HRP:

Je déteste avoir les coussinets mouillés. C'est le truc qui m'a le plus marqué durant la Pluie Salée. Les coussinets mouillés. J'en ai encore les poils qui s'hérissent...
Depuis que cette foutue flotte a cessé de tomber, je sors plus souvent de mon trou. Faut que je m'aère les moustaches, tu vois. Évidemment, faut aussi que je fasse le tour de l'Île, que je constate les dégâts. Je fais l'état des lieux, quoi.

Bref. Un de ces jours, je me suis dit : "Dans quel état est le port ?", alors j'y suis allé. Comment ça, c'est tout ? Bah oui, c'est tout. Je suis un chat, je me pose pas mille questions.

Donc je me rends là-bas, espérant me servir de quelques poissons au passage. Veinard que je suis, je tombe sur une arrivée de filets bien remplis. Des humains s'affairent tout autour. J'observe leurs mains et j'attends que l'un d'eux démêle un poisson (les filets ont toujours été un casse-tête pour moi).  Là, je vois une faille. Ni une ni deux, je fonce sur ma proie encore frétillante. L'humain ne peut rien contre mon impressionnante rapidité, à part peut-être m'envier. Je l'entends râler derrière moi, mais je l'ignore et je continue ma course.

Après avoir semé le marin, je m'arrête sur une plage. Alors que je me mets tout juste à déguster mon butin, j'entends le cri ridicule d'une mouette. Je sais pas ce qui est le pire : les braillements d'un gamin, ou les piaillements d'une mouette ? Enfin bref. D'abord, j'essaie de garder mon calme, de pas prêter attention au piaf. Mais ce con recommence à piailler dans mon dos et je l'entends se rapprocher toujours plus. S'il croit qu'il aura droit jusqu'à la moindre arête de ce poisson...  

Là, la mouette me court définitivement sur le haricot. Je me retourne brusquement et je lui pouffe à la gueule. Elle s’envole d’un coup. Je fais demi-tour sur mon repas, et... SURPRISE. Il doit y avoir au moins quinze mouettes droit devant moi, les yeux rivés sur MON poisson. Je fais le gros dos, mais étonnamment, ça les éloigne pas du tout. Y en a même une qui tente de me chouraver le poisson ! ça, c’est le geste de trop. Je m’énerve et je saute dans le tas. Les mouettes s’envolent, mais se reposent immédiatement.

C’est à ce moment que je me rends compte de leur plan : m’agacer suffisamment pour m’éloigner de ma pitance, et ainsi la picorer en douce.

HAHA ! Je me laisserai pas avoir cette fois ! (Oui bon c’est pas la première fois que ça m’arrive, j’apprends juste jamais de mes erreurs, et alors ?). J’attrape le poisson par les crocs et je file le plus loin et le plus vite possible. Les mouettes volent en essaim autour de moi, ça piaille de partout.

Je finis par être complètement déboussolé, mais dans ma course, j’aperçois une sorte de cabane sur la plage. Je me dis que c’est mon dernier espoir si je veux avaler ce fichu poisson, alors je fonce jusqu’à la bâtisse. Je vois une fenêtre entrouverte. Je me glisse là-dedans, peut importe ce que je risque d’y trouver à l’intérieur. Sur le coup, le seul truc qui m’importe, c’est de manger en paix. Les mouettes ne parviennent pas à passer la fenêtre, mais elles font un raffut insoutenable à l’extérieur.

Soulagé d’avoir enfin un peu de tranquillité, je m’installe sous une table, après avoir fait tomber deux ou trois objets au passage. Ce doit être la première fois que j’entre dans cette maison. Pour le moment, elle me semble vide, ou en tout cas, je remarque aucune présence. Bref, je mange le reste du poisson, puis je laisse la carcasse là. Ça me semble bien.

Après m’être fait la toilette, secoué un bon coup pour remettre les poils en place, je décide de faire un peu d’exploration. Le lieu est assez atypique, y a pleins d’objets dont l’utilité me dépasse. Je monte sur un meuble pour voir ça de plus près.

