Weasel est quelqu'un d'attentif. Il l'a toujours été, en fait. Petit, on lui avait appris tôt à repérer les flics postés aux coin des rues.
Plus grand, on lui avait aussi enseigné à voir si des gangs ennemis, d'autres magouilleurs, n'étaient pas loin pour leur voler leur marchandise.
Et à présent, il devait repérer les cibles semblant faciles, et toujours garder un œil sur celles qui s'écartaient du chemin qui leur avait été tracé, ou simplement par méfiance, pour voir si rien ne se mettait en travers de sa route ou de celle de son cher acolyte.
De toute façon, ces gens là allaient finir comme les autres.

Depuis quelques temps, la fouine de Courtisan avait remarqué une jeune fille au comportement bien étrange, semblant rôder autour de la Mercerie et suivre Pit de loin sans trop se faire remarquer.
Mais le Loyal, lui, il l'avait vue. Alors, il l'avait observée elle aussi, et avait récolté quelques informations à son sujet : blonde aux yeux verts, dans la quinzaine, il s'agissait d'une Récolteuse nommée Soap, dite l'Indifférente.

Que venait-elle faire ici ? Mystère. Ce n'était visiblement pas une fille que le Chef des Raccommodeurs avait dans son colimateur, sinon il en aurait déja entendu parler. Peut être était-ce le genre de détective voulant à tout prix le faire couler ? Il fallait en être sûr, et si c'était le cas, cela n'allait pas se passer ainsi. Pas aussi facilement.
Qui sait, l'adolescent aurait-il peut être une victime pour lui tout seul ? Cela lui permettrait au moins de se sentir un peu plus puissant. Pourvu que celle-ci ait des choses à se reprocher, cela ne rendrait la tâche que plus facile encore.

Alors, un jour, il l'attendit, près de la Mercerie. Et bingo, la petite fouineuse était déja là. Comme elle semblait espionner tôt ! Ils venaient à peine de finir de manger qu'elle était déja à son poste, alors que d'autres préféraient vaquer à des occupations plus variées. C'est qu'elle devait être déterminée.
Lorsque le blond arriva, il se plaqua contre l'écorce de l'arbre, plus en hauteur. Ainsi, il pouvait observer la scène plus haut sans être vu, tant qu'il ne se penchait pas trop au bord de la plateforme, où il était plus visible. C'était son coin d'observation favori, il pouvait en sortir à tout moment en faisant une entrée spectaculaire.

Le jeune garçon vérifia que la Récolteuse fut assez prêt, avant de sauter de sa plateforme à celle d'en-dessous où se trouvait la Mercerie, sa veste soulevée par l'air lors de la chute.
Elles étaient pratiquement l'une au-dessus de l'autre, il n'y avait que la hauteur -non négligeable étant donné que le Courtisan n'arriva à se réceptionner qu'accroupi en manquant presque de tomber à cause du sol glissant de ces derniers jours- qui pouvait constituer un problème.

- Howdy ! Soap l'Indifférente, c'est ça ?

Lança Weasel à la jeune fille tout en se relevant prestement, ne bougeant pourtant pas de sa position. Il lui laissa le temps d'ajouter quelque chose, que ce soit un "oui" affirmatif, un "oh" de surprise, ou encore un "t'es qui ?" suspicieux, puis enchaîna :

- J'ai à te parler, alors coopère gentiment, s'il-te-plait.

Son petit sourire en coin ne présageait rien qui vaille, alors qu'il désignait la Mercerie d'un geste de la main l'air de montrer qu'il n'était pas tout seul, et que son occupant pouvait sortir à tout moment si la nouvelle venue se montrait quelques peu réticente.
En ce qui concernait l'entrée en scène, c'était réussi. Maintenant, il fallait passer à la suite...

Plus le temps passait, plus Soap se demandait si le Joker avait entièrement dévoré celui qu'il était auparavant ou si un peu d'espoir existait encore... Nasty avait l'air de dire que c'était perdu. La Récolteuse ne pouvait pas contredire, elle-même ne voyait pas vraiment de quoi espérer.

L'Indifférente faisait absolument tout pour être digne de son surnom, même lorsqu'elle avait envie de pleurer.

Elle s'approchait doucement de la Mercerie, elle voulait voir si Pit n'avait pas aggravé ce dont il était capable. Comme si une surveillance ignorée allait changer quelque chose... Soap supposait qu'elle pourrait faire du bruit, ou n'importe quoi d'autre afin de gêner et d'interrompre des possibles plans. Il ne s'agissait que de tentatives vagues afin de maintenir un peu la tête de celui qui fut son frère hors de la Fosse. Enfin, demi-frère. Mais bon, les détails s'effaçaient de plus en plus.

Bref, elle voulu voir à l'intérieur, mais quelque chose s'interposa.

Un truc qui tomba accroupit avant de se relever. Soap avait laissé échapper un hoquet de sursaut mais se rattrapa vite en reprenant contenance.

Ce n'était qu'un autre Garçon Perdu.

Un courtisan. Qu'est-ce qu'il fichait là celui-ci ? Soap se retint d'afficher un air dépité. Mais elle fronça un peu les sourcils, air de ne pas comprendre comment le gars connaissait son nom.

Puis la phrase de coopération, mais surtout la désignation du Joker, firent croiser les bras à la jeune fille. Celle-ci ramenant la peluche d'ours en peluche malmenée contre son buste.

- T'es un courtisan, non ? Qu'est-ce que tu me veux ?

Soap reprenait son air détaché, indifférent, mais elle ne comprenait vraiment pas pourquoi est-ce qu'elle tombait sur ce type.

