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La menace passée, il ne restait guère plus que des entailles éparpillées sur le bois du bâtiment et un tapis de bout de papiers mis en charpies. Lorsque Jim surprenait un mouvement parmi ces derniers, il le piétinait méticuleusement. Il aurait pu s’agir du vent mais il refusait de prendre le risque d’en laisser un seul en vie.

— Jim ! Le compas !

Le cri de Salazar lui arrache un soubresaut. Aussitôt, le mousse se pressa dans la direction du navigateur, enjambant difficilement quelques tas. Lorsqu’il arrive à sa hauteur, il tira le compas de sa poche pour le lui donner mais Salazar tourna aussitôt les talons sans lui adresser un mot. Resté planté là, Jim ne pouvait plus cacher son exaspération.

— Il est sérieux, là ? marmonna la mousse.

Le suivant du regard, il vit Salazar rejoindre le Second. Alors, il sentit sa gorge se serrer. Il se retourna, rentrant la tête dans les épaules, avant de se mêler au reste de l’équipage. Il leva un bras pour dissimuler son visage. L’heure était de se faire oublier.

— Tout le monde sur le pont !

… A moins que le Second ne se mette en tête de passer l’équipage en revue. Merde. Alors que les hommes s’agroupaient devant leur supérieur, Jim essaya de se glisser derrière des collègues de grande taille mais il fut bien vite poussé au premier rang.

— Cet épisode passager fut riche en enseignements… Et que les choses soient claires, ceux qui le méritent en subiront les conséquences, dans un sens comme dans l'autre. Notamment, on ne quitte pas son poste sans ordre direct d'un supérieur.

Le mousse ferma les yeux. Ce reproche ne le concernait pas, enfin il n’en était pas sûr… Mais il était sûrement compris dans le lot des incapables. Il pris soin de ne pas croiser le regard glacé de M. Smee. Avec un peu de chance, il l’oublierait.

— Que tout le monde retourne à son poste ! Hissez les voiles !

Son poste ? Sûrement aux côtés de Salazar… qui ne lâchait pas M. Smee d’une semelle. Pour la discrétion, on repassera. Jim se surprit à penser à Tijl. C’est fou comme il lui manquait soudain. Lui saurait lui dire quoi faire.

Soudain, il sentit un regard posé sur lui. Il hésita avant de lever la tête, sachant pertinemment qui était en train de le regarder. Lorsqu’il le fit, les yeux glacés du Second le clouèrent sur place.

— Bons réflexes.

Hein ?

Le Second se détourna de lui avant même que le mousse n’ait eu le temps de comprendre ce qu’il venait d’entendre. C’était… un compliment ? Alors … pas de supplice de la planche ?

Attends… Un compliment ?

Jim se sentit basculer dans un état de pure confusion. L’idée qu’un homme comme le Second puisse le gratifier pour se travail était trop beau pour être vrai. Et pourtant… il se surprit à… sourire ? Brièvement.

Sujet: Re: Rumeurs et Canari Lun 25 Nov 2019 - 22:25

– Il m'est arrivé exactement la même chose qu'au reste de l'équipage ainsi qu'au navire, pointa Smee d'un ton raisonnable.

Bon, ben apparemment le second ne semblait pas vraiment ennuyé d’être couvert d’eau mousseuse. Il agissait comme si rien d’inhabituel ne s’était passé et le « la même chose qu’au reste de l’équipage » laissa le flutiste réellement perplexe. Mais oui, mais oui, si vous le dites, M. Smee. En attendant, personne n’était dans son état.
Cependant, ne voulant pas contredire d’avantage son supérieur, il se contenta de le suivre et d’attendre les autres sur le pont. A peine s’il avait remarqué Jim et à peine s’il lui souvenait pour la boussole. En revanche, quand tout le monde fut en rang de jolis oignons pas encore caramélisés devant la mouche, il ouvrit grand ses esgourdes.

– Cet épisode passager fut riche en enseignements… Et que les choses soient claires, ceux qui le méritent en subiront les conséquences, dans un sens comme dans l'autre. Notamment, on ne quitte pas son poste sans ordre direct d'un supérieur.

