Les braillements d’Apache ont laissé place très vite à des choses plus douces, après un petit fou-rire des gamins présents, les joues rosies d’avoir sautillé ou ricanné au rythme des paroles. Freckles a dansé avec un peu tout le monde. Ça fait du bien de danser, il trouve. C’est pas important de le faire avec justesse, il faut juste faire bouger son corps comme il faut pour sentir la musique à l’intérieur, retrouver des articulations pas gelées et des muscles pas engourdis. A lui aussi, il lui faut du temps pour reprendre son souffle. On l’entraine dans des conversations et c’est facile de le faire sourire. On se moque plus ou moins gentiment des tenues. Il boit un truc qui n’est pas du jus de pomme, cette fois.

Il a fini par sortir de la cabane à manger. Dehors, il y a de l’air, chaud et doux. Quelques perdus dansent dehors, sur les ponts et les plateformes, font mine de se faire tomber, se marrent. On entend toujours la musique à travers les murs, et elle résonne dans les branches. Ça donne à Freckles l’envie irresistible de se casser et de grimper vers les plus hautes passerelles, peut-être même le zeppelin, juste pour voir si les étoiles sont visibles pour la première fois depuis longtemps. Mais la perspective de la solitude, ou de rater une seule miette de la fête, le clouent dans un entre-deux.
Ni les étoiles, ni le Grand Arbre ne vont s’envoler de sitôt, il se dit.

Alors à la place, il s’appuie contre une barrière, et se contente d'écouter. Et pour la deuxième fois de la soirée, il croise un regard curieusement charbonneux.

« Hey ! » Freckles lance, gaiement.

Une remarque sur la tenue de Just brûle ses lèvres et, un peu aidé par l’alcool, un sourire narquois fait son chemin sur son visage.

Leur concert terminé, Just et Tool quittent les lieux du crimes sans demander leur reste. Sur leur passage, ils récolte quelques sourires moqueurs, des accolades amicales et même quelques regards méprisants. Il faut dire qu’après leur coup d’éclat, impossible de passer inaperçu. Les fringues n’aident pas.
Just jette un regard vers son camarade, il le trouve vraiment voyant. Son masque, son maquillage, sa robe… Tout en lui attire l’attention si bien qu’on ne risque pas leur foutre la paix.  Mais au regard que le Patient lui retourne, il a comme une vague idée ce qui doit lui trotter dans la tête. Quelque chose du genre : « Just est vraiment voyant. Le chapeau, le maquillage, le torse à moitié nu. » Alors le sentinelle laisse échapper un sourire tragique. Ils finissent par trouver une vague excuse pour se séparer, échangeant un signe de la main amical. Tool, à l’instar, de son nom, a quelque chose d’assez commode. Il comprend le sous-texte.

Beaucoup ne peuvent pas en dire autant.

Sa guitare sanglée dans son dos, Just décide de sortir le temps de se faire oublier et surtout de refroidir. C’est peut-être la honte ou la concentration humaine mais il sent ses joues cramer et il commence à sérieusement suer.

Dehors l’air est si frais qu’il sent presque nu. Il frémit, se promettant qu’il ne resterait pas trop longtemps. Ce serait bête de tomber malade après tout ce temps. A la fin de l’hiver.

Sur la passerelle, quelques gamins s’agitent en rythme ou se marrent. La fête continue, en somme, mais à un rythme plus supportable. Et puis au moins, on a la place d’écarter les bras sans cogner quelqu’un.

La fin de l’Hiver.

C’est fini, alors.
Comme il s’en doutait.
Et pourtant c’est toujours dur à croire.

Il croise un regard familier et il se sent passer de la nostalgie à une gaité, un peu plus de son âge.

« Hey ! fait Freckles.
— Hey ! » fait Just.

Au regard que lui lance le rouquin, il devine ce qu’il va lui servir alors il choisit de prendre les devant :

« Nasty. »  qu’il explique avec un brin de fatalisme, désignant sa tenue d’un geste vague de la main.

Comme si ce nom à lui seul pouvait justifier tout ce qui venait de se produire, et son nouveau look. Comme si ce nom n’était pas lourd de sens et suffisamment connu pour qu’il puisse être compris de tous. Nasty, oui. Tout ça, c’était Nasty. Et un peu Apache, aussi.

