Les fleurs l'avaient mené dans les alentours du Grand Arbre, puis l'envie de chercher la Fée Verte se fit sentir, la marche se poursuivit alors jusqu'aux abords de la rivière mystérieuse. Pas de fées, elles devaient peut-être toutes se cacher pour le moment. Elles jouaient peut-être à cache-cache. Peu importait, c'en était ennuyant  de ne pas trouver la Fée Verte. Elle résonnait un peu comme une berceuse calmante, un berceuse réconfortante qui cachait des douleurs. Physiques et psychiques. Du moins, c'était ce que le Chef des Raccommodeurs avait en tête, ce vague souvenir qui lui restait du monde ordinaire. Juste des impressions, de vieux sentiments. Mais impossible de les lier.

La douce Fée Verte se cachait, comme toujours.

Des racines, le bruit de l'eau. Les arbres cachaient un peu le rivage de la rivière à quelques mètres. Des plantes, quelques fleurs, mais Pit n'en cueillit aucune.

Le bruits des oiseaux, le bruits des cartes que le Chef Raccommodeur s'amusait à faire défiler entre ses mains tandis que son regard d'émeraude fixait le vert et le brun du sol.

Nuances de bruns, nuances de verts. Un peu de jaune orangé peut-être ? La canicule avait pu asséché quelques plantes.

Du rouge, humide.

Pit s'arrêta net, mais ses mains poursuivaient leur jeu avec les cartes.
Les prunelles se perdirent sur les cadavres, des Garçons Perdus. Restait à savoir à quel Chef ils appartenaient, aucune idée, le Joker ne les avait jamais vu ou n'avait pas daigné retenir leurs têtes. Et puis l'un des trois était face au sol.

Les cartes arrêtèrent leur bruit incessant. Pit porta sa main rapidement à sa bouche, comme pour retenir une envie de régurgiter. Mais... il tremblait, il perdit prise sur sa mâchoire pour finalement lâcher ses cartes.

Le Joker se tenait les côtes, il éclatait de rire. Il tentait par moment de se reprendre, sans grand succès.

Les cartes se perdirent sur la peinture rubis, les genoux du Chef des Raccommodeurs suivirent.
Le Garçon Perdu se trouva presque à la hauteur basse des morts, il se calma, bien que des gloussements nerveux subsistaient encore.

Large sourire.

- Vous avez perdu un jeu on dirait. Mais vos morts ainsi ne nourrissent pas mes jeux... juste un éternel recommencement aussi vide qu'une foutue fosse.

Agacé d'un côté, il devait faire quelque chose pour corriger cet événement trop "habituel". Ce n'était pas inclut dans les règles, il suffisait de donner un sorte de raison à la mort de ces pions encore inutilisés jusqu'à leurs os.

Pit tourna le premier mort sur le ventre, il n'avait pas envie de voir de visage sur le pion. Puis... en exécutant ce geste, il observa sa main sur le dos du cadavre. Un rire. Il avait trouvé. Une pièce rare et unique. La Fée Verte attendra. Il déchira l'habit que portait le malheureux, Pit devait découvrir la peau dorsale, et il fut ravi de n'y voir que quelques hématomes négligeables.
Le Joker fouilla dans ses poches afin de trouver un petit couteau, un sourire satisfait se montra sur son visage lorsqu'il trouva l'objet et commença à récupérer ce pour quoi le pion servait.

- Tu seras plus utile dans ma manche de poker comme ça, tu m'offre un cuir rare et qui doit être amusant à travailler et à porter.

Un léger rire.
Il se souciera ensuite de l'avis d'autres, mais pour le moment, peu importait. Ses iris glissèrent sur les pieds du macchabée, sans véritable raison, mais il remarqua l'absence de... pieds sur les autres morts. Le Joker eut un rire surpris, et observa que le corps sur lequel il se penchait avait encore ses pieds. Les deux autres n'avaient pas pu les garder apparemment.

La peau se détachait un peu de la chair, l'esprit partagé entre ce qu'il faisait et l'étrange absence de pieds.

Pit affichait un large sourire, à l'opposé de la sincérité. Cela relevait plus de la surprise que de la vraie joie, il n'éprouvait en rien cette émotion. L'homme qui était apparu était sans aucun doute un pirate. Pirate. Ceux qui chassent les enfants perdus et tout ce qui pourrait se mettre en travers de leur chemin. Les piques sans doute. Rien a voir à l'air doux qu'affichait la reine des cartes de cœur.

