Il n’avait pas réfléchi.

Dès que la rumeur lui était parvenue, ça avait été l’horreur qui l’avait saisi, suivie d’une colère terrifiante, qui avait balayé même les voix, l’espace de quelques instants.

On dit que sur l’Île, des choses terribles peuvent arriver.

Il savait, que c’était une possibilité. Ce n’était pas pour rien qu’il évitait les adultes - même Peaux-Rouges, qu’il restait constamment à l’Arbre. Mais lorsque ces choses terribles se produisaient, il n’en entendait pas réellement parler. Il ne s’agissait jamais de quelqu’un qu’il connaissait, jamais de quelqu’un à qui il tenait.
Jusqu’à ce que-

- Hé, t’as vu l’état dans lequel Apache est rentré y’a quelques jours ? Il était recouvert de sang, et Speedy dit qu’il a vu des marques bizarres sur lui !!
- Non, t’es sérieux ?
- Ouais ! C’est Lacerate qui l’a ramené.
- Lacerate, vraiment ? Bah, j’suis sûr qu’ils se sont battus et qu’elle l’a remis à sa place.
- Mais tu crois qu’elle l’aurait vraiment...

Le Patient s’était éloigné, incapable d’en entendre plus. Et alors que ses pas l’amenaient - sans qu’il ne s’en rende compte - en direction de la Réserve, une rage terrifiante s’était emparée de lui. Le même genre de rage qui l’avait poussé, un soir d’été, à saisir une batte et fracasser quelques os, avant de voler vers l’Île.

Il n’avait pas réfléchi.

Elle se tenait dans la Réserve, où elle essuyait une lame avec l’air de s’en foutre. Et dans sa colère, Tool ne vit pas ses hématomes à elle, où la plaie fraîchement recousue qui lui ornait sa cuisse.
Lacerate lève la tête vers lui :

- Je peux faire quelque chose pour t-
- LA FERME !

Il s’était jeté sur elle, la bousculant avec toute la force dont il était capable et oubliant, par la même occasion qu’elle était armée et qu’il attaquait une Cheffe. Et la Gueule Cassée s’était d’abord laissée faire, se rattrapant à un comptoir alors qu’il revenait à la charge.

- Mais que...
- Alors c’est comme ça que tu traites les gens sous ta protection ?? Tes amis ?!?

Un éclat de compréhension passa dans les yeux de Lacerate, et tout se passa très vite. Tool se précipita sur elle et la vit esquiver, disparaître de son champ de vision. Puis un élan de douleur foudroyante dans son bras le força à s’arrêter. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il se retrouva plié sur un comptoir, les cheveux dans les yeux, maintenu par une sale clé de bras.

- Lâche-moi, putain !!

La panique, d’un coup, succéda à la rage. C’était qu’il n’avait pas réfléchi, et se retrouvait dans une situation salement humiliante et dangereuse.

Il sentit un souffle sur son cou - frissons de terreur - et s’immobilisa alors que Lacerate articulait, d’une voix grondante et basse :

- Écoute-moi bien parce que je ne vais pas le dire deux fois.

La prise s’intensifia, la douleur aussi et Tool dû mobiliser toutes ses forces pour ne pas glapir.

- Je n’ai rien fait d’autre que sauver Apache des mains d’un fils de pute de Pirate. Et si tu ne veux pas finir comme lui, je te conseille de me foutre la paix et d’utiliser ton temps libre pour aller le voir à l’Infirmerie.

Puis elle l’avait lâché, et avait repris son nettoyage. Comme si de rien n’était.
Et Tool s’était rendu à l’Infirmerie.

Il n’avait pas réfléchi.


Lorsqu’il rentre à l’Infirmerie, on lui dit qu’Apache se remet encore. Il n’insiste pas trop, même si l’inquiétude lui tord l’estomac. Et revient le lendemain, le surlendemain, jusqu’à ce qu’on lui dise que c’est ok, qu’on le guide jusqu’à un lit au fond de la pièce.

Et Tool tente un sourire qu’il aimerait sincère malgré sa peur.

Lorsque ces choses terribles se produisaient, il n’en entendait pas réellement parler. Il ne s’agissait jamais de quelqu’un qu’il connaissait, jamais de quelqu’un à qui il tenait, alors il évitait ce qui y touchait, de près ou de loin.