Justice ne lui laisse pas la lourde responsabilité de trouver quoi dire en premier (pour une fois). Fataliste, comme conscient d’à quel point tout ça est décalé: la guitare sur l’épaule, le maquillage, et le chapeau surtout, remplacé par son équivalent en feutre noir.

« Nasty », déclare le sentinelle.

Freckles ricane.

« Exagérons rien. »

Il a bien compris de quoi - de qui - Justice parle. Il fait juste semblant, utilise le nom de la blonde comme prétexte à la moquerie. C’est vrai qu’il y a un peu de sa patte là dedans. Les yeux, surtout, cerclés de noir. Le reste, il aurait plutôt parié sur Apache. Peut-être à cause des couleurs.

« C’est vrai que c’est …. » il hésite, regarde Just de haut en bas, comme s’il n’avait pas eu le temps de le faire plus tôt, pendant le concert. Crée un suspense qui n’existe pas. « un style. »

Il pourrait lui dire que ça lui va bien, ce serait pas entièrement mentir. Mais ça l’amuse un peu de voir Just gêné pour une fois. Il aurait plus de compassion s’il n’y avait pas eu le concert, joyeuse chanson anti-chef juste avant.

« Tu pourrais rester comme ça, je suis sûre que tu t’y ferais. Y en a qui aimeraient bien, j’suis sûr. »

Malgré l’excuse – bien légitime – du sentinelle, Freckles ne semble pas convaincu.  Ça ou il le fait marcher. Comment savoir ? S’il y a une chose dont Just se sent bien incapable ce soir, c’est de croire en son propre jugement. Ce concert était une erreur, il le sait maintenant. Il n’y a plus qu’à espérer que ses conséquences ne soient pas trop désastreuses.

« C’est vrai que c’est …. un style, commente Freckles d’un air amusé, Tu pourrais rester comme ça, je suis sûre que tu t’y ferais. Y en a qui aimeraient bien, j’suis sûr. »

De qui parle-t-il ? Il n’en a pas la moindre idée. En revanche, il en est sûr : ce style n’est pas fait pour lui. Ça demande un temps de preparation excessif, l’effet est un peu too much et ça lui donne un air douteux

« Je me les pèle et c’est pas hyper confortable. »

Il a dit ça si sérieusement et il y a comme un blanc. Le genre de silence qu’il se sent obligé de combler. Alors, il regarde son interlocuteur et déclare :

« J’adore... ta chemise. Sérieusement. »

La même chose que d’habitude, barman anonyme de film noir : un cocktail Maladresse et sincérité.

« Je me les pèle et c’est pas hyper confortable. »

Freckles a un petit rire qui pourrait être interprété comme une joyeuse moquerie. C’est plutôt l’effet de ce qu’il y avait dans son verre. Just a l’air contrarié comme si on l’avait forcé à tout ça ; le concert comme les fringues, et c’est peut-être le cas.

« J’adore... ta chemise. Sérieusement. »

Détournement de sujet ? Sans doute. Mais ça marche. Freckles baisse les yeux sur les motifs fleuris de son haut, plus léger que tout ce qu’il a porté depuis les derniers mois – années ? - et il ne peut pas s’empêcher de sourire de toutes ses dents, écartant légèrement les bras comme pour mieux se montrer.

« Ouais ? Je pourrai te la prêter une fois si tu veux. »

Il baisse les bras presque tout de suite.

« Elle est pas à moi donc bon. »

Pas tout à fait certain de si ça valide ou non sa phrase précédente, il regarde dans le vide d’un air songeur pendant quelques secondes, avant de se reprendre. Jeter un œil de nouveau sur Just et son acoutrement comme pour essayer de décider si la chemise irait avec son ensemble actuel (pas vraiment). Son regard s'arrête sur un détail.

« T’as euh. Une trace d’eye-liner sur ... »

Il tend une main vers la joue de Just pour essuyer les paillettes de maquillage noire séchées qui saupoudrent le dessous de son œil, déplacées par l’effort du concert ou le vent ou il ne sait pas quoi d’autre. A quelques millilètres de la peau du sentinelle, il hésite, et retire sa main.

« Là », il indique.