Puis l'esprit dirigea l'attention du Chef des Raccommodeurs sur les autres morts. Les pieds. Et c'était ce que réclamait le pirate en face de lui.
Les connexions étaient faciles à faire, les liens étaient faciles, pas besoin de savoir si l'autre mentait ou pas. Pas besoin de chercher des quelconques failles. L'important, c'était sans aucun doute ne pas se faire tuer pour des pieds. Quelle fin de partie presque déprimante selon les jeux du Joker.

- ... une putain de fosse...

Des mots échappés, ils n'avaient rien à voir, mais ils représentaient un peu la sensation négative dans les ressentis du Garçon Perdu. La phrase suivante s'adressait enfin au danger du moment.

- J'en veux pas des pieds, je pourrais rien en faire comme vêtement. Je comptais juste prendre le cuir du dos. Je sais pas encore quoi en faire, mais je verrai bien.

Il était resté à terre, un grand sourire toujours de sortie. Mais sa voix n'avait en rien de la moquerie ou de l'amusement. Un peu d'anxiété plutôt. Il fallait surtout dire que la machette n'avait en rien un air rassurant et doux, pas plus que celui qui la tenait. Et puis... des pieds pendaient à son cou.

Pit fronça les sourcils à cette vue, un bijou étrange mais dans la logique du jeu des pirates. Des trophées peut-être ?

C'était donc pour cela que les enfants allongés au sol avaient péris. Il y avait une forme de continuité de la partie, cela raisonnait bien dans l'esprit du Raccommodeur en chef.

- Je vois, tu veux t'en faire des accessoires. Je te rassure direct, je comptais pas suivre ta mode.

Un léger rire, dissonant.

- Dude, je prends le dos, tu prends les pieds. Chacun son tissu.

Il se leva, lentement, il recula vers l'autre cadavre en restant sur ses gardes. Il n'était pas confronté régulièrement aux adultes. Mais il ressentait une forme de méfiance, légitime sur cette île. Il porta sa main à sa tressette, l'enroula autour de l'index puis la laissa se dérouler. Le sourire était là, tout comme des gloussements qui faillir devenir un fou rire avant que le Joker réussisse à se reprendre. Il ne voulait pas vraiment partir en crise de rires devant un être pouvant mettre fin à ses jeux.

Le pirate semblait, semblait, ne pas l'attaquer. Il fallait rester sur ses gardes, les adultes restaient des dangers, bien que les grandissements qui en avaient créés certains étaient des plus amusants et divertissants, du moins... c'était ce qui avait trotté dans la tête du Chef des Raccommodeurs.

Puis la question. Qu'allait-il faire avec ces peaux ? Et cette histoire de retenir ses rires ?

Pit déchira le vêtement du cadavre, afin d'avoir accès au dos. Comme pour le précédent. Faudra d'ailleurs demander au Pirate s'il pouvait avoir l'autre Garçon Perdu pour la matière dorsale.

Il entama à nouveau l'opération, gardant un œil sur l'interlocuteur aux airs menaçants. Il retint un rire, loin d'être moqueur, mais simple sorte de "tic".
Il descendait des omoplates jusqu'au bassin, puis il releva les yeux sur l'adulte.

- Je pense... peut-être...

Le Joker eut un léger rire, coupa le bas du dos.

- ... suivant la quantité, pouvoir faire un vêtement. Une veste, un manteau. Ou bien, une simple écharpe. En alternant les teintes, peut-être... faudra aussi que je trouve comment en faire du cuir, pour que ce soit plus solide.

Pit remonta le côté du dos, et finit en rejoignant là où il avait débuté.
Un rire, il glissa ses doigts sous la matière de chair, futur cuir. Séparant délicatement la viande de la peau avec son canif.

Ses yeux fixèrent encore le pirate.

- Et je sais pas ce qu'on dit des types qui gèrent pas leur rire, dude.

