S'il avait fallu trouver un total opposé au petit prince Ciel, Orge aurait certainement fait l'affaire. Sa peau était aussi brune que la sienne était pâle, sa carrure aussi robuste que la sienne était chétive, quant à son habit, il était on ne peut plus éloigné des apparats sophistiqués du Lorialet.

Ciel l'avait longuement observé, dissimulé derrière son placard. Un trait de lumière minuscule s'évadait de sa cachette, mais Ciel avait réussi à le rendre moins visible. Tout le monde l'oubliait, mais lui aussi avait de la magie à l'intérieur de lui. Heureusement, lui-même ne l'oubliait pas.

— C’est qui qui fait psst psst comme ça ?! Sors de ta cachette non mais !

L'espace d'une seconde – c'est à dire un temps assez long pour une fée – Ciel regretta un peu d'avoir envoyé son pssst vers cette fée-là. Elle était certes très intrigante et Ciel avait grande hâte de lui poser mille et une questions, mais il devinait rien qu'en une phrase qu'elle avait du caractère – c'était ainsi que disait Gouvernante Citrouille : "c'est une fée de caractère !".

Mais Ciel réfléchit, et sa réflexion le mena à la conclusion qu'il était encore plus dangereux de demeurer dans le placard, car la grande fée irait aussitôt raconter que des pssst l'avaient importuné dans la salle des visiteurs, et chacun au Palais devinerait qui était à l'origine de ces pssst. On cherchait Ciel depuis l'aube.

C'est pourquoi, un peu à contrecoeur, Ciel consentit à déserter son placard.
La porte du placard s'ouvrit lentement, la lumière s'étala partout autour, et un petit être aux cheveux de blé, en chemise de nuit blanche et au teint diaphane émergea de nulle part.

— Bonjour. Je suis le petit prince. Ne dis à personne que je suis là. Sinon, on te mettra en prison !

Quand on est si petit, c'est une chance d'avoir un si gros titre.

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Le Petit Prince n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste. Il n'avait pas l'habitude des voix qui s'élèvent, des yeux qui se fâchent, des accès de mauvaise humeur. Il ne connaissait que les siens, puisque chacun au palais était persuadé que toute contrariété aurait tôt fait d'empirer son état. Il n'est rien de moins sûr évidemment, et il arrivait que le personnel lui-même se questionnât sur la pertinence d'une telle méthode, mais aucune fée du royaume ne se permettait de remettre en cause les directives de la Reine Étincelante.

C'est pourquoi, alors que le grand corps le dominait de sa hauteur, que la grande voix emplissait tout l'espace, Ciel dardait sur leur propriétaire un regard rond, la bouche entrouverte, le corps figé, tout à fait abasourdi.

— Tu parles bien gras pour un jour maigre tiens !

A cet instant, il sentit ses joues envahies d'un rose vif. Est-ce qu'elle venait de dire qu'il était maigrelet ? Elle n'aurait pas osé... A moins qu'il ait mal compris. Le langage de la grande fée était quelque peu exotique pour lui.

Quand elle lui ordonna – car à ses yeux, c'était quasiment cela, et inédit qui plus est – de "filer d'ici", Ciel fronça les sourcils et lui présenta sa mine la plus renfrognée.
Pendant un court instant, il ne dit rien. Puis, il fixa le sol, et de ses lèvres que la fâcherie ne permettait pas d'ouvrir d'avantage s'échappèrent quelques mots :

— Mais je m'ennuie.

Les mains dans le dos, agitant un pied sur le tapis, il finit par relever les yeux et ajouta d'un ton tout à fait différent, plus bien enjoué :

— Dessine-moi un mouton !

C'était parmi ses dessins préférés, mais il faut dire qu'il suffisait de peu pour qu'un dessin devienne un dessin préféré au coeur du Lorialet.

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Cela le surprit un peu, le Petit Prince, de voir qu”on accédait à sa requête si rapidement. D”ordinaire, il fallait toujours insister, expliquer patiemment aux grandes fées que c”était là une demande tout à fait raisonnable et sensée, puisqu”elles ne comprenaient pas les choses toutes seules.
Cette grande fée là, décidément, était d”un tout autre genre.

— Oh, euh... oui ! Oui. Mon matériel se trouve dans ma chambre.

Il lança quelques regard furtifs autour d”eux.

— Il ne faut pas se faire voir, je ne veux pas qu”on nous embête. Ma chambre se trouve en haut des escaliers, au fond du couloir de gauche, au sommet de la tour.

Il songea à emprunter son passage secret, mais se fit la réfléxion que la grande fée, avec son grand corps, ne pourrait le suivre.

— Vous promettez de ne pas me dénoncer ? Si vous le faites, on m”enfermera dans ma chambre pendant tout le jour, et certainement le jour suivant, peut-être même en fermant les rideaux, de sorte que je ne verrai pas un seul coucher de soleil. Alors, s”il te plait, vous promettez ?