- ... salut.

Mais là, il faut bien qu’il se force.
Il s’agit de son pote, après tout.

A l'infirmerie.
Et oui.
Il était à l'infirmerie, le punk.
Il y avait passé un sacré temps, à une époque, à cet endroit la. Mais maintenant, c'était le début de ce sacré temps. Il ne savait même pas encore à quel point il allait bien connaitre le lieu. Et ce livre qu'il avait entre les mains, qu'on lui avait refilé par ce qu'il était en français et qu'il venait à peine d'ouvrir, il ne savait pas encore qu'il allait le parcourir en long en large et en travers, pour passer le temps qui n'existait pourtant pas.

Stalker, pique-nique au bord du chemin

Une couverture bleue toute griffée abimée, avec au milieu un cercle. Et dans ce cercle, on voyait la silhouette d'un homme, au milieu de comme des dunes de sable. Au loin, deux autres semblaient l'observer.

Apache, il n'avait pas encore eu le temps de trop ressentir l'ennui. Pour l'instant, c'était surtout la douleur qui primait.
Il avait des bleus, des coupures, et le pire était encore planqué sous des bandages et des pansements.
Il avait les poignets tout enroulés de blanc, et ca lui donnait des airs de suicidé. Et en plus ca grattait.
Et quand il grattait on l'engueulait.
Mais merde, ca démangeait !
Les muscles encore raides, comme les pages de ce bouquin qui craquait quand on les tournait, abimés. C'était comme des courbatures mais en mille fois pire.

"Tu dois créer le Bien à partir du Mal,
car c'est le seul moyen pour le faire."

Un rictus souleva les lèvres du punk, tordant sa mine démolie en une grimace.
Ca commençait bien, tiens, ce putain de roman.

Mais finalement, peut être heureusement ? On le coupa dans son début de lecture.
Il avait de la visite.

L'iroquois fracassé leva la tête pour croiser le regard de quelqu'un qu'il reconnu sans mal. Un camarade, après tout.

- ... salut. Tool lui avait dit, avec un sourire un peu bizarre. Une mine que le chasseur eu du mal à décrypter, peut être par ce que lui même avait l'esprit déjà bien occupé à savoir quelle image il renvoyait, à cet instant.
Pitoyable dans son lit, adossé contre un gros coussin, ces vêtements trop grand qu'étaient même pas les siens, quilui allaient même pas et ses putains de bandages blanc.

"Salut." Il se contenta de répondre, la voix encore un peu enrayée d'avoir trop hurlé au fin fond de la foret. Il avait refermé le livre à peine ouvert, le tordant entre ses mains, le faisant grincer. Il se racla la gorge, cherchant à s'éclaircir la voix sans aucun succès. "Ca va ?" Pourquoi ca commençait si souvent comme ça, avec l'Hérissé ? On venait le voir, il était dans un état indescriptible, cassé en mille morceaux, et lui, il demandait à l'autre si ca allait, dans une tentative de faire comme si de rien était.
Peut être que ca allait fonctionner ?
Dans le doute, il avait posé la question sans regarder son camarade dans les yeux, les gardant fixés sur le livre qu'il maltraitait machinalement, trahissant son réel état d'esprit.

Apache fait peur à voir - si peur que dès que le regard de Tool se pose sur lui, il entend Vlad chialer au fond de son esprit. Ignorant ses bras qui fourmillent en réponse, le Patient tente de se concentrer sur la réponse du Chasseur.

- Salut. Entre ses mains, le livre à la couverture bleue se tord dans tous les sens. - Ca va ?

Oh merde, il lui demande sincèrement si ça va. Le Patient aurait éclaté de rire s’il n’avait pas autant envie de chialer. Pourtant, c’est plus fort que lui, une sorte de ricanement - mi-nerveux mi-gêné - lui échappe. Sans trop savoir où se mettre, le Patient passe la main dans ses cheveux et finit par s’asseoir à côté du lit.

- Ça va pas trop mal ? Enfin, je crois.

Ah parce que tu lui réponds sérieusement, en plus ?