A cet instant, ce fut comme si un déclic qui se fit dans l’esprit de Salazar. Oh mais bien sûr ! Ce commentaire de Smee, cela ne pouvait être… que la confirmation pure et dure qu’on recherchait réellement un nouveau commandant pour le Canari ! Et tous ceux qui avaient abandonné leur poste, ah les pauvres diables ! Ils venaient de descendre dans le classement, perdre les faveurs. Cette attaque n’avait été qu’un test et ils avaient échoués ! Voilà ce qui expliquait le flegme du pirate.
Salazar se félicita mentalement, ignorant totalement ce qu’il se passait. Bon, certes, il avait eu un moment de panique réflexion où il se demanda s’il avait ou non abandonné son poste mais quand il remarqua son supérieur qui se tournait vers lui pour lui demander la direction, il répondit de manière énergique un grand « Oui » et en ressortit sa carte pour être sûr de ne pas avoir raté sa position. Normalement tout était bon. Le bateau reprit son cours et se remit à avancer.

– Bons réflexes.

Il releva la tête à ce compliment, croyant d’abord qu’il lui était destiné. Mais il réalisa alors que le second parlait à Jim et fut content pour lui. Le petit montait dans le classement ! Bon, certes, s’il pensait qu’il allait le surpasser et lui voler le Canari sous ses yeux, il se mettait le doigt dans l’œil mais tout de même, c’était émouvant. Voir ce petit félicité alors qu’il l’avait lui-même formé… genre dix minutes. Il se sentait un mentor accompli.

Il discutait détails techniques sur la meilleure façon d’aborder leur destination – des broutilles en somme, qui ne devaient pas prendre très longtemps – quand son attention se reporta de nouveau sur les Atols qui étaient vraiment proches cette fois-ci. Genre, vraiment. Genre, au point que les hommes préparaient déjà l’ancre. Il ne put s’empêcher de retenir son excitation et, pour la première fois depuis des années, il laissa échapper dans sa langue natale : « Bon dieu que j’ai hâte ».
Puis, sans ignorer le second bien entendu, il se retourna vers Jim et lui lança avec un grand sourire radieux :

— Allez, viens gamin ! Il est temps d’y aller.

Et juste après, avec une énergie encore plus vive qu’avant, si cela était réellement possible :

— Tu te rends compte ? Une île déserte, vierge de toute trace, à découvrir. Que peut-on rêver de mieux ?

Sujet: Re: Rumeurs et Canari Dim 15 Mar 2020 - 2:12

À la plus grande satisfaction de Smee, l'équipage avait d'un accord tacite décidé de faire montre d'un minimum de professionnalisme. Il était dommage qu'un rappel à l'ordre eut été nécessaire pour cela, mais l'expédition avait dorénavant une chance de ne pas finir en désastre.

Salazar, quant à lui, faisait preuve d'un enthousiasme inarrêtable, mais ce n'était pas exactement nouveau. Quand il avait une idée en tête, il ne l'abandonnait pas de sitôt. Présentement : adopter le mousse comme assistant. Ce qui n'était pas forcément une mauvaise chose ; Jim avait un inébranlable sens pratique qui manquait parfois cruellement à Salazar, et sa présence aux côtés du cartographe lui permettrait peut-être de contenir ses idées les plus risquées.

Cela étant, les éclats les plus farfelus de Salazar n'arrivaient qu'en situation de combat, et l'îlot avait des chances raisonnables de ne pas leur en présenter.

Smee demanda des volontaires pour garder le navire. Après quelques secondes d'hésitation, un nombre impressionnant de matelots se proposèrent. Le regard de Smee les parcourut, et plus d'un baissa les yeux. Il ne comprenait pas. Cherchaient-ils à se faire pardonner leurs bévues du combat contre le papier ? Cherchaient-ils à éviter l'inconnu de la terre ferme ? Cela ne collait pas.

Smee n'aimait pas se sentir dépassé ainsi par son propre équipage.

Il assigna une équipe à la surveillance du Canari, et contempla le reste du groupe. Il y avait bien trop de visages neufs. Des pirates qui ne connaissaient qu'à peine l'Île.

– Nous allons explorer cet îlot en restant groupés, annonça-t-il, son regard pesant plus lourdement sur les Bermudons. Nous ignorons encore ce que l'on peut trouver ici, et pour ceux d'entre vous qui n'en ont pas encore fait l'expérience, sachez que vous ne voulez pas être seuls pour découvrir les pièges de l'Île.

