Voilà Heaven qui n'arrêtait pas de se lamenter. Ah, mais que vais-je faire de mes habits, que vais-je faire de mon maquillage, je suis si sale, et trempée, et dépitée, ça ne va pas du tout ! et tout un tas de blabla qui n'arrangeaient en rien la situation. Elle avait eu un peu de mal à se calmer, casée en PLS dans un coin d'une salle sombre.

Ça, c'était avant qu'elle ne se rappelle qu'il y avait des douches avec du savon, et que non seulement elle pouvait s'y laver, mais aussi y laver ses vêtements. Bon, il restait un léger problème, à savoir qu'allait-elle faire lorsque ses vêtements sécheraient alors qu'elle n'avait pas pris de rechange, mais passons. Ele trouverait bien une solution à son problème.
Bon, il y avait aussi un autre problème, à savoir comment elle allait enlever son maquillage qui avait coulé (maintenant, elle s'en doutait un peu) sans eau miscellaire ou ce genre de chose... mais passons. Ça aussi, elle finirait bien par y trouver une solution. Quitte à se frotter un peu plus.
Mais quel carnage ça restait...

Dans un sens, pourtant, c'était fini. Ils étaient tous dans la baleine qui s'était révélé être une amie grâce aux Sirènes, et elles les conduisaient maintenant gentiment à Londres. La Mésange s'était même mise à culpabiliser d'avoir conduit la capsule devant le cétacé, suivant les ordres de Stealth. Ils ne lui auraient pas tiré dessus, sinon... qui sait, il ne se serait peut être rien passé, et elle ne se serait peut être pas retrouvé dans un état pareil au final.
Réalisant que les douches allaient peut être être prises d'assaut par les gens des capsules qui avaient dû patauger dans la bouche de la baleine, Heaven se hâta donc du côté des douches. Qu'est-ce qui pourrait arriver de pire, maintenant ?

Il y avait une chose, une seule et unique chose, ou plutôt une seule et unique personne qui pouvait rendre les choses bien pires : et c'est Ore-sama en personne. Ou, plus simplement : Pit.
Et devinez quoi ? Le voilà qui arrivait justement en face, alors que la Récolteuse s'apprêtait à aller se doucher. Foutu hasard, on pouvait bien se demander en quoi il faisait parfois bien les choses. Avec Heaven, ça ne semblait jamais être le cas. Enfin, si, ça pourrait l'être, à Londres, si jamais elle y retrouvait ce qu'elle était venue y chercher, peut être même était-elle plus motivée à aller chercher ladite chose, un animal, plutôt que de secourir les Sirènes.
Mais pour l'instant, ils n'étaient pas à Londres, mais dans le Nautilus. Et il n'était pas question de bon hasard, mais de mauvais. Il n'était pas question d'un chat à retrouver miraculeusement, mais d'un sale type. Enfin, un sale type qui lui faisait de l'effet quand même.

- Ah ! Me... me touche pas, et me regarde pas ! Je suis pas présentable !

S'était exclamée la jeune fille en faisant volte-face, restant statique. Elle ne voulait surtout pas que Pit, soit "le type qui accorde beaucoup d'importance à l'apparence" (en tant que Raccommodeur, ça se comprend, bien qu'il en fasse un peu trop parfois et qu'il ne soit pas forcément totalement soigné sur lui), la voit dans cet état, avec son mascara qui avait coulé sous ses yeux, et ses habits et cheveux trempés et poisseux.
Ah, quel style ! Elle était bien bonne pour tout laver ! Les bottes, collants, le short, T-shirt, le foulard, tout avait pris !
Pourquoi fallait-il qu'elle tombe sur lui ? Au moins, sale comme elle était, elle était sûre d'une chose : il ne la touchera pas.

Tout le fatiguait. Le Joker trainait dans le sous-marin, dans les couloirs, c’était un moment tranquille. Pour une fois. Il détestait vraiment s’éloigner du Jeu. S’éloigner du Pion. Devoir relever les yeux de la fosse.

Qu’est-ce qu’il cherchait déjà ? Ah oui, la poupée déguisée. Celle qui lui faisait de ces dramas monumentaux.

Pour passer un peu de temps. Bon, comme il ne jouait pas, il ne savait pas vraiment quoi faire. Juste pour voir.

Et c’est ainsi qu’il croisa une Heaven qui semblait dans un sale état en plus d’avoir l’air paniquée. Les mots qu’elle lança confirmèrent cette idée. Pit laissa entendre un léger rire, avant de se frotter les yeux d’une main tandis que l’autre se terra dans la poche de son pantalon. Il avait dû revenir de la bouche de la baleine, et il ne se trouvait pas en meilleur état. Mais, il le vivait mieux.