La voix de Morgue, mauvaise et assez forte pour couvrir les pleurs de Vlad, manque de le faire sursauter. Tool soupire et tente de calmer sa respiration, se concentrer. C’est sans doute une mauvaise idée, d’être venu ici, mais il n’a pas réfléchi. Il ne pouvait pas rester les bras croisés.

Se penchant légèrement, Tool cherche vaguement le regard d’Apache, avant d’abandonner. Mais il ne sait pas trop quoi fixer d’autre : peu importe où son regard se pose, il y a des bandages.

C’est nul, putain.
C’est que maintenant que tu t’en rends compte ?

Qu’il se la ferme, qu’ils se la ferment tous.
C’était une mauvaise idée, de venir ici.

Le Patient cherche désespérément quoi dire et que faire. Puis, finalement, au bout d'un silence intense et gênant, une réplique unique franchit ses lèvres :

- Tu ressembles à une momie, comme ça.

Il a souri, légèrement.
Quand ça lui était tombé dessus, il aurait bien aimé que quelqu’un vienne lui sourire.

Ça l'avait fait rire, sa question.
Putain.
Tool avait rit. Enfin... Pas vraiment un rire fort et assumé. Ça sonnait plus comme un rire gêné. Le genre qu'on sortait quand quelqu'un disait un truc pas compréhensible ou trop à coté de ses pompes.
Apache ravala sa salive, ne sachant pas vraiment si ça l'avait blessé dans son égo ou s'il s'en foutait. Peut être qu'il n'en était plus vraiment à ça près, maintenant.
Mais au moins, il avait une meilleure idée de l'image qu'il renvoyait à son camarade.

Pitoyable.

A n'en pas douter.

"Ça va pas trop mal ? Enfin, je crois."
Il avait quand même répondu, sans renvoyer la balle.

A quoi bon.

Il allait pas trop mal. C'était toujours ca de pris ! Enfin, il croyait. C'était pas sûr.
C'était Tool.
Toujours un peu mystérieux à sa façon, Tool.
Avec ses longs cheveux lisses argentés et ses yeux clairs qui transperçaient et qui cherchaient ceux du punk, présentement, sans jamais les croiser.
Ça piqua un peu le cœur de l'Apache, de constater qu'il n'avait pas la force de regarder un de ses potes droit dans les yeux, de lui montrer une image de lui même plus habituelle.
Sûr de lui.
Fier.
Plutôt qu'un mec cassé dans son lit d'infirmerie qui ne trouvait pas autre chose à faire de ses mains que de maltraiter un pauvre vieux bouquin.

C'est nul, putain.

Le silence persistait. Alourdissant l'atmosphère.
Il faudrait dire quelque chose, mais rien ne venait...

Et puis soudain

"Tu ressembles à une momie, comme ça."
Surpris, l'Hérissé en berne releva la tête d'un seul coup, gratifiant enfin son compagnon révolté de toute son attention. Et celui la lui souriait.

Un sourire discret.
Doux.
Qui réchauffait, l'air de rien.

Alors l'anarchiste lui rendit la pareille, mots et sourire léger inclus.
"Enfoiré..." Sur le ton de la rigolade, détendant l'atmosphère. "Dommage que yai pas de fête costumée de prévu alors.. J'aurais fait un malheur."

Tu parles.

Enfin, c'était quand même moins nul de le prendre sous cet angle que sous un autre.

Et puis, puisqu'Apache restait Apache, même tout enrubanné de bandages, couvert de bleus et autres marques douloureuses, le punk se redressa un peu plus, avisant qui était présent dans l'infirmerie, semblant chercher quelqu'un de précis du regard.
Un coup d’œil plus à droite, et puis plus à gauche... Avant de revenir à Tool, se penchant vers lui et prenant un ton de confidence.

"Dis moi qu't'as pensé à me ramener une cigarette steuplé, Camarade..."

À son grand soulagement, Apache répond. Par mimétisme ou réel amusement, c’est un sourire un peu torve qu’il lui offre. Une mimique qui lui ressemble.
Tool pourrait en pleurer, s’il était du genre impudique.


- Enfoiré... Dommage que yai pas de fête costumée de prévu alors.. J'aurais fait un malheur.