- Ah mais, t'es pas souvent vu avec Pit toi ?

Il lui semblait qu'elle les avait déjà vus, enfin bon... ce n'était pas nouveau venant du Joker d'avoir des gens souvent avec lui. Ça pouvait être des raccommodeurs, ou des collègues, ou des genres de suivants...

La surprise se teint pendant une fraction de seconde sur le visage de la demoiselle avant que celle-ci ne reprenne son air naturel. Elle semblait légèrement choquée qu’il sache comment elle s’appelle. La mention du fait qu’elle était potentiellement surveillée (à moins qu’il ne s’agisse de la simple désignation du Joker) la firent ramener l’ours qu’elle portait contre elle.
Rentrant directement dans le vif du sujet, la Récolteuse s’interrogeait sur le fait que le Courtisan l’abordait. Essayait-elle d’avoir le monopole de la conversation et détourner l’attention parce qu’elle se cachait ?

- J'y viens…

Souffla le jeune garçon tout bas. Qu'elle ne se précipite donc pas ! Il lui répondra quand il le voudra, après tout, ça ne se fait pas de presser les gens comme ça. Et puis, un peu de politesse, ça ne tue pas...

- Ah mais, t'es pas souvent vu avec Pit toi ?

Reprit-elle sans lui laisser le temps de se préparer. Quelle intéressante affirmation c’était ! Il ne manquerait plus de savoir où cela aboutirait. Mais pas le temps de s’y attarder, car la suite de la conversation, c’étai à Weasel de la commander !

- Peut-être, mais qu’est-ce que cela t’apporterait de le savoir ?

Fit le Courtisan d’un air goguenard. Voilà la jeune fille déjà prise au piège, c’était trop tard ! Elle devait sûrement avoir une idée derrière la tête, il ne manquait plus qu’elle se vende pour que la chose soit faite !
Mais dans l’immédiat, la fouine était simplement là pour l’intercepter, car lui aussi avait quelques questions à lui poser, et il était sûr de ne pas la laisser filer avant d’avoir obtenu ce qu’il voulait !

- Et toi dis voir, tu es souvent vue en train de rôder autour de la Mercerie, je me trompe ? Que viens-tu y faire ? Cela inquiète un peu le propriétaire… Et c'est pour ça que je suis venu t'aborder.

Reprit l’adolescent d’un air qui se voulait contrarié. Ah, que cela risquait de chagriner Pit si cette petite avait décidé de venir l’embêter ! Cela n’allait sûrement pas être chose aisée, mais qu’elle révèle donc le fond de sa pensée et ils seront fixés !
La fouine de Courtisan pourrait bien y passer la journée, il ne faillira pas à la mission qui lui a été confiée !

HRP:

La réponse étant une question, Soap soupira légèrement peut-être d'agacement avant de juste se remettre à écouter le courtisan. Décidément, elle ne comprenait pas bien l'envie de Peter de s'entourer de lèche-bottes.

Pour la récolteuse, les courtisans n'étaient probablement rien d'autres que des jouets réservés. Ils n'avaient pas les pouvoirs de chefs, du moins... elle l'espérait. Vue comme ils étaient aussi faux.

Les exemples parfaits de mensonges.

L'explication du pourquoi cette situation vint, et Soap leva un sourcil. Elle avait l'impression que Weasel cherchait à faire des rimes dans ses phrasés. Elle attendrait pour en être certaines, car parfois on ne faisait pas vraiment exprès.

Quoi qu'il en soit cela ne faisait que confirmer le fait qu'il léchait probablement les rangers du chef des raccommodeurs. L'Indifférente en était horripilée, mais laisserait ça de côté. Elle s'en fichait. Le problème n'était pas là.

Elle tritura distraitement son ours en peluche avant de répondre calmement, l'air le plus blasé du monde rien qu'à savoir ces mots sortir de sa bouche.

- Peut-être que je suis juste une des groupies qui trainent autour. Y en a d'autres qui font ça.

Haussement d'épaules.

Elle devait se convaincre elle-même, mais autant dire que c'était inutile. Très inutile, elle peinait à mentir. Ça lui rappelait justement ce satané sourire faux. Celui qui cachait des dégâts encore inimaginables pour une enfant.

- J'en ai pas la carrure, c'est vrai je vais pas te faire gober ça. Disons juste que je m'inquiète, c'est déjà plus réel.

Soap s'inquiétait, ça au moins ça avait du vrai. Elle s'inquiétait de ce qu'il arriverait à la moindre partie encore humaine, la moindre toute petite lumière qui pourrait peut-être éclairer le reste. Nasty avait dit que c'était sans doute bien trop tard. Ce qui devait être plus juste que l'espoir de la fillette. Son frère lui manquait, mais ce qu'elle avait retrouvé sur l'Île n'y ressemblait en rien.

Elle faisait de son mieux afin de préserver les bulles de savon de ses quelques souvenirs restants, pour pouvoir expliquer ou avertir.

- J'ai vraiment l'air d'un danger pour que tu te fasses du mouron ?

Un ton un peu cynique, serrant son ours en peluche. Les bras et les mains abîmées loins d'être cachés. Soap n'avait rien d'un danger en effet. Du moins, au sens strict.

La conversation semblait prendre une tournure intéressante, alors que la jeune fille partait sur une galéjade plus qu’alléchante. Weasel n’était pas dupe et savait lire dans les yeux ; il pouvait donc la contredire de manière fulgurante ! Pourquoi ne pas s’amuser avec cela et ainsi voir si dans ce regard se cachait des informations croustillantes ?

- Ta bouche et tes yeux sont en désaccord… Pourquoi donc vouloir me mentir, d’abord ?