Avec ses motifs floraux sur un fond nuit, la chemise de Freckles dégage de quelque chose qui attire l’œil. C’est le genre de vêtement que pourraient porter un vieux au nouvel an mais bizarrement, dans ce contexte, elle a ce côté d’ironique-assumé qui le fascine. Cool kitsch.

« Ouais ? confirme Freckles, pas peu fier de son effet. Je pourrai te la prêter une fois si tu veux. »

Just laisse échapper un sifflement admiratif. Ça le gênerait pas, non. Mais il n’est pas certain que la chemise soit à sa taille.

« Elle est pas à moi donc bon. »

La confidence lui arrache un rire détendu, de ceux qu’il laisse échapper distraitement sans trop réfléchir :

« Sérieux ? Tu piques des fringues à combien de mecs ? »

Son rire lui secoue les épaules, doucement. Il se sent étrangement détendu, même avec le fond de l’air un peu frais qui lui donne la chair de poule. C’est sûr qu’après la scène, il ne peut que relâcher la pression. Et c’est plutôt chouette de la relâcher ici, avec Freckles.

La Main se rend alors compte que ce dernier le dévisage fixement. Ne sachant pas quoi faire d’autre, le sentinelle lui rend son regard, un peu perplexe.

« T’as euh. Une trace d’eye-liner sur ... »

Le livreur lève une main à hauteur de sa joue. Il ne le touche pas mais ses doigts glacés sont si près qu’il sent leur présence, aussi vraie qu’une caresse ou une gifle. Le sentinelle ne réagit pas, légèrement déstabilisé. Il lui faut une seconde de plus, une seconde de trop peut-être, pour réaliser.

C’était quand la dernière fois ? Il peut se souvenir du baiser puissant et râpeux d’une gifle sur sa joue, des milliers de coups de poings reçus à l’arène. Mais la dernière caresse de sa mère ? Le temps passé lui fout le vertige.
Pourtant, il ne sait pas si ça devrait l’attrister. C’est pareil pour tout le monde. Et puis si ça le dérange tant que ça, il n’a qu’à en toucher deux mots à Love. Mais non, la perspective d’en discuter avec la Lascive est aussi attirante qu’un plongeant dans un lac gelé.

« Là », il indique.

Un seconde de blanc durant laquelle il dévisage le rouquin sans avoir une traite idée de quoi ils parlent, sans qu’il ait remarqué que Freckles a baissé le bras depuis une plombe.

Et puis la machine se remet en route.

« Ah… Ouais… Merci. »

Il ébauche une grimace qu’il veut amusante, histoire de détourner l’attention. Et du revers du poignet entame de se frictionner la joue pour couvrir la sensation étrange de chatouillis et une légère rougeur.

« Y’en a encore ? »

Qu’il vérifie en tournant la tête pour laisser Freckles vérifier.

Just le fixe comme s’il venait de faire quelque chose d’inattendu. Ou quelque chose de terrible. Pendant de longues secondes, il ne dit rien. Il fixe la main de Freckles retombée depuis longtemps – est-ce qu’il aurait du continuer son geste et essuyer la trace de maquillage lui-même ? - peut-être qu’il aurait mieux fait de ne rien dire du tout.

« Ah… Ouais… Merci. » finit par dire Just.

Et il lui fait une étrange grimace avant de se frotter le visage, ce qui n’a pour effet que d’étaler encore plus la tâche sur sa joue. Un mélange entre un œil au beurre noir et une larme de mascara. C’est un style, se répète Freckles distraitement, se faisant bien silencieux devant l’attitude inédite  du sentinelle.

« Y’en a encore ? »

Just tourne sa joue vers lui pour qu’il l’examine, la peau rouge à force d’avoir frotté.

« Non c’est bon », dit Freckles, sans bien savoir pourquoi  il ment.

Il fourre ses mains dans ses poches faute de savoir quoi en faire, et feint une attitude nonchalante, comme si c’était le dialogue le plus normal de la terre.

« Si t’as froid tu ferais mieux d’aller mettre un pull », lance-t-il, redevenant un peu moqueur devant la chair de poule apparente de Just. « Tu peux reprendre celui que je t’ai piqué. »

Et en repensant au concert, il ajoute :

« Danser, ça réchauffe aussi. »

« Non c’est bon »

Quelque chose dans la voix de Freckles lui donne l’impression qu’il n’est pas si sûr de lui mais il décide quand même de le croire sur parole, tant que ça leur permet de changer de sujet. Pour une raison qui lui échappe, il est pressé de mettre autant de distance que possible avec ce moment d’égarement. Il n’a pas l’habitude de se sentir gêné et il préfère vite l’oublier.

