La pluie a cessé, ce qui est vachement chouette. Caro n'en pouvait plus d'être mouillée tout le temps et de ne rien pouvoir garder sec, même à l'abri des cabanes. Mais maintenant que le niveau de l'eau redescend, Caroline découvre les joies du nettoyage post-inondation.

Il y a des machins partout. Des branches, des feuilles à moitié pourries, des vêtements égarés par les enfants, des cadavres de petits animaux (yuck !)... L'eau a apporté tout ça à l'Arbre, et maintenant c'est aux Garçons Perdus de se débrouiller avec. Et la boue, bon sang, la boue ! La moindre passerelle qui ressort de l'eau après un séjour prolongé en est couverte, imbibée même on dirait !

Bref, c'est une purge à nettoyer. Mais c'est pas comme s'il y avait le choix, si on veut un jour réinvestir les plus bas niveaux du Grand Arbre. Là où ça devient encore plus fun (comme si on en avait besoin, sérieusement...), c'est que l'eau n'a pas fini de redescendre. Du coup, juste sous les pieds des nettoyeurs, il y a de l'eau boueuse dans laquelle flottent tout un tas de bidules dont il vaut peut-être mieux ignorer la nature exacte. Si on glisse (genre, au hasard, à cause de cette fichue boue), plouf ! Et la baignade ne fait franchement pas envie.

Bon, d'un autre côté, c'est sans doute mieux que de faire une chute de plusieurs mètres se finissant sur un sol dur. Faut prendre les bons côtés.

Ce jour-là, Caro est sur l'une des dernières plateformes à avoir émergé, armée d'un balai, d'un seau, de deux serpillères et de beaucoup de courage. Elle a de la boue jusque dans les cheveux, elle se sent dégueulasse, elle a mal aux bras, et par-dessus tout elle en a marre.

Elle s'autorise deux minutes de pause, appuyée sur son balai, pour souffler un peu. Son regard descend sur l'eau, à peine un demi-mètre en contrebas. Il y a un vague courant, qui charrie des masses sombres inidentifiables. Dans l'ombre de la plateforme, avec en plus les grosses branches qui se sont coincées là, c'est difficile de voir vraiment ce qui se balade juste sous son nez...

Puis quelque chose bouge.

Caro se fige. Est-ce qu'elle a bien vu ? Est-ce qu'elle a rêvé ? Est-ce que c'est un animal ? Un... un enfant tombé de l'Arbre, en train de se noyer ?!

Oh non non non non non...

Toute sa fatigue oubliée, tout comme la boue, Caro se met a genoux sur le bord de la plateforme et se penche vers la silhouette, de nouveau immobile.

- Hey ! Y a quelqu'un ? appelle-t-elle, déjà à demi-paniquée.

HJ:

HRP:

Elle dormait, lorsque c'est arrivé.
Blottie dans un coin de cabane et enroulée dans les couvertures, elle avait interrompu sa séance de nettoyage (coupable, elle n'était plus Mère après tout) pour s'endormir. Oh, elle n'était pas si paresseuse d'habitude mais il faut la comprendre.
Le temps l'a affaiblie et Dusk a froid.

Son réveil a été brutal. Perdue dans un mauvais rêve, elle n'a rien entendu des craquements de la maison est s'est retrouvée à l'eau lorsque le plancher vermoulu a cédé sous ses côtes.
Imprudente Dusk, imprudente Déracinée.
Son réveil a été brutal, et mouillé.

Elle n'est pas mauvaise nageuse, ce qui ne l'a pas empêché de boire la tasse une fois. Autour d'elle d'autres choses flottent, emportées par un courant léger. Et Dusk, engourdie, cherche quelque chose à quoi se raccrocher, une prise quelconque pour remonter à l'Arbre.

- Hey ! Y a quelqu'un ?

Elle s'arrête un instant, avant de lever les yeux.
C'est une jeune Mère qui s'adresse à elle, depuis une passerelle.

Luttant légèrement contre le courant, Dusk répond :

- Oui.

Son corps tremble, elle ne le sent pas.
Engourdie, comme souvent.

- Est-ce que... tu pourrais me faire remonter ?

Elle rajoute :

- S'il te plaît.

C'est important, de bien se comporter.

Ça parle.

