-Non je veux pas !

Glucose était paumé-e. Pas physiquement non, yel savait très bien où yel se trouvait : sur sa rivière, après tout. Non, c'était psychologiquement, mentalement, que plus rien n'avait de sens. Yel avait subit le retour sur l'île et la grande réforme de plein fouet. Et, là où tout le monde semblait n'avoir aucun soucis à s'adapter, l'ancien-ne bébé fée n'y arrivait pas. Genre, pas du tout. Yel rejetait en bloc tout ce qui se passait, tant cela li perturbait et n'avait aucun sens pour yel.
Et parmi tout ça, il y avait surtout les nouveaux lieux d'habitations. Les archevilles, si yel avait bien retenu. Et bien, yel n'en voulait pas et le faisait savoir verbalement en criant. Les autres étaient déjà en train de pacquer leurs maigres affaires et certaines fées soldats tentaient de li raisonner. Parce qu'il y avait de bonnes raisons de rejoindre l'endroit là bas, Glucose n'était pas totalement idiot-e, même si parfois on pouvait en douter. Yel savait tout cela, mais c'était plus fort qu'yel : yel refusait tout changement, du plus profond de son petit coeur de fée. Alors yel criait de plus belle.

-Non, non ! Je veux pas aller là bas !
-Eh bien très bien. Reste ici si tu tiens tant à faire un caprice. Peut être que le jour où tu te feras attaquer, tu le regretteras. Nous, on y va en tout cas.

Et les dernières fées restantes quittèrent la rivière pour rejoindre l'archeville, laissant Glucose tout-e seul-e derrière eux. Ce-tte dernier-ère refoula ses larmes jusqu'à ce qu'ils soient tous entièrement partis... avant d'éclater en sanglot. Yel ne voulait pas de tout ça, yel ne voulait pas aller à l'école, pas quitter sa source sucrée, même si cette dernière avait bien morflée suite à sa bêtises et à la pluie sacré, pas avoir de "compagnons" et encore moins de mentor et puis d'abord, yel ne voulait même pas y aller à cet endroit parce que, de toute manière, il était surement pourri.
En bref, yel ne voulait de rien et faisait un caprice.

Yel se posa sur une fleur de nénuphar, au beau milieu de la rivière et continua à pleurer de tout son soul. Peut être qu'à force de faire tout son bruit, quelqu'un finirait bien par l'entendre...

Glucose pleurait toujours dans son coin quand yel sentit quelque chose se poser sur son nénuphar et entendit une voix lui parler :

-Que fais-tu là ? C'est dangereux d'attendre seul-e ici, tu devrais être en chemin pour ton archeville.

Li petit-e fée releva la tête et regarda la nouvelle arrivée.

-... Veine ?

Oui parce que c'était difficile de ne pas li connaître, étant deux fées des eaux (même si pas vraiment de la même partie) et des spécificités de la Dame en Rouge. Cependant, la voir ne fit que redoubler ses pleurs.

-Nan, veux pas y aller. Je m'en fiche.

Toute la tristesse dans son petit coeur était en train d'exploser si bien que Glucose s'attendait à tout moment à exploser.

-J'en veux pas de leurs nouvelles règles, je veux que tout soit comme avant ! s'exclama-t-yel.

Yel voulait Brise, et Miette, et toutes les autres. Sauf qu'aucune d'entre elles ne reviendraient plus jamais. Et puis... sa voix se fit plus petite :

-Je veux rentrer à la maison.

Maison qui avait été en grande partie détruite par la crue et les bêtises de Glucose, au passage.

-Même si elle est cassée, c'est...

Un sanglot lui étouffa la parole.

-Je veux pas quitter ma maison.

Glucose ne savait pas trop à quoi s'attendre en se confiant ainsi, et au fond peut être qu'yel s'en fichait. Mais voir Veine fondre en larmes comme ça, ça li surpris beaucoup, si bien qu'yel ne put faire rien d'autre que d'ouvrir la bouche d'un air étonné.

-Et alors ? Moi non plus je ne voulais pas quitter ma maison. Et pourtant, on ne peut rien y faire. Rien y changer.

Alors Glucose comprit. Peut être parce que tout le monde autour d'yel s'activait, peut être parce que personne ne semblait spécialement triste, yel s'était quelque part persuadé-e qu'yel était la seul à déprimer, à se sentir mal de quitter sa source sucrée. Alors, le simple fait de voir que quelqu'un partageait aussi son malheur... Ben ça lui faisait chaud au coeur, comme si yel se sentait un peu moins seul-e. Mais en même temps, Veine est triste, là de suite, et ça la faisait crier.

-A quoi ça sert de pleurer ? A rien du tout. Il faut avancer. Arrête de pleurer. Tu... Tu me fais mal au cœur, tu me dégoûtes à pleurer comme ça. Arrête tu entends, ARRÊTE !

Certes, le fait de la voir pleurer lui faisait du bien, ce qui était absolument horrible formulée ainsi, mais yel avait quand même envie de la réconforter. Sauf qu'yel savait, plus ou moins instinctivement, que si yel s'approchait et lui faisait un câlin, cela ne lui ferait que du mal, avec sa peau écorchée. Aussi tendit-yel ses bras devant yel, sans toucher Veine, ferma les yeux et cria juste :

-Virtual hugs.

