Les vestes assorties ne changent rien au fait que cette situation est problématique. Certes, Pumpkin est absolument adorable ainsi (jusqu'à ce qu'il se retrouve à mal finir, comme tous les autres). Rien d'assez important pour lui offrir un quelconque réconfort. Ses enfants sont pratiquement inutiles dans ce froid, tout du moins pour les tâches que l'on leur attribue en général. Creepy a l'impression d'ordonner dans le vide, sa voix déjà dénuée de vie empirant de jour en jour. Il lui arrive d'oublier que Pumpkin est là pour compenser ce comportement. En plus, Pale qui a décidé de partir en mission- est-ce que ses Récolteurs désirent réduire leur nombre à ce point ?

Hm, le Cryptique leur fait confiance. C'est ainsi, il ne les contrôle pas, se contentant de les diriger. Et s'ils font n'importe quoi, ça sera de leur faute. Creepy ne doute pas de ses capacités, au même titre que cet hiver éternel n'est pas prêt de se terminer. Alors, au lieu de parvenir à trouver le sommeil, il erre au milieu du camp, Pumpkin dépassant de la poche de son sweat. Il a un autre pull en dessous, bonnet et écharpe pour ne pas perdre une oreille ou son nez. Qu'importe l'heure tardive, la nuit qui s'est abattue accompagnée d'un vent glacial, Creepy rend service lorsqu'il juge sa présence nécessaire. Bouger fait fonctionner les organes internes, ça leur permet de ne pas trop ralentir.

Pas de monstre caché au milieu de la masse dans son abdomen, rien qui aura envie de jaillir avec la douleur qui lui traverse encore et toujours le ventre. Il oublie, se focalisant sur les malades qu'il faut porter dans une autre tente, un peu à l'écart. Personne ne semble bien vivre le froid. Les enfants ne pèsent pas bien lourd, et il ignore quoi leur dire, tandis qu'ils toussent comme prêts à s'étouffer. Est-ce que ça ira ? Il n'y a que des ordres secs qui lui viennent, et Pumpkin n'est pas entre ses mains.

Sans l'ours, comment communiquer quoi que ce soit d'autre ?

Après avoir posé le dernier dans la tente, il se lave les mains avec soin, refusant de mettre des germes sur son compagnon de voyage. Une fois que l'eau glacée les a rendu rouges et sèches, il enfile ses gants. Et c'est ainsi, dans le reflet du seau, que la vie s'éteint. L'étoile chute, Creepy le réalise en levant la tête vers le ciel devenu trop sombre. Il n'y a aucune once de beauté dans ce qui se produit, rien à voir avec les histoires où elles tombent en entraînant dans leur sillage une poussière brillante. C'est une chute bancale, comme si elle s'était détachée, incapable de continuer à tenir là-haut.

Instinctivement, Creepy la suit du regard, jusqu'à ce que ses jambes prennent le relais. Est-ce un sort qui aurait mal tourné ? La magie pourrait être la cause d'une tragédie telle que celle là. Pas le temps de s'y attarder, sinon il risquerait de perdre la lumière vacillante qui descend de plus en plus rapidement.

Jusqu'à disparaître au sol. Si s'éloigner du camp seul est une mise à mort, cela ne vaut que pour ceux qui ne savent pas se défendre. Son arme lui suffira amplement s'il croise une créature. Ou pire encore, un humain. Enfouie quelque part dans le désert, l'étoile sera difficile à atteindre, surtout dans la nuit sombre. Creepy peut évaluer, approximativement, le lieu de la chute. Est-ce que ça sera suffisant ?

Probablement.
Ce n'est pas véritablement comme s'il se donnait un quelconque choix.

S'il peignait des motifs dans le sable, avec du charbon ou quoi que ce soit, est-ce que le sortilège serait en mesure de s'interrompre ? Non, si la magie est en cause, ce n'est pas la sienne. Chacune est unique, sous une forme différente. Dans la poche avant de son sweat, l'ours est presque caché, enfoui aussi chaudement que possible. Qu'importe sa destinée, la tragédie qui paraît frapper chacune de ses peluches, ce n'est pas ce qui compte pourtant. La mission prime, une fois que les enfants sont en sécurité. Pas qu'ils le soient véritablement, ni que Creepy puisse y faire quoi que ce soit.

