Shark peut flairer le cataclysme. Aux nuages gris et lourds qui s’amassent au dessus du Port, à l’air glacé autour d’elle chargé d’une tension électrique, aux cheveux qui se hérissent sur sa nuque. Elle sait ce qui s’est passé au bal, celui où elle n’est bien sûr pas allée, mais au-delà de ça, elle sait qu’il se passe quelque chose d’autre de tout aussi grave, là bas au Grand Arbre. Elle le sait sans savoir l’expliquer. Peut-être parce qu’après tout c’est encore chez elle là-bas, et qu’elle se rappelle de cette même sensation de changement à la fin de la Canicule alors qu’elle faisait face à Peter Pan se consumant tout entier.
Des pirates marchent autour d’elle dans tous les sens. Personne ne fait plus attention à elle. A la place ils vident leurs échoppes et leurs maisons de leurs possessions les plus cruciales et de provisions pour les emmener au Ranch, plus haut sur la terre. Certaines zones du Port sont carrément désertes, on les dit infectées, on ne dit pas par quoi, et Shark se retient de les emprunter par volonté de se rendre invisible. Elle n’a pas besoin de se rendre invisible.

Ses pas devraient la mener à la sortie du Port, où elle se mettrait à courir pour s’éloigner au plus vite, pour ensuite marcher jusqu’à retrouver les garçons perdus, mais à la place, elle se dirige vers la Zorra. La Zorra est un bateau sublime, petit et fin en comparaison au Jolly Roger, mais il paraît bien plus laid coloré de gris. Shark se faufile d’ombre en ombre et grimpe par la passerelle comme un rat clandestin. Elle a le cœur qui bat à mille à l’heure. Elle ne sait même pas pourquoi elle est là, si ce n’est qu’elle s’inquiète. Shark n’a pas l’habitude de s’inquiéter pour quelqu’un d’autre qu’elle, c'est pour ça qu'elle est encore en vie, mais cette fois, elle fait une exception.
Elle s’est mise en tête d’aller voir si Zeb Skelton est encore là.

Elle sait que c’est immensément stupide. Le masque qu’elle porte sur son visage, celui que Moriko lui faisait porter pour cacher ses traits d’enfant, ne va pas la protéger des monstres de glace dont certains parlent tout bas. Comme beaucoup de choses, il lui donne juste plus d’assurance. Le pont du bateau est désert. Elle continue de raser les murs, vers l’intérieur. Elle n’appelle pas à haute voix, à la fois par précaution, et parce qu’elle ne sait pas comment elle doit appeler Zeb Skelton. Zeb semble bien trop familier, et Monsieur Skelton, un peu ridicule.
Alors elle ne dit rien.
Elle ne frappe pas.

Elle ouvre juste la porte.

And I wished it was a bad dream
I'd wake up like nothing happened
And everything
Would be alright

Ce matin, un froid glacial s'est insinué dans ses jeunes os. Sa carcasse engourdie de sommeil grelotait avant même qu'elle n'ouvre les yeux. Madison les a aussitôt refermés, se persuadant qu'elle n'était pas sous cette charpente de bois, dans ce lit-banquette étroit, dans les draps humant une toute autre odeur que celle de son époux. Une fois encore, elle cherche, trépane sa pauvre cervelle, en quête du prénom de ce mari qui ne cesse de lui échapper. Elle voit son visage, son sourire éclatant, son attitude chaleureuse, mais rien n'y fait.
C'est le vide.
Le black-out total.