Il n'y eut aucune protestation. Peut-être que les matelots avaient encore en tête sa… déception quant à leur attitude lors du combat.

– Monsieur Reis. Par où souhaitez-vous commencer ?

Sujet: Re: Rumeurs et Canari Jeu 19 Mar 2020 - 23:59

C’était dans un mélange de confusion et d’exaltation que le mousse suivit ses supérieurs, ne prêtant qu’une oreille distraite aux planifications du navigateur. Il pensait à tout son dur labeur qu’il croyait jusque-là nécessaire mais inaperçu : jamais il ne serait récompensé pour ses efforts car il n’était que le mousse tandis que la moindre incartade lui vaudrait une punition aussi sévère que celle des adultes. La tête de Jim était donc remplie de nuages quand Salazar l’interpella :

— Allez, viens gamin ! Il est temps d’y aller.

Tiré de sa transe, Jim le rejoignit au petit trot. Marmonner quelques insultes envers sur ce guignol dont la familiarité flirtait avec la condescendance ne l’effleura même pas. Il était trop fier pour ça. Rien ne pouvait l’atteindre, de là où il était.

— Tu te rends compte ? Insista Salazar. Une île déserte, vierge de toute trace, à découvrir. Que peut-on rêver de mieux ?

Fier mais pas complètement niais, Jim était bien incapable d’imiter cet enthousiasme démesuré. Certes il était conscient que cet îlot offrait peut-être de nouvelles possibilités mais il doutait que ces dernières révolutionneraient la piraterie moderne. Aux mieux, ils trouveraient peut-être une épave à moitié pourrie et quelques noix de coco. Sans oublier quelques prédateurs.

Les équipes formées, Jim se retrouva sans surprise aux côtés du navigateur et par extension, du Second :

— Nous allons explorer cet îlot en restant groupés. Nous ignorons encore ce que l'on peut trouver ici, et pour ceux d'entre vous qui n'en ont pas encore fait l'expérience, sachez que vous ne voulez pas être seuls pour découvrir les pièges de l'Île.

Cette remarque était certainement à destination des bermudons. Jim se contenta d’un reniflement d’assentiment, presque amusé. Parmi les bermudons, il y avait des malchanceux voyageant sur le mauvais bateau, pas des marins. Même les autres pirates ne faisant pas partie de l’équipage originel avec tout de même l’expérience d’un enfant perdu dans la nature hostile. En bref, le danger pouvait très bien se trouver au sein même de leurs rangs.

— Monsieur Reis. Par où souhaitez-vous commencer ? demanda le Second.

La question ne lui étant pas adressée, le mousse se mordit la lèvre pour ne pas répondre. Il avait pourtant une idée toute faite de la stratégie à adopter dans ce cas de figure : il lui avait toujours semblé plus sûr de faire le tour de l’îlot à la bordure de la végétation afin d’en avoir un aperçu plus complet. Puis, ils pouvaient s’aventurer dans son cœur en formant des équipes qui devraient rester à portée de voix.

Mais ça, il ne pouvait pas le dire.
S’il intervenait, ce serait outrepasser ses fonctions.
Et qui plus est, ce n’était pas son boulot.

Sujet: Re: Rumeurs et Canari Dim 11 Oct 2020 - 18:06

Pffft, personne ne le comprenait décidemment. Et certainement pas ce jeune blanc-bec qui ne semblait pas du tout être réceptif à son enthousiasme. Damn ! Était-il donc le seul à être heureux de découvrir quelque chose de nouveau, après tout ce temps passé sur cette île ? Pas qu’il eut finit entièrement de cartographier l’île, bien au contraire – un siècle n’en serait pas suffisant. Mais… Avec le temps, il commençait à en connaitre des parties par cœur et le reste n’était que détails ou changement. Là, c’était un terrain entièrement nouveau.
Et avec une belle récompense à la clef ! Oui, en y réfléchissant bien, les seuls à être aussi enthousiastes que lui étaient ceux qui avaient également des vues sur le Canari. L’ennui, c’est qu’ils ne semblaient pas spécialement avoir le même entrain pour l’île. Uuuurgh. Il était réellement un artiste incompris.

