Fin de la canicule, enfin. Absinthe était en proie à l'ennui. Opium se trouvait être occupé, et elle ne savait pas encore ce qu'elle allait faire concernant certains poètes. Elle devait se pencher sur le sujet... La fée se revêtait d'une lueur bleue laiteuse, puisqu'elle trempait les pieds dans l'eau du bassin dans sa maison. Les plantes étaient multiples, s'enroulant avec élégance, quelques nénuphars flottaient même dans cette fausse marre. La Fée Verte aimait être la lumière de laquelle naissaient les beautés de la terre. Elle avait passé son enfance à jouer dans les ailes de l'Archefleur et surtout celles d'Obéron et de Mab. Une vague nostalgique fit vibrer la lueur pâle.

Et un son.

Paresseusement, la tête se tourna vers la source.

Que pouvait-il bien y avoir ? Oh ! Mais bien entendu... Le sourire retrouva sa place, la surprise noyée, effacée en même temps que les teintes bleutées lorsque la fée avait abandonnée sa minuscule marrée.

Il s'agissait de Clarté, une véritable poupée. La porte s'ouvrait, dévoilant le monde extérieur ainsi que l'archiviste -si c'était ainsi qu'elle pouvait la désigner. Elle devait bien manier les mots à l'écrit, la Fée Verte se le disait.

Le sourire fin, elle se ferait bon hôte. Clarté allait écrire sur elle, après tout, et cela... Absinthe adorait.

Cela ravissait tant la fée avide de potins, qu'elle passa outre l'entrée sans manière. Son bel Opium ne la graciait pas de sa présence pour pouffer ou échanger des mots d'acier, alors tant pis. Elle jouerait plus tard. Pour le moment, elle allait plutôt se concentrer sur cette demoiselle qui semblait être une source d'intérêt. L'esprit de cette âme avait un quelque chose de poétique, quelque chose de spleen. Absinthe invita Clarté à entrer, d'un geste lascif de la main.

- Entez donc, ma chère. Prenez place sur le sofas, installez ce dont vous avez besoin.

La douce poupée une fois entrée, la dame d'anis refermait la porte. Non sans hâte, comme une enfant qui allait ouvrir un présent. Les pas de ses longues jambes menaient à un buffet, sortant verres exquis et nectar.

- Voulez-vous un verre peut-être ?

La jeune fée ne buvait donc pas ? Absinthe retint un air intrigué, et se contenta d'hausser les épaules élégamment avant de s'occuper de sa propre coupe. La Fée Verte s'installa donc ensuite face à Clarté, faisant chanter le cristal du verre en lui donnant une légère pichenette du bout des ongles. Petit jeu amusant pour les oreilles, et la gorge fut ensuite graciée du liquide addictif. Et voilà la "duchesse" prête à entendre les questions.

L'avalanche de questions tomba aussi brusquement qu'un troupeau d'ânes maladroits, laissant Absinthe aussi étonnée qu'en fasse des musiciens de Brême. Elle avait imaginé plus de retenue, mais l'engouement la fit sourire. Elle serait gentille.

Les demandes d'excuses qui avaient suivi mettaient au moins la Fée Verte dans de bonne dispositions.

- Quelle vivacité. Je peux comprendre pourquoi vous avez été chargée de cette mission...

Elle pensait déjà à Opium qui aurait probablement ressenti un dramatique épuisement à devoir s'y coller. Mais en tant que sujet... il aurait probablement apprécié. Un soupir se fit entendre alors que les phalanges de la main gauche d'Absinthe vinrent se perdre dans les mèches rouges.

- Ma peau est ce qu'elle est. Je n'ai pas grand chose à y ajouter, à part qu'elle me sied à ravir.

Un temps, observant le carnet qui semblait fortement se noircir de tracés.

- Je ne suis qu'une muse que même les adultes savent reconnaître.

Sourire probablement très satisfait, mais Absinthe ne comptait pas vraiment juste parler d'elle. Il lui fallait un peu de jeu.

- Et vous ? Vous y êtes-vous déjà risquée dans l'Ordinaire ?

Ce monde ordinaire, décidément. Absinthe y pensa vaguement, entortillant une mèche du bout de l'index. Doucement, elle semblait partir ailleurs. Son coeur manqua un battement, discret souffle un peu coupé. Vite approvisionné en nectar qui coula dans la gorge en une fois. La Fée Verte était du genre à boire, certes, aux soirées elle tenait si bien ces délicieux poisons. Le problème pouvait peut-être survenir lorsqu'elle ne savait plus quoi faire pour noyer la vanité de la vie.

Le verre vidé, abandonné sur la table basse, la fée s'enfonça dans le divan. Un regard vers la bouteille non-loin, elle hésita.

- Une chance... oui...

Un ton flottant. Oui, c'était elle qui avait perdu au hasard à l'époque.
Alors qu'elle esquissait un mouvement pour s'en aller vers la boisson, elle se résigna. Interrompue par la nouvelle question de Clarté.

Elle fronça un peu les sourcils, étonnée que cela ne parle pas à la petite. Puis, elle se remémora qu'elle était encore une toile presque vierge. Plus innocente qu'elle ne le fut même enfant à jouer dans les pattes d'Obéron.

- Chez les Hommes, ce sont des déesses de l'art. Ou l'Inspiration personnifiée. Le souffle qui pousse à créer.

Selon elle.

- Les adultes me connaissent la Fée Verte, ils espèrent ma visite pour créer de somptueux poèmes ou tableaux. J'inspire leurs projets.

Absinthe jouait tant avec ça, alors qu'elle n'était pas autant qu'elle le disait. Peut-être qu'elle en était convaincue, mais la vérité était qu'elle ne pouvait pas avoir vécu en ces temps de poètes. À cela elle répondrait qu'elle existait simplement déjà dans leurs rêves.

Elle y croyait très fort.

Peut-être que si les enfants pouvaient arrêter de croire aux fées, elle serait sauvée par les adultes capable d'imaginaire.

- Clarté, avez-vous déjà une idée quoi aller voir dans cet autre monde ?

Le coude appuyé sur le dossier du siège, un peu de biais, Absinthe portait sa tête dans la main. Elle était curieuse. Bizarrement. Peut-être parce que la naïveté de la jeune fée ne la conduirait pas à parler de sujets qui froisseraient la Fée Verte. Oh non, ça non. La Poupée ne pourrait pas connaître ces mots.