Elle se lève donc par dépit, acceptant cette réalité nouvelle qui a tout du cauchemar éveillé. Elle vit depuis quelques jours comme la passagère clandestine d'un navire pirate qui l'a sauvé de la noyade dans un univers fantastique où le temps s'est figé. Ce serait le point de départ d'un roman, qu'elle trouverait déjà l'intrigue un peu tirée par les cheveux. Sauf que cette histoire est la sienne et que ses blessures en cour de cicatrisation lui prouvent que tout cela n'est pas une affabulation.
L'équipage est étonnamment respectueux à son égard -à l'image de leur capitaine- comme s' ils s'étaient dégottés une sorte de mascotte secrète. On l'a pansée, nourrie, habillée, distraie, mais il n'en demeure pas moins qu'elle reste prisonnière de la cabine de Zeb Skelton. Dans ce monde où elle a eu le bon gout de tomber, les femmes ne sont pas acceptées sur un navire, elles deviennent la propriété du Capitaine Hook qui les marque tel du bétail. Visiblement, le patriarcat règne en maitre absolu sur cette île.

L'Île de Peter Pan.
Oui, parfaitement.
Elle rejoue l'Histoire sans fin dans une version maritime.

Le capitaine de la Zorra tient à la protéger du sort qui lui est normalement réservé et elle lui en est gré. Cependant, l'enferment permanent est en train de la rendre folle (à moins qu'elle ne le soit déjà et que tout ceci est le fruit d'un mirage très élaboré). Surtout depuis le soir du fameux bal où l'Hiver est brusquement tombé. Depuis lors, il lui est interdit de mettre un pied sur le pont. Elle est séquestrée ici "pour son bien" avec un minimum d'explications. La plupart des membres d'équipage semblent tout aussi confus qu'elle. Skelton, dans la précipitation des événements, ne prend guère le temps de la mettre au courant. Il passe son temps en réunions avec d'autres membres importants de l'Île (sur laquelle elle n'a encore jamais mis un orteil.)

Elle ne comprenait rien de ce monde.
Voilà qu'elle en comprend encore moins.

Et comme à chaque fois que son esprit se dérobe vers le chagrin, elle sort sa robe de mariée en lambeaux du coffre où elle a été rangée.  Elle la déplie avec un recueillement quasi religieux sur le lit et en effleure les dentelles ensanglantées.

Que va-t-elle devenir ?
Personne ne peut rentrer de là où elle a atterri.

Alors qu'elle presse contre sa poitrine les reliquats de son identité, la porte s'ouvre. Une fillette au teint hâlé et à la tignasse épaisse se tient sur le seuil. Les deux femmes se toisent, telles deux biches prises dans les phares d'une voiture. Le regard de Madison chute vers le plancher. Pas d'ombre.

- Tu.. Tu es une enfant perdue....

Elle avait déjà remarqué qu'un ou deux pirates ne semblaient pas projeter d'ombre sous le soleil rasant le pont ou à la lueur des chandelles du soir. Son intellect avait tout bonnement refusé d'y croire et recrée mentalement ce qui faisait défaut au paysage. Sa mémoire offrait des ombres à tout ceux qui n'en possédaient pas, rebrodant sa conscience pour ne pas la brusquer.
Là, difficile de nier l'évidence.

- Vite ! Entre ! fait-elle en se levant précipitamment, sa robe abandonnée mollement en chiffon sur le sol. Elle attire la gamine à l'intérieur et ferme la porte. S'ils te voient, ils vont t'emprisonner, te torturer ou, que sais-je encore ! Pourquoi es-tu là ? C'est hyper dangereux !

Apparence à cette époque:

Il y a une femme dans la pièce. Elle a les cheveux attachés en longues tresses épaisses, le corps couvert de bandages. Elle serre dans ses bras une robe blanche en lambeaux. Shark se laisse quelques secondes de surprise muette pour assimiler cette espèce de scène tordue de conte de fée. L’autre prend le même temps pour la dévisager avec des yeux ronds.

« Tu.. Tu es une enfant perdue.... »

Derrière son masque, deuxième moment de surprise. Elle n’a pas la présence d’esprit de sortir une de ses réponses habituelles. Non elle n’est pas une enfant perdue. Elle travaille à la Fumerie. Elle est sous la protection de Moriko Yamanaka. Elle est adulte, juste petite. Elle est- La femme s’est déjà approchée pour refermer la porte derrière elle, les cheveux de Shark se hérissent sur sa nuque, mais elle n’esquisse pas un mouvement pour s’enfuir.

