Même le plus joyeux des êtres n'est pas à l'abri d'un soudain mal de l'âme, surtout lorsque celui-ci se trouvait être aussi un individu des plus sensibles.

Photon avait passé la veille à pleurer sur des mots d'une magnificience sans pareille. La sublime nostalgie de ces poètes maudits, qui parlaient directement à son coeur et le laissaient ensuite dans un spleen de malheur.

Endormi, comateux, son visage reposait dans le sucre d'une framboise trop mûre qui, plutôt que de lui fournir l'inspiration des dieux, lui avait rendu bien trop lourds la tête et les yeux. Il rêvait comme un humain, déviant dans un tourbillon d'idées sans fond

"Ser Photon ? Le Chevalier Dude aimerait vous parler. S'il vous plaît !"

Le coup à sa porte fut comme une noisette qu'on lui aurait lâchée sur le crâne, et tira bien trop brusquement la fée de ses rimes et vers mélangés.

Passant les mains sur sur ses joues, l'aristocrate créature les en retira maculées de jus fermenté et rougit encore plus qu'elle n'était déjà rouge de fruit.

" J'arrive ! Oh dieux j'arrive "

Photon titubait, ses ailes de papillon fauchant divers objets sur son passage. D'un coup de mousse verte, il lava rapidement les résidus de framboise qui lui entâchaient le nez et l'oreille gauche puis se précipita ouvrir la porte, ne portant en tout et pour tout qu'une chemise de nuit d'une taille de poupée passée de mode de trois siècles.

Un homme, un garçon coiffé de tissu blanc qui dévoilait néanmoins quelques mèches d'un blond de prince était devant sa minuscule demeure. Chevalier avait dit le gentilhomme, et la fée défroquée rosit davantage de paraître ainsi devant la noblesse alors que celle-ci lui faisait le grand honneur de le visiter.


" Messire le Chevalier. " dit-il avec solennité, parvenant à offrir au jeune homme une gracieuse révérence " Ce serait mon bonheur que de vous servir. "

Cette fois-ci le rosissement sur ses joues fut si profond, presque carmin, que la fée détourna la tête, s'appuyant essoufflée contre le cadre de sa petite porte.

C'était un Chevalier et il venait lui parler d'amour par bon matin. Comme la providence après ses cauchemars de la veille, après la désillusion de poète du romantique qui voit que l'on n'aime plus.

"Ah Monsieur...vous parlez si franchement de choses si intime que ma pudeur en est troublée."

D'une main pâle et bien dessinée bien que pas plus grande qu'un pétale de pâquerette, Photon vint saisir d'un geste dramatique la soie blanche qui couvrait son coeur et serra avec fièvre.

" Mais si vous venez ainsi ce doit être de prime importance et je vous aiderai à conquérir votre belle Hélène par fortes galanteries. Je ferai de vous le Pâris aux bisous les plus sucrés ! "

Le Précieux s'emballait, galopait à présent dans cette merveilleuse idée qui lui avait pourtant paru si gênante. Le carillon chassa la lourdeur de ses tempes et la fée scintilla plus fort, paraissant un ange dans sa robe nacrée.

"Mais pas ici, pas ici. Il s'agit d'un enseignement trop personnel pour être partagé."

Ne souhaitant perdre davantage de temps précieux en ce grand jour où il allait se parer des atours d'enseignant d'amour, Photon s'excusa un instant auprès de son hôte et rabattit, par souci de chasteté, la porte de sa demeure. Une porte d'une taille et qualité bien  honorable pour cet aristocrate du peuple féerique mais où même un chat n'aurait su passer. Chantonnant d'un carillon joyeux, le petit être se vêtit rapidement mais d'une élégance indiscutable.


"Rainette, Reine Reine Reine des beaux chevaliers, Rainette courtisée par les blés, Reine désiré, Gentilhomme égaré devant la Rainette et ses cuisses galbées"


Ritournelle sans aucun sens, entonnée d'un ton et d'une voix sincère de ménestrel. Pour l'occasion et comme pour faire oublier son allure échevelée du réveil, la fée avait sorti sa plus belle toilette. Une longue veste blanche de brocart d'or agrémentée d'un jabot satiné et de belles chaussures à boucles. Autant de vêtements volés à des jouets d'enfant et reprisés pour permettre à ses ailes mauve et splendides d'étendre leur éclat à l'air libre.