Large sourire, à s'en déchirer les joues. Le Joker retenait un fou rire, peut-être perdu car il était en train de se créer de nouvelles règles de jeu.
Son regard tomba brièvement sur ses cartes étalées au sol, tâchées par le rouge.
Le Chef des Raccommodeurs se concentra à nouveau sur son affaire, laissant un léger rire présent. Il eut un vague écho dans l'esprit "soit poli".

Il fronça les sourcils, finissant de détacher la peau entièrement.

- T'as un nom, je pense, pirate aux pieds décorés ? Moi c'est Pit.

Tenant son gain dans la main droite, il se dirigea vers son interlocuteur. S'arrêta devant lui. Il restait méfiant, mais son sourire ne montrait pas ce sentiment. Vieille habitude... "soit poli... même face à ceux qui pourront te faire vivre un cauchemar... ce sera du bon boulot, tu auras servi à quelque chose." La politesse n'importait que très peu à ces gens devant lesquels il fallait être obéissant.

Un rire, une lointaine sensation de dégoût. Mais l'expression ne changeait pas, et ce vieil écho passé s'évapora. Tout n'est qu'un jeu.

Pit serra la main proposée, et se concentra de tout son être pour garder le nom donné bien dans sa tête. Wilhelm Dogfish, un pirate qui collectionne les pieds... Ah mais, oui, ça lui revenait... Il eut un rire, léger, nerveux, il avait risqué de finir comme les pions étalés au sol. Peu importait, il fallait apprendre à connaître les personnes avant de les juger, sinon on ne vaut pas mieux que les méprisants. Les méprisants ne méritent pas les poupées portant des fleurs après tout. Enfin, peut-être ? L'esprit s'était égaré ailleurs.

Bref, cette histoire de ne pas juger avant de connaître, c'était dans sa tête depuis des jours et des jours. Avant d'être venu sur l'île. Cependant, Pit ne pouvait pas se souvenir de l'origine. Il ne pouvait pas mettre un visage ni un contexte sur ces termes.

Sa belle-mère lui répétant ces mots pendant qu'il n'était pas totalement lui-même. Mais... cette femme ne lui parlait pas sauf quand il devait se rendre utile, d'une certaine manière, avec ces gens qu'il ne fallait pas juger trop vite apparemment...

Non, ça, il ne s'en souvenait pas. Il ne se souvenait pas ce qui l'avait forgé. Heureusement, le seul point commun était le Jeu. Ce n'était pas grave, ce n'était pas si affreux, ce n'était qu'un jeu, qu'un foutu jeu qui pouvait aller jusqu'à faire recracher la nourriture.

Le Joker perdait son sourire, comme si son corps se souvenait, laissant l'esprit voguer ailleurs, comme lorsque la Fée Verte l'emportait loin de l'horreur étouffante.
Puis, le sourire revint, net. Laissant le Chef des Raccommodeur enfin totalement conscient en écoutant les mots du pirate intéressant. Ce dernier disait qu'ils faisaient des jeux avec des cartes sur le bateau. Un air un peu étonné fit apparition sur le visage marqué de l'adolescent, de l'attention, de l'intérêt. Le rictus revint, la tête acquiesça, notant l'invitation. Bien qu'il ne s'y risquerait pas pour le moment ou bien... en emportant un présent Perdu, une carte cadeau. Mais rien ne disait qu'il se risquerait à une autre fausse couture.

Mais, il n'en était pas indifférent. Bien que Wilhelm ne paraissait absolument pas du genre à être celui à qui on confirait toute sa confiance. Rien que la machette ou la main couverte de sang qu'il avait essuyé sur son propre habit auparavant. Les pirates avaient cette mauvaise habitude de ne pas se soucier de leurs vêtements, enfin, les Garçons Perdus aussi d'ailleurs. Mais qu'importait ? Le contraire donnerait une allure trop précieuse aussi... choix difficile...Enfin, pas de souci tant que le style n'est pas aux froufrous. Grave faute de goût selon le Raccommodeur en Chef.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre, une question se fit entendre. Peter Pan lui avait demandé de récupérer les peaux des morts afin d'en faire un déguisement ? Un déguisement de Perdu ? L'idée laissa échapper un ricanement un peu dissonant de la bouche en croissant du Joker.

- Ca ? Non, non. Le King Dude n'a pas encore formuler cette nouvelle fonction pour mon rôle. Je n'avais moi-même pas prévu ça...

