Ça ne semblait pas plaire à la Garçonne, mais elle se salit tout de même la robe. Le pirate s’attarda une nouvelle fois sur les hauteurs, essayant de déterminer s’ils allaient finir écrasés sous les roches et la terre lourde. À première vue, ça lui semblait encore assez solide. Le temps de la traversée au moins. Avaient-ils le choix ? Sans doute que non.

Le matelot mit genoux à terre, à boue, il n’aimait pas comment semblait se présenter le « plafond » du tunnel. Et l’obscurité qui promettait d’être courte, n’aida tout de même pas à être rassuré.

Alors qu’il rejoignait Pretty, celle-ci se remit à parler. Et ses paroles pouvaient soit être prises comme une tentative de mener les Hommes dans les profondeurs du doute menant aux péchés, soit comme une simple question. Étant donné les circonstances, Allan choisit la simple question. Juste pour ne pas devoir faire un bûcher dans ces conditions, ce serait atrocement compliqué.

- Tout pirate sait qu’il est au service du capitaine lorsqu’il s’engage. Mais c’est une nécessité, je doute que nous serions très avancés si chacun faisait comme bon lui semblerait. On retrouve de tout dans un équipage, il faut absolument une entité supérieure pour éviter que l’anarchie nous tue tous.

Finalement, l’Inquisiteur se redressa pour observer le bois. Il cherchait quelque chose qui aurait pu tenir du bois au sec, et donc pouvoir mettre la main sur un combustible.

- Hook ne nous a rien volé, nous savions tous pertinemment ce qu’était précisément la vie de pirate. Je sais que je ne l’avais pas choisi parce qu’on m’avait promis mille merveilles, je me souviens que c’était une nécessité. Et puis, nous ne sommes pas des objets. On a droit à des parts des trésors.

Allan entreprit de s’éloigner dans les sous-bois.

- Il va nous falloir de quoi faire une flamme, juste pour voir où on s’enfonce, je n’ai pas vraiment confiance en ce trou.

Sur ces mots, l’Inquisiteur prit une boite en métal dans une de ses poches. Il contrôla ce qui se logeait à l’intérieur et se dirigea vers des buissons qui semblaient assez denses pour épargner du bois sec. Celui qui fut peut-être tombé lors de la sécheresse.

Les questions de Pretty avaient l’air de chercher la petite bête, mais cela concordait avec le fait qu’elle ne connaissait pas le monde des pirates en dehors de ce monde absurde. Allan se souvenait plus ou moins bien de la condition sur la mer, il ne pouvait plus dire ce qu’il avait vécu, mais les bases il se les remémorait. Sans pouvoir y mettre des images.

Alors qu’il s’apprêtait à rétorquer, la Garçonne semblait avoir trouvé un peu de matériel sec. Pour ne pas s’éterniser, il ne se posa pas mille questions et alla tendre la main vers le bois bienvenu.

Il avait récupéré quelques brindilles et un morceau un peu plus épais, il ne pourrait pas faire une vraie torche, mais il pourrait en faire une qui tiendrait le temps d’éclairer la zone assombrie du tunnel. Passage qui ne devrait pas durer très longtemps. Se redressant, il prit soin de protéger les combustibles sous son manteau.

Automatiquement, il repartit au chemin couvert et sombre pour se poser à l’abris et mettre en place le bois. L’Inquisiteur sortit un peu d’amadou de sa boîte en métal et le posa sur le bois plus épais avec quelques brindilles. Il dû aplatir un peu le bâton plus conséquent avec la lame du sabre, mais le tour allait être joué.

- La différence, c’est que je suis venu avec Hook par nécessité, mais c’était juste parce que je devais fuir. Une fois ailleurs, j’aurais très bien pu m’en aller lors qu’une vie ailleurs m’aurait plu. Vous autres, êtes enchaînés à cet endroit. Vous êtes coupés de tout, vous délaissez ceux qui vous aiment pour suivre un rêve. Et vous ne pourrez jamais reprendre contacte. Vous avez choisi de perdre la mémoire, nous autres pirates ne l’avons pas choisi.