Donc, évidemment, ce fut sans se soucier de l’avis de la récolteuse qu’il poursuivit son avancée. Pour se planter bien devant elle.

Le sourire quasi inexistant, enfin, il en avait un discret en coin. Parce que c’était drôle.

Quand même.

- J’aime toujours pas que tu me donnes des ordres. Et, je suis surpris que tu te soucie de mon avis.

Mains rangées dans les poches, il trouva appuie sur son épaule contre le mur.

- Tu devrais carrément aller te terrer sous la douche entièrement habillée. C’est vraiment un sale état.

Un rire. Un seul, avant d’effacer encore le vague sourire. Il était comme lorsqu’il était pris par le sommeil. Fatigue couplée au fait que… il était en dehors du Jeu. L’attitude qu’il montrait en général à Dusk uniquement.

- Pas trop flippé d’avoir été gobée par le cétacé ?

Ton de discussion, un peu ailleurs, mais il écoutait.

Moins à l’aise, bizarrement. Il croisa finalement les bras. Plus ils s’approchaient du monde ordinaire, plus il se sentait mal. Pas malade, mais inquiet. Comme s’il avait quelque chose sur l’estomac qui lui rappelait qu’il avait fait quelque chose de travers. Et qu’il allait le payer. L’angoisse d’une punition, d’un élément qu’il ne maîtriserait pas.

En dehors du Jeu.

Comme le gamin qui restait enfermé dehors.

Lorsqu'elle entendit les pas du Chef des Raccommodeurs qui résonnaient de plus en plus fort, Heaven se demandait si finalement, ce qu'elle pensait était réellement fondé : il pourrait quand même la toucher ? Non, allons, c'était bien trop sale...
La preuve fut qu'il s'arrêta juste devant elle, imposant un périmètre de sécurité. Relevant le regard vers le blond, la Mésange lui trouva un air inhabituel. Il était quasiment absent, le sourire. Comme s'il était désorienté, ou ce genre de chose... enfin, ce n'était pas habituel.

- J’aime toujours pas que tu me donnes des ordres. Et, je suis surpris que tu te soucie de mon avis.

Bon, le fait qu'il dise ça si nonchalament prouvait que rien n'avait trop changé, au fond. Ça devait juste être le dépaysement. Heaven soupira. Ce n'était pas tellement un ordre, c'était juste machinal, après tout... il fallait peut être juste rajouter un "sil-te-plait" pour que ça passe mieux, qui sait.
Et puis, pour cette histoire d'avis... il avait encore tout compris. Enfin, Heaven ne se trouvait tout simplement pas présentable non plus, mais, dans un sens, surtout pas face à lui... C'est qu'elle s'était presque mise à être coquette, quand elle devait aller voir le Joker. Et là, c'était tout le contraire qui arrivait...
Une bonne douche, c'est bien ce dont elle avait besoin, comme il le lui fit bien remarquer. Là, c'était six pueds sous terre que la Récolteuse voulait se terrer, du simple fait d'avoir eu à subir cette remarque. Le rire qui suivit ne fit qu'affirmer encore un peu plus cette idée; il se moquait d'elle ?

Et, lorsqu'il lui demanda si elle n'avait pas eu trop peur de s'être fait avaler par la baleine, la jeune fille eut un rire jaune. Vraiment, il demandait une chose pareille ? La réponse ne paraissait-elle pas évidente ? Qui n'aurait jamais eu peur de se faire boulotter par une baleine ? Qu'il pouvait poser des questions bêtes, parfois...

- Ho ben tiens, tu te soucies de moi ? À ton avis, vu mon état, t'en déduis que j'ai eu peur, ou pas ?

Lâcha-t-elle sur un ton à la fois piqué et quelques peu sacrastique. Elle refit demi-tour, et se retrouvait direction douches. Elle en désigna d'ailleurs la porte d'un vague geste de la main, et continua d'un ton sec :

- J'étais partie pour prendre une douche, justement. Mais maintenant que t'es dans les parages, je me demande si c'est une bonne idée...

Un temps. Ah punaise, elle était pratiquement sûre qu'il allait lui sortir qu'elle ne devait pas faire sa sainte nitouche ou ce genre de chose vu qu'il l'avait déja vue en soutien-gorge, ou encore nue, une fois, vitesse éclair. À cause du rideau vert de fortune... que cette histoire remontait !
Mais maintenant, une véritable question se posait : valait-il mieux pour Heaven de rester ainsi pour le moment et menacer de vomir de sa propre odeur et de son corps poisseux, ou prendre sa douche, craindre que Pit n'ait la bonne idée de faire son voyeur et se retrouver sans vêtements vu qu'il fallait les laver aussi ? Ce n'était pas un choix simple...