Qu’est-ce qu’il est con, ce type ! Assez pour que le sourire de Tool s’agrandisse un peu, qu’il rie très légèrement. C’est débile, comme point de vue mais au moins, ça a le mérite de la distraire de la gravité de la situation.

Sans trop réfléchir, le Patient réplique :

- Oh, même sans bandages t’aurait pu gagner, avec ton style de fringues.

Il fait genre, l’Artisan. Il feint la nonchalance alors qu’Apache se met à scanner la pièce du regard. Interloqué, Tool le fixe et par réflexe, se rapproche lorsque le punk se penche vers lui.

- Dis moi qu't'as pensé à me ramener une cigarette steuplé, Camarade...

Nouveau rire sincèrement étonné, qui apporte un peu de chaleur au milieu de la pluie. Tool n’hésite pas et plonge la main dans la poche de son manteau, d’où il tire un paquet de clope artisanales - le genre de choses qu’on lui offrait parfois en échange de bricolages divers et variés.

- Si le doc nous chope, c’est quelqu’un d’autre qui te l’a amenée.

Difficile à dire si le Patient est sérieux, à ce moment-là, alors qu’il lui tend une clope et un briquet.

C’est tellement rassurant, en un sens, qu’Apache ait l’air d’être toujours le même. Pour un peu, Tool oublierait presque l’état physique misérable de son camarade.

Il y avait eu des sourires, il y avait eu des rires, et l'atmosphère s'en était imprégné, se débarrassant dans le même temps de son manteau de malaise qui pesait un peu trop lourd jusqu'ici sur les deux garçons. Ça faisait du bien de s'en délester. Et alors que Tool avait plongé sa main dans l'une de ses poches, l'Apache s'était redressé, toute son attention focalisée sur les gestes de son camarade. Ses yeux noirs jusqu'ici comme privés de leurs flammes habituelles s'étaient allumés de malice.
L'Artisan n'avait rien répondu, mais son rire et ses gestes l'avaient fait pour lui !

"Si le doc nous chope, c’est quelqu’un d’autre qui te l’a amenée." Le Patient avait dit tout en lui tendant une cigarette et un briquet.
"Oh putain mec, merci merci, putain t'es l'meilleur !" L'iroquois semblait avoir repris vie, alors qu'il avait tiré très fort sur son drap pour le ramener complètement jusqu’à lui et s'en recouvrir la tête pour mieux se planquer des regards. Technique pas des plus efficaces mais qui permettait d’échapper aux yeux pas trop insistants. "J'te jure tu m'sauve la vie la !" Il avait abandonné son livre torturé et s'évertuait maintenant a allumer la clope offerte qu'il tenait entre ses lèvres, assit en tailleur avec le drap sur la tête, galérant a faire tourner la roulette du briquet.
Il avait les mains qui tremblaient. Ses gestes imprécis. "Putaiiin... Merdeuh..." La nervosité montait. C'était que ca faisait vraiment longtemps qu'il n'avait pas eu sa dose, Soul lui ayant illico confisqué son propre matos.
Quel enfoiré celui la.
Jusqu'au bout il le faisait chier !
Déjà que sa situation été merdique, en plus de ça ce connard avait décidé de foutre le punk en désintox. Comme si c'était le meilleur moment ! Enflure de chef !
ACAB comme on disait hein !
All Chiefs Are Bastards
Et ce putain de briquet qui voulait pas !!!
C'était en fait surtout ses mains abimées et affaiblies, trop tremblantes qui l'empêchaient de réussir un geste aussi simple du premier coup.

- Oh putain mec, merci merci, putain t'es l'meilleur !

Rire légèrement embarrassé alors qu’Apache ramène son drap sur sa tête, donnant au Patient l’impression de causer à un fantôme de dessin animé. Étouffée par le tissu, la voix du punk lui parvient :

- J'te jure tu m'sauve la vie la !

Difficile de voir ce qu’Apache trafique là-dessous, mais la logique voudrait qu’il soit en train d’allumer la clope. Sans trop savoir quoi faire, l’Artisan jette un coup d’œil au plafond de l’Infirmerie.

- Putaiiin... Merdeuh...

