D'un bond, la créature s'accroche au visage de sa victime devenue hôte. Un destin bien cruel, avec des symptômes inévitables qui se répandront jusqu'à parasiter totalement le corps transformé en incubateur. Est-ce de cela dont ils souffrent ? Damian s'en amuse, comme il le fait toujours. C'est sa façon de gérer le pire, de s'en moquer. Alors il s'esclaffe devant les films d'horreur qu'il quémande à leur mère, se nourrissant ensuite de scènes qui ne sont pas adaptées à leur âge. Les cassettes vidéos s'accumulent sur les étagères, et c'est presque suffisant pour cacher le matériel médical disséminé dans la demeure. Tout doit être stérile, dénué de la moindre possible de contagion.
Une quarantaine ne peut pas être parfaite, ils le savent mieux que personne.
Quoiqu'il arrive, une victime parviendra à s'échapper, cachant la marque sur ses chairs en se prétendant immunisée. Et c'est ainsi qu'une communauté entière décédera à cause de l'égocentrisme d'une pauvre âme incapable de prendre l'arme et de se tirer dans la tête.
Est-ce que ça fait mal ? Combien de temps dure la latence entre le geste et l'arrêt complet des fonctions vitales ? Les films offrent des informations contradictoires.
Ils ont le temps de se pencher sur la question, enfermés à l'intérieur pour leur propre sécurité. Des enfants malades, cloués au lit la majorité du temps, et trop sensible au monde pour s'y aventurer lors des bons jours. L'envie de décimer la population leur vient parfois, ce besoin d'ouvrir la fenêtre et de considérer la hauteur entre le sol et le rebord.
« Est-ce tu as peur, Casimir ? »
Il n'aime pas ce nom, même à six ans. Il ne l'appréciera jamais. Trop étrange, insurmontable presque. Au moins, Damian peut être l'Antéchrist s'il le désire. Quelle chance à son grand-frère, bien que Casimir ignore ce que le terme signifie, outre que c'est cool et qu'on peut faire ce qui nous plaît.
« Un peu. »
Damian pose son pied contre la rambarde, observant le parterre de fleurs qui l'attend en bas. S'il saute, est-ce que Casimir est supposé le suivre ? Son corps n'en est probablement pas capable. Des fois, ils sont malades à tour de rôle, même si c'est toujours là. Les médecins ne savent pas, trop de possibilités, de diagnostiques erronés. Autant rester à la maison et faire confiance à leur mère. Elle écrit des courriers au corps médical, bourrant les enveloppes de polaroids de ses enfants malades.
« Moi je crains rien ni personne, » Damien peut se le permettre, certainement. Puisque leur plus grand ennemi vit à l'intérieur de leur corps. Celui qui fonctionne mal depuis des années, au point que leurs pères se sont cassés l'un après l'autre parce qu'ils ne le supportaient plus. Trop de traitements, de séjours dans des hôpitaux divers.
Aussi courageux qu'il soit, Damian ne saute pas, refermant la fenêtre à la place. Les bruits de pas résonnent dans le couloir et il est prompt à se glisser dans son lit. Un doigt sur ses lèvres pour signifier à son cadet de se la fermer (sans quoi son ours en peluche favori finira par prendre un bain dans les toilettes) lui suffit à se faire obéir.
« Est-ce que vous êtes prêts pour vos médicaments, mes chéris ? »
« Okay, mais tu nous mets un film d'abord. » Difficile de savoir pourquoi est-ce qu'elle les autorise à regarder de telles horreurs, encore et encore. Peut-être que ça l'aide à moins culpabiliser. Ou bien, dans son esprit, il n'y a rien de mal là-dedans, puisqu'ils ne font pas de cauchemars. Au départ, Damian voulait juste se souvenir de son père en piochant dans les vielles cassettes oubliées par l'homme. Et, à force, c'est devenu un passe-temps loin d'être adapté.
« Bien sûr ! Mais pas trop violent, d'accord ? » Le plateau déborde de pilules colorées, à côté des verres Mickey et Minnie et de parts de tarte à la citrouille. Quel repas excitant, une fois encore. « Qu'est-ce que vous diriez de— Halloween ou Massacre à la tronçonneuse ? »
« Myers est bien, » Casimir suggère, tout en sachant très bien que Damnian voulait décider. Hey, ce n'est pas parce qu'il est l'aîné qu'il a tous les droits. En vérité, ce n'est pas tant Laurie l'héroïne, mais le tueur qui massacre tous ceux sur son passage. Ce sont eux les vrais stars de ces films. Les méchants qui en ont marre d'être ignorés.