Il n’y a sans doute plus aucun moyen de revenir.

- J’ai toujours pensé qu’il pouvait peut-être simplement s’agir d’un Enfer pour nous punir. Un Enfer bien cruel, j’ai dû me résoudre à vous voir pour des démons plutôt que des humains. Car jamais je ne fais de mal à des enfants. Le seul moyen de s’échapper de cette guerre serait la mort, en prenant garde à être purifié.

Allan aimerait bien retrouver sa mémoire, comprendre ses propres raisonnements. Mais d’un autre côté, ce serait sans doute une bien mauvaise idée. S’il se rendait compte de ce qu’il avait réellement fait, et de ce qui s’était passé auparavant, l’esprit peut-être ne le supporterait pas.

Frottant un bâton plus fin sur le plus épais, entouré de brindilles et sur l’amadou, la cendre se créa. Le feu commença à prendre, l’Inquisiteur prit grand soin de profiter des flammes de chaque morceau pour nourrir ce semblant de torche.

- Bien, allons-y. Avant que le feu ne dévore trop le bois.

Un dernier contrôle de l’état des lieux, c’était bas, mais pas trop étroit. La progression ne devrait pas être trop compliquée. Des aboiements se firent entendre au bout, la chimère peut-être.

Un soupir, ça ne plaisait pas vraiment au matelot. Ça le démangeait dans la cicatrice de sa main gauche en plus. Il commença à marcher « à trois pattes », il fallait bien tenir la sorte de torche de fortune.

Le pirate était motivé, motivé de disparaître de ce piège naturel ou voulu de la main des démons. Il voulait bien croire un peu Pretty, il avait même baissé sa garde. Pas totalement, certes. Ni même avec une réelle intention. En fait, c'était plutôt quelque chose au fond de lui. Le matelot avait toujours eu une partie de lui qui voulait accorder aux enfants plus de pureté. Que les gamins n'étaient pas si maudit que ça. Cependant, l'autre part, corrompue par l'Oubli, était plus forte. La peur, trouver les boucs-émissaires étaient plus faciles à atteindre que le courage. Que la raison même. On est bien plus attiré par une solution, une réponse toute faite que par la vérité bien enfuie. Qui donc creusait sous les tonnes de cadavres pour avoir le fin mot ? La plupart avait toujours bu les paroles de l'indice unique reposant sur les morts. Pas besoin de se salir les mains.

Allan entendait les paroles de Pretty, il cessa même d'avancer pour scruter le visage de la jeune fille. Comme s'il cherchait à sonder son âme, comme s'il se demandait d'où venaient de tels mots. Un démon. Possible, encore un peu corrompu. Mais la voie de la rédemption se trouvait parfois par les questionnements. Il valait mieux demander, gratter sous les tas de cadavres, plutôt que de prendre les affirmation d'un diable vert, bleu en ces jours.

- Personne ne savaient ce qui nous attendait ici. Nous partions à l'aventure, aux richesses, sans se demander si un jour on reviendrait.

Quelque chose dérangea l'âme de l'homme, "revenir". Quelque chose lui soufflait que de toute manière, revenir ne lui servirait jamais à rien. Il n'avait pas où s'en retourner. Qu'il remercie l'Oubli, cette faculté de l'île lui avait aspiré de bien horribles visions d'horreurs. Des visions qui lui crieraient de cesser immédiatement TOUT ce qu'il croyait faire juste.

Il se remit en marche, prenant garde à ne pas éteindre la seule lumière qui nourrissait leurs visions. Il entendait la Chimère, mais il n'en était ni soulagé ni apeuré.

- Pretty, rien n'est pire que l'Enfer. Je pense même que ce lieu ne peut être que la partie émergée de l'iceberg.

Bientôt la lueur bleuté du jour nuageux, pleurant, refroidit le halo chaud des flammes de la torche. L'Inquisiteur en ressentait déjà la chaleur se rapprocher dangereusement de sa main. Il avait déjà dû faire attention aux cendres produites par la combustion.