Le fantôme jure. Au bout de quelques secondes de réflexion, le Patient finit par comprendre pourquoi.

T’as vu la gueule de ses mains ? Il arrive pas à l’allumer.
J’aurais aussi de la peine si j’avais pris aussi cher dans la forêt.

Le fourmillement de ses bras s’intensifie. Tool serre les dents et se concentre pour que la discussion cesse, tout en portant la main à son crâne. Dans le fond, Vlad pleure toujours et demande qu’on s’en aille mais il ne partira pas. On abandonne pas un pote comme ça.

- Tu veux de l’aide ?

Peut-être que sa voix a résonné bizarrement, il l’ignore. C’est difficile d’ignorer les stimuli qui l’assaillent en dedans pour se concentrer sur l’extérieur.

Le punk s'impatientait, s’énervait même, ne parvenant toujours pas à allumer cette foutue cigarette. Et plus il essayait, plus il insistait, plus il perdait patience et moins il y arrivait.
Il avait les mains qui tremblaient mais continuait de s'acharner, entièrement focalisé sur cette tache pourtant basique. Ce geste qu'il avait répété des milliers de fois, qu'il réalisait habituellement sans même y penser.

"Bordel de merde..." Il jurait entre ses dents, la clope tremblant au bout de ses lèvres. Et puis soudain, une voix le tira de la, littéralement.

"Tu veux de l’aide ?" Tool avait demandé.
Sous son drap, Apache s'était immobilisé. Juste le temps de peser rapidement le pour et le contre. Cela ne dura que deux ou trois secondes. Le manque de nicotine pesant finalement plus lourd que son égo déjà au trente sixième dessous.

Doucement, il tira sur son drap, le faisant glisser jusqu'à ce que son camarade ne réapparaisse devant lui en même temps que lui aussi réapparaissait aux yeux de l'autre.
Cependant, il resta tout de même en parti en dessous, une partie du tissu toujours sur la tete à la façon d'un voile de Marie. Et puis, il avait tendu le briquet à son pote avec un mine penaude.

"Il est dur ton briquet..." Il s'était justifié, quand même, l'air de rien.

Putain la honte.

Le spectre s’immobilise et - l’espace d’un instant - Tool se demande sérieusement s’il a gaffé. Peut-être il n’aurait rien dû dire, ne pas souligner ainsi l’état d’Apache. Peut-être qu’il aurait dû ignorer ses jurons, feindre l’indifférence.
C’est trop tard, maintenant, de toute façon.

Le drap glisse quelque peu, révélant le visage déconfit d’Apache. Tool baisse les yeux, avise sa main tendue et l’objet qui repose au creux de sa paume.

- Il est dur ton briquet...

Difficile de trouver quoi répondre pour avoir l’air cool, difficile de ne pas céder aux cris qui résonnent dans sa tête, lui rappellent des souvenirs terrifiants.

Saisissant le briquet, Tool reprend :

- Ouais. Est-ce que ses mains tremblent aussi ? Il n’a pas envie de les voir pour vérifier, même si ses gestes sont mécaniques, forgés par l’habitude. Je l’ai trouvé sur le plan de travail d’un autre Artisan, il est vieux.

Un geste, la flamme s’allume. Tool soupire : même si Apache n’a rien de menaçant - surtout pas en ce moment - il n’a pas très envie de se rapprocher de lui physiquement. Il consent cependant à approcher le feu du bec du Chasseur, allumant la clope au passage - tout pour un camarade.
L’idée de se préparer une cigarette aussi le tente, mais il n’a pas envie de se faire gronder par un Soigneur. Le Patient range le briquet, prestement, et laisse planer un silence avant de reprendre :

- Tu dois t’ennuyer comme un rat mort, ici.

Lui-même parviendrait sans doute à ne pas trop s’emmerder à l’Infirmerie, mais il n’était pas comme Apache et son énergie constante.

Le briquet changea de main, et dans celle aux longs doigts fins dont la peau était aussi pâle que de la porcelaine, il se laissa faire, la flamme dansant en un rapide coup de pouce.
"Ouais." Avec gentillesse, Tool avait pourtant confirmé les dires de son camarade, cherchant peut être à faire mentir ses gestes. "Je l’ai trouvé sur le plan de travail d’un autre Artisan, il est vieux."

