All the other kids with the pumped up kicks you'd better run,
better run, outrun my gun
All the other kids with the pumped up kicks you'd better run,
better run, faster than my bullet

Je ne comprends rien. La clope à gout de "sa" bouche.
Complètement idiot.
Je pense trop à "elle".
Ça m'emmerde.
Et ça me plait.

Je me mordille le charnu du pouce, nerveusement.
Reniflement.
Foutu rhume.
Foutue attente.
Foutue "toi".

Même la Nuit a son parfum.
Ça me rend dingue.
Pourquoi je suis là au juste.
Je sais.
Je ne veux pas l'admettre mais, je le sais.

T'apprends pas connasse.
T'apprends jamais.
Regarde comme t'as l'air conne, recroquevillée dans cette orbite vide, dans l’expectative que sa silhouette féline se découpe sur la lande et grimpe jusqu’ici.
Elle ne viendra pas.

T'es toute seule Nasty.
Toute seule avec son nom sur le bout de la langue que t'aimerais beugler mais que tu soupire en dedans.

T'es faible.
T'es nulle.
Va travailler, abrutie !

- Ouais...

J'écrase ma clope sur la paroi osseuse et je me laisse glisser le long du parapet laiteux. L'esprit ailleurs je souffle dans mes mains en me dirigeant vers les fourneaux.
A cette heure, il n'y aura que Tool.

J'aime bien Tool.
Je veux dire par là qu'il est facile à vivre. Sa présence ne m'agace pas comme celle des autres. On travaillent pendant des heures entières et  silencieuses, habitées seulement par la comptine des braises. On est ensembles et seuls à la fois.
J'aime bien Tool, pour ça.

Quand je fais irruption dans notre atelier improvisé, j'ai les sens fouettés par un sentiment brutal d'urgence. Je ne réalise pas immédiatement pourquoi. Tool est là, debout, grand dadais tout dégingandé, paumé. Il regarde ses paluches comme si c'était la première fois de sa vie qu'il reluquait ses doigts. Son visage bascule vers moi, les yeux vides. Hantés.
Un pas.
Deux peut-être.
Il y a un mec qui pionce, là , sur le sol. Je dis "dort" car ma cervelle ne parvient pas immédiatement à saisir la réalité des faits.
Un autre pas.
Tâches de rouille sur le sable.
Dérapage de peinture rouge.

Et je comprends brusquement.

Ma cervelle se met à bourdonner. Neurones en Larsen. Mes pupilles scrutent le cadavre. Je ne sais même pas qui est ce dude. Je me tourne très lentement vers Tool qui, plus pâle que sa tignasse, est toujours figé de sidération.

Est-ce que c'est lui le responsable de ça ?

- Tool... Fais-je doucement en approchant une main prudente. Tool, c'est moi, Nasty. Hey... Hey... J'essaie d'attraper un semblant de lueur dans ses prunelles vitreuses. Reviens avec moi, mec... On va....

Je déglutis et prends une inspiration ou plus exactement, appui sur la décision calamiteuse que je viens d'arrêter.

- On va arranger ça, ok ? J'vais gérer l'problème avec toi. Quoi qui se soit passé... Chuis avec toi, d'acc' ?

Complice de meurtre, ça manquait à mon CV.

HRP:

Je le vois revenir de loin. Je sais pas dans quel compartiment de sa tête il s'était réfugié, mais visiblement la piaule était "far far away."

- Nasty...
- C'est moi, mec.

J'ai jamais été aussi soulagée d'entendre mon blaze dans la bouche d'un autre. J'ai un sourire tordu, tout congestionné encore d'inquiétude. Malheureusement, avec la pleine conscience s'invite invariablement la panique.

- Je sais pas ce qui s’est passé, je te jure, une seconde il était devant le fourneau et il souriait, l’autre il était par terre et je... je...

Je tiens toujours son visage entre mes mains et je l'oblige à me faire face. Je manque cruellement de douceur. J'ai pas le temps.

-Hey.... HEY ! Tool, regarde moi. C'pas grave le pourquoi du comment. On s'en balec. Ca va pas l'ramener. Ok ? Maintenant, faut penser au moyen d'nous sortir d'la mouise.

Quand je suis certaine qu'il est capable de suivre mon cheminement de pensée, je relâche la pression pour jeter un oeil dehors. Personne à l'horizon.
Pour l'instant.

- Faut planquer l'corps. Faut pas qu'on l'trouve ici. Je cherche une couverture, un nappe, n'importe quel tissus un peu large. Je trouve un espèce de machin troué en toile de jute : ce que j'utilise pour poser ma quincaillerie sortant du four. Tiens, aide-moi à env'lopper salopard.

Le dude était un nain. Une chance pour nous. Les rase-mottes se portent et se camouflent plus facilement.

- Le bruler va prendre trop d'temps et ça va sentir le méchoui à des kilomètres à la ronde. Faut qu'on l'abandonne quelque part dans la jungle. T'inquiète qu'les bêtes ont tellement la dalle qui l'en rest'ra rien !

