Les yeux fixant le plafond, ils pouvaient voir le ciel. Les nuages lourds, la presque nuit, ou entière nuit. Le soleil jamais n'avait assez de place dans les cieux du Bayou. C'était la lueur spécifique au territoire vaudou qui plongeait dans la maison du Céleste par un puit de lumière. Au centre de cette grande maison -agrandie par ajouts, au fil des épouses- le haut du monde pouvait s'engouffrer. Histoire de toujours voir le ciel.

Lundi observait, un peu ailleurs, sentant les parfums d'encens qu'il laissait valser. À ses pieds, se trouvait un bras d'eau. Un genre de bassin qui débordait du tunnel menant au royaume des cieux, le Guédé faisait en sorte d'avoir de l'eau stagnante proche. Il n'avait qu'à se pencher, se munir d'objets ou de cheveux pour jouer avec ses pouvoirs.

Mais là, il ne faisait que trainer des pieds dans l'eau froide. Elle était d'une froideur coupante. Le troisième Baron se retenait de céder à la curiosité, il ne regardait pas encore ses "acteurs" favoris. Il attendait, il patientait, chantonnant des syllabes trainantes. Comme pour imiter des vibrations du tonnerre dans le crâne.

Ses épouses vaquaient à leurs occupations un peu partout dans la maison, elles n'étaient pas souvent dans cette partie centrale où leur mari s'adonnait à la magie.

Et puis, là, il était calme. Lundi. Il attendait avec une patience qui s'amenuisait de plus en plus, son aîné qu'il avait invité. Il avait prévu une soirée de bonne rigolade, cigares et rhum, et... petite session d'observation par les yeux des cieux.

Lundi ricana, il se demandait qui allaient-ils regarder ? Parmi sa collection, il y en avait du choix...

Allez, Samedi, ne sois pas trop lent. Lundi commence déjà à faire gronder le ciel.

Enfin voilà l'aîné des frères qui entrait dans le coeur de la maison. Evidemment, il n'aurait pas été nécessaire de faire gronder le ciel. Lundi, bien qu'encore un peu boudeur, fit en sorte de dissiper ces restes de mauvaise humeur. Kaplata présentait déjà en plus de sa présence, une bouteille contenant un grand intérêt. Pour que Samedi présente un pareil présent, c'était que ça devait en valoir bien mille peines.

Le Céleste prit l'alcool pour l'observer mieux, mais évidemment l'autre main vint machinalement se poser sur l'épaule du Fétide. Le besoin de l'éclair, celui de se lier aussi vite que possible à la terre. Lundi, c'était à ceux qui se présentaient à lui. Encore plus lorsqu'il s'agissait des siens. Un contact qui créait une décharge d'électricité -ou de magie?- statique. Léger coup de fouet avec lequel le troisième frère et le quatrième avaient pour habitude de jouer.

Le sourire avait pris place sur le visage du Baron cadet.

- Heeeh Samedi, t'efface la mauvaise humeur aussi vite que la foudre !

Et le bouchon ouvert, l'odeur laissait promettre en effet quelque chose de bien fort. Mais plus tard, plus tard. Lundi devait rester un peu concentrer, au début.

Les deux lunes retrouvèrent le visage de leur grand frère.

- Je te pardonne. J'ai pas eu le temps de trop m'endormir.

Un geste de la tête vers le bassin d'eau stagnante, déplaçant quelques nattes qui reposaient sur les épaules du Céleste.

- Avant qu'on boive la belle bouteille de ta collection, Qui c'est qui t'amuserait dans la mienne ?

Il était toujours question de Qui, dans cette collection-ci. Et Klere détestait faire trop de détours.
En espérant qu'ils ne soient pas trop frileux. Quoi qu'il en soit... Lundi trouverait bien quelle vie serait un minimum intrigante. Du moins, de ceux qui décidaient de braver le givre, ou des orbleus qui erraient ou se battaient...

Lundi saurait quoi faire.

Voilà que les choses sérieuses commençaient. Et c'était loin de déplaire au cadet, il était impatient de savoir ce qui amuserait son frère et lui-même. La déception ne se montra pas, Lundi voyait déjà quelques idées se dessiner alors que Samedi précisait ses préférences.

Klere souriait, puis observa les étagères contenant diverses fioles. Il y avaient aussi des boîtes contenant des objets trop grands pour ces verrines. C'était qu'il était souvent plus facile de voler un cheveux, il fallait donc avoir de quoi le ranger. Et de quoi ne pas les perdre. Ce serait dommage de ne pas prendre ces cadeaux du hasard.

- J'ai sûrement ça.

