Le cœur est malléable, ployant sous la moindre preuve d’amour. Le Sien est tellement plus que la fougue d’un baiser interdit, qu’un plaisir éphémère. C’est une félicité permanente qui guide Ginger, l’éloignant uniquement de son chemin pour qu’elle puisse admirer la décadence du monde pour mieux y revenir par la suite.

« D’accord, je ne demanderai plus. Alors ? Il ne s’est rien passé de grave, non ? »

Tout dépend de ce qui est dramatique et ce qui ne l’est pas. Ce n’était pas la première fois, mais cela était évident pour toutes les deux. Le sourire de sa bien-aimée est supposé la tenter, n’est-ce pas ? Lui donner envie de lui inculquer quelques règles, doigts qui s’égareraient. Ginger se contente d’une expression plus douce, de son pouce qui glisse sur la lèvre inférieure de Lacerate, sans appuyer. Qu’elle puisse s’éloigner si elle le désire.

Après tout, elles ont le choix—ou bien elle prétendre l’avoir. C’est, ma foi, bien mieux que ce que Ginger aurait eu en option dans le monde sacrifié aux démons.

« Le pêché reste le même, qu’on l’embrasse ou qu’on le rejette, » elle secoue la tête, quelques mèches carotte frôlant ses joues, une pointe d’amusement dans sous les tâches de rousseur, « j’aime sans compter, et Il ne m’a jamais puni pour cela, pas depuis que je suis ici. Il faut juste une pointe de bienveillance dans mon âme pour ne pas que je dérape, que je brûle mes propres erreurs au lieu d’en faire des exemples. »

D’une main, Ginger attrape un biscuit à ses côtés, mordant un grand coup dedans, au lieu de ses minuscules bouchées précédentes. Et, des miettes autour de la bouche, elle s’autorise un sourire.

« Tu es belle, j’espère que tu le sais, qu’on te le répète. Qu’importe que la vanité doive être punie—parfois l’on peut bien s’écarter de notre voie. Juste un instant. »

« Je ne suis pas belle, c’est toi qui a des goûts étranges. Mais merci. »

N’est-ce pas la même chose ? Une vérité que l’on modifie pour convenir des idéaux de chacun ; la beauté se perd lorsqu’on meurt et que les os se désintègrent sous la puissance des flammes. Ginger ne voudrait pas être enterrée, si elle en avait le choix. L’île n’accorde pas ce type de grâce, et puis à quoi bon songer à ça alors que le biscuit est si bon, morceaux brisés contre sa langue.

« Tu viens d’une communauté religieuse, ou un truc du genre ? J’ai jamais entendu un raisonnement comme le tien. Pourtant je suis à l’Arbre depuis un moment. »

Heureusement qu’elle avait avalé, sans quoi son rire l’aurait étouffé, en une énième punition divine. Le sourire qui fend son visage est emprunt de flammes et de promesses. Les perdus condamnent leur passé avec haine, farouchement. Ginger—elle préfère en rire, imaginer un champ dont l’herbe aurait été brûlé par un Été particulièrement affamé.

« Je ne suis pas la seule, » elle en connaît au moins un autre, un qui ne la reconnaît plus, « Mes parents étaient des fondamentalistes. J’ai brûlé mes ponts et mon âme en fuyant cette terre hostile à l’adolescence. J’ai connu des tas de foyers après ça, jusqu’à en trouver un qui a convenu. »

Elle rit, franchement, s’appuyant sur ses paumes pour se pencher en arrière, admirant le ciel.

« Et Il a guidé mes pas jusqu’à l’île. N’est-ce pas une merveilleuse destinée? »

Quant au bagage qui l’accompagne, briquet qui s’élance vers des flaques de gazoline ou tout autre liquide qu’elle verse sur son passage, ce n’est qu’une autre preuve de sa bonté.

« Le Dieu que mes parents priaient ne m’a jamais guidée. »

Oh, moi non plus, pourrait-elle répondre. Ce Dieu n’a rien fait pour la délivrer du cabinet de prière où il n’y avait ni fenêtre ni espoir. Il ne l’a pas non plus protégée, lorsque sa peau ressemblait à une fleur aux pétales d’un violet particulièrement vif.

Alors, Ginger a créé le sien, elle l’a aimé avant même de le connaître, superposant concepts et rêves jusqu’à ce qu’il vienne la chercher une nuit. Ginger n’ira pas prononcer de telles paroles, la frontière entre son bien-aimé Peter et le Dieu qu’aiment tant ses parents est bien trop floue. Elle-même n’est pas certaine de là où elle voudrait qu’elle se tienne.

« Mais bon, je ne méritais sans doute pas d’être sauvée. »

Elle observe le ciel, juste un peu plus, le trouvant étrangement vide de réponses. Lacerate ne s’arrête pas pour autant, malgré la soudaine distance entre elles. Mieux vaut ne pas toucher les flammes trop longtemps, c’est là que des marques commencent à apparaître.

« Est-ce qu’Il rend ta vie plus facile, Ginger ? »

« Je n’ai pas laissé le choix au destin, là est ma plus grande vanité. Personne n’allait me secourir, donc je suis partie, j’ai ramassé assez de pièces pour me payer un ticket de bus, et je n’étais plus prisonnière. » Elle cligne les yeux, comme surprise par ses paroles. Une main cesse de lui servir d’appui, doigts qui glissent sur ses lèvres à la recherche d'un baiser déjà lointain. « Parfois il m’arrive d’y être encore, dans cette grande bâtisse où j’étais la moins aimée, la plus défiante et mauvaise. »

Un éclat de rire désabusé lui échappe, tête qui se tourne vers le chevalier qui l’accompagne.

« Lorsque ça arrive, je m’imagine tout brûler, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que moi et les flammes. 
Et c’est merveilleux. »

Croire est un pêché, lorsque dévotion est synonyme d’un tel désir de destruction. Ginger estime que c’est une réponse bien assez claire.

« J’aurais aimé avoir ton courage. »

Oh, courage n’a rien à voir avec le terme employé par les médecins, par les familles d’accueil ni qui que ce soit. On a parlé de folie passagère, d’une ode sublime à la destruction—non, ça c’est ce que Ginger préfère dire. Elle aurait voulu leur dire qu’il n’y avait rien de passager, outre peut-être l’impression d’être assise sur la banquette arrière pendant que son corps prenait les virages avec une brutalité inouïe.

« J’ai l’impression que tu te débrouilles bien seule. Mais si une fois tu es dans une impasse. Tu pourras faire appel à moi. »

Quelle offre merveilleuse ! Son cœur s’éveille à la proposition et elle doit réprimer l’envie de prendre Lacerate dans ses bras—les câlins frontaux sont une étape qu’elle ne parvient pas encore à franchir.

« Je te remercie pour tes tendres mots, bien que je joue simplement mon jeu avec une aisance travaillée. » C’est l’unique chose qu’elle dira, Ginger avec son sourire étincelant, au sujet de son état mental pitoyable.

On souffle dans des trompettes, dans la Forteresse, et déjà son attention volatile est captivée, le pique-nique oublié tandis qu’elle se lève d’un bon. « Oh, pourrions-nous aller voir ce qui se profile là-bas ? Si votre grâce est d’accord, bien sûr. »

Elle tend ses mains vers Lacerate, même si elle doute sincèrement que la jeune fille eusse besoin d’une quelconque assistance pour se relever. « Peut-être est-ce un jeu fantastique ? » Ou bien une exécution ! Les deux se ressemblent tant !

Elle rit, si heureuse, pensées néfastes écrasées par le son de sa propre voix.