- N'avoir rien à perdre n'est pas une excuse pour dire que l'Enfer c'était "avant".

Il se releva, une fois sortit du tunnel. Ses genoux craquèrent suite à ce mouvement, Allan pensa qu'il se faisait vieux. Et qu'il devait sans doute porter bien plus d'années sur ses épaules que ce que son âge indiquait.

D'un oeil observateur, le pirate regardait la Chimère qui avait refait surface, sans trop savoir s'il devrait se méfier ou non. Il jeta simplement la torche au sol, la flaque qui l'accueilli se chargea du reste.

- La sortie, il semblerait.

Pas une grande trace d'enthousiasme, mais l'Inquisiteur avait toujours ce même air. Il aurait fallu le connaître bien avant pour découvrir sa partie bien plus vivante. Plus souriant. Lui-même ne pourrait jamais se reconnaître ainsi.

L’Inquisiteur ne chercha pas à poursuivre le débat, enfin, la discussion, l’échange. Aucun regard attendri face à la chimère qui semblait si joyeuse, les yeux sombres soulignés des cernes du passé et de l’infini présent scrutaient les alentours. La torche abandonnée au sol, doucement, Allan avait laissé entendre l’acier sortir de son fourreau.

La Garçonne semblait du même avis que lui, c’était bien trop simple pour la Sylve, bien trop simple pour l’Île entière.

L’étrange chien cessa ses sautillements, puis couru à toute vitesse vers les sous bois de l’épaisse forêt qui se dressait devant les deux âmes qui venaient de retrouver la liberté. Le comportement de la créature, en générale, elle semblait terriblement joueuse. Le pirate avait imaginé qu’il s’agissait d’un jeune, une sorte de chiot. Et pourtant, celui-ci avait comme totalement oublié ses jeux pour courir dans une direction qui ne semblait pas accueillante. Cette attitude, cette course soudaine, Allan avait l’impression de la comprendre. Et, il n’aimait pas ça.

- On dirait… qu’il a trouvé quelqu’un d’important… Comme un gamin qui…

Il ne quittait pas ce sous bois des yeux pendant qu’il avait prononcé ces mots avec une légère hésitation. Des bruits de craquement de plus en plus puissants semblaient s’approcher des visiteurs de la sylve.

Le matelot était sûr de ce qu’il avait imaginé, l’animal avait été comme un gamin qui courait vers ses parents. Son père ou sa mère, ou les deux.

Par réflex, il tira Pretty légèrement par l’épaule. Pour commencer à reculer et partir, longeant les déchets de boue, de bois et de roches. Il n’était pas sûr de ce qui allait arriver, un monstre immense ou particulièrement dangereux, il ne préférait pas perdre de temps à méditer sur la question. Allan n’avait pas confiance en l’Enfer.

Une sorte de grand chien, de la taille imposante de deux mètres apparu en détruisant les sous bois sur son passage. La pluie grésillait sur les braises qui constituait son dos. Les grognements n’avaient rien de rassurant. Rien pour que le pirate daigne lâcher son arme, il n’était même pas sûr de vouloir risque de combattre cet animal. Il valait sans doute mieux courir, fuir, personne n’était au-dessus de tout.

- Un parent, très protecteur qui plus est.

L’Inquisiteur observa le possible passage par où s’enfuir, simplement longer le terrain accidenté afin de retrouver leur chemin. Il faudrait doucement disparaître, se faire oublier, ne pas provoquer. La mauvaise humeur se faisait sentir.

- On doit déguerpir de là, doucement…

Il chuchotait, le sabre baissé, il essayait de ne pas provoquer plus la créature qui ne semblait pas de bon poil du tout.

- On suit juste l’éboulement, tu ne vois pas d’obstacle qui pourrait déjà nous déranger ? On doit disparaître de sa vue.

Se faire oublier, si possible.