« Si t’as froid tu ferais mieux d’aller mettre un pull, lui jette Freckles. Tu peux reprendre celui que je t’ai piqué.
— … Mmmmh. Il gratte. »

Et puis c’était plus ou moins un cadeau, si ? Enfin… le genre de cadeau qu’on offre quand on veut se débarrasser d’une vieille fringue. Il s’étonne quand même que le rouquin ne s’en soit pas débarrassé discrètement. Peut-être qu’il est réellement efficace contre le froid ? Ou peut-être que Freckles a des goûts particuliers.

« Danser, ça réchauffe aussi. »

Le sentinelle glousse discrètement devant la plaisanterie mais un court blanc et la tête de Freckles lui indique que ce n’est pas une blague en fait.

« Je sais pas danser. »

C’était une invitation alors ? Il n’en est pas sûr. Ne sachant sur quel pied danser, le sentinelle passe sa main derrière sa nuque et la fait craquer.

« Je sais pas danser. »

Il dévisage Justice, attend le sourire, la blague, quelque chose, mais non, rien, juste de l’embarras dans cet aveu. Freckles ne sait pas très bien s’il attend qu’on se moque de lui. On qu’on lui apprenne (cette idée là, ça lui fait chauffer les joues, alors il l’ignore).

« Mais bien sûr que tu sais danser », il décide de déclarer.

Il hausse les épaules en levant les mains vers le ciel, un petit sourire comme si c’était une évidence.

« Tu sais te battre, alors tu sais danser. » Il mime un coup de poing, un pas de côté. « C’est presque pareil, faut juste être dans le rythme. Sauf que tu risques pas de mourir si tu te rates. »

Et comme ça, fait quelques pas au rythme de la musique. Pas sérieux, ni bien, Freckles n’est pas un bon danseur, mais il n’y a pas besoin d’être un bon danseur pour faire ça. Il sourit, en concluant :

« Juste te taper la honte. »

Comme pour lui donner raison, la musique transitionne d’un rythme plus entrainant vers un interlude doux de fin de soirée, sans doute le temps de trouver un remplacement au tambour crevé. Et Freckles s’arrête aussi après sa petite démonstration, sans doute pas bien convaincante. Mais bon il a le droit d’être ridicule, parce que c’est l’été et qu’il est pompette.
Il se tourne vers la cabane à manger, scanne des yeux les perdus éparpillés sur les passerelles. Il sait pas trop bien qui il cherche, peut être une des filles qui regardait Just jouer de la guitare avec de grands yeux tout à l’heure, mais il trouve pas, se contente de tendre le bras dans une direction vague.

« T’as bien quelqu’un à inviter non ? »

Just ne s’attendait pas à ce que cette simple confession lui vaille un tel silence. Les sentinelles ne sont pas connues pour leur maîtrise de la danse ou de toute autre activité ayant de près ou de loin rapport avec les soirées et le désordre. Pour le reste, il n’a jamais témoigné d’un caractère fêtard. Son interlocuteur semble pourtant surpris, son visage passe de l’anticipation hilare à la déception, puis de la déception au scepticisme.

« Mais bien sûr que tu sais danser », insiste le rouquin. « Tu sais te battre, alors tu sais danser. »

Sur ces mots, il effectue une rapide démonstration mélangeant coup de poing et petit pas de côté. Le genre de mouvement qui sert plus souvent à assener un coup ou en esquiver un, qu’à témoigner un esprit de fête et de courtoisie.

« C’est presque pareil, faut juste être dans le rythme. Sauf que tu risques pas de mourir si tu te rates. Juste te taper la honte.
— Je mets pas vie en jeu à chaque fois qu’on se bat. Enfin j’espère… »

Justice n’est pas complètement convaincu mais Freckles semble convaincu de sa théorie. Mais le genre de confiance en soi dont il témoigne est parfois plus un effet secondaire de l’alcool que d’une réflexion aboutie. Mais le pire, c’est que ça marche.