Point de poudre, toutefois, pour l'aristocrate dont le teint intouché par la vérole des humains suffisait dans son naturel à faire pâlir d'envie le plus éthéré des elfes.

"Me voilà Monsieur !"

Tout à son rôle, Photon jaillit au dehors et entreprit une suite d'élégantes pirouettes dans l'attente d'un quelconque compliment. Le narcissisme des fées est chose connu de tous et celle-ci ne faisait pas exception.

Voletant, tournoyant jusqu'à se stabiliser à hauteur d'yeux du gentilhomme, il lui demanda d'une voix pleine de suavité.

"Où allons-nous preux chevalier ? Que je puisse faire de vous un soupirant accompli pour votre Reine Rainette qui vous tient le coeur en rênes ?"

À la question, un carillon joyeux échappa la fée qui ouvrit grand les ailes, leur mauve poudré scintillant à la lumière et faisant ressortir les motifs pourpre qui y dessinaient de fines arabesques.

"Un endroit dédié ? Oh non chevalier, beau blond, Teuton ! Mais-"

Un bruit fort moins charmant, comme une bulle éclatant, acheva de façon prématurée la tirade de l'aristocrate. Sans doute s'agissait-il des réminescences de sa nuit de poète, heures rimbaldiennes usées à manger des framboises et boire tout leur jus.

Deux mains sur la bouche, les yeux écarquillés d'horreur, Photon ne pouvait retenir les rots qui, comme de petits pop, filaient entre ses doigts. Ô déshonneur que cette malédiction d'ivrogne qui le prenait soudain. Et déja, par honte et stupeur, les larmes se pressaient aux coins des yeux de la jolie fée.

"Dieux!" s'exclama celle-ci "Ne me regarde pas, non - pop. Noble escrimeur que d- pop que dois-tu penser à me voir ainsi..."

Et le Précieux pleura. Les grandes eaux qui coulaient sous ses paupières étaient interrompues par les pop affreux qui les faisaient redoubler.

"Je suis tombé trop bas - pop - Ah! que je meurs !"

Les doigts désormais serrés autour de sa gorge, la délicate créature tentait d'étrangler les rots à leur naissance au fond de sa poitrine. En vain car ceux-ci forçaient néanmoins le passage avec la force d'une armée.

À d'autres la scène aurait pu paraître comique, les rots mignons. Mais pour Photon, une fée si pleine de goût et de manières, elle était d'un drame intense. Et nulle belle tragédie mais digne d'une farce sans saveur.

Le gargarisme retentissant du blond chevalier stupéfia la fée qui demeura un instant immobile, prisonnière des nobles mains du gentilhomme. Ses cheveux, aussi fins que les plus délicats des fils de soie, coulaient sur les doigts de son élève en Amour, saupoudrant ceux-ci d’une couche de poussière scintillante.

Pop et Photon se remit à pleurer. Pour eux deux cette fois-ci, son cœur se déchirant de malheur et de tendresse.

« Ah Monsieur, vous êtes réellement un prince ! –pop- à bafouer votre honneur en vertu du mien… »

Les sentiments qui lui provoquaient cette preuve d’héroïsme atténuèrent quelque peu la honte de sa malédiction.

« Qu’ai-je à t’apprendre –pop- de la courtoisie si tu te montres déjà charitable même envers les goujats et les –pop- ivrognes. »

Une douce et tiède lumière se mit à vibrer tout autour de la petite créature soudainement ravie.

« Ton cœur est si pur, beau chevalier. Prends cette poussière sur tes mains, je te l’autorise, et vole avec moi vers la plus haute cime de ce Royaume. Tu n’as guère besoin de mon enseignement mais je te dirai par quelle façon conquérir ta Reine Rainette. »