Impossible à Allan de détourner le regard des démons présents, il n’aimait pas ce bruit de braises crépitantes. Il ne les adorait que lors que les cris faussement suppliants et souffrants des damnés les accompagnaient dans les bûchers purificateurs. Il ne les aimait que lorsqu’elles étaient nées de son contrôle, des normes de traditions anciennes. Des normes qui n’appartenaient même plus forcément à son époque, ni à sa petite ville d’origine. Mais le temps lui avait fait perdre ses repères. Mélangeant ce qui lui était arrivé, mélangeant ce que la folie d’une psychose civile avait engendré.

Oubliant le bon, ne retenant que ce qui avait déchirer son âme.

Ce qui lui avait fait vomir ses entrailles.

Mais ces braises-là, à leurs pieds, étaient comme les flammes de l’enfer.

Il nota les informations de Pretty, la boue ne devait pas les gêner pour fuir. Mais, il pourrait aussi lancer la gamine dans la gueule de l’animal, non ? Pourquoi ne pas faire disparaître un damné en plus ? En réalité, il n’y avait pas pensé. Peut-être était-ce la forêt, l’ambiance, la pluie, qui renforçait les idées de l’inconscient. Des flashs, des souvenirs vieux de trois siècles peut-être. Sur la côte Est du Nouveau-Monde. Lorsque ce parcours parmi les arbres sombres servait à sauver des âmes de l’Enfer d’un Sabbat. Mais, les ombres du passé n’avaient dessiné que des silhouettes pendues aux branches, des corps trop petits et frêles pour être adulte. Un autel blasphématoire ayant déjà accompli son méfait. À jamais, il faudra prier pour ces pauvres âmes infantes damnées alors qu’elles étaient innocentes.

C’était le fantôme de cette course qui disait qu’aucun homme ne tuera en nourrissant une bête du Démon.

C’était ce fantôme qui reflétait un passé lointain qui poussait l’Inquisiteur à sauver leurs âmes.

Il fallait donc se méfier du sol. Boueux, il était glissant, en plus de peut-être même être un piège. Le pirate rangea son sabre. Il fallait courir, faire cette course qui faisait presque écho à la première. Mais cette fois, sans faillir. Cette fois ne pas laisser le Diable se régaler.

Allan s’agaçait lui-même, les deux parties hurlaient des contraires. Tandis que la bête grognait et s’avançait. Le Matelot commença à reculer doucement, prenant garde à ne pas écraser la Garçonne qui s’accrochait à sa manche. Ce geste-ci acheva de tordre l’Inquisiteur au plus profond, comme s’il pouvait revenir sur quelque chose d’avant. Remonter à une erreur du passé et la corriger. Savoir faire le bon choix avant que les ennemis ne gagnent. Quelque chose susurrait d’ailleurs qu’ils avaient été aussi sympathique que la chimère qui à ce moment précis les avait menés à une possible mort brûlante.

Sans trop pouvoir se l’expliquer, Allan avait mal à la cicatrice que portait sa main gauche. Le corps semblait plus conscient que l’esprit.

L’épée ne servirait à rien, le pistolet ne ferait que rendre l’animal plus dangereux encore. Et Dieu seul savait si ça aurait un quelconque effet.

- On a pas le choix, il va falloir courir le plus vite possible, et surtout longtemps sans succomber à la boue.

La voix était pourtant calme, il continuait à reculer doucement. Mais un mouvement rapide, menaçant de la Chimère le força à se retourner. Ils ne pouvaient pas perdre une seconde d’hésitation.

Brusquement, Lorden attrapa le poignet de Pretty en se lançant dans une course au travers des bois. Il prenait soin, comme l’empressement le lui permettait, de ne pas tomber dans les pièges boueux. Il espérait que les troncs et branchages épais allaient aider à freiner la Chimère.

Il fallait encore espérer que la Fausseté puisse suivre son rythme. L’endurance née de la vie de matelot durant un grand nombre d’années n’était plus à douter, il savait parfaitement qu’il serait capable de tenir la distance malgré la boue, malgré les arbres. C’était plutôt l’agilité et la vitesse de la bête qui l’inquiétait.