Qu'importe leur état, leur fête favorite ne peut être loupée. Après tout, c'est leur unique chance de rencontrer un quelconque esprit. Ou autre chose, d'encore meilleur. Bien sûr, elle est derrière eux, mains sur leurs épaules, leur rappelant de ne pas courir, que leurs corps sont limités. Damian a recraché ses cachets après son départ de la pièce pour les laisser se changer, plus tôt. Il les a enfoncé dans la terre humide de la plante verte. Cinq comprimés, c'est trop selon lui. Et Casimir l'a imité, juste pour voir si ça changerait quoi que ce soit. Il n'est pas certain de comprendre ce que Damian suggère, parce que ça n'aurait pas de sens. Ce n'est pas comme si un quelconque esprit avait décidé de prendre possession de leur mère.
Elle est toujours fidèle à elle-même, effrayée à l'idée qu'ils sortent, mais capable de coudre leurs costumes avec soin. Même son nouvel ours en peluche a des ailes de diable dans le dos (Damian a
peut-être mis le feu au dernier, si les restes dans le four et la fumée toxique qui a forcé leur mère a aérer sont une preuve suffisante). Ils arpentent les rues du quartier tout en évitant les regards et les chuchotements au sujet des enfants qui ne sortent guère. Oh, si ça se trouve les vrais monstres, ce sont eux.
Ils en jouent, esquivant les mains de leur mère en lui tendant le caméscope à la place, se glissant derrière d'autres gamins pour les faire sursauter. Juste un soupçon de peur pour Halloween, quoi de plus normal et de plus amusant ?
« L'an prochain, on ira sans elle, » Damian chuchote, son bras autour des épaules de son jeune frère, « juste toi et moi. »
Casimir serre l'ours un peu plus fort entre ses bras.
Tel un prophète, l'Antéchrist parvient à imposer sa volonté, puisque l'Automne suivant, ils sont en effet par eux-mêmes. Quoiqu'un peu plus loin que prévu. Égarés à des centaines de kilomètres, au sein d'une demeure qui sent le vieux bois au lieu des produits médicaux. Après l'arrestation, on les a placés chez leur tante, sans leur demander leur avis. Damian, du haut de ses onze ans, est certain qu'ils pourraient se débrouiller, ce qui n'est pas le cas du reste du monde.
Mon-chat-au-zen par proxy. Le nom pose quelques difficultés à Casimir. Bien qu'il ait conscience de ses implications. L'organisation trop stricte et les médicaments qui pleuvaient n'avaient pour vocation que de prouver leur maladie incurable. Sauf qu'ils n'ont jamais été contaminés par quoi que ce soit. Des années de traitement pour rien, à endurer un enfermement dénué de sens. Jusqu'à ce qu'ils cessent totalement de prendre les comprimés colorés, les cachant un peu partout jusqu'à avoir l'énergie de s'enfuir et de se rendre chez des voisins.
Que leur génitrice subisse le même sort est bien mérité. Après tout, c'est elle qui a des soucis, n'est-ce pas ? Damian lui raconte qu'ils doivent la gaver de médocs, comme une oie, en lui maintenant la tête en arrière. Que c'est ce qu'ils font aux gens au prison, qu'ils subissent leurs propres crimes. Et Casimir n'est pas certain du bien fondé de cette justice, ni de l'envie envahissante de secouer Damian jusqu'à ce qu'il se taise.
(A la place, il passe sa colère sur l'ours en peluche neuf offert par sa tante, le décapitant proprement avec le premier couteau trouvé dans la cuisine.
Le sourire de Damian est empli de fierté.)
Dehors, tout est dangereux. Qu'importe qu'il se soit habitué à vivre chez sa tante, ça n'efface ce sentiment, celui que rien n'ira jamais. Pas que Casimir le voit comme une impasse. C'est juste, un film un peu mauvais, qui a mal tourné mais sans l'explosion d'émotions tant attendue à la fin. Damian et lui sont les héros, ceux qui sont restés tapis dans l'ombre un peu trop longtemps. Casimir ne supporte pas les rires, les voix qui se superposent dans les couloirs. Il imagine Freddy lorsqu'il enclenche son baladeur, écouteurs sur les oreilles. Un autre monde, celui des rêves. Réfugié dans la chaufferie de l'école, Vador écrasé au fond de son sac sous ses livres de cours. Trop vieux pour un ours en peluche. Ah, mais ça il le sait, hein. Même à six ans, il n'avait plus de raison de s'y accrocher.