- Des livres. Bof, je sais pas lire.

J’avance, et je me frotte là où je peux en passant, histoire de laisser mon odeur. Je vois des espèces de bocaux, je les renifle. J’ai horreur du verre, ça isole trop, les odeurs passent pas. Du coup, ça me frustre, alors je décide de jouer un peu.

Je vise les bocaux les plus proches du bord, je m’assieds à côté, et je les pousse d’une patte, pour voir ce qu’il se passe. En général, ils se fracassent au sol, ce qui m’amuse beaucoup. Je me demande s’ils peuvent faire autre chose que tomber si on les pousse, donc je continue sur ma lignée. Ça s'appelle de la science, gamin.

hrp:

Alors là, tu vas pas me croire.

Depuis toutes ces années que je pousse des trucs, c'est la première fois que je les vois s'envoler et se remettre en place. Comme quoi, il en résulte quand même quelque chose de mes expériences scientifiques.

Une voix me surprend juste assez pour hérisser mes poils. Je me lèche l'épaule ni vu ni connu, histoire d´avoir l'air détendu.

-Alors c'est toi mon invité mystère? Je m'attendais à plus intéressant....

Non mais j'y crois pas ! Plus intéressant qu'un chat, ça existe ? Je lui ferai pas l'honneur de répondre. Je me contente de pointer mes oreilles vers l'arrière.

-J'ai lu l'avenir dans mes cartes ce matin; elles annonçaient la venue d'un grand mâle noir et puissant....
Ok, je remets mes oreilles en avant. Grand mâle noir et puissant ? Pas mal. Du coup, je veux bien lui montrer un peu d´intérêt. J´ouvre tout juste la bouche pour prendre la parole, quand elle ajoute :
-Elles n'avaient jamais menti pourtant auparavant....je parle évidemment pour le grand et puissant.

Je vais finir par avoir des crampes aux oreilles. Quel outrage ! Je dévisage ce qui semble être un humain femelle. Son attitude me déplaît fortement. J'ai au moins mille réponses piquantes à lui envoyer, mais je garde ma voix pour moi. Le problème, c'est qu'en tant que représentant de la gente féline, je me doit d'éviter à tout prix le conflit.

Installé sur mon étagère, silencieux, je la regarde frapper des mains. Au même moment, un gros machin apparaît à l´extérieur et chasse les mouettes. Si c'est elle qui a fait ça, je veux bien lui offrir un minimum de mon respect, mais tout dépend de son comportement envers ma personne.

-Je déteste ces oiseaux, ils chient partout, il volent la bouffe, sont envahissant et qu'est ce qu'ils BRAILLENT

Hmm je vois qu'on a les mêmes opinions politiques. Qui a donné des licences aux mouettes pour traîner sur la plage ? Je me suis promis il y a deux minutes de ne pas parler à cette insolente, mais je te jure que j'ai très envie d´acquiescer. Je cligne lentement des yeux, au moins pour lui montrer que je suis de son côté.  

-Je vais te poser trois questions tu vas y répondre, et ensuite tu iras foutre cette carcasse de poisson dans un bocal vide qui se trouve dans la cuisine à côté.

Je regarde son doigt. Je crois bien qu'elle m´a donné un ordre, mais son doigt qu'elle pointe comme les humains le font souvent attire toute mon attention. Ces animaux ont de drôles de pattes quand même. Oh, mais c'est pas une critique négative ! C'est idéal pour les massages.  

-1:Qu'es-tu, démon, créature, esprit? 2:Comment tu t'appelles? 3:D'où te permets tu d'entrer ainsi chez les gens?

Elle s'attend à ce que je lui réponde apparemment. J'hésite un peu parce que je suis censé la bouder, mais l'envie irrépressible de parler de moi me pousse à prendre enfin la parole.

- Je suis un chat. Pas de trucs démoniques ou spirituels avec moi.

