Ça le travaillait, le Braumeister. Cette histoire de maladie si mystique que même les forces vaudous n'y peuvent rien. Que même les chamans natifs n'y peuvent rien. Et le froid, et les pensées allant à ses camarades atteints ou pas, et Smee et Hook... Il y avait quand même quelque chose de complètement malsain dans cette maladie qui regroupait tout le monde, quelque soit le camp de la guerre. Quelque chose d'horrible qui changeait la nature des choses.

ET SURTOUT CET ENTÊTEMENT A RÉSISTER A TOUS LES BREUVAGES QUE BRASSAIT F-W !

Il était là, tard, seul dans son laboratoire ( ses aides, aussi utiles soient-elles, avaient été congédiées ), à s'arracher les cheveux, à hurler silencieusement. A être dans la détresse. Il jeta un regard à son leprechaun en bouteille, mais s'imaginait bien que le breuvage magique ne lui serait d'aucune aide. Il aurait trop de choses à lui confier, la rêverie n'en finirait pas.

Il se demandait si ce ne serait pas mieux qu'il soit mort. Les morts ne subissent pas le Givre, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas...

Et ce fut l'illumination. Les morts ne subissent pas la douleur, la fatigue, les morts peuvent être dirigés par une certaine personne. Les morts lui obéissent. Les rumeurs à propos de cet homme avaient tellement résonné aux oreilles du brasseur qu'il s'était imaginé tellement de choses. Qu'il avait même essayé de se prétendre lui.

Prenant son manteau de fortune, courant braver le froid, il avait déjà des idées stupides en tête. Et si, et si ? Mais il lui fallait avoir le coeur net. Il fallait trouver cet homme, cet improbable héros qui pourrait, aidé de sa science, peut-être mettre un terme à cet hiver mortel et bleu.

Peut-être y avait-il encore un espoir en la personne du Baron Samedi.

Aussi ce fut ainsi que, tard dans la nuit glaciale, bravant le froid et le risque d'attaque, le Braumeister vint frapper à la porte du loa.

Le Guédé avait ouvert la porte. La première partie du plan avait été une réussite complète. Deuxième partie était de convaincre désormais le Baron de faire partie du plan. Et après... Vell, on improviserait. Il fallait déjà savoir ce que pouvaient faire les zombis du Guédé contre les Marcheurs Bleus. Mais la manière dont l'avait accueilli le loa ne plaisait pas trop à l'Alchimiste. Et oubliant légèrement qu'il avait besoin de cette personne, et énervé par le manque de sommeil, Braumeister rétorqua acidement :

« Ou sinon quoi, Herr Samstag ? Vous seriez prêt à perdre un allié dans cette situation de crise ? Sei nicht dumm. »

Il alla pour prendre la porte et la claquer avant de partir quand il se rappela soudain que c'était lui qui était venu chercher de l'aide, pas l'inverse. Il prit une grande inspiration pour se calmer et reprit.

« Mon nom est von Juntz. Vous avez peut-être entendu parler de moi sous le sobriquet du Braumeister. Et si vous n'avez pas entendu parler de moi, je suis le Tavernier et Alchimiste du port. Et je viens pour vos morts qui marchent. »

Direct, comme à son habitude. Puis il se rappela d'autre chose. D'une rumeur qu'il avait entendue, et qu'il avait décidé d'utiliser à son avantage.

« Mais peut-être préféreriez-vous discuter autour d'un bon verre de ma meilleure création » dit-il en sortant une flasque de son manteau.

L'alcool fait parler. L'alcool facilite les échanges. Braumeister le sait. Il l'a toujours su. Après tout, il dirige la Taverne.

L'atmosphère occulte de l'endroit fit légèrement hausser un sourcil à l'Alchimiste. Les ombres qui bougeaient, l'impression d'être observé... Il avait rarement senti cette influence en dehors de son Domaine, de sa Cave. Mais cette distraction n'arrêta guère F-W qui était venu dans un but précis. Peut-être qu'en temps de paix, s'il n'oubliait pas d'ici là, il irait essayer de passer outre le regard de ce crétin de Smee pour étudier la magie de Bayou, et en quoi cela pourrait l'aider à concocter des produits plus... Terribles. Pour le moment, il fallait se débarrasser de ce foutu Virus.

Assis en face du Baron, qui souriait à pleines dents, Braumeister déboucha son petit nectar personnel et remplit les deux verres.

« Gesundheit, Herr Samstag ! » dit-il en trinquant avant de boire son opus magnum.

Il fixa le Guédé tandis qu'il buvait, guettant une réaction, positive ou non. Il fallait parler affaire, mais ce serait plus simple si le Baron avait quelques grammes dans le sang avant...

« La liqueur est à votre goût, Baron ? »