Bref, il tentait de ne pas laisser ces noires pensées plomber son moral quand ils arrivèrent sur l’île. Son sac était rempli – mais sans être trop lourd, tout de même ! – de tous ses instruments. Le discours de Smee tombait sous le sens, si bien qu’il ne fit qu’acquiescer. Oui, il n’y avait que des nouveaux dans cette équipe, à son plus grand regret. Il aurait bien aimé quelques vieux de la veille avec lui, pour partager ses découvertes. Mais bon…

— Monsieur Reis. Par où souhaitez-vous commencer ?
— Le tour de l’île, répondit-il rapidement. Il nous faudrait une estimation de sa taille et c’est le meilleur moyen de s’en faire une idée. En outre, nous pourrions nous rendre compte s’il n’y a que de la forêt par ici, ou d’autres reliefs. Plantons un repère pour signifier notre point de départ et mettons-nous en route. Ensuite, quand nous aurons plus d’information, nous pourrons tenter une percée vers le centre.

Il avait énoncé ces faits sur un ton confiant, mais en réfléchissant en même temps. Cela faisait un moment qu’ils n’avaient plus abordés d’îles de la sorte. Il conclut donc son discours par un petit « hum, hum », appréciatif envers lui-même.
Ils avaient désormais un cap.
Il se retourna vers son auditoire, pour sonder leur opinion. Il fut quelque peu surpris de se rendre compte que son jeune apprenti d’une dizaine de minutes semblait morose. Morose ou contrarié ou que savait-il mais en tout cas, il n’était pas vif comme il aurait du l’être. Certes, il ne l’était toujours pas tout à l’heure mais tout de même ! Salazar était presque à deux doigts de se sentir vexé. Alors, il se dépêcha d’ajouter :

— Et si cela ne vous ennuie pas, monsieur, je réquisitionne le mousse comme assistant navigateur. Il s’est montré habile avec la boussole lors du trajet en mer et nous ne serons pas trop de deux pour faire cette carte.

Certes, en temps normal, il aurait été plus que suspicieux à l’idée d’employer quelqu’un. Il avait toujours réussi à se débrouiller seul. Sans compter qu’il avait menti comme un arracheur de dent, il avait complètement oublié ce qu’avait fait Jim pendant la traversée. Mais là, il était trop enthousiaste pour s’en soucier et surtout, l’idée de se vanter et de jouer au professeur avec un si petit élève était trop tentante. En plus, il sentait déjà le regard de gratitude du gamin sur lui car c’était évidemment ce qui allait se passer devant ce compliment, n’est-ce pas ?
… N’est-ce pas ?

Sans surprise, Salazar ne montrait aucune hésitation face à sa tâche de cartographe. C'était pour ce professionnalisme que Smee lui faisait confiance et lui pardonnait son atypie martiale.

Dans ce cas précis, Smee soupçonnait cependant que Salazar en faisait un peu trop, sous doute mû par l'habitude de travailler seul sur l'Île et non en groupe sur une île. Dans le premier cas, planter un repère pour marquer le point de départ de l'exploration était plus que raisonnable : nécessaire. Dans le second... Smee laissa son regard s'égarer quelques instants sur le Canari, à l'ancre aussi proche du rivage que possible, directement visible de la plage. Claquements et grincements du gréement dans le vent et clapotis des vagues contre la coque parfaitement audibles.

Cela étant, Smee n'était pas homme à blâmer pour un excès de prudence aussi dépourvu de conséquence.

La demande de Salazar concernant Jim était plus surprenante. Le cartographe se montrait d'ordinaire très possessif de ses tracés, et Smee n'avait jamais perçu chez lui un désir de transmettre son savoir à un apprenti. Mais une fois de plus la situation présente était particulière, ce qui justifiait parfaitement une approche particulière. Et Smee s'était lui-même fait la réflexion que Jim avait les qualités nécessaires pour contrebalancer Salazar.

Il y avait là un potentiel solide, et si une expédition dans l'inconnu n'était peut-être pas le meilleur moment pour l'explorer, cela restait préférable à une situation d'urgence.

– Accordé, monsieur Reis.

Smee jeta un bref regard vers le mousse, mais celui-ci se tenait déjà non loin de Salazar et n'avait très certainement rien perdu de l'échange. Inutile de lui répéter sa nouvelle affectation.