Il se répète un peu trop, pendant les exposés ou juste en essayant de s'exprimer. Les gens sont si stupides, tout autant dans en classe que dans la réalité des films. Toujours à vouloir ouvrir la porte du placard, ou à éteindre la lumière pour se rendre dans les pièces les plus sombres. Casimir guette les accidents, se sachant à l'abri de toute tragédie. Après tout, le héros ne craint rien.
Peu patient, il guette son frère devant les grilles de l'établissement à la fin de la journée. Les séquelles des années de torture médicales sont plus visibles chez l'aîné. Ses mains tremblent un peu à certains moments. Il le sait, même si les autres n'y font pas attention. Casimir veut toujours connaître les détails, qu'importe qu'il loupe le gros de l'histoire. Même lorsque son ventre le fait souffrir pour les mêmes raisons et qu'il a du mal à suivre le rythme de marche.
« Pourquoi tu veux toujours traîner dans mes pattes, saleté ? »
« La ferme, Damian. Tais-toi un peu. Personne d'autre ne t'apprécie. »
Le coup qu'il se prend dans le bras n'est pas si douloureux. La façon dont son frangin tire sur son sac à dos pour le faire chuter en arrière un peu moins. Et lorsque ses affaires s'éparpillent sur le sol, il ne peut s'empêcher de maudire sa propre incompétence pour ne pas l'avoir fermé totalement.
« Tiens, il est où ton machin ? Vador, c'est ça ? »
« Oh, dans la chaudière. »
« Tu l'as foutu au feu ? » Damian l'aide à ramasser ses affaires, avec une mauvaise fois évidente. « Est-ce qu'il t'a mal parlé aussi, celui là ? »
« Il a dit que c'était de ma faute. »
« Tu sais, Casi' t'es aussi timbré que maman. »
De la part de la personne qui parle d'égorger le chien des voisins s'il ne cesse pas d'aboyer toutes les nuits, c'est un peu ironique. Enfin, ce n'est pas grave, Casimir a assez d'argent pour se racheter un nouvel ours en peluche. Un qui sera vraiment son ami cette fois.
Voler une voiture devient prendre le bus. Une ligne un peu ancienne, qui traverse des espaces où il n'y a que la foret qui s'étend jusqu'à engloutir l'horizon. Il s'endort presque, plusieurs fois, la musique pas assez forte pour masquer la fatigue. La route paraît interminable, et pourtant Damian est habité par l'énergie du démon, trop agité pour son propre bien. A chaque arrête dans une station service minable pour reprendre de l'essence, il se gorge de café et de sucreries là où Casimir contemple.
Certains passagers sont seuls, une clope aux lèvres en attendant de remonter dans le bus, et si ça se trouve personne ne les attend à l'arrivée. Il y en a un qui soupire lourdement en sortant la photo d'une fille de sa poche. Toujours la même. A chaque arrêt. Une petite blonde qui doit terriblement lui manquer. Si ça se trouve, c'est un tueur en série et elle sa victime. Il l'a tué trop vite—
« Casimir, on y va, qu'est-ce que tu fous ? »
« J'arrive, j'arrive. »
Et les Backstreet Boys repartent dans un chorus endiablé lorsqu'il remet ses écouteurs sur ses oreilles. Dans la poche de son sweat, Nancy l'ours en peluche est un peu écrasée sous les cailloux qu'il ramasse à chaque pause. Des jolis, aux bords lisses. Parfait pour glisser entre ses doigts.
Seize ans, juste avant Halloween. Dommage qu'il ne soit pas né le jour même mais quelques semaines plus tôt. Casimir y songe, assis sur les marches de l'escalier. Le plan, il y a pensé soigneusement. Pas le long terme, encore moins les conséquences. Juste ce qu'ils feraient après toutes ses années, en se rendant dans la nouvelle demeure de leur mère fraîchement libérée. Il voudrait crier, s'énerver, mais tout reste enfoncé à l'intérieur, c'est pathétique.
«
Tu n'as rien fait de mal, » Nancy promet sur sa propre tête, sachant certainement qu'elle la perdra bientôt. La voix vient de lui, pourtant. Un peu moins hésitante, plus chaleureuse. Est-ce que c'est sa façon de compenser pour le reste ?