Le feu s'approcha en même temps que le punk abimé se penchait, et enfin le papier de la cigarette grésilla. A peine le temps d'entendre la clope chanter sa chanson que l'iroquois en berne s'était redressé, toujours son drap sur la tête qui lui permettait de rester au moins un peu hors des regards indiscrets, même si la fumée aurait tôt fait de le trahir.
Peu importait.
L'important c'était de pouvoir prendre au moins une bouffée. Rien qu'une.
La première fut tirée avec nervosité et profondeur. Le chasseur tremblait toujours, mais cette fois, ce n'était plus à cause des blessures et des douleurs, c'était la dose de nicotine qui lui avait manqué depuis trop longtemps qui agissait.

Une fois son tour fait dans les poumons du garçon, il souffla la fumée comme on soupirait de soulagement.

"Oh bordel..." C'que ça pouvait faire du bien. Et dire qu'il fut un temps il avait tenté d'arrêter. Quelle connerie. Mais trêve de pensées inutiles, il recala illico la cigarette entre ses lèvres pour en retirer la chaleur avec peut être un peu moins d'avidité, mais toujours un chouilla dans l'urgence.

"Tu dois t’ennuyer comme un rat mort, ici."
L'anarchiste haussa des sourcils, confirmant dans un premier temps silencieusement, puis, tout en soufflant la fumée, il répondit

"Ouais. J'comprends mieux pourquoi ya si peu de gens qui survivent dans le coin. Ils crèvent tous d'ennui." Humour un peu morbide, sans doute, avec une touche d'acidité dans le fond du regard.

"J'ai quand même un vieux bouquin mais bon..." Ca faisait léger. Il haussa les épaules. "Ils disent que j'dois me reposer." Ils avaient peut être pas tord. Un soupire. "Et ce connard de Soul m'a confisqué mes cigarettes putain... Comme si j'avais qu'ça à foutre d'arrêter la clope maintenant. Quel salopard."
Rien de plus détendant que de cracher sur le chef qu'il était obligé de se coltiner au quotidien. Une activité saine, à ne pas en douter.

"C'est qu'un sadique ce type."
Rien que ça.

Toujours à moitié sous son drap, Apache confirme :

- Ouais. J'comprends mieux pourquoi ya si peu de gens qui survivent dans le coin. Ils crèvent tous d'ennui.

C’est sale, mais ça le fait rire un peu.

L’Hérissé reprend :

- J'ai quand même un vieux bouquin mais bon... Ils disent que j'dois me reposer.

Une requête tout à fait raisonnable, au vu des circonstances. Le regard de Tool dérive : s’il se concentre trop sur l’état du Chasseur, ça va de nouveau être le bordel sous son crâne.
Autant ignorer l’éléphant dans la pièce tant qu’il le peut.

- Et ce connard de Soul m'a confisqué mes cigarettes putain... Comme si j'avais qu'ça à foutre d'arrêter la clope maintenant. Quel salopard. C'est qu'un sadique ce type.

- Heureusement qu’il est là. Tu cracherais sur qui, sinon ?

Il l’a dit avec un sourire, le Patient. Il comprend Apache, d’un côté, mais de l’autre il apprécie Soul. C’était bien obligé, quand on se retrouvait en consultation aussi souvent que lui.

Balance ce que tu veux, de toute façon il pourra pas te battre dans son état.
La ferme.

Kafka se marre, Tool soupire. Il reprend, peut-être un peu trop vite :

- Si tu as besoin que je te ramène des trucs, dis-moi. Que mon poste d’Artisan serve à quelque chose.

Apache a d’autres potes que lui, mais bon : ce serait nul de ne pas se manifester. Et puis, la proposition vient du cœur, à mi-chemin entre l’affection et une forme de pitié.

"Heureusement qu’il est là. Tu cracherais sur qui, sinon ?"
La remarque arracha un ricanement enfumé au punk qui soufflait la fumée de sa cigarette au même rythme que son rire.
"Le rafistoleur de morts vivants."
Un peu salé, l'Apache, aujourd'hui. Sans doute que sa privation de nicotine n'avait pas aidé à maintenir son humeur au beau fixe.
Mais ca allait un peu mieux, maintenant. Ca allait un peu mieux, ouais.
Ca irait mieux.