- J'en ai pas la carrure, c'est vrai je vais pas te faire gober ça. Disons juste que je m'inquiète, c'est déjà plus réel.

Ah, dans un sens, le Courtisan était déçu. Lui qui avait prévu de s’amuser avec un bobard, il ne pouvait officiellement plus. La vérité était-elle plus intéressante à écouter ? Soap ne se méfiait-elle pas plus que cela de lui, pour ainsi se livrer sans se cacher ?
En soi, le fait de l’entendre parler d’inquiétude fit tiquer le Loyal. Il voulait creuser ce sujet pour savoir ce qu’il en tirerait ; était-ce mal ? Aurait-il des scrupules à soutirer des informations personnelles à cette jeune fille si honnête ? Aucunement, l’hésitation, la fouine n’en avait aucune miette !
Tout est bon pour arriver à ses fins, surtout lorsque l’on peut jouer sur la franchise d’autrui. Les honnêtes gens sont plus directs, mais le résultat reste le même une fois la conversation finie.

- J'ai vraiment l'air d'un danger pour que tu te fasses du mouron ?

- Les gens qui ont une gueule d’ange cachent souvent bien leur jeu. Mais, je peine à croire que ce soit ton cas, en lisant dans tes yeux. Ils crient, au fond d’eux, que quelque chose t’émeut. Est-ce en rapport avec ce qui se trouve en ces lieux ?

Fit Weasel sur un ton doux, comme s’il se préoccupait sérieusement des petits chagrins de la Récolteuse. Ce ne sera peut-être pas aisé de lui tirer les vers du nez, bien qu’elle ne soit visiblement pas une menteuse. Et, comme pour la mettre en confiance, il s’accroupit en désignant vaguement la Mercerie. Pas qu’il voulait l’y inviter, mais simplement pour lui demander si son problème se trouvait bien ici.
Le Loyal acceptait même de se mettre en position d’infériorité afin d’aider son interlocutrice à mieux se livrer. Bien que cela froisse un peu sa fierté, il s’agissait d’une technique qu’il se plaisait tout de même à employer. Elle pouvait maintenant parler en toute tranquillité ! Quelle menace un bon gars comme lui pouvait donc représenter ?

- Ah, tu sembles blessée ! Jamais je n’ai vu un Récolteur aussi écorché… Que s’est-il passé ?

S’enquit le Courtisan, s’inquiéter de l’état d’autrui faisant parti de sa combine. L’humain aime qu’on lui accorde de l’attention, et elle joue là-dessus, la fouine. En soi, c’est une intéressante observation. Que peut-il donc se cacher derrière ces yeux ternes et ces affreuses marques ? Était-ce le fruit d’une quelconque déception ? Exposées comme elles le sont, il était évident qu’il fallait qu’on les remarque.
Jeune Perdue, quel genre de secrets as-tu donc à cacher ? En venant te perdre ici, c’est la curiosité d’une bien mauvaise personne que tu as attisé !

Gingerbread Man

La vague désignation du lieu, la mercerie, fit tourner un peu les yeux de la garçonne dans la direction. Puis les sourcils se froncèrent un peu en retombant sur Weasel qui s'installait déjà autrement. Lui qui surplombait devenait maintenant comme ces adultes qui se baissaient à la hauteur des enfants pour leur parler. Pour être à égalité voire même inférieur.

Les bulles de souvenirs se souvenaient que sa mère avait déjà fait ça. Avant d'expliquer pourquoi elle allait lui laver la bouche avec du savon. Ou, au début, au tout tout début... quand cette maman expliquait à Elliott ce qui allait se passer. Ce qu'il allait devoir faire et que c'était normal.

Soap avait entendu ça.

Que c'était normal.

Alors est-ce qu'elle pensait que c'était anormal ?

Non. En fait, ce qui l'avait marquée à l'époque c'était plutôt les punitions. Elle voyait presque que ce que son frère faisait était un travail normal. Cependant, ça lui faisait peur à Soap. Elle avait peur d'avoir l'âge de son aîné un jour.

Techniquement, elle aurait dû faire comme lui, non ? Elle avait déjà passé cet âge.

Un vertige. L'Indifférente ne laissa paraître dans ses yeux que la sensation d'un très mauvais souvenir avant que la satanée fouine n'ajoutait un détails désagréable.

Les marques. Soap eut le réflexe de regarder ce qui fut désigné, comme si elle venait de s'en rendre compte. Elle sentit les picotements, les sensations désagréables qui collaient à ces blessures. Elle aurait dû les cacher ? Elliott n'avait pas caché la marque sous l'oeil pourtant.

-... je me lave juste beaucoup, c'est même hurlé par mon nom.

Toujours l'indifférence dans le regard, parce que c'était banal en fait. Avant non, mais ici oui. Tout le monde était un peu cassé, à l'image de cette foutue peluche. Et ce courtisan, il avait tout pour agacer. Surtout son parlé. Ça rappelait des choses qui rendait à fleur de peau.

- Cite-moi une raison pour laquelle un courtisan se ferait du souci pour les autres.

Froide, pourquoi ? Pourquoi déjà ?

Ah, oui. C'était sa mère qui se souciait d'elle, pendant qu'elle délaissait l'aîné avec des adultes. Soap savait que ça ne plaisait pas, que ça avait l'air douloureux. Pourquoi cette adulte s'occupait de la pauvre égratignure sur le genou au lieu de se soucier de son autre enfant ?

Bref, les courtisans, de base étaient une caste pourrie jusqu'à l'os.