La preuve de cette—épuisante—réalité vient sous la forme d'une main qui l'agrippe, l'entraînant presque dans une chute. Ses pieds savent garder leur équilibre et son regard se baisse, dévie d'un protagoniste à l'autre. Un chef n'a pas besoin de quémander une quelconque permission. Pourtant, n'est-ce pas idiot, de s'égarer ainsi pour une quête si futile ? Après tout, ce n'est qu'une étoile. Une qui a peut-être été coupée, ou dévorée. Les restes d'un esprit rongé par la colère, qui sait. Elle l'entraîne un moment, en une marche pourtant solitaire où Creepy n'a rien à dire.

Depuis quand n'est-il qu'une excuse ?

Une main gantée attrape sa voix, celle qui n'est pas véritablement à lui, la levant vers son visage. Pour désirer sortir à cet instant précis, n'ont-ils pas le même projet ? Difficile à dire, tout comme il n'est pas certain qu'elle ait remarqué son rang. Pas que ça se voit, lorsqu'ils sont tous dans le même état.

« Creepy veut bien t'aider à trouver l'étoile, si c'est ce que tu cherches ! »

D'une façon étonnante, Pumpkin n'est même pas rouillé, son ton chaleureux emplissant l'espace. Et c'est toujours un peu douloureux, une pointe d'incompréhension envers ce que Creepy est incapable d'être. Ses longues jambes ont mieux à faire que de se lamenter, prenant le chemin qu'elle a commencé à tracer, n'attendant pas une réponse outre mesure.

C'est un voyage qu'ils feront ensemble, c'est évident.
Pas que cela le perturbe outre mesure. Ours en peluche calé dans la poche kangourou, au milieu du fourre-tout habituel, Creepy n'a de cesse de se dire que la réponse doit se trouver au milieu du désert.

La réponse à quoi ?
A tout.

Les étoiles ne peuvent pas toutes chuter. Qu'importe le maléfice, aucun ne serait assez puissant pour ainsi plonger le monde dans le noir. Creepy ressent la magie, ou du moins le croit-il, tandis qu'elle vibre autour d'eux dans la nuit glacée. Il l'imagine, s'enroulant autour des mortels pour repartir en riant. Et lui-même n'est qu'un humain, bercé de magie et de pouvoirs qu'il s'invente.

Pumpkin est une baguette un peu spéciale, un réceptacle pour son âme qui ne parvient pas à trouver sa place au sein de son propre corps. Ne pas être reconnu ne l'étonne guère, vu que sa nomination est récente. Creepy vit auprès des siens, prompt à étendre son regard sur les enfants de ses compagnons sans pour autant s'adresser à eux. Un hochement de tête, ferme et résolu, lorsqu'elle demande s'ils ont le même but. Après tout, quelle autre raisons pourraient-ils avoir de se ruer au secours de la même étoile ?

« Je suis le chef des Récolteurs. Creepy. »

Ah, non son ton ne va pas du tout. Il a l'air de ne rien en avoir à faire, de leur aventure et de leurs identités. Immédiatement, Pumpkin revient à la charge, en un héros prêt à tout pour assurer la protection de son compagnon. Et c'est sa voix sans l'être, qui est offert à la jeune Moon.

« Creepy est vraiment heureux de te rencontrer ! La lune et les étoiles sont toujours liées, donc tu es parfaitement à ta place ce soir. »

Est-ce une coïncidence ? Leur rencontre est peut-être le signe d'une amitié, si Creepy est chanceux. Du moment que Pumpkin ne l’embarrasse pas trop en tout cas ! Il tient la peluche avec ses deux mains, pour serrer les pattes autour de la main de Moon, son expression concentrée sur le geste.

« Faisons bon voyage ensemble ! »

Se formaliser des réactions des autres n'a jamais été habituel pour Creepy. Il ne se soucie pas de l'incompréhension qu'occasionne Pumpkin. C'est une seconde voix, un peu étrange, certes, et pas toujours adaptée à la situation, mais au moins il n'est pas un salaud qui passe son temps à donner des ordres avec. Si sa magie peut sauver une vie—qu'elle appartienne à un humain ou une étoile, il ne reculera pas. La détermination se lit autant dans le regard de chacun et il se prend à tapoter le haut de la tête de l'ours, en un remerciement silencieux pour ses services.

