avait pas du tout envie. C'était plutôt... Tout le contraire, en fait ? Se Sauver ? Non, ce n'était pas encore ça. Pas exactement.
Bon sang que sa tête était douloureuse.

▬ Tu sais, t'es la personne la plus importante pour moi, ici. C'est pour ça que des fois comme ce soir, je dois te sembler chiante avec mes questions. Mais c'était vraiment vraiment flippant, de te voir comme ça.

À ces paroles, cette fois, La Fausseté sortit de sa torpeur silencieuse et remua un peu sur place, sans savoir s'il cherchait par là à s'enfuir ou bien à se coller encore plus à Her. Il ne chercha quoi qu'il en fut pas à le regarder -baissa même la tête pour être sûr qu'elle n'aperçoive pas son expression torturée, et posa ses mains sur les siennes.
En fait, il aurait été plus juste de dire qu'il s'y agrippait.

▬ Je t'aime aussi, Her.

C'était bien, parce qu'il pouvait le lui dire, à Her, et qu'il le pensait sincèrement, et qu'il savait que ce ne serait pas mal interprété.
Il inspira un bon coup puis releva cette fois le visage, observant un sourire prudent -vulnérable- tandis que ses yeux bleus rencontraient ceux, presque noirs dans la nuit, de la Sentinelle.

▬ Ne t'inquiète pas. Je vais bien.

Son sourire devint taquin. Le masque revenait. Pour cette fois, en sa présence à elle, c'était plus facile ainsi.

▬ Même si c'est vrai que t'es chiante. Mais je te pardonne si tu me fais plein de bisous et que tu me laisses en paix pour ce soir.

Son regard s'esquiva un instant avant de revenir à Her.

▬ On dort ?

Il y avait presque de l'espoir dans sa voix.

Her pince un peu les lèvres à ta réponse, et soupire un peu. Tu as l'air si usé, Pretty. Mais que peut-elle faire ? Pas grand chose, lui semble-t-il. Tristesse. La Fille remarque bien que tu n'es pas dans ton assiette, et plus distant en même temps que dans ses bras. Un moment, la sentinelle se demande si elle a bien fait de te pousser dans tes retranchements. Après tout, ça lui semble soudain hypocrite. N'avait-elle pas dit qu'elle ne forçait pas les portes et attendrait que tu parles ? Oui mais là c'est différent, il était sur la rambarde, tout de même ! Différent, vraiment ?

Mécontente d'elle même et de son dilemme, la Fille soupire et détourne un peu les yeux de toi comme si la chambrée endormie pouvait lui apporter les réponses qui lui manquent tant. Mais non, rien. Surprise, hein ?

Un fin sourire, tout de même, quand tu lui dis que tu l'aimes. Qu'elle serre tes mains aussi, en retour. Elle est là, Pretty. Petit frère. Elle est là. Ton sourire vulnérable lui fend le cœur en même temps que sa sincérité la fait fondre. Et la note mutine lui en arrache un, de sourire. Tu ne changeras pas, hein ? Et pour le coup, elle ne s'imagine pas que c'est un masque, non. Juste que tu es un petit gars incroyablement fort qui rebondit incroyablement vite. Avec un soupire de fatigue, Her hoche doucement de la tête et se cale un peu mieux dans le lit sans te lâcher pour autant. Jamais.

- D'accord. On dort. Bonne nuit mon petit prince.

Un câlin de plus, un baiser tendre puis deux puis trois qui fleurissent au pif sur ta tête, ta joue, ce qu'elle peut atteindre dans le noir.

Mais quand même. Faudra surveiller cette affaire.