Smee se détourna donc des deux cartographes pour organiser le reste des matelots, qui semblaient à présent raisonnablement anxieux à la perspective de se retrouver possiblement confrontés au pire de ce que l'Île pouvait présenter comme surprises. Ou peut-être étaient-ils anxieux à l'idée de se montrer décevants une fois de plus. Ils avaient, en cet instant, cessé leurs pitreries, et c'était là tout ce qui importait.

La réponse de Salazar ne tarda pas à tomber tandis que Jim la mimait des lèves :

« Le tour de l’île. »

Mais voilà ! Il savait ! Ah, il aurait peut-être dû répondre, histoire de le montrer. Mais bon ça l’aurait fait passer pour un connard alors ce n’était peut-être pas plus mal d’avoir manqué une occasion d’étaler sa science.

« Il nous faudrait une estimation de sa taille et c’est le meilleur moyen de s’en faire une idée. En outre, nous pourrions nous rendre compte s’il n’y a que de la forêt par ici, ou d’autres reliefs. Plantons un repère pour signifier notre point de départ et mettons-nous en route. Ensuite, quand nous aurons plus d’information, nous pourrons tenter une percée vers le centre. »

Jim se rappela alors pourquoi il savait tout ça. Parce que Salazar lui avait appris. Le faux vieux, il connaissait son métier.

« …Et si cela ne vous ennuie pas, monsieur, je réquisitionne le mousse comme assistant navigateur. » ajoute soudain Salazar. « Il s’est montré habile avec la boussole lors du trajet en mer et nous ne serons pas trop de deux pour faire cette carte. »

Jim arqua un sourcil, l’air un peu sceptique. Il se demanda si Salazar ne lui faisait pas simplement lui le coup de réquisitionner un esclave personnel. Il allait lui demander de lui donner à boire, de l’éventer, lui faire de l’ombre et porter ses affaires. Des trucs d’assistant quoi.
Ou alors, peut-être qu’il lui faisait réellement une fleur en pensant lui donner un poste à responsabilité, loin des matelots qui le martyrisait. Mais les chances étaient de quoi ? Une sur un milliard ?

Les regards se reportèrent sur le Second.

« Accordé, monsieur Reis. »

Sérieux ? Jim ne savait pas s’il devait se réjouir ou s’inquiéter : dans le doute, il était saoulé.

Il s’avança prudemment vers son référent du moment, donc, l’air aussi enthousiaste que possible – donc pas du tout.

« Qu’est-ce que je peux faire, du coup ? »

– Accordé, monsieur Reis.

YES ! Salazar retint un mouvement de satisfaction devant cette autorisation, qui ne fut même pas remis en doute. En fait, en ce moment précis, Salazar avait l’impression qu’il pouvait demander ce qu’il voulait, ils le suivraient. Tout le monde sembler le regarder avec admiration (ou plus réalistiquement, appréciation de son savoir). Même le gamin qui était d’ordinaire si renfrogné vint directement lui demander conseil. Et ca, Salazar aimait beaucoup. Cela boostait son égo.

— Eh bien, tu…

Et là il se rendit compte qu’il n’avait aucune idée de ce que ce gamin savait ou pouvait faire. Super, il avait demandé un apprenti et il bloquait déjà sur quoi lui demander. Il le jaugea du regard un instant, avant de commencer :

— Eh bien, déjà, évidemment, tu vas aller en tête avec moi et M. Smee. Tu ouvres l’oeil et tu ouvres l’oreille et puis aussi ton nez et… enfin bref tu restes vigilant et tu pointes tout ce qui te sembles suspect ou utile. J’entends par là tout ce qui est potentiel danger — comme des bêtes, des monstres mais aussi des choses plus naturelles — ou d’éventuelles point d’eau ou de nourriture. Je me charge de la carte — je ne sais pas si tu es capable d’en faire et de toute manière, je ne voudrais pas que quelqu’un d’autre que moi le fasse, je n’aurais pas conf… enfin, ce n’est pas que je n’ai pas confiance en toi, je…

Ce malaise fut la seule chose qui parvint à arrêter sa logghorée verbale et il dévisagea Jim une nouvelle fois avant qu’une idée ne tilte dans son esprit.