La musique et l’ambiance s’adoucissent, l’humeur du sentinelle avec. Les deux garçons balayent la foule du regard. Les danseurs ont adapté leurs mouvements : il en ressort quelque chose de plus trainant, presque intime. Certains se balancent seuls d’une jambe sur l’autre tandis que d’autres, en paires, effectués des pas glissés en se tenant de près.
Ça ressemble de moins en moins à un combat.

« T’as bien quelqu’un à inviter non ? » demande Freckles.

Il n’y avait pas sérieusement réfléchi. Mais maintenant qu’il y pense, ce ne serait pas sorcier. Il pourrait demander à une fille au hasard. Il est à peu près sûr qu’au bout de la troisième tentative, il en trouverait qui ait suffisamment pitié de lui ou qui soit assez peu regardante pour lui accorder 2 minutes.
Mais la perspective n’est pas particulièrement enviable. Danser n’est déjà pas trop dans sa zone de confort. Danser avec une inconnue ça n’a pas l’air très drôle.

« On pourrait essayer. » Justice propose.

Puis, comme si ça n’était pas assez clair, il se sent obligé d’ajouter :

« Je veux dire nous. »

Puis, comme pour écarter tout risque de malentendus, il ajoute encore :

« Je veux dire : tu as l’air d’aimer bien ça. Et on s’est déjà battu donc si c’est presque la même chose... Et puis je préfère me taper la honte plutôt que... »

Il fait un peu chaud là, non ?

Just suit du regard son doigt, scanne la foule avec lui. Il y a un instant de silence et pendant une seconde, Freckles n’est même pas sûr qu’il lui réponde.

« On pourrait essayer. » finit-il par dire. « Je veux dire nous. »

Freckles regarde le sentinelle en clignant des yeux si fort qu’on pourrait y apposer un de ces bruits débiles de dessin animé.

« Je veux dire : tu as l’air d’aimer bien ça. Et on s’est déjà battu donc si c’est presque la même chose... Et puis je préfère me taper la honte plutôt que... »
« Nous deux ? Là ? » l’interrompt Freckles.

Devant tout le monde ?, est la suite de sa question, mais sa voix craque tant sur la fin de sa phrase qu’il reste juste sans mots. Et puis il y a de tas d’autres questions qui viennent remplacer celle-là, qui lui semblent beaucoup plus pertinentes : comme quoi, et pourquoi, et est-ce qu’il juste mal entendu, et est-ce que Justice se moque de lui, et est-ce qu’il est même capable de danser si ses jambes sont pleines de coton.

« Bah, si tu veux », il bafouille. « Enfin oui, je veux bien. Si toi tu veux. »

Plus une trace de l’assurance des minutes précédentes, à laquelle il essaie de se raccrocher comme il peut.

« Et j’aime bien mais toi, si t’aimes pas, bah c’est pas grave, on arrête, et comme ça tu sauras. Que t’aimes pas. »

Oui voilà, comme ça il saura. Pour les autres fois.

« C’est vrai qu’on s’est déjà battus donc voilà », ajoute-t-il, comme si ça ça voulait tout dire alors que non.

Et après deux ou trois ou quatre hésitations visibles, de mouvements de mains amorcés, anxieux, il vient poser ses mains sur les épaules de Justice très doucement.

Just pose ses mains sur sa taille et il faut bien se rendre à l’évidence que c’était pas une blague. C’est pour de vrai vrai. Pour être honnête, Freckles le savait. A l’attitude du sentinelle, qu’il a jamais vu aussi nerveux de sa vie – sauf peut-être quand il lui réclamait ce foutu concert de guitare.
Les slow dances, c’est super con. Tout le monde autour d’eux a l’air d’un couple de pingouins à se balancer sur place d’un pied sur l’autre. C’est pas de la danse, juste un prétexte pour un contact prolongé. Un câlin, c’est gênant, on sait pas combien de temps ça doit durer, et si c’est trop long, ça veut dire quelque chose. Alors qu’un slow, c’est très simple, c’est juste le temps d’une chanson, pas plus pas moins. Freckles se rappelle alors que ce qui joue dans le fond, c’est pas une jukebox, juste des gamins qui s’amusent avec des instruments. Ça pourrait s’arrêter maintenant ou durer des heures. Il sait pas quelle possibilité est la plus déplaisante.