Pas réceptive. Elle n'était pas réceptive. Elle fuyait, évitait, détournait les questions, quasiment la conversation en entier. C'était le risque, avec les plus âgés, les plus lucides. Ils semblaient sentir la vermine.
Si Soap continuait, elle allait finir par ennuyer le Courtisan, c'était certain. Elle devait déjà lui avoir collé une étiquette de "fripouille" ou quelque chose dans le genre.

Mais hey, il ne fallait rien en laisser paraître, hein ? Continue de sourire, de masquer, de mimer. Lui, il sait comment faire parler les autres, alors pourquoi pas toi ?
Concentre-toi un peu, garde ton calme et tout ira bien. Qu'a-t-il de plus que toi, si ce n'est le talent et l'apparence ? Rien. Tu peux le faire, ce sera une petite victoire en plus.

- L'ennui. C'est ce qui nous pousse à s'intéresser à autrui.

Vague haussement d'épaules. N'était-ce pas à moitié vrai, après tout ? Qu'est-ce qu'une fouine comme lui, pratiquement payée à ne rien faire de ses journées si ce n'est flatter un Tyran absent, pouvait faire d'autre pour meubler ses journées ?
C'était sincère. A moitié, jamais entièrement. Comme toujours en ce qui concerne Weasel, en somme.

- Si tu veux d'autres raisons, demande, je t'en prie. J'ai du temps à t'accorder, comme je n'ai rien à faire aujourd'hui.

Rajouta-t-il, toujours sur le même ton de la conversation. Le ton un peu ennuyé du type qui ne sait pas quoi faire de sa journée…
… si ce n'est coller aux bottes d'une petite jeune qui fouinait depuis un bout de temps au niveau de la Mercerie sans jamais rien faire de plus, et qui n'avait pas l'air d'être une admiratrice du maître des lieux.

Oh, il trouvera la raison, pas d'inquiétude. C'est dans ce même but que le Loyal s'était donné la mission de la faire parler, en essayant de trouver la raison de pourquoi elle se trouvait seule ici :

- Tu ne préfères pas rester avec des amis, plutôt que de traîner seule ici par ce temps aigri ?

L'humeur-même de Peter étant décrite dans le temps, il n'était pas faux de le qualifier d'aigri. Pluie, froid… Sa Majesté n'était pas au mieux de sa forme, et le ciel se teintait de sa fatigue, de son malaise, de toutes les petites choses négatives qui pouvaient le turlupiner.
Il était si fragile, si fragile… et personne ne semblait pouvoir y faire quoi que ce soit, cette fois. Même pas eux; sa fidèle Cour, ses Généraux.

L'ennui, c'était une réponse qui avait un air plutôt crédible. Soap ne pouvait pas penser que les courtisans étaient les personnes les plus occupées du Grand Arbre. L'Indifférente maudissait d'avoir fait cette rencontre et d'ainsi éviter le calme.

La fillette trifouillait sa peluche, en attendant que Weasel ait fini son numéro. Enfin, son "numéro". Elle ne savait absolument rien de lui. Elle ne faisait pas partie de ceux qui fouillaient des informations sur les Garçons Perdus. En fait, la chose principale qu'elle retenait pour le moment... c'était le sourire. Ce foutu sourire. Le plus gros des mensonges. Sans doute, on pouvait mesurer l'étendue de la fausseté d'une personne par la largeur du sourire du masque.

Et la fouine en avait un beau spécimen.

Soap n'avait pas confiance en ces personnes entourées de gens, en ces personnes semblant si joyeuses. Etrangement, elle se sentait plus en sécurité parmi les rejetés, ceux qui ne souriaient pas souvent.

Et cette manie de parler en rimes. C'était carrément du théâtre pour la Récolteuse.

- C'est vrai. Je devrais plutôt aller voir mes amis.

Et, et, et, et... les bulles de savon venaient piquer les yeux. Elles venaient montrer que tout ce qui avait été vécu dans le monde ordinaire n'avait jamais été plus qu'un mensonge. Les cadeaux, les gentillesses, les sourires et l'intérêt pour les autres. Tout était feints. Tout n'était que pour assouvir des plans. Sa mère avait été si gentille pour que la petite Soap se taise et prenne les cadeaux.

Un regard vers la Mercerie, vers le monstre qui avait dévoré l'aîné. Elle avait pensé retrouver ce dernier, mais il seul le mensonge avait survécu.

- T'es toujours dans ses pattes à lui, toi aussi tu devrais rejoindre tes amis. Non ?

Une bulle de savon se souvenait, elle dessinait le reflet d'une scène. L'Indifférente avait dit quelque chose comme ça, pour contredire, et elle avait été punie. Puis elle a toujours obéi. Et pourtant, Soap faisait pareil, d'une voix des plus désintéressées.

Le Loyal portait bien son surnom. La question était envers qui cela se tournait, et surtout, quel était le degrés d'ironie. Soap, il fallait toujours jouer la gentille petite fille. Obéissante, qui va dans le sens que l'on voulait. Fallait-il aller dans le sens de Weasel pour être tranquille ? Ou pour embêter le monstre qui se cache sous la peau de demi-frère ?

- Qu'est-ce qui t'intéresse vraiment ?

Demanda la Récolteuse en replantant ses puits toxiques sur celui qui l'enquiquinait.

Elle disait retourner voir ses amis. Pourtant, elle restait en sa compagnie. Et ses yeux se mirent à briller comme si elle allait pleurer…
Weasel soupire. Il pensait vraiment qu'elle allait être sincère avec lui. Au final, elle ne devait pas être assez naïve pour lui faire confiance.
Ca allait rendre la tâche moins aisée. Mais en même temps, la difficulté était amusante. Jusqu'à un certain point.