Ses peluches terminent forcément mal, existences arrachées par un propriétaire instable qui s'est habitué. Creepy préfère s'en prendre aux objets qu'aux gens, à ses enfants. Ils le sont tous, en un sens. Parce que c'est ça être chef, c'est veiller sur l'arbre, qu'importe qu'il n'y vive plus.

La question fuse, ne le prenant pas spécialement pour surprise. Autour du cou de Creepy, il y a des écouteurs qu'il ne porte que pour couvrir le silence, ne se souciant pas de l'absence de musique. Il est simple de créer la sienne, d'inventer. Le Cryptique se met en route, aux côtés de Moon, à égalité avec elle. Est-ce dur, de communiquer ?

« Impossible. Je ne peux pas. Je n'en suis incapable. Je n'ai pas la bonté—je ne sais pas l'offrir. »

Le jeune chef est tout en répétitions, les phrases tournant autour de lui sans parvenir à s'estomper assez rapidement. Pumpkin se lève, redressé vers les étoiles et c'est peut-être à elles que Creepy s'adresse. Ou plutôt à l'univers en entier.

« Creepy est fasciné par la magie, il espère pouvoir récupérer l'étoile et la sauver. C'est bien de faire quelque chose, de croire en nous ! Creepy est fier de toi, de ton courage ! »

Et, dès que la peluche est de retour dans sa poche kangourou, son visage ne possède plus qu'une indifférence difficile à comprendre. Pourtant, les émotions que Pumpkin balance sans aucun regard pour sa réputation, ce sont bien les siennes. Toujours sincères.

Se plaire ? Creepy hésite sur sa réponse, certes la magie est une partie de lui à présent, mais pour ça—son esprit se heurte à un mur silencieux, reprenant sa route dans la direction opposée. Il offre un hochement de tête discret, ne souhaitant pas s'étendre. Oh, être chef demande d'être responsable, que ce soit envers les enfants ou soi-même.

« Pumpkin. Halloween est mon thème, visiblement. »

On lui a fait la remarque plus d'une fois, à cause de son amour pour cette fête presque obsessionnelle. Creepy a décidé que c'était un compliment et que ceux qui parlent pour insulter les autres feraient mieux de se la fermer et de se rendre utile.

Ses pas ralentissent, au son qui leur arrive. Moon semble continuer, alors il décide de faire de même. Si un quelconque problème doit survenir, que l'étoile est agonisante ou qu'elle a chuté sur un être vivant, alors il faudra prendre des décisions. Tel est son rôle.

« On dit que les monstres de Givre sont immortels, je n'en ai jamais affronté. Pas une fois, et on ne peut pas les battre.»

Ses doigts pressent contre la tête de Pumpkin lorsqu'il réalise qu'il repart dans ses répétitions. Sa voix est vraiment pitoyable, sans soutien de la part de l'objet inanimé.

La majorité des enfants, même les plus jeunes—il y a des rumeurs au sujet de certains avec leurs joues toutes rondes et sourires édentés—savent manier une arme dès lors qu'ils doivent sortir du Grand Arbre. Par conséquent, le fémur contre sa hanche n'est qu'une extension de sa personne, un outil bien utile auquel Creepy songe déjà que l'ambiance autour d'eux se fait moins hospitalière. Pourquoi ne peut-elle pas se défendre trop longtemps ? Ce n'est pas crucial de le savoir et Creepy se contente de s'interroger sur ton à la place, incapable de bien le définir. Est-ce de la confiance ? Le Cryptique est occupé à bien fourrer Pumpkin aussi profondément que possible dans sa poche pour lui éviter de partir dans le décors en cas de combat.

« Courir c'est mieux que mourir. »

Les paroles pourraient être pleines de sagesse, si Creepy ne les avait pas prononcées avec une pointe d'ennui. Fatigué par cet hiver incessant et toutes ces mésaventures. L'étoile doit agoniser, ou bien elle va simplement éteinte après un moment, dénuée de la conscience que l'adolescent lui attribue. Une main presse contre son cou, sous l'oreille, comme pour mieux deviner d'où vient le son.

Il lui semble qu'il s'agit de deux tragédies différentes. L'une plus proche que l'autre.

« J'ignore comment on sauve une étoile mais je refuse de l'abandonner. Ça serait triste de la laisser là, toute seule. »

Creepy et Moon—ne sont-ils pas les enfants de la nuit, ceux qui s'effacent le jour pour mieux hanter le monde chaque soir ?