Ça parle donc c'est vivant et olala il y a quelqu'un à la flotte c'est terrible il faut…

Ça parle donc c'est vivant. Et ça n'a même pas l'air paniqué. Du calme, Caro, du calme. Si la fille –ouais, à la voix, c'est une fille– garde son sang-froid, alors que c'est elle qui risque de se noyer, Caro doit pouvoir en faire autant. On respire.

Caro essaie de se pencher encore un peu plus, et plisse les yeux. Maintenant qu'elle sait qu'il y a quelqu'un, elle repère effectivement la silhouette de la jeune fille. C'est plutôt une grande, dans le référentiel de l'Arbre, on dirait, mais pas moyen de voir qui c'est. Cela dit, la priorité c'est d'abord de la tirer de là.

– Euh, bouge pas…

Elle est grave partante pour la faire remonter, mais comment est-ce qu'elle s'y prend ?

– Tiens, attrape ça !

Et elle lui tend son balai, qu'elle tient fermement à deux mains, à genoux au bord de la plateforme. Si elle peut l'aider à se rapprocher, elle devrait pouvoir l'attraper en se penchant ensuite. Sans doute. Elle espère.

- Euh, bouge pas…

Facile à dire, quand on est pas au milieu d'un courant. Mais Dusk obéit, lutte, tente de rester stable alors que le froid se fait de plus en plus insistant.
Quelle idiote elle a été, de s'endormir comme cela.
Quelle sombre idiote.

- Tiens, attrape ça !

Pas le temps de se maudire : la Mère - comment s'appelle-t-elle, déjà ? - lui tend quelque chose, une sorte de bout de bois. Après un essai loupé, la Déracinée parvient à l'attraper et le serre comme pour tuer.

- J-je l'ai.

Ses lèvres tremblent, elle leur en veut presque. Luttant toujours - si elle lâche, elle ignore où elle atterrira - la Grimpeuse jette un nouveau regard à la silhouette, en haut.

- Tu v-vas me hisser ?

Est-ce qu'elle en aura la force ? Oh, la Déracinée n'est vraiment pas bien lourde, pourtant elle n'est pas immatérielle. Elle pèse son poids et la fille en haut n'est qu'une enfant.
Enfin, il faudra essayer, de toute façon.

Au pire, le courant s'arrêtera bien quelque part.

... non ?

Caro ne se laisse pas le temps d'hésiter. Bien sûr qu'elle va la hisser. C'est pas comme si elle manquait de force dans les bras (si) ou que la fille était aussi grande qu'elle (si aussi). De toute façon, elle n'a pas le choix. Elle ne peut pas laisser l'autre dans la flotte comme ça.

Caro commence par rapprocher la nageuse en tirant sur le manche du balai –pourvu qu'il tienne, d'ailleurs… ne pas y penser, ne pas y penser. Voilà. Elle est juste en dessous d'elle. Plus qu'à la récupérer. Apparemment il est plus que temps, à voir l'air épuisé de la fille. En plus elle a l'air de trembler, la nageuse…

Oh non, elle va pas mourir de froid au moins ?

Caro rassemble ses forces et tente de soulever la fille. Au début ça va, elle est aidée par l'eau, mais après… Ben après ça va pas si mal que ça, à sa grande surprise. Elle parvient à hisser la fille assez haut pour pouvoir lui attraper les poignets. Sa peau est glacée.

Un frisson parcourt Caro, qui pour le coup ne sait pas trop si elle a froid, ou trop chaud, si c'est la peur ou la fatigue qui a le dessus… Elle sent beaucoup trop bien la tension dans ses bras.

Ça va aller. Qu'elle se dit. Elle essaie d'y croire.

Le balai abandonné quelque part sur la plateforme –Caro ne se souvient même pas l'avoir écarté, mais pourtant elle a bien dû le faire à un moment ?– elle a le champ libre pour finir ce qu'elle a commencé. Ses doigts se ressèrent un peu sur les poignets de la fille –tant pis si elle lui fait mal– et elle tire vers le haut, de toutes ses forces.

HRP:

D'abord, c'est le balai qui se soulève et Dusk qui s'y accroche de toutes ses forces. C'est difficile (quand l'eau délaisse sa peau, c'est le vent glacé qui la heurte) mais elle tente d'ignorer le problème, juste... continuer de tenir. Puis d'un coup, à la place du bois, ce sont des mains, bien chaudes et vivantes, qui saisissent ses poignets, assez pour lui faire mal mais c'est une douleur chaleureuse, que Dusk accueille sans sourciller. Le temps d'une inspiration, et la fille tire vers le haut.