Pit tourna ses iris d'absinthe sur les morts et la peau sanguinolente qu'il tenait.

- Honnêtement... j'ai juste eu comme... un éclat d'idée. Une pulsion peut-être, je sais pas comment je vais faire maintenant... ni même où mettre ces peaux pour en faire du cuir. Je veux pas que les Chasseurs remarquent que ce n'est pas une peau commune pour les animaux.

Une pause, un rire nerveux plus bruyant le prit. Il tenta de le maîtriser, puis il finit par ajouter une chose qu'il avait oublié de dire juste avant.

- Et pour les jeux de cartes, je te remercie de l'invitation, mais j'imagine qu'un Raccommodeur en chef du Grand Arbre ne sera pas sur le bon plateau de jeu pour le moment. Ce sera pour plus tard.

Sourire, puis les yeux partir à nouveau dans le vague avant de murmurer sa pensée.

- Je fais quoi maintenant avec... avec... mes trésors ?

Un autre rire, nerveux. Comme si l'idée d'abandonner ces acquisitions, ces trésors, lui donnait la nausée et la peur au ventre. Il y tenait. Étrangement.

Ce pirate riait, c'en était presque un écho agréable pour le Chef des Raccommodeurs. Il avait l'impression d'être apprécié, pour une fois que l'avis d'une personne attirait son intérêt, ce fut un pirate, un ennemi, qui remplit cette case plus ou moins vide. Pit se fichait pas mal de ce que les autres pensaient de lui en général, l'égoïsme, mais tout le monde l'est au fond. Personne ne peut ignorer sa propre personne.

Ce que Wilhelm lui avait demandé, concernant s'il comptait rejoindre les Pirates, Pit n'avait pas pu répondre. Puisqu'il était déjà perdu dans ses pensées profondes, et heureusement, en un sens, car il n'en aurait eu aucune idée. Rejoindre les Pirates ? Peut-être lorsqu'il faudra abandonner le plateau du Grand Arbre, ou bien lorsque le grandissement lui tombera dessus, on ne saurait trop pourquoi. En bref, ce n'était pas encore la question.
L'esprit du Joker était entièrement concentré sur les solutions que lui proposait le Pied-Beau.

Un air surpris de cette aide venue de nulle part se plaqua sur le faciès du Garçon Perdu. À vrai dire, il n'était pas habitué à recevoir de l'aide, du moins, qu'on lui en propose. Voilà un concept presque nouveau, il en avait sans doute déjà reçu de l'aide auparavant, mais pas de cette manière. Enfin, il pensait...

Un grand sourire revint prendre place sur les lèvres du Joker, il mesura les propositions. La première le répugnait un peu, il n'avait pas une grande envie de risquer que les peaux puissent subir la décomposition au contact des insectes et des animaux.
La seconde solution lui plaisait bien, cependant, il fallait faire confiance à un Pirate... celui qui découpe les pieds de ses victimes pour s'en parer ou les garer précieusement.

Un rire. Justement ! C'était un homme qui savait s'occuper d'éléments ayant un potentiel dans les parures ou dans la mode. Quel autre être serait plus digne de confiance que ce Wilhelm Dogfish ? Hein ? Personne sur cette île sans doute. Pas même ses cartes préférées qui jouaient sur le terrain du Grand Arbre.

- Tu... serais d'accord de les garder pour moi ?

Il rangea son canif pour prendre ensuite les peaux dans ses deux mains, le sang était encore frais, il lui faudra impérativement les laver.
Large sourire, comme toujours à s'en déchirer les joues.

- Je pense que les cartes ne peuvent qu'être favorables, personne pourrait être le mieux placer que toi pour te confier ça. Tu sais comment t'occuper de ce type de matière, déjà que t'as des accessoires en pieds de Garçons Perdus.

Tout sourire, encore et toujours. L'expérience était une chose que l'on pouvait acquérir en se documentant auprès de ceux qui avaient l'habitude de s'occuper du domaine visé. Les Pirates savaient donc gérer la matière Garçon Perdu. En théorie, et sans aucun doute, on ne pouvait pas se tourner au premier bandit maritime venu. Mais, celui-ci, correspondait à la connaissance de l'élément.
Pit avait déjà la naissance d'une estime qui pouvait s'accroître pour le Pied-Beau.