« Vite ! Entre ! S'ils te voient, ils vont t'emprisonner, te torturer ou, que sais-je encore ! Pourquoi es-tu là ? C'est hyper dangereux ! »

Parce que cette femme n’a pas l’air dangereuse du tout.

« Quoi ? » bafouille Shark.

Elle a surtout l’air complètement paumée.

« Je viens chercher le capitaine », dit-elle, faute de savoir quoi répondre au reste des interrogations de son interlocutrice.

Et elle fronce les sourcils en continuant de la dévisager. Un rapide coup d’œil indique à Shark que la femme a une ombre, privilège rare des pirates originels et des mères du Grand Arbre. Or, elle est à peu près sûre de ne jamais l’avoir vu là-bas.
… Quelque chose ne colle pas.

Shark jette un regard furtif derrière son épaule. Elle se demande si tout le monde est parti au Ranch, désertant la Zorra. S’il ne reste plus qu’elle. Elle se tourne de nouveau vers la femme.

« On vous retient prisonnière ici ? »

Elle a presque grogné, toute fidélité à Zeb Skelton et son équipage envolé à mesure que la remplacent ses pires idées paranoïaques.
Faut dire que la situation apporte plus de questions que de réponses.

- Je viens chercher le capitaine.
- Zeb ? fuse-t-elle avec une familiarité qu'elle n'aurait pas dû se permettre.

Madison fronce les sourcils et jauge la gosse de haut en bas. Pas de doute, c'est une fillette, une adolescente tout au plus, dépourvue d'ombre. Une de ces "Perdus", sans équivoque. Alors, comment se fait-il qu'elle fraie avec les pirates ? Skelton a beau se ranger du côté de son fameux capitaine Crochet côté face, il traficote avec les gamins côté pile.

- On vous retient prisonnière ici ?
- Non ! s'insurge-t-elle, étrangement offusquée qu'on puisse penser du mal de ses sauveurs. Je.. Je sais que c'est bizarre, mais si je me cache ici c'est pour éviter de devenir prostituée comme apparemment toutes les femmes "bermudines" de ce port. Zeb... Le Capitaine Skelton me garde secrètement à son bord en, attendant de trouver une solution plus....... Enfin tu vois ? Ou peut-être pas. Tu es une enfant. Je n'espère pas en fait....

La demoiselle a un rire un peu nerveux qui se meut en soupir. Elle ramasse sa pauvre robe de mariée qu'elle replie avec un soin méticuleux quasi religieux.

- Depuis l'apparition des flocons de neige, et de ce fichu bal masqué, Zeb... Le Capitaine Skelton, corrige-t-elle aussi vite, semble hyper préoccupé. Personne n'est en mesure de m'expliquer exactement ce qu'il se passe.

Un silence, elle glisse un regard en biais à la donzelle qui lui rappelle étrangement ces photos d'immigrés syriens échappant à la guerre déchirant leur pays en traversant la méditerranée. Elle a le regard brut et grave des enfants qui n'en sont plus à force de s'être étouffés avec du sel, du gravier et des balles.

- Tu ne lui veux pas de mal au capitaine, j'espère , hein ?

« Non ! Je.. Je sais que c'est bizarre, mais si je me cache ici c'est pour éviter de devenir prostituée comme apparemment toutes les femmes "bermudines" de ce port. Zeb... Le Capitaine Skelton me garde secrètement à son bord en, attendant de trouver une solution plus....... Enfin tu vois ? Ou peut-être pas. Tu es une enfant. Je n'espère pas en fait....  »

Shark dévisage cette femme qu’elle n’a jamais vu avant et qui pour la deuxième fois dans la conversation, a appelé Zeb Skelton par son seul prénom. Elle a entendu parler des Bermudons, ces rescapés du Monde Ordinaire, sans doute les plus piégés de tous les habitants de l’Île, puisque les seuls n’ayant pas décidé d’y vivre. En voyant la femme plier cette robe en lambeaux qui a du être blanche, Shark l’imagine s’échappant à son mariage forcé en montant clandestinement à bord d’un bateau la veille de la cérémonie. Elle se dit que décidément, elle lit beaucoup trop de livres. Mais rien à faire. C’est l’image qui reste imprimée dans sa tête.