- Tes yeux crient que tu mens. Tu peux pas me cacher ce genre de chose, vraiment.

La fouine soupire. Il sait décidément mieux feindre qu'elle… enfin, cela voulait dire que c'était une jeune demoiselle sensible. C'est à double tranchant; ça peut faire à la fois la force et la faiblesse de quelqu'un… et il semblait que dans son cas, elle fasse de son mieux pour cacher ses émotions. C'est en accord avec son surnom, justement.
Il faudra faire la lumière sur ce point.

- T'es toujours dans ses pattes à lui, toi aussi tu devrais rejoindre tes amis. Non ?

La question le fait doucement rire, alors qu'il tourne, lui aussi, la tête en direction de la Mercerie. C'était machinal.
Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien vouloir à Pit ? Lui refaire sa tresse, peut-être ? Parce que Dieu sait que celles de la Récolteuse étaient belles.
Ca devait être un truc de blond, de se faire cette coiffure. Il devrait donc aussi le faire, en tant que tel ? Ce serait amusant de le faire remarquer.

- J'ai qu'un ami. A partir du moment où l'on m'a vu avec lui, c'était fini. C'est pas le genre de type qu'on a envie de côtoyer. Alors, on a vite fait de me mettre dans le même panier.

Répondit le Courtisan, sans se défaire de ses éternelles rimes. Elles ne lui venaient pas forcément d'office, mais il ne mettait pas longtemps à les trouver non plus, certaines étant plus facile à faire que d'autres.
Encore une fois, ce qu'il disait n'était pas complètement faux. La réputation de Pit jouait sur la sienne, et il n'avait pas d'amis, simplement parce qu'il n'en voulait pas, considérant cela comme une vision futile de gamin puéril.

Toute sa vie, celle qu'il menait jadis, il n'a été entouré que d'adultes et il se débrouillait seul. Jamais il n'avait eu l'occasion de sympathiser avec une personne de son âge.
A part cette fille, l'année de ses 16 ans, l'année de son départ… mais c'est une autre histoire, qui n'a pas non plus duré longtemps.

- Qu'est-ce qui t'intéresse vraiment ?

Questionna à nouveau Soap, à qui il faudrait faire comprendre que ce n'était pas elle qui devait poser les questions ici. Elle tapait juste, elle se méfiait. Vite, une parade à moitié vraie, à moitié fausse !

- Justement, Pit est mon seul ami ! Etant donné que tu tournais autour de la Mercerie, j'ai tout simplement pensé que tu voulais lui causer des ennuis…

Ca, c'est dit. Encore une fois, il fallait démêler le vrai du faux. Oui, le fait qu'une Récolteuse zone autour de la Mercerie sans jamais y entrer était intriguant. C'était la raison première de sa venue…
Et oui, le maître des lieux était son ami. Plait-il ? Se considéraient-ils vraiment ainsi ? Acolytes, partenaires, ils se le disaient souvent. Mais ami… leur entente va-t-elle donc jusque là ?

Evidemment que non, allons. Tu n'es pas jaloux de ton ami. Partenaires, c'est très bien. Une entente cordiale se limitant aux affaires véreuses. Il faudrait juste être à égalité… Est-ce trop demandé ?

La fouine méditait, perdue dans le vert des yeux de son interlocutrice.

- En te regardant dans les yeux, j'ai l'impression de lui parler…

Lâche-t-il soudain, d'une voix lointaine et sans rimer, revenant lentement au moment présent.
Il ne se doutait même pas du poids que ses mots peuvent avoir dans le moment présent.

Pit était le seul ami de Weasel ? Soap leva un sourcil, plus ou moins surprise de la réponse que la fouine servait. Elle avait conscience que les amis... on les comptait sur les doigts d'une main. Le reste ne se formait que de connaissances et de bons copains. Même si, révélé ainsi, ça sonnait très étrange pour Soap. D'habitude, on servait ce genre de chose dans des complaintes. Enfin, celles des enfants en effet. Peut-être pas à leurs âges.

Alors qu'elle réfléchissait, elle sursauta légèrement lorsqu'elle remarqua que le Loyale la fixait. Et les mots qui suivirent lui glacèrent le sang.

- H... hein ?

Les yeux écarquillés, difficile de rester l'Indifférente sur ce sujet si particulier. Si fragile et pénible. Soap eut l'impression que son coeur avait manqué un battement, la comparaison ne lui plaisait pas. Avant, pourtant, elle aimait avoir les mêmes yeux que son aîné. Mais aujourd'hui, c'était le monstre qui portait les globes de son frère. Demi-frère. Il ne restait plus rien de celui à qui elle voulait offrir cette peluche. Triste, et un peu en colère, elle ne pouvait pas à ce jour accepter d'entendre la comparaison.

La récolteuse aurait voulu se boucher les oreilles, mais il était trop tard. Elle avait entendu.

Une main serrait un membre de l'ours en peluche, le tordait avec de plus en plus de force. Et les yeux toxiques restaient figés sur Weasel, la source de l'horreur qui tordait les entrailles de l'Indifférente à ce moment précis. Les dents serrées, le coeur qui battait dans les tympans, et la main qui déchira le bras du jouet.

Soap revint à elle, regardant la patte dans sa main. L'indifférence revenant sur son visage.

- Ah ! Zut. Désolée, Eliott.

Ton monotone, elle regardait si le corps et le membre pouvaient se lier, mais bien sûr que non sans un fil et une aiguille ce n'était pas possible. Alors, doucement elle rangea le morceau arraché dans une poche de sa robe avant de câliner l'ourson.