Les iris d'absinthe du Joker finir par quitter le visage de l'homme pour aller se poser sur le futur cuir, puis il eut un rire, un peu nerveux, avant de finir par ajouter.

- Faut juste que je les lave avant, et aussi, tu sais comment en faire du cuir ? Je compte faire en sorte que ce soit une matière solide et adaptée à l'île.

Sourire en coin, il commençait à écrire dans son esprit les nouvelles règles de jeu. L'utilité des cartes tombées au combat.

Les informations que lui donnait Wilhelm étaient... intéressantes et parfaites. Et puis... il lui proposait de s'en occuper, de prendre soin de ces "trésors". Le Chef des Raccommodeurs en eut les yeux qui brillèrent. Il aimait qu'on lui porte de l'attention, négative le plus souvent, mais l'attention positive était peut-être plus rare et donc d'un côté plus fascinante. Et surtout, surtout, ce que disait le pirate était des plus intéressants, passionnant. Une opportunité de jouer avec ces nouveaux trésors, ces nouveaux gains de jeu.

- C'est une full parfaite.

Des mots murmurés, avec un grand sourire étrange mais réellement intéressé. Des pensées échappées, il avait de la peine à les garder dans sa tête lorsque sa concentration se divisait ou bien était un peu troublée par ses propres réflexions. Puis il acquiesça de la tête avec un grand sourire, il voulait bien que Wilhelm s'en occuper, de ses trésors.

La suite, les phrases qui arrivèrent ensuite, celles venant du Pied-Beau. Ces suites de mots n'effacèrent pas le sourire mais froncèrent les sourcils.
Pit porta sa main libre au menton, l'air pensif, les yeux ailleurs.

Il n'avait pas l'air d'un enfant... ? Les prunelles regardant à gauche, puis regardant à droite, toujours le vide, le vide d'une fosse.
Un rire naquit au final, puis devint plus bruyant, plus fou, un fou rire. Encore. Il s'en retrouva à se prendre les côtes, encore. Comme quoi le monde se répétait sans cesse avec quelques variante pour cacher ce fait peut-être.

Entre deux rires, devenus plus calmes mais toujours présents sous forme de gloussements. Le Joker était parvenu à formuler quelque chose, enfin. Tout en retrouvant une forme droite.

- J'imagine que tu as raison, mais je n'ai pas encore grandi.

Pit laissa son regard errer dans le vague avant de revenir présent pour s'adresser entièrement à son interlocuteur si sympathique. Voilà déjà la suite du jeu qui se dessinait alors qu'il n'avait pas encore fini de jouer sur le terrain de Garçons Perdus.

- Je rejoindrai sans doute les pirates lorsque j'aurai grandi. Mais pour se faire, je sens qu'il me faut préalablement répandre et favoriser cette maladie si mortelle pour les enfants.

Un gloussement, basculant la tête sur le côté, la main libre abandonnée à la poche du pantalon. Certes il ne grandissait pas, pas encore. Peut-être l'esprit et le corps s'étaient accordé à ne pas grandir tant que le jeu sur le plateau du Grand Arbre ne serait pas fini.

- On abandonne JAMAIS une partie en cours. Hors de question. La partie se finira une fois que j'aurai fini chaque manches. J'espère laisser un peu de chaos, derrière moi.

Sourire étrangement plus doux.

- Je me demande, dans quel état serait Peter si je devais être banni. Je suis curieux de voir ça.

Penchant la tête à droite.

- Soit il serait en colère, malheureux.

Penchant la tête à gauche.

- Soit il serait aussi impartial que pour d'autre, se contentant de retirer une pièce cassée de son jeu.

Rires amusés, puis peut-être un peu agacés. L'idée ne lui plaisait pas encore, elle lui plaira plus tard, quand le moment sera venu, quand l'esprit et le corps seront en accord pour passer à la seconde partie.

- Et puis, j'ai aussi la Poupée Joie et la Poupée Amour, je me demande ce que ça leur ferait... peut-être rien, peut-être quelque chose, mais ça n'aurait aucune impacte sur le temps.

Pit ne tenait que pas sa vision du jeu, peut-être. Que par l'ignorance des valeurs réelles des autres, que par la vision de poupées et de cartes.

- Mais... ce que tu me dis des pirates est intéressant, je pourrai perfectionner mes créations.

