Freckles se rappelle la dernière fois qu'il est venu dans le désert. C'était il y a longtemps. C'était pendant la pluie. Lui et Harmony avaient trouvé la frontière, un coin de dune épargné par le déluge. Le désert n'a pas échappé au Givre. Si la glace n'arrive pas à adhérer tout à fait aux grains de sable, toute la surface est recouverte par une épaisse couche de neige qui craquelle et les fait s'enfoncer à chaque pas. C'est un enfer de marcher là dedans.
Ça tombe mal. Parce qu'ils faut qu'ils aillent vite.

« Ça va ? » demande Freckles.

Il ne regarde même pas Vain en parlant ; la réponse va sûrement pas lui plaire, Vain est toujours fatigué, il en a toujours marre, et en plus il aime se plaindre.
Quelle que soit la réponse, ils peuvent pas s'arrêter de toutes façons. Freckles pose juste la question pour la forme, et par habitude.
Il tient un compas dans ses mains, et c'est ça qu'il regarde intensément plutôt que s'occuper de l'autre livreur. Ça indique pas le nord. Y a un nord sur l'île, même ? Pas sûr. Mais bon on lui a dit comment le lire pour trouver le puits. Faut juste placer l'aiguille en haut et un peu à gauche et continuer tout droit.

« C'est encore tout droit », il dit. « Plus très long. »

Ça par contre c'est une promesse en l'air.

- J’ai connu des situations plus confortables.

Ouais. Freckles aussi. Après quelques minutes de marche pénible, l’autre livreur ouvre la bouche de nouveau. Pas pour se plaindre, cette fois.

- Tu crois qu’il y a encore des mirages, par ici ?

Ça le prend un peu de court. Il scrute le visage de Vain, puis suit son regard vers l’horizon. Juste du sable qui s’étend dans toutes les directions et forme des dunes floutées par la neige.

- Je suis jamais allé dans le désert, avant.
- Ah, répond Freckles. Je sais pas.

C’est en réponse à la première question de Vain. Il plisse les yeux encore pour essayer d’apercevoir ce qu’il ne verrait pas. Il a entendu une fois que les mirages c’était juste le soleil qui se reflétait sur des trucs chauds. Sur l'Ile, peut-être pas. Peut-être que ce serait des hallucinations hautes en couleur. Encore plus facile à repérer, non ? Il voit rien. A moins que … ?

« Je suis venu y a longtemps. Enfin, à un moment. Il pleuvait ... »

C’était avec Harmony. Ils avaient regardé les étoiles. Le ciel au dessus de lui reste obstinément grisâtre. De toutes façons là c’est le jour.

« On est pas allés aussi loin. Alors des mirages j’en ai pas vu. »

Il continue de fixer le point, qui bouge au loin. Il sait pas si c’est ça que Vain a vu, ou autre chose. S’ils délirent tous les deux quelque chose de différent. Freckles n’a pas l’impression de délirer du tout.

« C’est quelqu’un, non ? » il dit finalement.

L’idée le perturbe un peu.

- Je suis trop beau pour être ignoré.

Freckles jette un regard en biais à Vain pour savoir s’il déconne, conclut que non, et explose de rire.

« Jure que t’as pas vraiment dit ça ? »

Loin de lui l’idée d’enlever à Vain sa caractéristique essentielle, celle d’être effectivement « trop beau » - non, ça c’est pas Freckles qui prétendra le contraire- mais l’idée de s’enerver parce qu’un mirage s’est pas retourné sur son passage, c’est quand même marrant.
Le mirage ou pas mirage d’ailleurs. Ça se trouve c’est juste un mec. Ou un monstre, de ceux qui vous attirent dans un coin de l’Île pour vous nourir à ses gosses. Dans tous les cas, ça a disparu sans un mot derrière une dune de sable.

Ça ressemble vaguement à un gros piège. Il y a rien autour d’eux, que du sable, rien qui indique le chemin à suivre. Il sort de nouveau la petite boussole étrange de sa poche.

« C’est par là, évidement », il marmonne.

L’idée de devoir suivre le truc mystérieux l’enchante moyennement, vu la confiance qu’il a en Vain quand il faut combattre. Mais en même temps il est curieux de savoir ce que c’est. Et la curiosité, c’est fort. Tout comme l’assurance que lui donne l’épée maintenant passée en permanence à sa ceinture.

« Si on fait gaffe et qu’on reste à distance, ça devrait aller », il décide.

Et après s’être assuré que Vain lui suivait, il se dirige à la suite du mirage.

HRP:

« On est trop classes pour mourir bêtement », déclare Vain.

Deuxième fois qu’il est « trop » quelque chose pour que les choses aillent mal pour lui. Cette fois au moins, il inclut Freckles dans le lot. Il sourit.

« On va pas mourir », il promet.

Ni bêtement, ni autrement.

« Regarde. »

Il détourne son attention de la boussole et baisse les yeux vers l’endroit vers lequel Vain pointe son doigt. Des empreintes dans le sable.

« Quoique ce soit, ça ne porte pas de chaussures. »
« Ouais ... »

Il s’accroupit pour examiner les traces, qui commencent déjà à disparaître alors que le sable s’équilibre de lui même pour remplir les trous. C’est difficile de vraiment identifier l’animal, et puis Freckles n’est pas un chasseur ou rien du tout de toutes façons. Mais même pour lui, c’est simple de déterminer que ce n’est pas un pied humain. Ni un sabot, ni une patte d’oiseau. Et vu la fréquence des traces, sans doute un animal qui marche à quatre pattes.

« C’est bizarre », dit-il avec un froncement de sourcils. « J’étais sûr que tout à l’heure j’ai vu quelque chose qui marchait débout. »

Il croise le regard de Vain, un peu soucieux, pas sûr qu’il l’aie vu. Mais ils semblent penser la même chose, au moins c’est pas un Orbleu. Mais y a pire que les orbleus, sur cette Ile, ils ont juste tendance à l’oublier ces temps-ci.

« La boussole dit qu’il faut continuer à aller par là », il ajoute en grimaçant.

Et peut-être qu’ils n’ont même pas besoin de la boussole, juste de suivre les traces dans le sable, des traces qui semblent changer de taille, et de forme, et d’intervalle, disparaître parfois sur plusieurs mètres, et réapparaitre changées, comme pour les narguer.
Peut-être un mirage, finalement.