Heaven paraissait agacée ? Si c’était le bon mot. Pit ne s’y attarda pas tant, la fatigue, l’angoisse, le prenaient au fond de l’estomac. La Mésange avait même un peu de timbre sec dans la voix et dans les gestes.

Un temps, puis deux. Pit comprit enfin ce qu’elle insinuait.

Il haussa les épaules en réponse avant de s’avancer jusqu’à la fameuse porte.

Main sur la poignée, il ouvrit. Il fallait, laver. Il fallait toujours être propre. Non ? Sinon, elle ne serait pas très contente, et les clients non plus.

Qui ?

Personne. C’était des genres de mots automatiques, sans aucun sens.

La fatigue.

- Fais comme tu veux, mais moi j’en ai marre d’être poisseux. T’inquiète pas, je suis pas d’humeur à te chercher.

Sur ces mots, il entra dans la salle et commença à retirer sa chemise. En déboutonnant, il découvrit la cicatrice sans forme qui habillait sont torse, jusqu’à la taille. Qu’est-ce que le Joueur ne pas faire pour se donner un semblant de contrôle ? Il était déterminé.

Ça avait cicatrisé, depuis, et surtout le temps qui n’en était pas vraiment de l’île aidait. Cependant, il ressentait bien la différence de texture et de sensation lorsqu’il y passait les doigts. Le Joker était partagé entre la satisfaction de garder le « pouvoir » et l’inquiétude. Il avait déformé le corps, il n’avait pas en payer le prix ? Bien sûr que non, quelle pensée idiote. Le Chef ne chercha pas plus à comprendre ses propres reflexes. Il comptait s’en aller dans une des douches, emportant avec lui la chemise évidemment. Il avait par contre délaissé les chaussures qui semblaient correctes.

Hors de question de rester dans un sale état.

Heaven était un peu compliquée, elle devrait se débarrasser de la poisse qui la collait. Le Joker ne voyait pas pourquoi elle semblait être réticente, c’était comme toujours, on s’en fichait.

Pit avait même perdu le goût de jouer à enquiquiner la Mésange.

Pit ne prit même pas la peine de lui répondre, ve qui étonnait franchement Heaven. Elle s'attendait à une remarque plus ou moins désobligeante, ce genre de remarque qu'il avait l'habitude de faire et dont la jeune fille se demandait si c'était une énième plaisanterie ou s'il était réellement sérieux.
Mais pourquoi hésitait-elle, enfin ? Le Joker n'est jamais sérieux, non ? Heaven l'avait toujours connu souriant, charmeur, un peu -beaucoup- pervers sur les bords, et avec une facilité à emmerder le monde qui la dépassait grandement.
D'ailleurs, s'il ne lui avait pas répondu, c'est qu'il devait chercher autre chose pour la titiller un peu. Il le faisait toujours, non ? Alors, elle se préparait à toutes les remarques possibles et imaginables, sans se douter de ce qui suivait :

- Fais comme tu veux, mais moi j’en ai marre d’être poisseux. T’inquiète pas, je suis pas d’humeur à te chercher.

C'était tout à fait le contraire de ce qu'elle attendait. Et le voilà qui lui tournait purement et simplement le dos, pénétrant alors dans la salle des douches. Il plantait là la jeune fille, qui, estomaquée, regarda un petit moment la porte qui s'était refermée lentement sur elle, frôlant son cadre en un petit claquement.
Les yeux grands ouvert, les sourcils levés par la surprise, ce si peu de choses, cette attitude, avait suffit pour totalement boulverser la Mésange.
Elle se rappelle d'un jour où elle s'était inquiétée pour rien en voyant le sourire de Pit disparaître de son visage pendant un petit moment et s'était rendue ridicule en tentant un quelconque réconfort inutile, preuve qu'elle ne le connaissait vraiment pas, qu'elle ne pouvait pas se l'imaginer avec une autre attitude que celle qu'elle avait toujours connue; câline, charmeuse et empoisonnée.