Et la hisse, miraculeusement, jusqu'à la passerelle.

Dusk sent le bois s'enfoncer dans son ventre, son corps se plier en deux. Grimaçant malgré elle - elle n'est jamais plus expressive que pendant l'effort - elle balance sa jambe de côté et parvient à la poser à son tour sur le ponton. Puis l'autre, cela se fait étonnement vite.

Et presque mécaniquement - lorsqu'elle reprend consciente elle est essoufflée et tremblante sur le pont.
Avec la fille à ses côtés.

Une inspiration glacée, Dusk lui jette un regard. Et se baisse légèrement.

- M-merci beaucoup.

L'idée qu'elle ait pu mourir la traverse mais elle n'en fait pas plus cas. Si cela s'était produit... hé bien, tant pis.
Mais elle n'est pas totalement tirée d'affaire.

Avec peine, Dusk vacille et se relève.
Il faut impérativement qu'elle se réchauffe.

Caro respire. C'est un tel soulagement que d'avoir réussi à tirer la fille de là ! Parce que bon, maintenant que c'est fait, elle peut bien l'avouer : elle y croyait moyen. Mais c'est fait ! Elle est sauvée, sau-vée !

C'est à ce moment que la fille vacille légèrement, et Caro réalise que ce n'est pas fini. La fille tremble comme une feuille, et ses lèvres sont presque bleues. C'est mauvais.

– T'es blessée ? demande Caro dans un accès de prise de recul.

Si oui, c'est infirmerie direct. Si non…

– On peut aller aux cuisines sinon, le feu est toujours allumé.

Caro passe un bras autour de la fille pour l'aider à avancer et se retrouve collée contre un glaçon ambulant. C'est abusé comme elle est glacée. Il faut vraiment faire quelque chose. Genre maintenant.

- T'es blessée ?

Oh, Dusk ne sait pas. Dusk se sent si peu, d'ordinaire, et là elle est engourdie donc c'est encore pire. Avec raideur, elle consent pourtant à abaisser la nuque, contempler son corps frissonnant. Elle n'y décèle rien, aucune douleur suspecte - le creux mis à part, mais elle s'y fait - aucune tache de sang.

- On peut aller aux cuisines sinon, le feu est toujours allumé.

- J-je sais.

Elle ne le dit pas méchamment, Dusk, mais voilà : elle était Mère en Chef, avant. Donc forcément, qu'elle connaissait les cuisines. Mais les temps ont changé, elle n'est plus Ran, plus vraiment. Alors qu'elle renifle - elle s'en veut immédiatement après - et acquiesce.

- Allons-y alors.

Un peu froide, un peu zombie, elle vacille en direction de la Cabane à manger. La pluie qui tombe, elle la sent à peine. C'est qu'elle en fait, des efforts, pour rester digne malgré son état. Pour ne pas trop déranger, lorsqu'elle grelotte.

- T-tu es une Mère, mais j-je ne me souviens plus de t-ton nom.

Elle ne l'a pas connu avant la Chute, il lui semble. Donc elle doit être récente.
Enième frisson, alors que la Cabane se profile, comme une tâche chaude au milieu du bleu.

Caro avance avec la fille, essayant de l'aider de son mieux. Elle sait qu'avec le froid qui s'infiltre de plus en plus au travers de ses vêtements –oh bon sang l'eau aussi, elle va finir trempée– elle se crispe de plus en plus, par réflexe. Elle espère que la fille ne s'en rend pas compte. Elle a pas envie que ce soit interprété de travers.

– Oh, euh, moi c'est Caroline. Je suis l'Apprentie Mère des Artisans.

Un coup d'œil vers la fille. Elle arrive à trembler discrètement. C'est assez impressionnant.

– Je suis désolée, mais je te situe pas du tout… avoue Caro.

Elle a beau se creuser la tête, elle ne voit rien de physiquement remarquable sur la fille qui correspondrait à un truc dont on lui aurait parlé. Elle ose pas trop la dévisager, ça la foutrait mal. Mais en tout cas c'est pas une Artisane, c'est sûr.