La curiosité se mettait en marche, qui pourrait bien amuser Wa dans le sens demandé ? Lundi se leva, parcouru les planches encombrées en faisant danser les doigts devant les étiquettes indiquant les noms des possesseurs. Un mot arrêta la course, voilà que le troisième fils revint vers son frère en sortant une mèche bien fournie de cheveux bruns de la petite prison de verre. L'ingrédient plongé dans l'eau, Lundi traça une spirale sur la surface qui se propagea au bassin. Quelques étincelles électriques grésillèrent, et doucement une images se formait alors que l'eau reprenait son calme initiale.

Comme si des nuages s'écartaient et que l'on plongeait dans l'Île, enfin la scènes se précisait. C'était le campement du Canyon, le ciel cherchait le possesseur des cheveux. Quant à Lundi, il s'allongeait agréablement dans les coussins au bord du bassin.

- Ça fait un moment que j'ai pas regardé ce qui se trame là-bas.

On y voyait donc un Garçon Perdu qui semblait récupérer des vivres çà et là. Il préparait quelque chose à emporter, il était passé à plusieurs reprises devant le fameux cocon. Ralentissant un peu la marche, puis s'en allait... prendre des cordes. Le Céleste approcha un peu la vision, légèrement de biais depuis le dessus ils pouvaient tout de même voir les expressions du visage et ce qui se passait globalement.

- De la bouffe, des cordes, ... Lui, en général, il en fait qu'à sa tête. Je sais qu'il cherchait quelqu'un, mais l'a jamais trouvé. Comme une sacrée masse de gens sur l'Île.

Un regard à Samedi.

- Mais j'ai l'intuition qu'il fallait aller voir le campement du Canyon, y a un truc dans l'air.

Sourire en coin, les intuitions pouvaient être imprécises mais savoir faire choisir ce qu'il fallait au bon moment pour les yeux. Lundi tirait ses échantillons comme on aurait pu tirer des cartes.

Spoiler:

Du rhum, de l'eau et des âmes à épier. Une bonne soirée. Klere était content de savoir son aîné motivé pour rire un peu des petites vies d'enfants perdus. La main froide de Samedi ne le surprenait pas tandis qu'il s'attaquait à la bouteille d'alcool, lui qui cherchait toujours à établir un contact au moins bref avec ceux qui l'entouraient... il avait l'habitude. Personne n'y échappait, le troisième des Barons en ressentait toujours ce besoin. Depuis tout petit, déjà dans les pattes.

- Il a peut-être déjà grandi et t'a oublié !

Cria la petite, mettant la Mort à part. Comme si la véritable fin chez ces Garçons Perdus ne se mesurait qu'en âge et oubli.

La remarque du Fétide sur les noms des enfants du Grand Arbre engendra un rire bref au cadet, avant de rendre le "santé" d'un signe de bouteille.

Les yeux du Céleste tombèrent ensuite sur la scène qui étaient destinée à les divertir. Un fameux Worm à la recherche de Sigh, Lundi aurait presque eu envie de savoir qui était ce disparu juste pour avoir une connaissance de plus que l'acteur de ce soir.

- Ridicules, et pas plus malins... il va s'aventurer en terre bien hostile, tout seul.

Lundi avait en réalité déjà rencontré ce "Sigh", celui-ci était ni plus ni moins la personne qui avait laissé cette mèche de Worm derrière lui. Cependant, toujours aucun moyen de connaître ce qu'il était advenu du cher évaporé.

- J'espère qu'il tiendra assez longtemps.

L'enfant dans le reflet s'avançait, toujours aussi décidé de son trajet. Bizarrement déterminé en fait, assez singulièrement pour faire pencher la tête de Lundi de biais. Comme si le Guédé orageux allait y déceler une autre scène en changeant l'angle de vue.

Bientôt, une crevasse apparaissait, contenant des arbres mais pas d'accès sans faire de chute mortelle. Klere mesurait la forme arrondie que la Nature avait dessiné presque trop nette, mais sur l'Île le hasard avait un autre visage.

- Oooh ? On dirait que le petit Worm a prévu quelque chose, hein ?

Supposait Lundi alors que le presqu'adolescent attachait une de ses cordes au tronc d'un arbres dénudé par le temps glacial. Un coup d'oeil à Samedi avant de sourire franchement, déjà très intéressé par voir ce qui s'en suivrait.

- Est-ce que tu devines les intentions de ce petit ver ? Les dernières fois que je l'ai observé, soit il cherchait, soit il se bagarrait ou s'enfonçait dans des mauvaises situations...

Klere ne savait pas bien deviner, sans avoir l'indice des émotions, et encore moins gagner aux cartes. C'était une vraie question à son frère, l'histoire de ce petit était encore à écrire. Enfin, si peut-être la réalité ne comblait pas l'envie de distraction. Décider des fins des récits, décider de la vie ou de la mort d'acteurs... ça arrivait.