« Depuis l'apparition des flocons de neige, et de ce fichu bal masqué, Zeb... Le Capitaine Skelton, semble hyper préoccupé. Personne n'est en mesure de m'expliquer exactement ce qu'il se passe.  »

Shark fronce les sourcils. Si elle a été momentanément soulagée que ses pires instincts se soient révélés faux, elle trouve ça quand même étrange que cette femme aie été laissée dans l’ombre.
Est-ce qu’elle ne sait vraiment rien ?
Du Givre ? Du Bal ?
De ces zombies gelés que certains appellent les orbleus ?
Est-ce qu’ils pensent même à la nourrir, ou est-ce qu’elle a été oubliée dans cette pièce, depuis des jours, se demande-t-elle enfin, scrutant les alentours à la recherche d'une assiette vide, n'importe quoi.

« Tu ne lui veux pas de mal au capitaine, j'espère, hein ? »

Encore une fois, Shark est prise de court au beau milieu de sa réflexion.

« Quoi ? Non ! » elle proteste, imitant malgré elle le ton que l’autre a pris plus tôt. « Bien sûr que non ! »

Elle se tient d'instinct plus droite, raide comme un piquet au milieu de la chambre.

« Je suis venue pour le chercher. Il faut que l’équipage quitte le Port. Il y a de la place au Ranch, plus haut. »

A l’entendre, on dirait presque qu’on l’a chargée en personne de venir chercher Zeb Skelton. Alors que non. C’est une mission improvisée, qu’elle s’est donnée à elle-même. Peut-être même que le capitaine sait déjà tout ça. Peut-être qu’il est déjà parti.

« Vous aussi. Il faut partir. Vous pouvez pas rester ici. »

Le ton de Shark s’est teinté d’urgence.

« Vous savez vraiment rien ? De ce qui se passe dehors ? »

- Quoi ? Non ! Bien sûr que non !

Sa réaction soulage grandement Madison. Elle n'aurait pas spécialement gouté la perspective de devoir s'opposer à une petite fille. Cependant, ils sont sur l'Île de Peter Pan où tous les enfants sont "innocents et sans coeur". Ils peuvent s'avérer aussi dangereux que des adultes.

- Ok cool ! Tout est tellement bizarre, ici, aussi...
- Je suis venue pour le chercher. Il faut que l’équipage quitte le Port. Il y a de la place au Ranch, plus haut. Vous aussi. Il faut partir. Vous pouvez pas rester ici
- Je crois qu'il y est en réunion avec des gens du bayou, ou quelque chose comme ça ? On ne va pas tarder à y aller, je pense. Là où la Zorra va, je vais. C'est mon seul... C'est le seul endroit que je connais.

Elle hausse les épaules avec cette sorte de résignation qu'on les gens ballotés par la vie.

- Mais c'est sympa de ta part d'avoir prévenu !

La jeune femme a un sourire affectueux.

- Pour défier ton roi et venir ici le prévenir, c'est que tu dois beaucoup le respecter, non ? Zeb, je veux dire.
- Vous savez vraiment rien ? De ce qui se passe dehors ?
- Pas vraiment... Ecoute, ça fait à peine plus d'une semaine que je suis ici et le plus gros du temps j'ai dormi pour récupérer de mes blessures. Ses bandages sont toujours visibles sous sa chemise de lin. Un vêtement d'homme. Le peu de ce que j'en ai compris c'est que le Capitaine de tous les capitaines pirates est devenu fou, que la météo a brutalement changé et qu'on se les pèles, et que si je mets le nez dehors je vais peut-être tomber malade et me transformer en sorte de zombie des neiges. Du coup, Zeb préfère que je reste à l'abri....

Une situation qui commence sincèrement à lui taper sur les nerfs même si elle sait que vue le flou des circonstance, c'est sans doute préférable.