Elles arrivent enfin à la cuisine ; Caro pousse la porte et entraîne la fille dans la chaleur accueillante.

- Oh, euh, moi c'est Caroline. Je suis l'Apprentie Mère des Artisans.

Dusk ne lui répond pas : les platitudes n'ont jamais été son fort, elle préfère être directe (d'autant plus que là, la sensation de froid occupe au moins la moitié de ses pensées).
La voix de Caroline résonne encore :

- Je suis désolée, mais je te situe pas du tout…

Elle est éclair, la contrariété qui crispe très légèrement les traits de la Déracinée. Elle passe comme un coup de vent, balayée par des pensées rationnelles : bien entendu qu'elle ne te situe pas, à quoi tu t'attendais ? Tu n'es plus Mère en Chef et plus le temps passera, moins ils seront à s'en souvenir.

Elle finira par peut-être l'oublier, elle aussi.

La chaleur des cuisines l'enveloppe tout à coup alors qu'elles entrent, douce et mordante. Dusk plisse les paupières : la sensation est douloureuse, pas assez pour qu'elle en pleure mais quand même. Un peu à l'aveuglette, elle se rapproche d'un fourneau et se place en face.

Ce n'est pas assez rapide, pas efficace à son goût.

Sans aucune hésitation, malgré ses tremblements, la Grimpeuse saisit son pull à deux mains et l'enlève, le faisant passer au-dessus de sa tête. Puis, après avoir plié le vêtement avec une méticulosité maniaque - elle récupère un linge de cuisine - apparemment propre - et s'en enveloppe du mieux qu'elle peut. La tâche n'est pas difficile, elle est menue.
Un soupir.

Il ne reste plus qu'à attendre, alors elle fixe son regard sur Caroline et lance :

- Je suis D-Dusk. Une Grimpeuse.

Parler de son ancien statut serait vain. Avec une sorte d'exaspération - tournée vers elle-même, toujours - elle énonce :

- Je faisais une sieste. Dans une C-Cabane. Et je c-crois que le plancher a... cédé.

C'est si bête, comme incident. Ça l'agace.

Elle a pas l'air pudique, la fille ; c'est Caro qui se détourne, gênée. Ce qui est peut-être stupide. C'est sans doute stupide, même, mais bon. Quand Caro jette un coup d'œil par dessus son épaule, la fille s'est couverte, ce qui est quand même un soulagement. Et finalement, elle se présente. Une Grimpeuse. C'est la première fois que Caro fait plus que croiser quelqu'un de ce groupe. C'est difficile d'imaginer comment Dusk pourrait être plus différente de sa Mère, mais ça ne veut absolument rien dire.

Caro fronce les sourcils en entendant Dusk expliquer sa mésaventure. C'est vraiment l'accident bête pour le coup. Et franchement dangereux, aussi.

– Mince. C'était quoi comme cabane ? Faudrait peut-être prévenir des gens…

Oui, mais qui ? Prévenir qu'il y a un trou pour éviter des chutes ? Prévenir qu'il faut réparer ? Dire à tout le monde de vérifier les planchers avant de s'installer quelque part ? Caro a trop d'idées, et bien trop en vrac. Elle serre les dents, un faux air décidé sur son visage. En vérité, elle ne sait pas qui aller voir pour ce genre de chose. Au pire, dans le doute, Rose, probablement ? Elle, elle saura. Elle sait toujours.

Mais en attendant…

– Ça va un peu mieux ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, hésite pas à demander, hein.

Dusk s'en veut toujours, et n'en montre rien. Debout devant le fourneau, elle s'efforce de ne pas s'attarder sur ses états d'âme, de juste laisser la chaleur l'envelopper.

- Mince. C'était quoi comme cabane ? Faudrait peut-être prévenir des gens…

Oui, sans doute. La Déracinée l'aurait d'ailleurs fait, si elle avait pu. Un regard vers Caroline : cette dernière semble déterminée. Sans doute s'en chargera-t-elle, puisque ce n'est plus vraiment le rôle de la Grimpeuse. Cela ne l'empêchera pas de prévenir ceux qui feront mine de se diriger vers les lieux du sinistre.

- Ça va un peu mieux ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, hésite pas à demander, hein.