- Tu ne devrais pas comparer les gens à... ça. Et si c'est ton ami, tu devrais savoir que j'ai pas grand chose en commun avec.

Défensive, pourtant elle évitait le regard. Pour ne pas insister sur ses maudites prunelles.

C'était fantastique, incroyable, impensable. A l'instant même où Weasel fit le comparatif entre elle et Pit, l'Indifférente ne porta jamais aussi mal son surnom : sursaut, yeux écarquillés, surprise visible dans ses mots comme dans ces gestes.
Il n'y avait rien d'indifférent dans ce comportement.

Colère, amertume; dents serrées, crispées, la main serre vigoureusement, rageusement le bras de l'ours, qui se déchire sous la pression, et tombe au sol. Excuses à l'ours -Eliott- et retour à la normale. A l'indifférence, donc.
Le masque est de nouveau en place, pour elle aussi.

Elle essayait de se défendre, vaguement. Elle ne savait même pas où elle allait, pauvre petite. Pas de chance pour elle, le Courtisan venait de mettre le doigt sur une information des plus importantes.
Et ce regard fuyant le confortait dans sn idée. Elle pouvait toujours fuir maintenant, il la rattraperai jusqu'au bout de l'Ile pour savoir le fin mot de l'histoire.

- Tu fais malheureusement partie de ces gens qui sont trop ressemblants. Les yeux, la couleur des cheveux, le style de coiffure... tout ça est trop concordant.

Souffle la fouine en se redressant, pour mieux s'asseoir sur une rambarde, non loin. Comme c'est drôle de coincer les Perdus sur un sujet qui les blesse.
Comme l'on peut se sentir puissant en devinant des choses, en contrôlant la situation, ensuite. S'il ne se retenait pas et qu'il laissait glisser son masque neutre, on pourrait voir un sourire acéré fendre les lèvres de Weasel.

- Votre lien, c'est comme Justice et -feu- Tufty ? Mais, il ne s'en rappelle pas, lui… Tu l'as donc suivi jusqu'ici ?

C'est vrai, Pit ne lui avait jamais dit qu'il avait une sœur, ou qui que ce soit d'autre. Il devait avoir occulté sa famille en entier.
Comme ce serait drôle de lui poser la question et de voir comment il réagirait. Un jour, il ferait ça, et resterait attentif.
Il avait un argument contre la Récolteuse si elle venait à faire des vagues. Car visiblement, elle ne supportait pas d'être comparée à celui qui lui ressemblait tant…

- Allez, raconte-moi… J'ai beau être Courtisan, je sais me taire. Ce genre d'info, je la garde seulement si j'ai besoin de la ressortir devant toi. Tu n'as rien à craindre de moi sauf si l'on rentre en guerre !

Fit-il d'un air intéressé, tout en balançant les jambes du haut de son perchoir.
Voilà qui allait égayer sa journée !

Et la fouine fouinait. Soap prenait sur elle pour rester comme son surnom l'indiquait, tant bien que mal. Elle se concentrait sur l'ours en peluche auquel elle caressait l'oreille, comme pour essayer de se convaincre que tout allait bien. Ce ne serait pas un "ami" de son aîné qui allait être un problème. Surtout pas. Il n'en avait pas le droit.

Elle ignorait du regard son interlocuteur, se concentrant sur la peluche. Puis sa main s'intéressant distraitement à l'une de ses nattes, Eliott en faisait des fois. Les pensées se bousculaient dans la tête de récolteuse, et il était difficile de discerner la véritable importance. Réellement, c'était difficile. Soap cherchait quoi faire, et surtout comprendre ce que le Loyal avait en tête. Il disait que le secret serait gardé, sauf pour le redire devant elle. Qu'est-ce que ça pouvait valoir dans un univers où les gens oubliaient si facilement ? La parole d'une personne était si faible. Aussi faible que Eliott qui assurait qu'il allait bien. Que des mensonges. Encore plus lorsque cela venait de personnes trop sûres d'elles, trop souriantes, trop heureuses...

Là, finalement, l'Indifférente avait relevé les yeux jumeaux de son frère sur le courtisan. La guerre, c'était bien la plus grande blague qu'elle avait entendu jusque ici. C'était un champ de bataille permanent sur cette île, dans le Grand Arbre.

- À part savoir que j'ai voulu le suivre, mais qu'il est devenu flippant. Très bizarre... J'vois pas ce que ça t'apporte. À moins que...

Elle réfléchissait à voix haute, délaissant sa natte pour s'occuper de l'ourson. Son frère était si gentil, mais il avait changé, et il trainait avec des autres personnes. Dont le Loyal, ce qui, par extension, sentait clairement un même genre de personne. Du moins, une base commune. Les saletés s'étalaient, et se passaient dessus.

-... tu cherches quelque chose en particulier ?

Le masque reprit, ça allait un peu mieux. Mais Soap peinait à comprendre l'intérêt que cette information pouvait représenter.

- Tu sais, on dirait vraiment qu'un monstre a dépecé la peau de mon frère pour se glisser dedans.

Ton monotone. Ça devenait une habitude, de le voir et de le savoir...

C'est dans ces moments là que la curiosité l'emportait sur tout autre chose. Même s'il était au départ venu pour surveiller la jeune fille, Weasel ne pouvait s'empêcher de vouloir en savoir plus sur elle, simplement pour épancher sa soif d'informations sur autrui.
L'Indifférente ne cessait de lui demander ce qu'il désirait réellement, mais n'avait-il pourtant pas répondu à sa question auparavant ? Il était simplement là pour s'assurer que rien d'étrange ne se passait.