La butte paraît soudainement un obstacle impossible à franchir, ses pieds glissant dans le sable et la neige jusqu’à ce que quelque chose d’humide parvienne à s’infiltrer à l’intérieur de ses chaussures. C’est désagréable, ça gratte, et il aimerait avoir le temps de s’arrêter pour s’en charger. Au milieu d’une telle étendue, ça ne serait pas bien utile. Plus lentement que Moon, peut-être avec une pointe de prudence, Creepy suit le mouvement. Au moins, l’étoile est en vie.

Un soulagement bref, qui n’éveille chez le sorcier improvisé qu’une méfiance encore plus grande. Si elle brille, d’autres ont pu voir sa lueur. Le bruit—pas si lointain—lui paraît encore d’actualité tandis qu’il se laisse glisser jusqu’à rejoindre Moon. Est-ce qu’elle va bien ? Si elle ne peut pas se redresser, il vérifiera. Là, son regard est captivé par l’étoile agonisante qui semble les supplier de lui venir en aide. Comment ? Elle ne lui semblait pas si grande, s’écroulant depuis le ciel.

« C’est de valeur... » qu’il murmure en Québécois, pour dire que c’est malencontreux, comme situation.  Sa voix sèche tranche avec l’air glacé qui tente de l’engourdir. Il ne faudrait pas la laisser là trop longtemps, sinon—c’est du coin de l’œil qu’il repère l’ombre tout d’abord. Entre eux et le ciel, se tenant au sommet de la butte, quelque chose les observe. S’accroupir pour le dire à Moon serait un risque ; ne pas la prévenir un crime. Il devrait se retourner, pour mieux discerner ce possible ennemi.

Décrochant le fémur, il se penche un peu pour tapoter le sol vers Moon. Ses genoux n’auront pas de mal à se déplier s’il a besoin de soudainement courir.

« On est pas seuls. Il y a quelqu’un. »

Quelque chose.

Qui sont les monstres, les voleurs d’étoile qui se prétendent venir la sauver pour mieux l’exposer plus tard, derrière une vitrine luisante ? Creepy voudrait pouvoir remonter dans les cieux, la tenir sur ses épaules, pointe contre le creux de son cou, la sentir pulser—vivante. A la place, il est projeté contre le sol, genoux qui craquent, ou bien c’est le fémur qui frappe contre le mélange de neige et de sable ; il ne l’a pas lâché, parce qu’il est chef, qu’il sait qu’il se doit d’être irréprochable.

Moon ?
Est-ce qu’elle s’est mise hors d’usage pour le protéger ?
Moon.
Bon sang, pourquoi est-ce qu’elle balancée sur lui avec la grâce d’un semi-remorque ?
Il sait se défendre.
« Moon, » qu’il prononce à mi-voix, entre lui-même et Pumpkin, une pointe d’inquiétude qu’il étouffe immédiatement. On ne lui demande pas de se soucier des autres, juste de les ramener en vie.

L’horreur se dresse sur le chemin qui les mènera à l’étoile, un rite de passage dont il aurait pu se passer ; il n’y a que le vent qui gronde autour d’eux, qui heurte sable et neige jusqu’à ce que la mixture devienne presque impraticable sous leurs pieds. Rien de suffisant pour arrêter l’ennemi. Les choses, les créatures, Creepy aime à se dire qu’il les comprend, qu’il partage une partie de leurs sentiments—pourtant, ce n’est pas l’horreur qui paraît trop grande, membres pendants comme s’ils étaient à peine raccordés au reste, qui lui importe. C’est Moon.

Son épaule ressent le choc, lorsque la créature heurte ses vêtements et qu’il se redresse pour faire barrage. Malgré sa propre taille, elle lui semble gigantesque à cet instant. Le fémur se lève, frappant dans ce qu’il espère être le flanc—que le Givre ne se transmette pas, qu’il ne risque pas de devenir semblable—avec force.

« Attaque par derrière, » il ordonne, tandis que la chose se recule, certainement pour mieux foncer à nouveau, pour être certaine de son coup. Il fait tournoyer le fémur dans sa main. S’il vise la tête et qu’elle chancelle—ça fait beaucoup de ‘si’, pour Creepy, « je prends l’avant. »