- En plus, je n'ai franchement pas la dégaine d'une pirate. Tu as bien plus le look que moi... Une fois dehors, hors de ce bateau, je veux dire, on risque de me demander des comptes.

« Je crois qu'il y est en réunion avec des gens du bayou, ou quelque chose comme ça ? On ne va pas tarder à y aller, je pense. Là où la Zorra va, je vais. C'est mon seul... C'est le seul endroit que je connais. Mais c'est sympa de ta part d'avoir prévenu !

Shark est furieusecontre la bermudine, de prendre les choses aussi à la légère, et aussi contre elle-même. Elle est venue pour quelque chose, et maintenant qu’elle a sa réponse, elle pourrait bien repartir, mais elle sait maintenant qu’elle ne peut pas laisser cette fille ici, seule, complètement paumée.

« Pour défier ton roi et venir ici le prévenir, c'est que tu dois beaucoup le respecter, non ? Zeb, je veux dire. »

La question la prend par surprise, et elle sent avec horreur ses joues s’enflammer. Bien sûr qu’elle respecte Zeb Skelton, il faudrait être idiot pour ne pas le faire, mais elle ne peut pas dire ça à haute voix. A la place, elle répond à l’autre moitié de la question :

« Ce n’est pas mon roi. »

Ce qui est vrai aussi. Mais la naufragée semble penser qu’elle est encore une perdue, et le nier ne semble servir à rien.

« Ecoute, ça fait à peine plus d'une semaine que je suis ici et le plus gros du temps j'ai dormi pour récupérer de mes blessures. Le peu de ce que j'en ai compris c'est que le Capitaine de tous les capitaines pirates est devenu fou, que la météo a brutalement changé et qu'on se les pèles, et que si je mets le nez dehors je vais peut-être tomber malade et me transformer en sorte de zombie des neiges. Du coup, Zeb préfère que je reste à l'abri.... »
« Oh. »

Face à ce résumé aussi simple qu’efficace, Shark est de nouveau un peu sans voix. Pour quelqu’un qui n’est là que depuis une semaine (quoi que ça veuille dire, ici, Shark est bien plus à l’aise à compter en nombre de nuits), elle semble en savoir assez pour survivre. Elle sait qui sont les perdus, elle sait pour le froid, les zombies, et elle sait que Zeb Skelton n’est pas tout en haut de la chaine alimentaire, même si ce serait peut-être pas si mal. En fait, elle sait tout. Ou presque.
La femme ajoute :

« En plus, je n'ai franchement pas la dégaine d'une pirate. Tu as bien plus le look que moi... Une fois dehors, hors de ce bateau, je veux dire, on risque de me demander des comptes. »
« Il suffirait d’autres vêtements », répond Shark avec agacement.

Mais elle sait au fond que ce n’est pas vraiment le problème.

« Tant pis », elle dit. « Restez, si vous voulez. Peut-être que vous avez raison, c’est mieux d’attendre le Capitaine. »

S’il revient à temps, pense Shark, avec un frisson. Son instinct lui dicte que la femme doit partir tout de suite vers le Ranch, retrouver Zeb plus tard. Mais en même temps, que va-t-il penser s’il revient sur la Zorra et que sa protégée a disparu ?

« Mais les choses sont différentes dehors », elle dit, fixant d’un coup la femme avec une intensité féroce. « Il n’y a plus de Capitaine, la moitié de l’équipage est … possédée, ou je sais pas quoi. Tout le monde s’en va au même endroit. Personne ne vous demandera de comptes, croyez moi. »

- Il suffirait d’autres vêtements.

La gamine n'a pas tout à fait tord. ce serait une option envisageable, quoi que sur l'instant Madison se trouve un peu heurtée d'être prise de haut par cette gosse, visiblement plus dégourdie et aguerrie  qu'elle ne le sera jamais.
A moins de mentir sur son CV.