Il brûlerait encore plus cette forêt maudite, le jour où la pluie ne se fera plus aussi présente. En attendant, les bûchers devraient le contenter.

La course était épuisante, difficile et étouffante. Inconscient, l’esprit avait assimiler toute forme de fuite à une peur enfuie. Quelque chose d’écœurant, quelque chose contre quoi on ne pouvait pas lutter. Même en clamant une innocence réelle.

Ici, tout n’était que le fruit des Enfers. Tous n’étaient que des pactisants du Diable. Parce qu’il était plus facile d’apprécier les promesses d’or de Lucifer que la voie Juste aux couleurs ternes mais bienveillantes. L’Homme était ainsi, il choisira toujours le plus simple. Toujours ce qui, en apparence, lui ferait moins mal. Toujours ce qui lui rapporterait le plus, sans voir ce qui serait perdu à jamais en contrepartie.

La chute ne le fit pas paniquer, uniquement parce que la source semblait volontaire et venait de Pretty. Il n’était pas question de l’attaque de la Chimère, cependant, le son de l’air déchirée parvint aux oreilles du pirate. Heureusement qu’ils l’avaient évité…

Atterrissage rude, sans doute comme la Chute des déchus.

La tête du matelot tournait, il dû soupirer, reprendre son souffle aussi. Il sentit la Fausseté le tirer, c’était vrai, ils n’en avaient de loin pas encore fini avec le monstre infernal. Reprenant comme il pouvait ses esprits, l’Inquisiteur se releva péniblement.

Il pouvait deviner la créature rager parmi les troncs plus haut, il pouvait l’entendre martyriser ces derniers pour passer. Avec un peu de chance, les humains ne se changeraient pas en vulgaires morceaux de viande. Quelques pas un peu hasardeux, improvisant un équilibre qu’il fallait retrouver. Il ressentit une douleur dans la jambe droite, ça ne semblait heureusement pas cassé, mais il devrait espérer que la Chimère abandonne à un moment donné.

Serrant les dents, il reprit la course. Boiteuse mais déterminée.

Il entreprit le parcours parmi les troncs, parmi les restes d’une partie de la forêt calcinée. Allan se souvenait de cet endroit désolé, il y avait dressé un immense bûcher. La canicule l’avait grandement aidé, ce jour où il avait laissé une Bible précieuse à une gamine.

Il se demandait encore pourquoi il avait fait ça, la réponse était pourtant simple, il s’était étonné de ne pas voir les mains de l’enfant brûler au contacte des pages sacrées.

La course poursuivait.

Le pirate regardait derrière eux, il avait peu à peu l’impression que la bête avait laissé tomber. Peut-être que son instinct parental lui dictait de ne pas s’éloigner trop longtemps de sa chair.

Peu à peu, il ralentissait. Jusqu’à s’arrêter, observant en arrière. À nouveau il était abrité par des arbres, mais il avait une vue dégagée sur l’immense brûlure de la Sylve.

- Je… je crois qu’on en a fini.

Il reprenait doucement son souffle et prit place sur une bûche gisant au sol, pour soulager sa jambe. Mais ses yeux sombres scrutaient encore l’orée, inquiets de revoir la silhouette du monstre.

- Pour le moment…

Il planta son sabre dans la terre inondée.

- Tu as eu un bon réflex, gamine.

Une sorte de remerciement.

L’Île demeurait toujours aussi dangereuse, mais de diverses manières. Soit le temps préparait des pièges, soit les créatures faisaient gronder leurs crocs, soit les guerres entre les clans faisaient rage. Les clans, les démons contre les démons, ou les démons contre les humains. Contre même les repentis.

Allan voyait toujours ce fossé entre les démons et les pauvres Hommes cherchant à s’en sortir, à partir. Un jour, ils pourront enfin prendre le large. Un jour. Mais peu à peu, l’Inquisiteur avait eu un autre sentiment… celui de l’angoisse. L’appréhension de voir ce qui les attendrait dans le Monde Ordinaire. Le temps devait avoir passé bien des années… Il avait vu des objets dont il ne savait même pas les noms, ces objets ramenés par la marée. Il avait aussi entendu les mots, les paroles, et vu les attitudes d’enfants perdus qui semblaient tant éloignés des siens. Il l’avait constaté même auprès de ses collègues repentis.