Je descends de l'étagère. En sautant, je me demande si je vais m'envoler comme les bocaux, mais non. Je retombe bien sur mes pattes. Dommage. Je m'approche légèrement de mon interlocutrice, la queue à la verticale pour signifier mon pacifisme.

- Mon nom est Alfred. J'ajoute fièrement : On me surnomme l'Autorité.

Sa troisième question me demande un gros effort de réflexion. C'est normal que j'entre chez les gens, non ? Depuis quand j'ai besoin d'une autorisation ? Voilà, c'est ça le problème que j'ai avec les humains : je comprends leur langue, je peux la parler, mais certains de leurs concepts me passent à 10 kilomètres au-dessus de la tête. Différents culturels, peut-être.

- La fenêtre était ouverte, que j'lui dis, parce qu'il faut bien donner une explication. Avec un peu de chance, ça satisfera son cerveau de primate. D'ailleurs, c'est plutôt sympa ici.

Le temps que je me lèche la patte, une question me vient à l'esprit.

- Tu vois l'avenir dans les cartes ? Du genre... ces morceaux de papiers sur lesquels les humains dessinent des lieux ? Ça annonce quoi de bien sur moi ?

Bon d'accord. Ça fait plus d'une question. Mais que veux-tu, cette rencontre fortuite commence à susciter mon intérêt.

- «La curiosité tue le chat, mais la satisfaction le ramène à la vie.» Je la connais bien. Je vois qu'elle a de l'humour, mais j'ai de la répartie. Tu dessines le futur ? Joliment dit.

En échange d´argent ? c'est un peu embêtant... Y paraît que marcher stimule les idées, du coup je déambule dans la pièce. On a rarement de l'argent sur soi quand on est un chat. Le problème, c´est que je suis très curieux de voir cette humaine pratiquer son machin, sauf que j'ai rien à lui offrir en échange.

Et là tu vois, elle me demande de faire quelque chose avec le poisson que je viens de manger, mais quoi ? Merde j'ai pas écouté, du con que je suis. C'est la mouise ! Je suis à peu près sûr qu´elle en a parlé quand elle tendait son doigt, plus tôt dans la discussion. En plus, c'est peut-être le moyen de paiement auquel elle s'attend.

Bon. J'improvise un plan : je prends la carcasse et je la pose au pied du siège où la dame est assise. Je réfléchis un instant, pis je me dit qu'elle en préférerait un qui ne soit pas complètement rongé.

- Si j'en apporte un frais, tu dessines mon futur ?

Je termine tout juste ma phrase que je me rends compte que je sais même pas son nom. Bon, tu vas me dire que c'est parce que je suis un peu trop obnubilé par ma personne. Je te répondrai que je suis un chat, après tout.

Bref, je sais pas à qui j'ai affaire depuis que je suis entré dans cette maison. Un petit éclaircissement s'impose.

- Attends. Si moi c'est Alfred, toi c'est quoi ? Et ensuite : démon ? créature ? esprit ?

Tête de piaf ? PARDON ?

Les poils de mon dos s'hérissent pour... au moins la centième fois de cette sacrée journée. Je retiens de justesse un grognement. Tu vois gamin, quand on fait du marchandage, faut savoir être diplomatique. Je ferme ma gueule sur cette terrible insulte, la PIRE insulte qu'on puisse faire à un chat, en supposant que cette guenon ne sait simplement pas ce qu'elle dit.

- Bon d'accord. Mais je tiens quand même à préciser que j'obéis pas. Je rends service.

Je résiste pas à bougonner dans mes moustaches, alors que je pars déposer le poisson à l'endroit demandé. Je trouve un pot en verre, comme l'humaine m'a indiqué et j'y insère le poisson. Pour être honnête, j'ai dû faire plusieurs tentatives. J'arrivais pas à viser le trou. En même temps, c'est compliqué d'être précis quand on a que des pattes sans doigts et qu'on utilise sa bouche pour tenir des trucs.