- Tant pis. Restez, si vous voulez.
- A.. Attends, ne le prends pas comme ça ! s'exclame la Bermudine, désarçonnée par la véhémence de l'enfant.
- Peut-être que vous avez raison, c’est mieux d’attendre le Capitaine.... Mais les choses sont différentes dehors. Il n’y a plus de Capitaine, la moitié de l’équipage est … possédée, ou je sais pas quoi. Tout le monde s’en va au même endroit. Personne ne vous demandera de comptes, croyez moi.
- C'est mieux d'attendre un Capitaine qui n'existe plus, hein ?

La douce ironie.

- Ecoute-moi, je ne connais qu'un seul capitaine et c'est Zeb. Et le seul équipage qui compte à mes yeux, c'est celui de la Zorra. Visiblement, ça compte pour toi aussi, sinon tu ne serais pas venue jusqu'ici pour savoir comment tout ce monde se portait.

Maddie prend une grande inspiration.

- On va conduire ce navire auprès de son propriétaire. Si Zeb est à ce ranch, là, on ira au ranch. Pour ça, j'ai besoin de me faire écouter par les membres d'équipage et de m'imposer auprès des flibustiers qu'on croisera. Alors voilà ce que je te propose : aide-moi à me transformer en pirate. Trouve-moi des habits d'homme, à ma taille, des armes, des bottes et ... d'une matériel de barbier si tu en trouves. Tu peux m'aider à faire ça ?

Elle lui tend résolument sa main, comme pour sceller un accord.

- Je m'appelle Madison. Appelle-moi Maddie... ou Mad. Mad ça sonne pas mal pour un pirate sanguinaire, non ?

« C'est mieux d'attendre un Capitaine qui n'existe plus, hein ? »

Elle regarde la femme sans répondre.

« Ecoute-moi, je ne connais qu'un seul capitaine et c'est Zeb. Et le seul équipage qui compte à mes yeux, c'est celui de la Zorra. Visiblement, ça compte pour toi aussi, sinon tu ne serais pas venue jusqu'ici pour savoir comment tout ce monde se portait. »

Shark ne dit pas qu’elle est d’accord, même si c’est vrai. De l'allégeance, elle n’en a que pour Zeb. Et pour Moriko, et Earl un peu. Le Capitaine, le vrai, celui en tout cas qui est censé mériter ce titre au dessus de tous les autres, tout ce qu’elle ressent pour lui, c’est de la peur. Alors se taire, à cet instant, c’est juste de l’instinct de préservation. Quelque chose dont de toute évidence, la femme à la robe de mariée manque.
De toute évidence.

« On va conduire ce navire auprès de son propriétaire. Si Zeb est à ce ranch, là, on ira au ranch. Pour ça, j'ai besoin de me faire écouter par les membres d'équipage et de m'imposer auprès des flibustiers qu'on croisera. Alors voilà ce que je te propose : aide-moi à me transformer en pirate. Trouve-moi des habits d'homme, à ma taille, des armes, des bottes et ... d'une matériel de barbier si tu en trouves. Tu peux m'aider à faire ça ? »

La femme continue de parler, et Shark sent ses yeux s’écarquiller. Elle est complètement folle.

« Je m'appelle Madison. Appelle-moi Maddie... ou Mad. Mad ça sonne pas mal pour un pirate sanguinaire, non ? »

Toute secouée qu’elle est, Shark ignore complètement cette dernière question.

« Vous voulez ... » elle bégaie. « Conduire … conduire la Zorra …. Mais vous pouvez pas, on peut pas, enfin, c’est juste pas possible, et puis on peut pas », elle se répète, sauf que cette fois, elle veut vraiment dire qu’elles ne peuvent pas, parce que sinon, Zeb ne posera plus jamais les yeux sur elle, il ne pourra pas croire qu’elle l’aie trahi comme ça, peut-être même qu’il la tuera. C’est un pirate après tout. Malgré tout.  « Le reste oui, le reste ... »

Elle recule d’un pas, puis hésite.