"Si tu as besoin que je te ramène des trucs, dis-moi. Que mon poste d’Artisan serve à quelque chose."
Le punk releva les yeux vers son comparse, la mine illuminée d'un sourire.
"Merci Tool." C'était dit avec une sincérité qui suintait, et d'une voix profonde. "C'est super gentil ça." Et il ramena la cigarette à ses lèvres, tirant dessus une énième fois, semblant réfléchir à la question sérieusement.

"De l'alcool..." Il fini par dire, un sourire plus grand lui tranchant la bouille. "Oooh ouais putain.. J'me mettrais trop bien une race la. Ca me manque trop." Il avait un air rêveur, nostalgique. "Puis c'est sur ca m'aiderait à me rétablir." Ca, c'était sur que non. C'était même sans aucun doute complètement contre indiqué. "De l'alcool et de l'herbe de Soleil Noir." Si le punk continuait sur sa lancé, bientôt Tool devrait prendre des notes de sa liste de course. "J'ai besoin de décoller... Je crève ici."

C’est fou ce que le sourire d’Apache est contagieux, assez pour que Tool se retrouve à sourire aussi, par mimétisme.

- Merci Tool. C'est super gentil ça.

Un temps, Apache semble réfléchir.

- De l'alcool... Oooh ouais putain.. J'me mettrais trop bien une race la. Ca me manque trop. Pour le coup, le Patient peut le comprendre. Le punk enchaîne directement : Puis c'est sur ca m'aiderait à me rétablir.

Cette fois, Tool retient un rire. Qu’est-ce qu’il peut être con, Apache, parfois.

- De l'alcool et de l'herbe de Soleil Noir. J'ai besoin de décoller... Je crève ici.

- Si tu continues, je vais devoir trouver de quoi écrire.

Tool se marre un peu, discrètement. Pourtant les demandes sont notées dans un coin de son esprit, si ce n’est pas lui qui les retiendra, ce seront les voix.
Hé, on est pas tes bonniches.

- Mais d’accord. Je vais voir ce que je peux faire.

Il y a un silence, beaucoup plus confortable qu’au départ, où le Patient se permet de laisser ses pensées vagabonder. C’est difficile d’ignorer l’état d’Apache et ce que ça réveille en lui, pourtant ça le rassure de voir que certaines choses n’ont pas changé.

Tu ne pourras pas ignorer éternellement le problème, par contre.
Je sais.

Tool prend un peu de temps pour préparer ce qu’il va dire, choisit ses mots.

- Si jamais t’as besoin de parler, aussi, je suis là. Son regard revient à l’Hérissé. Pour des trucs difficiles ou juste pour faire la conversation.

Il lui ouvre une porte, l’occasion de s’exprimer, une fois, si l’envie lui vient. Sans obligation.

Tu penses que tu seras prêt, si ça doit arriver ?
On verra bien.

Pour un camarade, il serait prêt à beaucoup.

"Si tu continues, je vais devoir trouver de quoi écrire." La remarque fit pouffer le punk alors qu'il ramenait une énième fois la cigarette à ses lèvres. "Mais d’accord. Je vais voir ce que je peux faire.
- Merci, t'es l'meilleur, camarade."
C'était sûr que ce n'était pas sûr qu'il puisse accéder à ces demandes un chouilla particulières, mais rien que le fait que Tool accepte d'essayer, avec une bonne volonté non feinte, c'était presque comme si les demandes avaient déjà été honorées.
Le punk se sentait soulagé.
Et moins seul, ça c'était sur.
Entre ses doigts, la cigarette grésillait. Peut être bien que cette dose de tabac avait beaucoup joué à détendre l'Hérissé, lui permettant de relâcher la pression, de prendre cette dose de nicotine que son organisme démoli réclamait à corps et a cris.
Les muscles et la bouille moins crispés, doucement, les tensions redescendaient.
Ca faisait du bien.
Vraiment du bien.
C'était bon d'avoir un camarade auprès de soi. Même si ce n'était que de temps en temps.