Just, qui était très concentré sur ses pieds jusqu’ici, lève la tête et croise le regard de Freckles, qui était perdu quelque part sur un reflet de cheveux du sentinelle.

« Je m’en sors comment là ? »

La nervosité a rendu la bouche de Freckles sèche et pâteuse alors il se félicite de réussir à répondre :

« Bien. »

Peut-être que c’est pas si bête, de se concentrer sur la partie pédagogique. C’est pour ça qu’ils font ça, non ? Pour apprendre. Depuis quand Freckles est un professionnel de la danse ? Il en a foutrement aucune idée. Depuis ce soir, il suppose.

« Je t’avais dit. C’est pas dur. » Il se rend compte immédiatement qu’il donne l’impression de discréditer les efforts de Just, se reprend. « Je veux dire, même pas besoin de suivre le rythme pour ce genre de musique. »

Il y a d’autres difficultés ajoutées, comme les mains qui glissent et qu’il faut réajuster, la gestion de la distance (la leur est très correcte), la syncro des pieds, mais évidement, c’est pas une valse, ni un rock endiablé. Freckles réussit à sourire à Justice avec l’air enjoué qu’il avait quelques minutes plus tôt quand il se moquait de sa tenue.

« Tant que tu me marches pas sur les pieds, c’est bon, t’as gagné. »

« Bien. » lui répond Freckles.

Just opine du chef, pas tant pour approuver que pour s’encourager. Il gère, il tient le truc. Enfin, plus ou moins. Pour l’instant, il est en rythme, c’est déjà ça.

« Je t’avais dit. C’est pas dur. » reprend son partenaire. « Je veux dire, même pas besoin de suivre le rythme pour ce genre de musique. »

Ah bon ? Peut-être qu’il n’a pas à se prendre autant la tête au fond. C’est parfois plus une affaire du corps qu’une affaire de tête. Ça tombe bien parce qu’il a très mal à la tête.
Le sentinelle s’ébroue pour chasser ces pensées, s’interdit de déjà planifier le reste de sa soirée. Là, il faut qu’il se vide la tête et qu’il profite du moment.

En face, y’a Freckles qui lui sourit. Il a l’air de s’amuser, c’est plutôt encourageant.

« Tant que tu me marches pas sur les pieds, c’est bon, t’as gagné.
— J’essaye. »

Ça le fait un peu rire sur le coup. Mais il se demande maintenant s’il risque de pas la faire, la connerie. Alors il essaye de se détendre, glisse un regard vers les autres danseurs sur la piste, vers le ciel, puis Freckles.
C’est pas si mal.

« Ça me rappelle quand t’as appris à siffler. Tu te souviens ? »

« J’essaye.  »

Freckles a une petite respiration amusée, en réponse au rire du sentinelle. A l’entendre faudrait croire que c’est la plus grande épreuve de sa vie. Pourtant il s’en sort bien. Ils s’en sortent bien, les deux. Justice a enfin arrêté de regarder tout autour de lui. Freckles se rend compte de la difficulté de fixer quelqu’un dans le blanc des yeux quand on est si près ; à la place, il se focalise sur l’espèce de tâche de maquillage noir qui donne au sentinelle l’air d’avoir un œil au beurre noir.

« Ça me rappelle quand t’as appris à siffler. Tu te souviens ? »

Il adresse à Just un regard surpris, à cette question qui sort de nulle part.

« Bien sûr que je me souviens. »

C’était un aprem sous la Pluie (avec un grand P).  Ça, il s’en rappelle bien. Le reste, plus tant que ça, même s’il essaie de prétendre le contraire. Il lance un regard à Just, et puis fait une petite moue, lâche une première note sifflée entre ses dents, et puis après une pause, se reprend, cette fois plus mélodique, tentant de se calquer sur la musique dans le fond.

« J’avoue que je me suis pas giga entrainé depuis. »

Ça fait longtemps, non ? Freckles aimerait bien dire qu’il a pas changé, mais peut-être que si, un peu. Et Just ? Just est toujours le même. En réajustant ses mains sur les épaules du sentinelle, Freckles frole le manche de la guitare qu’il a sanglé dans son dos. Il a un autre sourire. C’était le même jour, ça aussi, non ? Occupé à essayer de se rappeler, il ne se rend même pas compte que l’orchestre dans le fond a fini de jouer la chanson sur laquelle ils dansaient.