dvdkm – Lisetta On 6th Ave.

Un jour, Just a su qu’il était grand. Il n’avait pas pris le moindre centimètre et il n’était toujours pas foutu de faire ses lacets. Si on lui avait demandé ses plans pour l’avenir, il n’aurait pas su répondre. Si on lui avait parlé retraite, il aurait ri. Pourtant, quelque chose a changé irrémédiablement.

Le besoin de faire a disparu.

Petit, il n’aimait pas les jours de pluie parce que c’était synonyme de confinement et rien n’était plus frustrant que d’avoir une heure devant soi et ne pas savoir quoi en faire. Il fallait toujours faire quelque chose, regarder un truc, n’importe quoi.

Et puis un jour, en constatant qu’il n’avait rien fait de son après-midi, son visage s’est éclairé. Ce jour-là, il a pensé qu’il comprenait son père.

Ne rien faire, c’est le pied total.

Et c’est précisément ce qu’il compte faire cet après-midi : pas de ronde, pas d’animation, pas de punk dans les pattes. Rien ne se tient entre lui, son arbre, et de longues heures à ne rien faire. Seul. Le pied, quoi.

Son sac à dos sur l’épaule – au cas où le programme changerait – et son chapeau sur la tête, le sentinelle se dirige vers la sortie. Quand il y pense… c’est vrai ce que ces derniers jours ont été stressants. Il a sûrement mérité un peu de détente.

Il se prend un truc en pleine face et ça lui fait l’effet d’une piqûre électrique. Le cowboy s’immobilise, balaye la pièce du regard à la recherche du projectile qui vient de le heurter.

Son regard tombe sur une petit silhouette bien trop familière.

« Oh... Hum... Salut...  
— Salut, Volt. »

Très vite, les pièces du puzzle se mettent en place. Volt foncer vers Pan sait où et bien sûr, ne regardait pas devant lui. Et il a eu la mal chance d’être sur sa trajectoire. Pourtant, machinalement, il pose la question qu’il sent qu’il va regretter :

« Ça va ? »

Volt se fige. Cette simple question – simple courtoisie – semble lui faire l’effet d’une bombe. Les yeux déjà énormes de la créature s’agrandissent, cillent. Et durant cet instant de grâce, court mais révélateur, Just comprend qu’il a commis une énorme erreur.

« Nooooooon !!!! Je m'ennuiiiiiie !!!! T'as pas un potin ? »

A la manière d’une puce, la fée vient de bondir dans les airs pour mieux s’accrocher à lui, Lui présentant son air le plus pathétique. De grosses larmes de crocodiles semblent sur le point de couler et son regard fixe exige une réponse.

Just réprime un soupir. Durant leurs rares échanges, Volt s’est toujours montré épuisant. Du coup, dans un genre de réflexe pavlovien, la simple vue de la créature suffit à lui pomper toute son énergie.

Il esquisse un sourire las et entame lentement :

« J’en ai peut-être un… Il est même très récent. »

Il reprend sa marche, Volt toujours accroché à lui et apparemment déterminé. Après une longue pause pour savourer l’impatience de son interlocuteur, il reprend :

« Je me suis pris une fée dans la tronche et maintenant elle ne me lâche plus.

Le visage de la petite créature se tord en un genre de grimace tandis qu’elle le foudroie du regard. Visiblement, Volt ne trouve pas ça très drôle, comme il s’y attendait. Mais peu importe, cette tronche-là, elle lui arrache un léger sourire.

L’Alcaline lâche son col et s’installe sur son épaule sans attendre une invitation. Habitué à cette attitude qui n’est pas sans lui rappeler Apache, le sentinelle poursuit sa marche sans émettre un commentaire.

Avec Volt, il vaut mieux économiser ses forces.

« Un VRAI potin Just... C'est pas un potin ça, c'est un fait. »

Just hausse légèrement les épaules, oubliant un instant la créature qui y est accrochée.

« Tu faisais quoi ? » reprend Volt.

Just lui décoche un regard de biais qui n’exprime pas tant d’hostilité qu’une froide attention.

« Je vais dans mon coin habituel pour chillé. »

Un programme qui n’a rien de palpitant en perspective et qui, il l’espère, devrait suffisamment rebuter Volt pour qu’il n’aille pas gâcher sa pause.

Après un temps d’hésitation, il reprend d’un ton songeur :

« Tu dis qu’un ragot ce n’est pas un fait. Du coup, tu ne fais que raconter des craques, c’est bien ça ? »

Sa question n’a rien d’innocent : s’il y a bien une chose que Volt prend au sérieux c’est ses ragots. Alors mettre en doute son honnêteté, c’est un peu le lancer dans un réquisitoire. Et avec un peu de chance, Volt finira par se distraire, à force de s’exciter tout seul.

Et pour l’instant, ça semble bien parti.

« Mes sources sont fiables. Pourquoi mentir quand la vérité est tellement plus drôle ? »

Le sentinelle hausse un sourcil. Pas dupe pour un sou.

« Et tu sauras qu'un potin c'est quelque chose qu'on dit aux autres. Si tu racontes à quelqu'un d'autre que tu t'es pris une fée dans la figure, c'est un potin ! Si tu dis ça à la fée qui s'est éclaté le nez sur toi, c'est un fait. Ahlala... Faut tout leur expliquer... »

Aussi décousus soient ses argument, Just doit admettre quelque chose : Volt a une logique qui se tient. Il faut lui concéder un talent pour rebondir sur ses pattes. Mais ce serait peut-être pas la même chose, les ailes en moins.