Un air éclairé lui apparu soudainement sur le visage marqué d'un tatouage, un énorme sourire, les yeux pétillants.

- Je pourrai avoir assez de peau pour en faire un manteau ou un blouson de pilote !

Rires amusés, oui les possibilités que donnaient les pirates, étaient des plus alléchantes. Mais pas encore pour le moment, le jeu qu'il jouait parmi les Perdus restait ce qui lui plaisait encore le plus, il pouvait encore se contenter des peaux de morts trouvés. Et puis... cette histoire de cuir était une lubie fraichement trouvée. Quelques minutes avant de rencontrer Wilhelm, c'était vraiment récent.

Mais, des pirates restaient des pirates, ils étaient aussi capables de décider de s'en prendre à lui, ils tenaient aussi des cartes.

- Les pirates m'accepteraient ?

Un air un peu plus méfiant, mais le sourire demeurait, la véritable expression se trouvait dans les yeux d'absinthe.

Les paroles, encore et toujours. Que ce soit pour dire quelque chose ou non, qu'importait ? Pit aimait qu'on lui parle, résidu d'avant, là où on ne l'estimait pas plus qu'une fosse. Ce que disait Wilhelm était très attrayant, mais pas assez pour faire abandonner un jeu qui ne l'avait pas encore déçu. Ca viendra, ça finit toujours par décevoir après tout. Mais il fallait encore jouer, jouer des cartes, des pions, des méprisants. Préparer le terrain, créer des liens qui lieront la prochaine partie qui se dévoilera peu à peu. Jouer des grandissements, jouer des secrets, jouer des pièces de jeu.

Le capitaine était un homme bon ? Sans doute était-ce possible. Il avait accueilli des enfants bannis ou enfuis ? Quel amas de mépris doit se trouver là-bas... une fosse de haine sans fin peut-être.
Les pensées du Joker furent coupées par un autre fou rire.
Pit tenta de retrouver son souffle pour lâcher des mots.

-E... excuse-moi...

Un autre rire, il se calma peu à peu.
Les bannis et les déserteurs, qui s'en souvenait au Grand-Arbre ? Personne, sans doute. Ou bien... Heaven, la Récolteuse amusante, s'était bien souvenue d'un type dont le Chef des Raccommodeurs avait encore oublié le nom.
Ce doit être agaçant... être ignoré de ceux que l'on méprise alors que l'on a pas oublié une miette de mépris pour ces gamins perdus.
Un rire, un peu nerveux. L'esprit partait, s'égarait.
L'idée... était insupportable. C'était peut-être pour ça qu'il gravait des fois des signes de cartes sur les murs de l'arrière salle, laisser une trace. Personne ne pourra jamais le remplacer, jamais.

Son regard revint à lui, menant l'attention sur le pirate amateur de pieds.

- Le Roi a tué un des... notre ?

L'air songeur se montra sur la faciès qui aurait dû être dérangé par cette information. Non, il n'avait pas été dérangé par l'information. Si Peter avait tué, c'était pour une raison, pour un jeu, une règle. Le sourire s'étira, cette donnée était des plus agréables au Jeu.
Le Bouffon du Roi faisait partie des derniers dont il fallait oublier l'influence. Peter Pan aimait les tours de magie du Joker, il le faisait même venir pour en voir encore et encore jusqu'à... s'endormir. Oui, le cher seigneur des Enfants Perdus dormait. Un secret que seuls quelques uns savent.
Pourquoi l'esprit avait pensé à ça ? Là n'était pas la question. Et pourtant... le Chef des Raccommodeurs faisait des liens entre les éléments.

Un rire le prit, encore.

- Il a dû trouver ça utile au à un jeu. Moi je trouve ça utile au Jeu en tout cas.

Sourire encore et encore.
Un rire, un ricanement.

- Décidément... je pense que la seconde partie sera encore plus amusante. Mais, j'ai encore des liens à faire afin que les deux plateaux restent connectés.

Un regard sur les morts, un autre sur son interlocuteurs aux dents en mauvais état. Une dentition que Pit n'enviait pas le moins du monde.
Un air des plus sympathique s'afficha sur l'adolescent dont il fallait reconnaître un attribut : il était fou. Le Joker s'approcha de Wilhelm jusqu'à le dépasser. Il entendait le bruit de la rivière non loin, il comptait enlever les restes de sang sur les peaux.