Après un silence qui n'avait rien d'inconfortable, Le Patient se pencha sur le blessé, dans le but évident de parler dans la confidence la plus stricte et respectueuse.

"Si jamais t’as besoin de parler, aussi, je suis là." Le punk souffla doucement la fumée devant lui, ne réagissant pas vraiment à la proposition. C'était un peu comme s'il s'y était attendu.
Il aurait pu se mettre en colère.
Il aurait pu envoyer chier injustement son camarade en lui disant qu'il n'y avait rien à dire. Rien à discuter. Mais il n'en fit rien.
C'était que les mots de Tool laissaient bien assez de marge pour contourner les sujets douloureux. Il n'y avait rien de frontal. Que de la bienveillance.

"Pour des trucs difficiles ou juste pour faire la conversation." Les yeux noirs de l'anarchiste s'accrochèrent aux bleus pales du russe, s'y perdant quelques instants. C'était fou comme il avait le visage fin et doux, ce garçon.
Et finalement, Apache eut un sourire, agitant doucement la tête à la positive, accusant réception de cette main tendue avec délicatesse et solidarité.

"D'accord. Merci." Qu'il fit simplement, mais même si les mots étaient simples, ils ne manquaient pas de profondeur. Ils portaient tout le poids de leur signification. Ce n'était pas dit à la légère.
Le chasseur en était réellement reconnaissant.

"Parle moi de ce qui nous a rapproché, toi et moi." Apache parlait doucement. Calmement. Un rythme posé qu'on lui connaissait très peu, et ses yeux sombres brillaient d'une lueur vivace. "Comment tu te sens, toi ? La dedans. " Dans la révolte. Parmi les anarchistes. Est ce que Tool y trouvait sa place ? Est ce qu'il avait des choses à redire ?
Le punk avait besoin de parler du quotidien. De ce qui faisait battre son cœur, pour mieux s'éloigner des horreurs.

Tout ça.
Ce qui l'avait amené la ou il était maintenant.
C'était du passé.
Ca ne comptait pas.
Ca ne devait pas compter.
Le plus important, c'était le rêve ! Et il n'était pas mort, lui. Bien au contraire. Il fallait s'y raccrocher. Pour mieux s'extirper de la noirceur.
Une fuite en avant.

Un temps, un silence. Tool ignore comment sa remarque a été prise ou s'il a même envie qu'ils parlent de ce qui s'est passé. Apache finit par réagir, s'autorisant une formule qui semble motivée par autre chose que la politesse la plus élémentaire.

- D'accord. Merci.

La porte est ouverte, tu n'as pas besoin d'en dire plus.

Enchaînant sur un autre sujet, le punk énonce :

- Parle moi de ce qui nous a rapproché, toi et moi. Son ton est d'un calme étrange, inhabituel. En guise de réaction, Tool lui adresse un léger sourire. Comment tu te sens, toi ? La dedans.

Il enchaîne sur quelque chose de réconfortant, pour pas faire face à ce qu'il a vécu. J'arrive pas à dire si c'est malin ou profondément con.
On s'en fout. L'important, c'est qu'on cause, non ?
Parce que toi, ça t'a fait tellement de bien, de laisser ça pourrir ? Rappelle-moi l'état dans lequel tu étais, avant d'arriver ici. Ça m'intéresse.
On peut s'en aller ? J'ai peur et j'ai froid. Je veux ma maman.

Les voix sont vivaces, poussant le Patient à porter la main à ses tempes. Quelques inspirations, le temps de se recentrer et les faire passer au second plan, avant de répondre pour de bon.

- Je m'y sens bien. Je ne suis pas en avant, ce qui m'arrange. Ça me permet de bosser dans l'ombre, tranquillement. Un demi-sourire, étiré par une forme de malice. C'est grâce aux fonceurs tels que toi, camarade. Tu attires les regards et personne ne me soupçonne de quoi que ce soit.

A part d'être un foutu taré.

Il étouffe un soupir, laisse Liv et Morgue se disputer. Un regard à gauche, à droite, avant qu'il se penche et demande, sur le ton de la confidence.

- Et toi ? Tu continues à recruter ?

C'est qu'à force de discrétion, il oublierait presque de se tenir au courant.