Hochement de tête, sans qu'elle ne réponde immédiatement. Elle n'a besoin de rien, vraiment, et puis elle n'est pas du genre à demander, de toute façon. Même en de telles circonstances. Moins tremblante, elle réplique :

- ... c'était une Cabane isolée, pas trop loin de la Ruche. Il faudra prévenir les Artisans.

Quelle chance que son interlocutrice soit en partie responsable de ce groupe.

- Tu es récente. Non ?

C'est fou comme le petit monde des Mères pouvait lui sembler lointain, depuis la Chute. Sans guère plus de commentaire, Dusk s'approche du fourneau, se retourne. La chaleur mord moins, enveloppe plus. C'est bon signe, elle reprend le peu de couleurs qui la caractérise.

Prévenir les Artisans. Okay. Ça, elle peut faire. Comme ça hop, d'une pierre deux coups : les gens qui courent le plus de risques sont au courant, et ceux qui finiront par faire les réparations aussi. Tout va rentrer dans l'ordre. C'est parfait.

– Récente ?

Caro hésite. Avec la perception du temps qui tient de la science-fiction sur l'île, c'est pas si évident que ça.

– Euh… Je crois, oui. Enfin, c'est un peu flou, mais tu vois ce que je veux dire…

Caro s'arrête avant d'embrouiller encore plus les choses. Puis la curiosité l'emporte.

– Et toi, ça fait longtemps que tu es là ?

Hey, si ça permet à Dusk de penser à autre chose qu'à sa baignade impromptue, c'est plutôt pas mal, non ?

– Récente ? Euh… Je crois, oui. Enfin, c'est un peu flou, mais tu vois ce que je veux dire…

Même si la réponse peut sembler confuse, Dusk n'a pas de peine à la comprendre. Sur l'Île, de toute façon, le temps est capricieux, brouillé, chaotique.

– Et toi, ça fait longtemps que tu es là ?

Un temps. La Déracinée garde son regard droit, perdu dans le lointain. Elle songe, se rend compte de l'absurdité de sa question, maintenant qu'on la lui renvoie. Et elle, est-elle récente ? Assez pour avoir vu plusieurs enfants arriver et repartir, assez pour se faire une réputation.

Assez pour se faire destituer.

Un très léger tic crispe ses phalanges, resserrant son emprise sur le linge. La réponse qui franchit ses lèvres est laconique :

- Assez.

Un temps passe. Concentrée sur la chaleur, Dusk finit par estimer qu'elle en a eu assez. Se redressant un peu sèchement, elle fait glisser le linge de ses épaules, le noue sous ses aisselles et se tourne vers Caroline.

- Il faut que je me change. On peut alerter les Artisans juste après.

Pas de "ça te va ?", pas de perte de temps. Après ce qu'elle vient de vivre, Dusk n'a qu'une éternelle envie : remettre de l'ordre. Et c'est donc naturellement qu'elle endosse un rôle de cheffe. Sans mauvaises intentions, juste machinalement.

Le silence se prolonge, pour le plus grand malaise de Caroline. Quand la réponse de Dusk arrive enfin, c'est d'un coup, sans prévenir, et quasi-monosyllabique. "Assez ?" Qu'est-ce que c'est supposé vouloir dire ? Caro fronce les sourcils, perplexe. Mais en même temps, le temps, justement, n'a aucun sens ici. Elle aurait dû se douter que Dusk ne pourrait pas être précise.

Et puis le silence revient à la charge et Caro doit résister à la tentation de s'effondrer en tics nerveux. Elle cherche désespérément un nouveau sujet de conversation (si possible qui ne la fasse pas passer pour une cruche finie), mais c'est pas si simple. Son nom, son groupe, elle les a déjà. Son âge ? Question un peu taboue ici. Elle ne peut pas plus lui parler famille ou études. Elle ne pense pas que Dusk prendrait bien une question directe sur ses amis. Bref, Caro sèche (comme Dusk, mais pas pareil).

D'un coup, Dusk se redresse, manquant de peu de faire sursauter Caro.

– Ah, euh, d'accord ! bafouille Caro, prise de court.

Les deux filles sont déjà dehors quand Caro réalise que Dusk a pris les choses en main et qu'elle-même est en train de suivre bêtement.

– On… on va aux cabanes des Grimpeurs du coup ?

Caro grimace. C'était stupide comme question, mais maintenant c'est trop tard.