Distraitement, en essayant d’y accorder le moins d’énergie et le moins d’attention possible, Just laisse échapper quelques banalités pour renvoyer la balle.

« Je ne crois pas que ça intéresserait quelqu’un d’autre de toute façon. »

Il poursuit sa route, son sac sur une épaule, Volt sur l’autre. Quelques gamins sur leurs passage leur glissent des regards curieux devant ce duo inhabituel.

« Du coup, c’est quoi un ragot, exactement ?

Pour la première fois depuis qu’ils se connaissent, Just essaye de montrer de l’intérêt. Est-ce sincère ? Non, c’est juste poli. Volt le fixe de ses yeux minuscules, l’air méfiant. Mais très vite, il prend ses aises :

« Alors voilà! Un ragot c'est l'inverse d'un potin. C'est "presque" pareil mais complétement faux et balancé à tout le monde pour faire chier une personne.
Genre "Scar à un troisième téton" c'est un ragot ! Mais y'aura bien un con qui va aller lui demander si c'est vrai ! "Y a du rififi chez les pirates" c'est un potin potentiel ! Mais faut que j'aille vérifier par moi même ce qui se passe exactement là-bas... Un potin n'est valide que quand les sources sont fiables ! »

Pendant qu’il lui raconte ça, Just continue d’avancer et se fait la réflexion : est-ce qu’Apache est une mauvaise influence pour Volt ? Ou est-ce l’inverse ? Non, ce serait surestimer Volt.

« Dis au fait, c'est quoi chiller exactement? je comprends pas le principe... »

La question ne l’étonne pas. Volt ne serait pas ce qu’est le silence, le vrai silence. Il ne sait pas ralentir, souffler. Tout ça, ça rentre pas dans son programme.

« Chill c’est comme cool, ça veut dire à la fois froid et détente. En gros ça veut dire, lâcher la pression. »

Et pour illustrer ses propos, il laisse échapper un grand bâillement.

« Tu devrais essayer. »

Just n’accorde pas un regard à Volt mais il devine sa réaction : mélange de choc et d’horreur. Ou peut-être même qu’il n’a aucune réaction, que son cerveau minuscule est incapable de traiter une telle information.

Il sent pourtant un mouvement sur son épaule. La fée s’est assise. Elle gigote mais il y a quand même du progrès. Just pourrait saluer l’effort verbalement mais il se dit que ça briserait un équilibre fragile et qu’une occasion comme ça n’est pas près de se reproduire.

« Alors sinon, qu'est ce qui se passe dans ta vie en ce moment ? » dit Volt qui veut quand même lui faire la conversation.

Après une hésitation, Just finit par lâcher sobrement :

« Rien de spécial. »

Et il le croit sincèrement. Sa vie est un bordel sans nom mais il y a une espèce de constance dans ce quotidien. Mais comme il sait que ça ne satisfera pas Volt et que le frustrer ne peut qu’empirer les choses pour eux, il décide de creuser :

« J’ai fait une mission l’autre jour, on m’a envoyé avec un collègue rapatrier des moutons bonbons au Grand Arbre. Mais il y en avait un qui avait une rage-carrie, il a fallu l’abattre. C’était assez moche. »

Un jour comme les autres, sur l’Ile des enfants.

« Ouais tu m'étonnes... Ils vous font vraiment faire des boulots pourris… »

Quand Volt lui dit ça, il est tenté de le contredire. Probablement parce que la plupart des garçons perdus occupant n’importe quel poste au Grand Arbre dirait la même chose. Le plus probable c’est que tous les groupes ont des boulots pourris et que personne ne s’est encore passé le mot.
Mais il a la flemme de se lancer dans ces explications. Alors pour pas couper le fil de la conversation mais sans trop l’encourager, il se contente d’un léger haussement d’épaules.

« Je me demandais, pourquoi tu fais ce taf en fait ? » Lui demande soudain l’Alcaline. « Clairement ça a pas l'air fun comme boulot... Prends Scar par exemple, le mec est tout le temps sur les nerfs ! Si on aime ce qu'on fait, on a aucune raison d'être tout le temps énervé non ? Regarde-moi, j'adore mettre le bordel, j'suis jamais énervé ! »

Jamais énervé ? Ça lui arrache un sourire amusé. Volt ne râle peut-être pas sur son travail mais c’est bel et bien un surexcité. Et ça ne l’empêche pas de piquer des colères de temps en temps, généralement de frustration. C’est pas parce que Volt est accroc à son activité principale que son rapport au travail est nécessairement plus serein.
Mais est-ce qu’il a envie de lui expliquer ça ? Non. Ça n’en vaut pas la peine.

« J’ai jamais dit que j’aimais ce travail. » Fait remarquer la Main. « Je le déteste pas non plus. C’est qu’un job. »

Ils arrivent à l’extrémité d’une plateforme. Le sentinelle se retourne, pose un pied sur l’échelon d’une échelle de corde et entame tranquillement sa descente. D’ici, il y a une vue imprenable sur les cabanes, cours internes et passerelles et des niveaux inférieurs du Grand Arbre.


« Et puis être sentinelle, ça a ses avantages. J’aime le fait que ça me laisse du temps pour réfléchir mais que ça m’oblige pas à rester assis toute la journée, qu’on soit en première ligne. Et il faut dire aussi que le statut qui va avec est pratique pour… mon hobby. » »