— Je vais te confier la boussole ! Et un carnet, voilà, pour que tu prennes notes ! Tu as très bien réussi à le faire sur un bâteau , tu y arriveras parfaitement ici !

Et sur ces merveilleux mots, il lui mis les affaires dans les mains et commença le tour de l’île d’un pas vif.

Ils marchent pendant un bon quart d’heure sans remarquer quoi que ce soit de particulier. Marcher dans le sable étant particulièrement désagréable comme sensation, ils avaient fini par se mettre sur le bord de la jungle, et avançait à un bon rythme mais sans voir quoi que ce soit de particulier. Il n’y avait pas âme qui vive par ici et les animaux étaient rares — ce qui était fort étonnant. Le climat semblait tropical, ou en tout cas chaud, si on se referrait aux arbres qui poussaient ici et là, mais rien de particulier qui n’ait pu donner d’indications sur l’île. Ils n’avaient croisé ni trace d’eau — si ce n’était celle de la mer — ni trace de fruits.

Et soudainement, Salazar sentit quelque chose d’étrange, quelque chose qui n’aurait pas dû être là.

Une odeur… de brûlée. Ou de feu, difficile à dire.

Il jeta un coup d’oeil à Jim, pour voir si le jeunot avait remarqué, lui fit un signe de tête et recula de quelques pas. C’était menu mais il y avait un soupçon de fumée qui s’échappait, minuscule. Pas un incendie, clairement non. Mais alors, qu’était-ce ?

— M. Smee, commenca-t-il lentement, il faudrait que vous veniez voir cela.

Le temps que Smee organisât le reste des matelots qui participeraient à l'exploration, Salazar s'était visiblement arrangé avec son nouvellement promu assistant. Ce fut donc sans délai inutile que le groupe se mit en marche, Smee restant en tête aux côtés des deux cartographes.

Pendant un temps, l'îlot ne se montra pas particulièrement hostile, ni même hors norme. Cependant il était difficile pour Smee d'ignorer le (relatif) silence : derrière les pas des matelots et les vagues venant s'échouer sur la plage, il n'y avait... rien. Ou presque rien. Les animaux pouvaient se compter sur les doigts d'une main. C'était l'opposé total de la jungle plus familière de l'Île elle-même, et après quelques minutes de silence obéissant des marins, suivies par l'apparition spontanée de bavardages, ils se turent peu à peu, réalisant sans forcément comprendre que quelque chose était inhabituel.

Embruns iodés, odeur de sable réchauffé par le soleil, senteur végétale et terre humide... puis, brutalement, une rupture dans le paysage olfactif.

Smee se figea en même temps que Salazar, puis s'avança prudemment à l'appel du cartographe.

À peut-être deux ou trois mètres de l'orée des arbres, à moitié caché derrière un tronc, se trouvait un cercle de cendres dont le gris pâle tranchait sur le sol sombre du sous-bois. Son centre fumait encore légèrement, fin volute s'élevant dans l'air avant de s'effacer sous les effets de la brise.

Cela ne ressemblait pas à un feu allumé par une main humaine. Il n'y avait aucune préparation pour contenir un feu, pas de trace de combustible restant... Peut-être avaient-ils trouvé la piste d'une Comète ?

Smee leva les yeux, regard attiré par un éclat de couleur. Coincée contre l'écorce d'un arbre par la masse de lianes l'entourant, une unique plume d'un rouge orangé remuait légèrement sous l'action du vent. Quand Smee ramena son attention sur les cendres, ce fut avec une concentration renouvelée, et cette fois-ci il ne manqua pas la silhouette pourtant si bien camouflée.

À l'exact centre du cercle, du même gris que les cendres sur lesquelles il reposait, se tenait un minuscule oisillon, son duvet pâle le rendant presque invisible. Mais à l'instant où il se réalisa repéré, le regard qu'il envoya à Smee fut bien trop lourd pour un simple oiseau nouveau-né.

– Regardez bien au milieu des cendres, dit Smee, ton neutre mais voix étonnamment basse par rapport à son habitude. Je doute que nous revoyons cela un jour.

Après tout, il avait pu comprendre ce qu'ils avaient devant eux uniquement car on lui avait rapporté l'existence de cette créature, mais sa rareté n'avait rien d'exagéré.