- Dingue, alors vous êtes vraiment frère et sœur ! Mais il y a un monde entre vos comportements, ça doit être dû à l'Ile. Les faibles d'esprits ouvrent trop facilement les bras à la folie, tu sais.

Fit la fouine en réponse aux précieuses informations que son interlocutrice lui donnait. Il était même tellement intéressé qu'il en avait oublié de rimer !
Jamais il n'avait su quoi que ce soit du passé de son acolyte, ils ne s'en étaient jamais parlé. Pourtant, l'un comme l'autre devaient avoir tant de lourds fardeaux à cacher… ça aussi, ce serait bon d'en obtenir quelques informations.

Est-ce qu'il traitait Pit de faible d'esprit ? Oui et non. Disons seulement qu'il devait s'être soulagé de ses peines passées et que l'Oubli l'avait aidé.
Enfin, l'Ile avait tout de même une atmosphère bien à elle aussi, et à part les personnes bien droites dans leurs baskets et la tête sur les épaules, les autres se laissaient lentement mais sûrement dériver vers l'excès…

- Un monstre, eh ? Voilà une façon de penser bien étrange, aussi. C'est cette histoire de peaux qui te fait dire ainsi ?

Demanda ensuite le Courtisan, curieux, qui se balançait un peu sur sa rembarde. Un monstre pareil ne devait pas exister, même sur cette Ile remplie de possibilités.

C'est qu'il n'avait même pas répondu à la question de la Récolteuse, jugeant qu'il l'avait trop fait et qu'il était maintenant clair.
Pensait-elle donc que ce qu'il lui avait dit n'était pas son véritable but ? Qu'elle était méfiante, cette petite. Ils parlaient si bien, pourtant ! Il faudrait la mettre un peu plus en confiance, paraître plus naturel encore.

Difficile de rester indifférente, de faire en sorte que rien ne l'atteigne alors qu'il était question de la chose qui avait l'apparence de son aîné. Et en plus, elle avait en face d'elle un courtisan des moins fiables au possible. Mais en y réfléchissant, tout le Grand Arbre avait l'air de pourrir. Forcément, le genre humain engendrait des mensonges en permanence. Des sourires incroyablement faux. Que des mensonges. En fait, elle pensait que ceux qui étaient ouvertement mauvaise, ou sévères, étaient les plus honnêtes. Pourtant, elle avait accordé de la confiance en la Main, un vague instinct lointain. Quelque chose qu'elle ne s'expliquait pas trop. Ça faisait déjà quelques temps qu'elle était arrivée sur l'île, sans doute avait-elle déjà perdu plus de mémoire qu'elle n'aurait pensé ?

Le temps était devenu une denrée peu importante de toute manière. La récolteuse se contenta de regarder le Loyal parler de faibles d'esprits qui sombraient, ces mots la firent froncer un peu des sourcils fins. Qu'est-ce que le courtisan voulait dire ? La folie, Soap la trouvait en chaque personne. Rien qu'un peu, une forme ou une autre. Cela n'impliquait pas forcément de devenir un monstre, ou d'en laisser un se glisser sous la peau. Utiliser les os comme les articulations d'un pantin. Et au final, Weasel ne répondit que par une autre question. L'Indifférente devrait se contenter du cas du bon ami qui veille sur une gamine qui trainait bizarrement aux alentours. Remarque, qu'est-ce qu'il pourrait bien vouloir d'autre ? Ça faisait sens. Les yeux bien trop verts tombèrent sur la mercerie, probablement que la jeune fille devrait oublier... mais d'un autre côté, elle se disait que c'était de sa faute. Elle n'aurait jamais dû écouter sa mère, elle aurait dû faire quelque chose. Comprendre ce qui était normal et ce qui ne l'était pas. C'était de sa faute si un monstre avait dévoré son frère.

Des monstres. Des hommes et des femmes. Adultes. Et sa propre mère encore plus... Son propre sang. Soap lui ressemblait un peu, elle n'avait que les yeux différents. Elle mourrait d'envie de se laver jusqu'à la chair à vif. Un malêtre, la sensation d'être sale lui donnait envie de vomir. Les puits d'absinthe devenaient vides à cet instant, jusqu'à ce qu'un profond souffle redonnèrent leur éclat qui se désintéressait de bien des choses.

- C'est... l'histoire des peaux qui me fait dire ça.

Ton monotone, comme en récitant une leçon apprise par coeur pour ne pas avoir de savon dans la bouche. Soap savait si bien dire les reflets propres qui faisait plaisir. Bien que sans doute Weasel n'allait pas lui dire que c'était une bonne fille à répondre ça.

- Ça doit être fabuleux d'être courtisan, un rang qui peut être éphémère, pas assez haut pour donner des ordres, pas assez bas servir à autre chose qu'à distraire Peter. Mais toi on dirait que t'as trouvé ton occupation.

Suivre un détraqué. Beau boulot.

Soap, avait tout de même un air un peu... offusqué. Entendre son lien avec Pit la rendait un peu triste, maintenant qu'elle commençait à le considérer comme mort. Nasty avait dit qu'elle devrait laisser tomber, non ? À moins que ce ne fut pas réellement ça ? Elle commençait à oublier des choses réconfortantes on dirait.

Quelle aubaine quand même, en y repensant ! Qui l'eut cru, que ce cher et tendre Joker avait en fait une sœur cadette ? Comme elle semblait souffrir de la situation, d'ailleurs, contrairement à ce qu'elle avançait.
Le Loyal se demandait sincèrement comment lui, aurait réagi, s'il avait retrouvé un membre de sa famille et que cette personne ne le reconnaissait pas.