Le temps passait son chemin sur terre, mais pas ici.

Les voilà condamnés à jamais. Jamais ils ne retrouveront les leurs, jamais ils ne pourront se reposer. Les voilà condamnés, en Enfer.

Même ceux venus de leur propre gré, ils ont pactisé avec le démon de ces lieux.

Peut-être cette course donnait encore plus le vertige à Allan, peut-être que ces vagues souvenirs et impressions le rendaient encore plus inquiet. Qu’avait-il laissé là-bas ? Dans le passé lointain du monde ordinaire ?

Il avait quand même un peu souri à la réflexion de Pretty. Il avait tenté de se concentré sur le présent, juste le présent. Les iris noires se posèrent sur le sabre planté, les mains prirent le manche de l’objet et rangèrent la lame qui avait tant servi auparavant. Mais qui n’avait jamais massacré d’enfant. Sauf ici, mais il s’agissait de monstres… pas d’enfants…

L’envie de croire que le Mal n’était pas partout le prenait, juste pour respirer, juste pour ne pas vérifier encore et encore derrière lui.
L’Inquisiteur se releva, doucement, un peu péniblement. Faisant craquer ses vieux genoux. Quel âge pouvait-il bien avoir ? En existence, pas en apparence. Il espérait qu’il ne s’agisse pas de millénaire…
Ses quelques pas le portèrent jusqu’à la Fausseté, et son bras porta sa main gauche à la tête de la Garçonne pour lui ébouriffer légèrement les cheveux.

- Une gamine dans le camp des démons alors, tu es peut-être plus proche des repentis que je ne le pensais.

Un soupir ponctua sa phrase, il vérifia derrière lui. Histoire d’être sûr de ne pas voir les monstruosités revenir, inconsciemment il se tenait prêt à devoir à nouveau sortir son arme. Allan n’aimait vraiment pas les forêts, du moins, il venait de s’en souvenir.

- Il va nous falloir retrouver nos rangs, et surtout sortir pour de bon de là.

Parfois, l'Inquisiteur ne se comprenait même plus. Il ne comprenait pas pourquoi il pouvait voir, ou bien, il voulait voir en certains cette lueur de repenti.

Un genre d'instinct le poussait à s'attacher un peu aux enfants qu'il rencontrait, s'il y avait un dialogue et rien de trop détestable venant d'eux. C'était probablement pour cela qu'il s'empressait généralement à les traiter de monstres et de les condamner au bûcher. Les démons étaient doués pour attendrir après tout. Il en avait toujours été ainsi.

Le passé cachait peut-être bien les réponses à ces attitudes, à ce qui, au fond du Pirate, était simplement bienveillant. Alors, il fallait excuser les atrocités commises au nom du Bien. Car Allan, ne ferait jamais de mal à des enfants ou des femmes. Cependant, ici, il n'était pas question de simples humains, il fallait trier, exorciser les monstres. Sauver les repentis.

Toujours l'esprit cherchait à se justifier.

Toujours.

Le matelot leva les yeux vers ce qui serait peut-être leur Salut, la sortie de cette partie de l'enfer. Prettx disait pouvoir les sortir de là à cet endroit. Soit, l'adulte acquiesça.

Puis vint la fameuse promesse à faire. C'était correct, il ne fallait pas prendre de risque inutile. Rien n'était tout à fait sûr sur cette foutue île.

- Je le promets.

Il ne comptait pas trahir maintenant, il comptait juste s'en retourner au Port. Se reposer peut-être, avant de porter la main à la pâte au travail de ses collègues de galère.

- Je vais faire ce que tu me demandes si tu as besoin de mon aide. Tout ce qui importe, c'est de s'en aller.

Les priorités, il fallait toujours y prendre garde. Et comme Pretty semblait sûre d'elle, autant la suivre.