Une, deux, Freddy te coupera en deux.A l'étage, il entend la course effrénée, les pieds qui glissent sur le parquet. Et ça craque, jusqu'à ce qu'il doive monter le son de sa musique. Le bus était moins cher, puisqu'ils ne sont pas adultes. Mais six heures, c'est bien trop long.
Trois, quatre, remonte chez toi quatre à quatre.Les pas se rapprochent, jusqu'à être trop proches. Casimir penche la tête en arrière, juste assez pour apercevoir la main de son frère qui tire la chevelure de leur mère en arrière. Il ne lui en reste plus beaucoup, de cheveux. C'est ce que ça fait, d'avoir été enfermée si longtemps.
Cinq, six, n'oublie pas ton crucifix.Nancy est serrée un peu trop fort, jusqu'à ce que les coutures en subissent les conséquences. Ses doigts repèrent un trou, qu'il agrandit avec ses doigts, pour ensuite retirer la mousse et glisser les cailloux à la place. L'un après l'autre.
Sept, huit, surtout ne dors pas la nuit.Nancy est toute gonflée, à l'agonie. Elle pèse lourd lorsqu'il se redresse, Damian jurant parce qu'il a glissé dans quelque chose. La douche n'a plus d'eau chaude après un moment, alors la voix de son frère monte un peu plus, jusqu'à ce qu'il ressorte finalement.
Neuf, dix, il est caché sous ton lit.Casimir ne va pas dans la chambre, se doutant bien de ce qui s'y trouve. Il n'en pense pas vraiment quoi que ce soit, incapable de retrouver la logique derrière leurs actions. C'est lui qui prend la tête, lorsque Nancy la perd, gentiment poussée dans le caniveau jusqu'à s'écraser dans les eaux sales. Il s'assure que les habits de rechange de Damian sont propres, qu'aucune lumière n'est allumée chez les voisins.
« C'était— j'avais jamais ressenti ça avant, » l'aîné marmonne pour lui-même. Le couteau a été abandonné dans le sous-sol, derrière la machine à laver. Ils penseront que les garçons l'ont embarqué avec eux, c'était la meilleure solution. « T'avais raison, en attaquant la gorge d'abord, elle pouvait plus crier. »
C'est simplement de la logique, rien de plus. Il laisse Damian lui ébouriffer les cheveux sans réagir.
« J'ai besoin d'un nouvel ours. »
« Et t'as déjà décidé du nom ? »
« Pumpkin. »
Il a envie de plus qu'un ours en peluche, au fond. De vrais amis, que les gens au lycée parlent avec lui plus souvent, ou juste d'avoir quelqu'un avec qui rire et planifier des trucs qui ne soient pas le meurtre de leur mère. Enfin, il ne peut pas la tuer deux fois.
Creepy trouve simple d'oublier, de se nourrir des détails récents pour perdre les autres. De remplacer ce qui est de la culpabilité par autre chose. Récolteur, ça ne le dérange pas. C'est un rôle qui le maintient en mouvement, lui donne l'occasion de ne pas être coincé toute la journée. Même si rien ne se passe jamais comme prévu, que tout doit forcément partir en vrille.
La jambe est restée. C'est dénué de sens, parce que les deux auraient dû être là, ensemble. Pas simplement une seule. La jambe, marquée du tatouage. Une jambe avec une coupure nette, aussi aiguisée que les dents l'ayant sectionnée, sans pitié. Il reste là, longtemps, incapable de quoi que ce soit. Il compte, Creepy, en français, parce que c'est un réflexe. Que leur mère était Québécoise de naissance et qu'elle leur parlait souvent dans cette langue. De 99 à 0. De moins en moins de possibilités et de temps. Parfois, les chiffres défilent sans que ce qui l'entoure ne le fasse et il reste immobile trop longtemps, caché avec la jambe à ses côtés.
Les membres sont généralement par deux.
Les poumons, les yeux, les mains— Non, certains sont des organes, pas des membres.
On recommence depuis 76. Et on redescend.
Pumpkin se la ferme, ce qui vaut mieux pour tout le monde. Caché dans son sweat, l'ours ne dira rien, par crainte d'attirer les foudres de son maître.
(Il lui arrachera une jambe plus tard.
Pour la recoudre.
Butterfly, elle, personne peut la remettre en place.)
S'il a survécu, c'est qu'il y a une raison. Que quelque chose s'est produit en lui. Au début, Creepy ne comprend pas quoi, même après avoir retiré les chairs et les tissus qui entouraient la jambe de Butterfly pour en récupérer le fémur. C'est mieux, de ne pas voir le tatouage, de se dire qu'il ne s'est pas imprimé au sein de sa mémoire pour toujours.