Il savait qu”il exigeait beaucoup de cette grande fée, qu”il venait du reste de rencontrer, mais à cet instant, on savait à son regard brillant et sûr qu”il n”essayait pas de l”entourlouper.
Le Petit Prince était, en cet instant, tout à fait sérieux.

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C'était assez difficile de demeurer impassible au vocabulaire de cette fée. Quand elle évoqua : « ces fées de la haute », Ciel ne put retenir une expression quelque peu ébahie – car ma foi, il faisait bien parti de ces fées de la haute, du moins en était quasiment certain.
On lui avait toujours prétendu que les fées du peuple étaient très admiratives et respectueuses des fées aristocrates, aussi la familiarité avec laquelle la grande fée les désignait était plutôt extraordinaire.

Mais la fée avait dit quelque chose de plus important, au fond, et c”est cela qui atteint le coeur de Ciel plus que toute autre chose. Elle avait promis. Et à l”entendre, sa promesse au parfum de châtaigne n”était pas une promesse en l”air.
Ciel, en tous cas, la croyait.

Le regard doré se faisait insistant à présent, et cela incita le petit prince à reprendre ses esprits.

— Euh oui, bien sûr.

Il considéra inviter la fée à emprunter son passage secret, mais il nourrissait quelques doutes quant à ses capacités à s”y faufiler. C”était un passage conçu pour les petits princes, non pour les immenses fées.  

— Nous n”aurons qu”à passer par l”escalier des serviteurs ! s”écria-t-il, les joues rosies d”exaltation, car les « gens de la haute » aiment toujours se mêler aux plus modestes.

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Prenant la main de la fée, il l”avait mené jusqu”à la cuisine des serviteurs, heureusement vide, et s”était dirigé vers une porte du fond qui menait à un étroit escalier.

Malheureusement, ce fut le moment que choisit un valet, port altier et cheveux d'argent, pour surgir de ladite porte, dardant un regard mi-surpris mi-dédaigneux sur la grande fée. Ciel, pour sa part, s”était réfugié derrière elle, et il bénit l”Esprit Nuit qu”elle fut si vaste !

— He bien très chère, vous cherchez quelque chose ? Je peux vous aider ?

Ciel implora les étoiles pour que la grande fée eût autant de répartie que lui.

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Tout absorbé qu'il était par le soin qu'il mettait à dissimuler sa présence – il se sentit bien aisé, pour une fois, de briller moins que ses pairs – Ciel ne put toutefois retenir un brusque mouvement de tête à la réponse de la grande fée. L'autre n'était certes qu'un valet – même si un très vieux valet, gage de respect chez les fées – mais il n'avait certainement pas pour habitude de s'entendre parler de la sorte. L'aplomb de la grande fée était absolument fascinant, mais il n'en demeurerait pas dangereux si elle continuait à en faire usage à la moindre occasion !

Ciel pressa ses petites mains contre l'arrière de son habit, angoissé d'avance par la suite des évènements. Si d'aventure on renvoyait la grande fée à coup de pied, c'est lui qui recevrait ce dernier.

— Je... Beuh... C'est que...

Le petit prince risqua un regard discret du côté du valet. Ce dernier avait le bout des oreilles tout rouge, ce qui illustrait certainement chez lui un profond sentiment d'embarras.

— Effectivement, votre visite m'avait été annoncée, – Ciel doutait sérieusement de cette affirmation – Je vous prierai cependant de ne pas emprunter les lieux réservés au personnel du château, cela risquerait de les distraire. Cette tour mène à la galerie de portraits, si l'envie vous prend de l'explorer.

Le valet considéra longuement la grande fée, avant de prendre congé en marmonnant quelque chose d'incompréhensible.

Sans ajouter quoique ce fût, Ciel se précipita vers la porte qui menait aux escaliers et l'ouvrit à toute volée.

— Nous avons échappé au pire ! lança-t-il tout en gravissant les marches en colimaçon qui menaient aux étages. Si celui-là m'avait aperçu en votre compagnie, il aurait cru à un enlèvement. Il parait que de nombreux individus chercheraient à kidnapper ma personne, afin de réclamer une rançon. Ce sont des affaires courantes, chez les princes, encore davantage chez les princes fées. Je vais vous montrer la galerie des portraits, le plus gros est celui de William.

Au milieu des marches, il se retourna soudain, comme si cette ultime remarque lui rappelait une importante chose à faire.

— Au fait, je suis Ciel. Et toi ? Ciel éprouvait quelque difficulté à se décider sur le fait de vouvoyer ou tutoyer sa camarade. Vous devez sûrement porter un nom pittoresque ! Il sourit. Maïs, peut-être ? Avoine ?

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