Balivernes, idiotie sans queue ni tête, il n'avait jamais eu de famille.

Pas de mère, et un père présent à l'état d'ombre sans vie seulement. S'il n'avait pas voulu de fils dès le départ, ne pouvait-il pas le dire à Madame ?
Plutôt que d'ignorer lâchement sa progéniture dont il ne daignait s'occuper, ni même regarder.

Cet homme n'avait décidément aucune volonté. Ni celle de vivre, ni même de mourir. Il restait toujours entre-deux, dans un état végétatif, à méditer sur un fauteuil.
S'il avait tant aimé sa femme, que la maladie avait emporté par un coup du sort, il aurait pu prendre son courage à deux mains et la rejoindre dans l'au-delà.

Peut-être aurait-il pu prêter attention aux yeux noisette de son fils -les yeux de sa mère- s'il avait un jour posé le regard sur lui.
Petit, Michael n'avait pas connu Papa, qui rentrait toujours tard le soir et partait tôt le matin. Et après que Maman ne se soit jamais réveillée un matin, il pensait vraiment pouvoir passer un peu de temps avec lui.
Combler le manque.

... du moins, c'était ce que le jeune garçon avait espéré au départ.
Parce qu'au final, à part les allers-retours entre ses papiers et son fauteuil, tout en ignorant les mots de son fils de 5 ans, Monsieur ne faisait pas grand chose d'autre.

Trop indécis pour se décider. 11 ans passés dans cette galère. C'est un peu comme s'il était seul dans l'appartement, au final. Il n'y a que lorsqu'il s'accoudait à la fenêtre, parlant aux étoiles en espérant que sa mère disparue l'entende d'en haut, que Michael sentait avoir quelqu'un à ses côtés.
Ce qu'il pouvait appeler sa "véritable" famille, elle n'était pas d'origine américaine, logeait dans un genre d'entrepôt désaffecté en bordure de ville, et nageait paisiblement dans le trafic de stupéfiants. Elle le traitait bien s'il faisait bien son boulot. C'était déjà un peu plus convivial.

Weasel secoue la tête, chassant ces maudites pensées. C'était l'effet que cela avait sur lui, de parler de l'existence d'autrui avant leur arrivée sur l'Île ?
Il ne devait pas souffrir, lui, non. Les reliques du passé ne devaient pas l'atteindre. Il était trop haut pour ça. Sa force, elle était dans sa tête plutôt que dans ses muscles.
Ça ne devait pas l'atteindre.

Reviens donc à ton interlocutrice !

Ah oui, Soap.
Allait-elle un jour exploser, tout révéler au grand jour et directement confronter son aîné ? Ce serait manifestement très drôle d'en être témoin.
Qu'aurait-elle à lui dire, dans ce cas ? Ça aussi, ce serait intéressant à savoir. Il fallait absolument faire revirer la conversation sur lui, juste pour satisfaire la curiosité, dans l'instant présent.

- Ça doit être fabuleux d'être courtisan, un rang qui peut être éphémère, pas assez haut pour donner des ordres, pas assez bas servir à autre chose qu'à distraire Peter. Mais toi on dirait que t'as trouvé ton occupation.

Se manifesta justement la jeune fille, d'une façon qui suintait l'ironie. La fouine soupira d'une exaspération non dissimulée. C'était assez déplaisant, à la longue.
S'il n'était pas question de parler de Pit, il aurait déjà faussé compagnie à l'ennuyeuse Récolteuse. Elle avait tout intérêt à continuer de parler de ce qui l'intéressait, lui.

- Être un Courtisan te donne surtout l'occasion de t'ennuyer, d'autant plus quand Sa Majesté reste cloîtré dans ses appartement à longueur de journée. À cause de ça, on devient curieux. On est attiré par les choses que l'on juge intéressantes ou distrayantes...

Commença le Courtisan, qui, en rejetant la tête en arrière, se prit quelques gouttes perlant du feuillage du Grand Arbre sur les cheveux et sa veste.

- ... comme ton grand frère, en somme.

Son regard perçant était à nouveau rivé sur son interlocutrice, pour appuyer sa phrase. Un sourire aiguisé vint même compléter son expression, comme s'il se réjouissait de taper dans un point sensible en parlant famille avec l'Indifférente.
Ça, c'était pour s'être moqué de lui et lui avoir reproché sa conduite. Oh, et aussi, simplement pour le bon plaisir de faire se sentir mal autrui.
C'était gratuit, mais diablement amusant.

- Il a volontairement occulté son passé. Du coup, tu attises ma curiosité.

C'est un peu comme si elle avait une histoire à raconter. Alors forcément, la fouine de Courtisan voulait en savoir plus.
Jamais les deux acolytes ne s'étaient parlé de leur passé, par oubli volontaire, ou, dans le cas du Loyal, par simple dissimulation.
C'était si facile de dire que l'on ne se souvenait pas d'avant.

- Tu peux m'en dire plus ? J'aimerai bien savoir ce qu'il était avant de radicalement changer, comme tu sembles l'avancer. J'ai du mal à m'imaginer un autre garçon que celui que j'ai toujours connu...

Fit-il, s'installant un peu plus confortablement sur sa barrière en se penchant un peu en avant, coude calé sur sa jambe et poing soutenant sa tête.
Une lueur d'intérêt illuminait ses yeux noisette à l'idée de découvrir le Pit du passé. Que vivait-il, et comment le vivait-il ?
Que pensait-il, que faisait-il ? Fut-il un jour doux et gentil, sans aucune mauvaise intention, sans prévoir ne serait-ce qu'une de ses douteuses machinations ?

Fut-il seulement un jour quelqu'un de faible ?