Directement copié du Bestiaire :

Face à lui Salazar semblait proche du paroxysme de l’extase. Responsabilité, assistant… Il lui manquait encore nom sur la coque d’un trois-mâts et il serait au paradis. Jim était saoulé.

« Eh bien, tu… », hésitait le navigateur. « Eh bien, déjà, évidemment, tu vas aller en tête avec moi et M. Smee. Tu ouvres l’œil et tu ouvres l’oreille et puis aussi ton nez et… enfin bref tu restes vigilant et tu pointes tout ce qui te sembles suspect ou utile. »

Le mousse plissa les yeux, incapable de cacher plus longtemps le mélange de dédain et de consternation qui l’envahissait.
En fait, il avait aucune de quoi faire de lui, hein ?

« J’entends par là tout ce qui est potentiel danger — comme des bêtes, des monstres mais aussi des choses plus naturelles — ou d’éventuelles point d’eau ou de nourriture. », enchainait Salazar. « Je me charge de la carte — je ne sais pas si tu es capable d’en faire et de toute manière, je ne voudrais pas que quelqu’un d’autre que moi le fasse, je n’aurais pas conf… enfin, ce n’est pas que je n’ai pas confiance en toi, je…
— … Mais je suis qu’un troufion. », résuma Jim, qui avait reçu pire injure par le passé. »

Après un silence gêné où le navigateur et le mousse se fixèrent en silence, Salazar repris – décidément intarissable ce jour-là.

« Je vais te confier la boussole !
— Encore ?
— Et un carnet, voilà, pour que tu prennes notes ! Tu as très bien réussi à le faire sur un bateau, tu y arriveras parfaitement ici !
— Euh ok. »

Jim voulut demander à Salazar s’il pourrait garder les notes mais il se ravisa. De toute façon, le Reis était déjà parti.
Il allait prendre des notes et s’il voulait les recopier dans son propre carnet, pas le choix, il faudrait les mémoriser pour plus tard.

Le mousse rattrapa le navigateur au petit trop, carnet et boussoles en main. Tandis qu’ils patrouillaient, Jim notait rapidement quelques brèves remarques :

Plage sable fin, inoccupée
Jungle tropicale (- - fruits ?)
Humidité ++, air lourd -> Eau ?

C’était pas simple de consigner sans le moindre appui mais c’était une question d’habitude. Son écriture d’habitude soignée et scolaire était rapide et brouillonne. Pas le temps de jouer les belles Lettres.
Du coin de l’œil, il surveillait la boussole. Il s’était du coup amusé à faire un mini schéma en patte de mouche pour se faire une vague idée de leur itinéraire : ils avait débarqué par le sud. Et faisaient le tour par l’ouest.

Trop concentré sur ses notes, Jim ne remarqua qu’après un temps de retard que le navigateur s’était immobilisé.

« M. Smee, il faudrait que vous veniez voir cela. »

Le Second et le reste de leur équipe l’avaient alors imité. C’était quoi cette odeur de cramé ?
La première idée qui frappa Jim c’était leur navire. Mais fort heureusement, l’odeur ne venait pas de la bonne direction et le panache de fumée qui signalait sa position était également mal placé et surtout trop petit.
Ouf. Pendant un moment, il avait craint que…

Ebloui par l’éclat du soleil, Jim plaça sa main au-dessus de son regard, plissant des yeux pour distinguer une forme lointaine.

Fumée, cendres, feu petit sur plage, pas de bois ?? Magie ? notait Jim tandis qu’ils se rapprochaient.
Et quand ils furent proches, ils le virent : une petite forme dans les cendres, à pleine plumé, des yeux énormes fichés sur son crâne minuscule et un petit bec déjà bien aiguisé pour son âge.

« Regardez bien au milieu des cendres », leur dit le Second, doucement. « Je doute que nous revoyons cela un jour. »

Pour la première fois depuis longtemps, Jim arrêta de tirer la tronche. Il avait le soleil en pleine poire, et sa chemise lui collait la peau mais à cet instant rien ne l’intéressait davantage que ce qu’ils avaient sous les yeux.

« Un phénix. », souffla Jim, presque trop bas pour être entendu.

La plupart des oisillons ont une sale tête à la naissance et celui-ci ne fait pas exception. Mais c’était dingue et Jim déglutit. C’était si… petit.

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