- Tu viens Wilhelm ? Je veux juste aller sur la rive.

Il montra sa possession en accompagnant ses mots.
Il eut des sursauts de gloussements, l'idée que l'Enfant Roi avait tué un Enfant Perdu l'amusait au plus haut point. Puis, il s'arrêta net. Se souvenant à l'instant de la suite des mots du Pirate.

- Je pourrais être le prochain... ? Non, non. Ne t'inquiète pas, je joue avec lui pour le moment.

Il se remit en marche, il n'arrivait pas à imaginer son Chef des Chefs le tuer, étrangement il n'y parvenait pas.

À la question des jeux, Pit eut un rire comme réponse tandis que ses mains frottaient soigneusement le sang sur les acquisitions. Le Jeu... Large sourire.

- Le Jeu englobe tous les autres...

Murmura le Joker, comme pour lui même.

Alors qu'il nettoyait le rouge qui ne devait pas entacher les peaux, Pit entendit la proposition de Wilhelm. Cela lui fit répondre un rire un peu nerveux. Cette fois, il ne lavait plus. Il se contentait de regarder son reflet sur l'eau calme un rougit par ses trésors nettoyés.

Des gloussements nerveux, parfois plus forts, parfois plus légers.

- Ma tresse...

Le Joker pencha la tête de côté, puis de l'autre, puis revint à la normale. Encore des gloussements. Large sourire, mais les yeux semblaient refléter un élément que seul le corps se souvenait. Une de ces réactions que l'esprit ne comprend pas puisqu'il avait oublié, pour son bien, ce que l'île avait dévoré du passé.
La tresse, c'était... ce n'était pas le Chef des Raccommodeurs qui l'avait faite. C'était une autre personne. Celle pour qui il souriait, la seule qui ne l'avait pas ignoré. Bien sûr, impossible de se souvenir de la petite sœur qui pleurait à la place de son frère. Elle n'avait pas eu à supporter le même traitement que lui, puisqu'elle était la fille de la belle-mère. Cependant, cette ambiance ne lui faisait absolument rien de bien. Ca la torturait. Elle souriait, parce que le Joker lui disait de sourire. Pourquoi pleurait-elle si lui, il souriait encore ?

Pit ne comprenait pas les vagues pensées floues qui venaient, il ne comprenait pas pourquoi il tenait à ces simples mèches de cheveux arrangées.

Une boule au ventre revint, le corps s'inquiétait pour la fillette peut-être, mais l'esprit ne comprenait rien du tout. Comme si les deux entités avaient vécu différentes choses. Seuls des flash pouvaient éventuellement se montrer aux yeux d'absinthe.

Le Garçon Perdu, aussi perdu que son esprit, tourna son regard sur le Pied-Beau. Toujours en gloussant, nerveux, mais les yeux montraient une lueur étrange. Ils tenaient à ces trois mèches croisées.

- Je... je sais pas pourquoi, mais l'idée de la couper entièrement... me fiche la nausée.

Le regard dans le vague, puis sur les peaux, les trésors. Il fallait les garder, et pouvoir les récupérer plus tard, et même... mettre encore plus de réserve ! Il en faudra plus.
Les iris profondément vertes se figèrent encore sur le Pirate. Le Joker éclata de rire, puis, le sourire à s'en déchirer les joues se montra. Entre deux respirations, il parvint à parler.

- Je sais ! Je sais... Je pourrai pas te la donner en entier. Mais, mais... je peux te donner la moitié. Elle repoussera et je la referai un peu mieux.

Il prit les peaux contre lui, les monta à sa joue marquée, comme un enfant se caresserait le côté du visage avec son doudou. Large sourire indétrônable.
Des gloussements. Puis il enchaîna rapidement, changeant de sujet directement, un peu comme pour se consoler.

- Il me faut un endroit sûr pour elles... et je pense que... il m'en faudra peut-être même plus.

Les peaux étaient douces. Il en faudra plus...

- Wilhelm ! J'en voudrais plus, mais si j'en ai plus, je me vois pas venir au Jolly Roger pour te les amener...

Les yeux semblaient déçus mais le sourire demeurait, comme toujours, ou la plupart du temps.