- Un poisson frais. Marché conclu ! Je sais les attraper comme personne, j'ajoute, comme je résiste pas à la vantardise. Une fois, j'en ai même chopé un plus gros que moi. Je te dis pas le combat que c'était.

Morrigan Mac Banshea. Une sorcière ? Intéressant.

- Enchanté Madame La Horla. Je ne sais pas lire, mais j'imagine que c'est un bon livre.

Quand elle claque des doigts et que ça fait pleins de trucs, je suis très impressionné. J'aime bien les humains qui savent faire des tours de passe-passe. C'est captivant. Je m'approche et m'assieds en face de la sorcière. Je réfléchis un moment à sa question. Je suis qu'un chat, donc pas très prévoyant.

- Ben... J'imagine pas vraiment mon futur en général, je vis au jour le jour, tu vois. Je lève la truffe au plafond, comme pour y trouver l'inspiration. Est-ce qu'il y a une possibilité que je détrône le Capitaine Hook par exemple ? Est-ce que je suis immortel ? Vas-y, fais péter les cartes, Madame !

Je m'approche encore, prêt à renifler tout ce qui se trouvera dans les mains de La Horla.  

Elle a un humour bien particulier, cette donzelle…
Je fais mine de ne pas comprendre et je hoche la tête quand elle s’excuse. Parfois, c’est plus simple de jouer les cons.

Je saute sur la table, m’assieds et observe.

Les choses intéressantes commencent quand elle manie ses fameuses cartes d’une drôle de façon. J’essaie de suivre des yeux ses mouvements, mais même avec les pupilles dilatées, ça va trop vite pour moi. J’en ai carrément le tournis.

- Ouais je sais. Je penche plutôt pour les neuf vies, perso.

Là, elle me regarde avec insistance. Genre elle essaie de lire dans mes pensées. Mais les combats de regard, ça me connaît. Enfin c’est un truc de chat, quoi. Du coup, je la regarde aussi, je la lâche pas des prunelles. Je suis pas doué pour comprendre les intentions des autres, par contre, je suis spécialisé dans l’art d’attendre qu’il se passe un truc.

- Alors… Je réfléchis tandis que je scrute chaque carte, mais c’est toutes les mêmes.

Je les renifle une à une. Je me lèche les babines dans ma réflexion intense. Bon, comme il faut se décider, je finis par désigner les quatre cartes.

- Celle-là, celle-là, celle-ci et celle-là, je montre avec ma patte.

Quand elle s’exclame soudainement, je sursaute d’un coup. Je pars en arrière, touche presque le plafond dans mon saut et retombe sur mes pattes au fond de la pièce. Mes poils restent hérissés, alors que j’attends de comprendre cette réaction fulgurante.  

- Dis moi Alfred, qu'est ce que tu penses du destin? Je veux dire, qu'est ce qu'il signifie pour toi?

Ce genre de question philosophique, je me les pose jamais. Quel casse-tête ce destin...

- Bah... En fait, je crois pas au destin. Je vis au jour le jour et je considère que tout ce qui m’arrive est le simple résultat d’une suite d’actions.

Je me demande d’ailleurs comment cette sorcière peut lire l’avenir. Signifie-t-elle qu’on a tous une destinée déjà toute rédigée, ou alors est-elle capable de deviner la suite des événements par simple déduction ?

- Mais si le destin existe vraiment, j’ose espérer qu’il prévoit quelque chose de grandiose pour moi. Je suis quand même un chat qui parle ! Bon. Je suis pas le premier, mais y en a pas trente-six mille autres.

En y réfléchissant, je me rends compte de la simplicité de ma vie de chat. Pas d’actes héroïques en vue jusqu’à maintenant.

- J’imagine que le destin ne me laissera pas remplacer Peter Pan, ni même le Capitaine Hook. Il fera pas de moi un dieu non plus. Mais j’ai quand même un truc en plus, par rapport aux autres chats, non ?