C'est l'unique chose qui apparaît devant ses paupières dès qu'il les ferme. La peur n'est pas venue seule, en une cavalière responsable. Elle a amené la Foi avec elle. Une interdite, remplie de magie. Ce sont ses pouvoirs qui l'ont sauvé de la tragédie. Cette pointe de vie qui sommeillait en son cœur depuis des années. Pas une sorcellerie faite de baguette et de rires, non. Une un peu plus macabre, basée sur des rituels et des habitudes qu'il ne faudrait pas prendre.
Bien sûr, rien de tout ça n'est vrai. Mais Creepy s'en persuade, jusqu'à ce que ça devienne une obsession, en faisant tournoyer le fémur fraîchement peint dans l'air. Plus tard, il inscrira les noms de ses ennemis sur du papier, le faisant brûler avec quelques baies toxiques, espérant que l'horreur se répande. C'est beau la magie, et vaste aussi. Carrie avait réussi à le comprendre, non ? Avant de mourir en emmenant sa connasse de mère avec elle.
La sienne ne lui manque pas.
«
C'est un jeu ! Creepy aime beaucoup s'amuser, » Pumpkin lance joyeusement. Bien que ça ne soit pas véritablement nécessaire de se justifier puisque peu sont au courant. Un secret de plus. S'il était en mesure de réaliser qu'il s'invente un monde pour compenser son incapacité à gérer le décès de Butterfly, est-ce qu'il s'arrêterait pour autant ? Probablement pas.
« Chef, toi ? » Hollow observe le froid qui s'installe, tout en passant ses doigts dans la chevelure grisâtre de son cadet. A dix-sept ans, il est à la limite, comme il l'a toujours été pour tout. « Tu t'en sens capable ? »
« Je n'ai pas confiance en qui que ce soit d'autre pour nous diriger. »
Pumpkin ne s'exprime jamais lorsque Hollow est dans les alentours. Son aîné le connaît un peu trop bien pour que ça fonctionne avec lui. Creepy n'a pas à lui parler de sa crainte qu'il arrive quelque chose de terrible aux plus jeunes dans cet hiver éternel, de son envie de les défendre contre tout. C'est le souci avec Hollow, il ne comprendrait pas. Là se situe leur fine séparation, la limite de l'humanité, probablement.
« Je suis âgé, expérimenté, et je sais me battre si quelqu'un veut s'opposer à ce choix. »
S'appuyant contre l'arbre, Hollow le contemple un long moment, comme s'il risquait de parvenir à voir quoi que ce soit qui soit suffisant pour une moquerie. Puis, au final, c'est un haussement d'épaules qui lui sert de réponse.
« Récolteur, de toute façon ça ne peut pas être si dur. »
« Ta gueule, tu es soigneur uniquement parce que tu aimes causer des blessures aux autres. »
« Et les soigner ensuite, acte pour lequel je suis excellent. Et puis je ne me bats qu'à l'arène alors t'as rien à me dire. »
« Tu es chiant. »
Cette nuit-là, en 1999 lorsque Peter Pan est apparu pour les emmener, alors qu'ils erraient dans les rues quelques heures après le meurtre de leur mère, Creepy et Hollow n'ont pas été en mesure de refuser son offre. Et, pendant des années, le Petit Roi fut un dieu pour les frères. Une créature mythique qu'ils ont juré de suivre jusqu'à la fin des temps. Jusqu'à ce que le cadet perde cette conviction. C'est un peu insensé, de cesser de croire uniquement parce qu'une seule personne est morte.
Surtout lorsqu'ils n'étaient pas proches et que tuer, ça ne lui a jamais semblé être si dramatique. Du moment que c'est pour sauver une personne que l'on aime ou un concept très important. Mais Mirka, elle n'a jamais rien fait de mal. Est-ce que ça a du sens, de tout balancer parce qu'on doute sans en être certain ? Les paroles sont parvenues jusqu'à ses oreilles, accusatrices. Et tout s'est égaré, de la vérité au mensonge. Tout ce que en quoi Creepy peut croire, c'est en ceux qui se tiennent à ses côtés. En une amitié qui deviendra un jour un lien sincère.
Un jour, même le héros aura le droit d'être apprécié par quelqu'un sincèrement.
Qu'importe ses crimes.
«
On va bien s'amuser aujourd'hui encore ! »
Avec Pumpkin, Creepy ne sera jamais seul.