« Je peux vous trouver ça. Je peux », elle répète. « C’est une bonne idée. Vous déguiser, c’est une bonne idée. Le reste, le reste non. »

Elle recule encore, se rapprochant de la porte, sans oser quitter Madison des yeux, comme si elle avait peur, qu’à la seconde où elle passe la porte, la naufragée courre à sa mort auprès de l’équipage, tente sa mutinerie, et surtout l’entraine dans sa chute.

« Je reviens. »

- Vous voulez ... Conduire … conduire la Zorra …. Mais vous pouvez pas, on peut pas, enfin, c’est juste pas possible, et puis on peut pas.

Confusément, Madison sent qu'elle a dit une énormité. Le visage interloqué de son interlocutrice lui fait perdre pieds. Qu'a-t-elle cru ? Qu'elle avait un quelconque pouvoir sur quoi que ce soit ? L'espace d'une seconde elle remet les chose en perspective : elle n'est rien, une simple naufragée, une étrangère à ce monde. Elle s'était mariée avec Dominic, elle n'avait jamais été aussi heureuse de toute son existence et l'existence lui a tout pris. Ici, elle n'est qu'un greffon qui ne prend pas. Un gouffre abyssal s'ouvre sous ses pieds et elle vacille. Les flots noirs de l'océan furieux attendent leur dû et ils réclament ce qu'on leur a soustrait.

Une voix la rattrape pourtant, ténue.

- Le reste oui, le reste Je peux vous trouver ça. Je peux. C’est une bonne idée. Vous déguiser, c’est une bonne idée.
- C'est vrai ? demande Maddie, incertaine.
- Le reste, le reste non.
- O.. Ok.

Elle va s'accrocher à ça alors, comme elle s'est accrochée à Zeb, comme elle s'est accrochée à son radeau de fortune pour ne pas couler.

- Je reviens.
- Attends ! Je.. Je ne sais même pas comment tu t'appelles !

Comme si lui livrer offrait une quelconque garantie qu'elle revienne. Qu'elle peut-être naïve...

Quand elle sort de la pièce, Shark a l’impression que son coeur est compressé contre sa cage thoracique. Elle a le souffle court et le sang qui lui cogne dans les tempes. Dans sa tête se jouent toutes les situations qui pourraient arriver. Madison lui court après, crie après elle, alerte un autre pirate, elles se prennent toutes deux une balle. Maddie court sur le pont, se fait attraper, mentionne sa présence, tuées toutes les deux de nouveau. Madison reste, mais elle se fait choper avant que Shark revienne, et c’est aussi la fin. Habituée à l’exercice morbide de considérer tous les pires chemins et l’issue de secours adaptée, elle marche en autopilote, ses yeux criblant les alentours à la recherche de vêtements, et les oreilles à l’affut du moindre craquement de bois indiquant une présence autre que la sienne.

Dans une pièce voisine, elle trouve ce qu’elle cherche, une chemise bleu foncée, un espèce de veston qui cachera, elle l’espère, la silhouette de la jeune femme correctement. Jeté négligement dans un coin, elle trouve un pantalon un peu informe et bien trop grand, et perd son temps à chercher une ceinture, avant de capituler et de se dire qu’au pire des cas, elles n’auront qu’à utiliser un morceau de corde.
Elle refait le chemin inverse avec autant de précautions.

« Shark », elle dit en entrant dans la chambre de nouveau. Le premier truc qu’elle dit, en réponse à la question que Madison a posé quand elle est partie. Et puis elle réalise et se reprend. « Enfin, Azami. »

C’est pas la première fois qu’elle fait cette bourde, et la dernière fois, c’était devant Zeb en fait, donc elle sait que c’est irratrapable. De toutes façons Madison l’a déjà prise pour une perdue.

« C’était Shark avant, mais maintenant c’est Azami », elle décide de préciser, de mauvaise grâce. C’est pour elle, encore un mensonge. « Mettez ça. »

Elle jette plus qu’elle donne la pile de vêtements à la jeune femme, avant de se retourner vers la porte, pour lui laisser un peu d’intimité.