Le dernier tiers de la nuit, celle où chaque chose ou presque est assoupie mais pas Marianne qui, finissant de lacer ses bottes, se prépare à sortir. C'est qu'il y a des herbes et ingrédients qui ne se cueillent que juste avant l'aube, loin des diurnes.

Vêtue de noir, d'un pantalon et d'une ancienne chemise de son père, elle quitte la chambre confortable - sacoche à la hanche - et s'engage dans l'escalier en bois. Les grincements de ses pas font écho à ceux des ronflements alcoolisés des quelques pirates installés ici et là au travers de son salon.

Si elle n'en a pas repris le commerce, la jeune fille s'est approprié l'étage de l'ancienne boutique de Dino où elle loge lors de ses séjours au Port. Quant au rez-de-chaussée, elle le laisse à qui-veut. Le plus souvent les vieux canapés et tapis peaux-rouges servent aux pirates trop ivres pour rentrer chez eux ou qui souhaitent s'éloigner quelques temps des planches de leur navire. Ces squatteurs ne lui donnent rien et sont même libre d'user et de s'approprier les diverses babioles, vêtements, et autres curiosités amassées par le Mafieux et dont elle n'a que faire. L'Ortie a fait le tri de ce qui lui importe et ces objets-là sont bien à l'abri au milieu de la jungle, dans la grotte derrière la cascade dont seuls elle et un Perdu ami de longue date de son papà ont la clé.

Ses hôtes de passage l'importunent rarement. Elle suspecte qu'ils se méfient au moins autant du Bayou en elle que du revolver de son père à sa hanche ou de ses poisons. Alors que, seulement enfant d'une des femmes du Baron Lundi, elle n'a aucun réel pouvoir mais ça ils l'ignorent et elle les laisse volontiers croire leur imagination. Ça la flatte en plus de lui offrir un moyen de pression. Elle les accueille gratuitement, ils peuvent bien en échange la redouter au moins un peu.

Enjambant un corps ou deux, avec plus ou moins de délicatesse, Marianne fait une brève pause sur le porche de la petite maison. Si elle n'a pas pris de Dino son habitude de la cigarette, elle glisse en revanche l'embout d'une pipe de pierre taillée entre ses lèvres et en tire quelques bouffées d'herbe énergisante mélangée d'un enduit qui améliorera légèrement sa vision nocturne le temps d'une heure ou deux. Ce dernier vient du Bayou où elle l'a troqué contre une demi-meule d'un des fromages affinés de la cave de son père.

Le souvenir de la transaction farfelue lui arrache un sourire alors qu'elle exhale une bouffée de fumée grise. Reste à espérer que ça l'aidera dans sa chasse. Hormis quelques plantes marines, c'est une grenouille bien spécifique qu'elle espère réussir à dénicher cette nuit