J'entends soudain des éclats de voix qui se dirigent vers nous. On est quand même au milieu d'un putain de réfectoire commun. Des gosses se pointent pour venir se réchauffer après une récolte de baies peu fructueuse. Il faut agir vite. Vite putain !
Je m'assoie sur le cadavre empaqueté et je tire sur la chemise de Tool pour qu'il fasse de même. A nous deux, on cache parfaitement la masse du macchabée qui donne l'impression d'être un banc pas très confortable. On manque tellement de naturel que les mômes nous regardent en biais : il sont deux, pas plus de sept ou huit ans. J'ai du mal à les remettre.

- Bah quoi, z'avez jamais vu deux artisans qui s'font des tresses !? Et joignant le geste à la parole je commence à passer mes doigts dans la longue tignasse blanche de mon camarade.
- Vous f'siez des bisous ? fait l'un avec une mine dégoutée.
- J'ai une gueule à aimer les bisous, que je feule mauvaise.
- Nan parce que c'est dégeu!
- S'toi l'dégeu, moitié d'couille. Foutez l'camp si vous voulez pas qu'j'vous pisse dans la bouche parce que j'ai confondu vos gueules avec des chiottes.
- BEUUUUAAAARGH!
- Comment qu'tu ferais pour viser, t'a pas d'zizi. objecte son camarade.

Je sors de mon artillerie mon rictus le plus machiavélique.

- On peut tout faire d'sa victime quand il est ligoté.

Les gamins frémissent, ma sale réputation achève d'avoir raison de leur volonté. Il tourne casque et prennent la poudre d'escampette, nous laissant -Tool, sa moitié de tresse et le mort- en toute intimité.

-Il faut qu’on y aille maintenant.
- Sans déc, Capt'ain Obvious ! J'comptais pas camper.
- Il fait froid et sombre, assez pour qu’on nous emmerde pas trop. On a qu’à dire que c’est un truc à livrer, au Canyon ou en bateau, plus loin. Selon qui demande.
- T'inquiète, personne demand'ra.

C'est tout l'intérêt d'avoir une réputation de conasse acerbe. La plupart du temps, on évite de vous péter les burnes. Mais mieux que ça, mon petit business de troc ayant pris de l'ampleur, personne n'a dans son intérêt de venir me foutre des bâtons dans les roues. Ils attendent tous leur came, quelle qu'elle soit. Bon, sauf Bob et Boby, huit ans trois quart et allergiques aux bisous.
Un cadavre met environ trois ou quatre heures avant de se rigidifier (merci pour les leçons de chasse, Apache). On est encore dans les clous, mais faut pas trainer. Le Givre ne nous facilitera pas la tâche.

- Y pèse une tonne c'con là! que je baragouine entre deux injures fleuries. La prochaine fois qu'tu butes un type, veille à c'que soit un gringalet ! Je commence à ricaner bêtement, histoire d'évacuer le stress de la situation.

On patauge dans la neige entre les os colossaux et leurs orbites vides pleines de jugement. Je me tourne vers mon complice de galère.

- Vl'a l'plan. La rivière est g'lée : on la traverse, on ouvre le sac, on l'abandonne dans un coin, on s'casse. Ok ?

Et au moment où je lui balance ça, mon pied dérape sur une plaque de verglas et rencontre le vide. Perte d'équilibre. Je bascule dans la pente, entrainant le mort et mon Tool dans la foulée. Luge sur macchabée, sport national des poissards !

Mon palpitant fait une putain d'embardée.
Vertige.
Un cri de surprise, un borborygme difficile à traduire, s'échappe de ma gorge enrouée.
La seule chose à laquelle je parviens à m'accrocher, c'est le putain de mort roulé en nem dans sa toile de jute. Le reste est un poil confus. Certaines partie de ma carcasse raclent le sol gelé et coupant. Je grince tellement des dents que plus tard je sentirais un élancement dans la mâchoire. Ma vision a du mal à faire le point avec la vitesse qui dilue le paysage.
Elle a jamais de fin cette pente de merde ?


Brusquement, tout s'arrête.
Le choc me coupe le souffle.

On s'est stoppé à mi-parcours sans que je ne m'explique pourquoi. J'ai tellement entortillé la couverture cache-macchabée dans mon poing qu'elle s'est à moitié défaite. Je suis à deux doigts du bouche à bouche avec le décédé.

Frisson de dégout.

- ... Nasty ? Ça va ?


Je lève le pif pour découvrir que Tool nous porte à bout de bras tous les trois. Il se pète les jointures sur l'arrête d'un rocher. La douleur est une information qui ne me parvient qu'après. Je suis contusionnée de partout, et je dois probablement saigner ça et là, mais rien que je ne pourrais supporter.

- Je.. j'crois. Toi ? ça va ?

Evidemment que non, abrutie de toi !
Il s'est peut-être déboité un truc.

- Attends, que je fais , en trouvant une prise pour l'alléger de mon poids. Je parviens à me caler en équilibre sur le sol pentu. Laisse glisser not' poto jusqu'en bas d'la piste. On va descendre l'rejoindre en douceur. Ok ? Vas-y lâche-le, Tool.