"Je veux te faire des câlins mais ca va te faire du mal alors je t'en envoie des invisibles pour que tu ailles mieux". En tout cas, ça avait du sens dans sa tête. Et puis, yel rouvrit les yeux et se mordilla la lèvre :

-Mais c'est naze. J'ai pas envie de partir. Toi non plus. Pourquoi on y serait obligé juste par des fées qui ont jamais mis les pieds ici ? On pourrait juste... rester. Et reconstruire.

L'espiègle avait peut être légèrement oublié un petit soucis salé dans son équation ceci dit...

Veine n'avait pas l'air de son avis. Elle secouait la tête, elle désapprouvait. Elle se faisait voix de la raison là où li pauvre petit-e Glucose était incapable de penser ainsi, oubliait le danger même lorsqu'il était devant ses yeux ou peut être tout simplement n'y prêtait pas attention. Alors les paroles de Veine touchait l'espiègle, petit à petit.

-Ça ne veut pas dire qu'il faut oublier. Tu feras ta nouvelle maison à ton image, tu te reconstruiras, plus fort-e que jamais.
-Moui.

Certes, cela li touche mais yel ne veut pas trop l'avouer à voix haute. Aussi, l'idée de la nouvelle maison, celle de se reconstruire, cela fait naître en yel un sentiment de culpabilité, de honte, parce que cela lui rappelle trop de choses. Comme ce qui est arrivé-e à la source sucrée. Et yel tait ça sous silence, parce que la honte est si grande qu'elle lui plie ses ailes, qu'elle li fait se ratatiner, baisser la tête.

-En fait, p'têtre que t'as raison. Si ca se trouve, dès que je serais là bas, ça ira mieux, je n'y penserais plus parce qu'il y aura pleins de trucs à faire et ensuite y aura le temps mais.

Mais. Parce qu'il y avait un gros mais qui faisait revenir les larmes de Glucose. C'est que tout ceci, ce serait "demain". Mais là, on était "aujourd'hui' et :

-Mais là ça fait mal. Parce que j'ai pas envie de partir. Et que ca me plombe tout, ca me serre le coeur et je peux pas m'empêcher de pleurer tout plein.

Ses explications étaient probablement confuses et, même si yel avait déjà oublié que Veine avait pleuré juste à l'instant en lui disant d'arrêter, yel déglutit un peu pour tenter d'arrêter.

-Désolé-e, je te suis.

Elles s'envolèrent finalement, après que Glucose se soit décidé-e. Du coin de l'oeil, l'espiègle voyait que la fée avait mal, qu'elle ne semblait pas à l'aise. Yel lui aurait bien proposé de marcher mais yel se doutait que le résultat serait le même. Veine avait juste mal partout tout le temps. C'est peut être pour cela qu'yel ne dit rien et l'écoutait. Cependant, la tournure que prit la leçon était tristement ironique.

-Il faudra te trouver des amis dans ton arche. Tu ne peux pas rester seul-e, déjà à cause de ta tristesse, ensuite parce que se balader sans escorte est devenu bien trop dangereux. Il y a des fées que tu apprécies ? Ce sera plus facile pour toi. Elles pourront t'aider à construire une maison qui soit à ta convenance.

Yel ne put s'empêcher de lâcher un petit rire, mi-triste, mi-sarcastique, ce qui était un exploit pour une fée et ressemblait à un truc vaguement compréhensible.

-J'en avais, répondit-yel avec aigreur. Elles sont toutes mortes.

Brise par exemple, et cette autre fée, si mignonne, si gentille, amoureuse de tout et dont le nom s'effaçait déjà de sa mémoire. Toutes mortes. La vie d'une fée est bien fragile et si vite finie. Surtout lorsqu'un tyran règne sur l'île ou que des pirates s'en mêlent, sans parler des enfants.

Yel refoula ses larmes qui lui montaient aux yeux. Li fée ne voulait pas pleurer, pas de nouveau devant Veine. Sure que sa résolution ne tiendrait pas longtemps mais pour l'instant, yel tentait du mieux qu'yel pouvait. Aussi continua-t-yel sur un ton légèrement triste :

-Mais oui, tu as sans doute raison, je me ferais des amis là bas.... jusqu'à ce qu'elles meurent elles aussi.

Glucose écoutait les paroles de l'écarlate avec attention. C'était... si doux et si sage en même temps que l'espiègle en était touché-e. Probablement que la fée, pourtant plus jeune qu'yel, était plus mature – bon, ce point n'était en fait pas très dur à atteindre. Mais ce fut réellement ses dernières phrases qui firent chavirer le coeur de Glucose.

-… Comment avais-tu dit, déjà... ? Virtual hugs ?

Glucose la regarda et ne put s'empêcher de déclarer :

— Veine, c'est la chose la plus adorable qu'on ne m'ait jamais dit.

Tout le petit coeur de Glucose s'était rempli d'amour et d'affection envers elle. Si iel n'avait pas eu encore un peu conscience de la douleur de Veine, iel lui aurait surement sauté dessus pour lui faire de vrais calins. Sautillant tel un jeune cabri en état d'ébriété, iel rajouta :

— Tu as raison – mais je crois que tu as toujours raison. Je crois que ma tête le comprend vaguement. C'est plus mon coeur qui a du mal avec. Et pour une fée...

Iel fit une pause, plus pour iel même que pour autre chose. Pour une fée, qui n'était capable de ressentir qu'une émotion à la fois, avoir ce déchirement entre tête et coeur, cela faisait si mal. C'en était peut être contre nature. Perturbant. Alors iel finit : 

— Du coup, allons vers cette nouvelle maison ! Et, euh, on pourra être ami-e-s là bas ?