Qu’il était doux à l’Enchantée d’observer les visages se tourner en tous sens, cherchant d’un air hagard la cause d’une morsure ou d’un rire qui n’avait jamais été une autre chose que son œuvre… Le regard interrogatif d’un petit loup garou l’amusa tout particulièrement, tant le jeune garçon semblait pétiller d’impatience en cherchant l’un ou l’autre mauvais esprit, qu’elle incarnait pour l’espace d’un soir. Toute à son excitation sordide, et imprégnée du personnage dont elle vêtissait l’habit macabre, la poupée se laissa glisser sur le sol, slalomant habilement entre les danseurs aux gestes effrénés et laissant traîner sur son passage quelques fils qui tendraient à faire trébucher les plus maladroits.

Hihi.

           Au loin, la silhouette hagarde et fantomatique d’un immense et étrange être blanc s’évertuait à pousser des « BOUH » aux intonations effroyables, visiblement pris par un jeu similaire au sien. Un clown dansait, une estropiée se trouvait juchée sur un animal aux contours rendus difforme par les lumières chaudes, une étrange indienne donnait à la mort un visage, une curieuse fée rivalisait avec le brasier en découpant sa silhouette sur les flammes, deux sirènes se confondaient par leur troublante et inquiétante beauté, une enfant verte se perdait dans une conversation qui semblait figée par l’obscurité, une petite fille noire brandissant une arme… Qu’il était varié et difforme, le tableau monstrueux peint sous les doigts de l’épouvantail de l’enfer, et qu’elles étaient obscures, les ombres chinoises qui s’étiraient sur les arbres en s’agitant comme des démons.
Lorsque la poupée pantomime parvint aux pieds du loup-garou, elle lui sauta brusquement sur le dos, s’accrochant à son poil en susurrant à son oreille :

« Me chercherais-tu ? Peux-tu me trouver ? Le peux-tu, dis ? Le peux-tu ?»

          Sans lui laisser le temps de tourner les yeux, Astyh  éclata d’un rire aigue aux tonalités lugubres, avant de sauter au sol pour disparaître entre les badauds qui s’agitaient toujours plus.
Ils arrivaient, encore encore encore et encore. Là, tous, des coins obscurs de l’endroit inconnu, dans un cortège suintant l’angoisse et l’effroi, chacun amenait un nouveau visage avec plus de sourires et de bruit.  Soudain, une frénésie terrible s’empara de la foule et comme animé par les infernaux en personne, l’épouvantail de fétus brûlés fit brusquement pleuvoir une petite myriade de friandises qui s’abattit sur les invités comme un mauvais présage déguisé en espièglerie. Une petit carré kréma tomba au devant de la poupée, si joliment fait dans son emballage que l’Insensée le prit contre elle pour filer à toute allure en direction du buffet.

Elle s’accrocha à la nappe en coinçant le kréma entre ses quenottes, bel et bien décidée à savourer la friandise qui lui était offerte comme il se devait. Reprenant sa position initiale, nuque tordue et pupilles diaboliques, la créature défit le papier caramel pour déguster la friandise du regard…
Elle allait y mordre avec entrain lorsqu’une silhouette heurta la table, la faisant tanguer et lever les yeux. Il lui fallut un bref instant pour reconnaître la Mère des Diplomate qui, visiblement, ne s’était pas attendue à lui trouver pareil visage. Esquissant un sourire, Astyh inclina un peu plus la tête en murmurant :

« Bonsoir maman Rachel… Oh oui j’y participe. J’y jouerais même vos cauchemars et vos hantises, vos troubles et vos angoisses… Votre costume est des plus réussi, vous êtes terrifiante…mais pourquoi des larmes ? »

Elle acheva sa question en mordant à belle dent dans la friandise qui embaumait un curieux parfum épicé… La saveur lui asséna brusquement le palais et se rependit dans tout son corps comme une décharge électrique ! Le bonbon étant d’une taille des plus respectables par rapport à sa personne, le goût pris une ampleur démesurée sur sa langue et elle se redressa brusquement dans un glapissement étouffé. Un parfum atroce s’insinua jusque dans son esprit et elle sentit sa vue se décaler de manière étrange par rapport aux bruits…

HIC !

Plaquant sa mains contre ses lèvres, la poupée sentit une brusque euphorie la prendre…Le bonbon donnait chaud, si chaud, elle se prit à oublier ses fils et s’y emmêla en partant dans un rire dément :

« HIHIHIHI…Des larmes maman Rachel….En voilà une chose étrange…HAHAHA ! »

Elle tomba brusquement toute raide dans une assiette de bonbons où son rire se fit plus strident et dérangeant encore ! Le cognac contenu dans le bonbon avait visiblement un effet dévastateur sur l’enchantée qui n’avait jamais humé la moindre vapeur d’alcool de toute sa vie.  Plus désarticulée que jamais, la créature ne pouvait cesser de rire comme une folle, tant et si bien qu’elle jaillit de l’assiette et tomba à terre pour rouler au milieu des danseurs, esprit bien réel, démon bien innocent et visage diabolique tordu par une hilarité dissonante.






Emballages pailletés et rubans tissés d’or
Font si bien miroiter devant vos yeux gourmands
De suaves promesses et de sucrés trésors
Qui font de la raison, ses beaux pantins déments.
La nuit tourne à l’orgie et les danses s’enhardissent
Hurlements et sourires font une cacophonie
Si belle et terrifiante que vos poils s’hérissent,
Et vous perdent, inconscients, au milieu de ses cris.