À la manière d'un robot, voilà la Récolteuse qui tourne les talons, se dirigeant d'un pas machinal vers la chambre qu'elle partageait avec ses compères. Elle se dirigea vers l'endroit où elle dormait, soulevant avec précautions un léger drap blanc dont elle ne se servait même pas pour dormir tant elle le jugeait trop léger et inutile. Du bout des doigts, elle fit machine arrière et reprit le chemin des douches avec sa "serviette improvisée".
À son tour, elle entra, puis se choisit une cabine dans le silence le plus total. À la porte, elle y cala le drap, sans croiser Pit qui avait sûrement eu le temps de se choisir une cabine, lui aussi. À moins qu'elle ne l'ait tout simplement pas vu ni entendu tant elle était plongée dans ses pensées ?
Enlevant ses bottes avec précautions, Heaven se passa les mains sous l'eau, frottant avec vigueur le faux cuir de ses chaussures afin d'un enlever les traces de salive du cétacé. Il y en avait jusqu'à l'intérieur, c'était dégoûtant, poisseux et malodorant.

Cela aurait dû s'arrêter là, elle aurait pu continuer son nettoyage en silence, mais, évidemment, ce ne fut pas le cas. Et, levant juste les yeux pour parler, elle avait déclaré, d'une voix ou pointait la désolation :

- Pit... T'es bizarre, aujourd'hui...

Oui, cette fois, il y avait bien quelque chose qui n'allait pas. Déja la dernière fois... oui, la dernière fois, ils s'étaient quittés assez étrangement. Le Chef des Raccommodeurs paraissait fatigué, il avait fini par ne pas tant la retenir. Elle s'y était habituée, pourtant, à devoir rester longtemps, très longtemps, parce qu'elle avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas ou juste pour le bon plaisir du maître des lieux. Et cette fois-là, Pit semblait s'être tout à coup désintéressé d'elle, sur la fin de leur entrevue.
Regardant alors ce qui restait de la trace de coupure sur ses doigts (c'est à dire, rien, ou si peu), Heaven laissa planer un silence le temps de finir de s'occuper de ses chaussures. Puis, elle enleva délicatement ses vêtements, les lavant un par un; -collants, short, T-shirt, foulard et sous vêtements- avant de les essorer prudemment afin de ne pas trop froisser et de les étendre à la limite entre sa cabine et une autre qui l'encadrait.

Après avoir fini sa petite lessive, l'adolescente mit un moment avant d'ouvrir de nouveau la bouche, laps de temps qu'elle utilisa pour se mouiller entièrement. C'était froid, un peu comme lui aujourd'hui, et mordant un peu comme ce qu'elle ressentait dans sa poitrine.
Prenant alors son courage à deux mains, passant outre cette désagréable sensation d'avoir la gorge nouée, la jeune fille s'étrangla à demi en demandant :

- Tu... Tu as fini par te lasser de moi, c'est ça ? La dernière fois... j'ai fini par te fatiguer, tu en as assez de mon côté lunatique, maintenant... n'est-ce pas ?

Pourquoi avoir posé la question ? S'il s'était bel et bien lassé d'elle, il allait la laisser tranquille dans ce cas, elle ne pouvait que s'en réjouir, non ? Alors pourquoi tremblait-elle, qu'est-ce que c'était que ce regard terne de déception qu'elle affichait à présent ? Ah, s'il la voyait... Mais dans cette -absence de- tenue, c'était très inconvenant.

- Tu as trouvé quelqu'un d'autre qui ne te contredit ni ne te déçoit jamais, qui t'amuse et qui fait ce que tu veux, un nouveau jouet mieux que moi, c'est ça ?

Même si le blond avait tenté de se justifier, même si Heaven était complètement dans l'erreur, elle continuait malgré tout son délire, instopable, balayant du pied une petite trace rouge intempestive en-dessous d'elle.
Elle ne voyait pas d'autre raison, cela avait forcément un lien avec elle, elle ne voyait pas plus loin. L'idée que cette étrange attitude du Joker était en lien avec le voyage ne lui avait même pas effleuré l'esprit.

- Oui, t'es vraiment bizarre ! J'aime pas te voir terne et nonchalant, je t'ai jamais connu comme ça ! S'il y a un problème, dis-le moi !

Elle avait presque fondu en larmes lors de sa conclusion, plaquant avec force ses mains sur la paroi de la douche, atteinte d'une forte émotivité qui se voulait hebdomadaire dans le Monde Ordinaire et qui se voyait maintenant réglée de façon complètement anarchique sur l'Île.
Ah, elle était belle, sa neutralité, n'est-ce pas ? Mais c'était bien plus fort qu'elle, et cela faisait déja trois jours -si l'on pouvait parler de jours- qu'elle était tendue, stressée et cela lui faisait complètement déverser un flot d'émotion. Encore un ou deux jours, et cela lui passera, normalement...

Prendre une douche pour ne plus être dégueulassé aurait pu être agréable, mais en fait... après quelques temps, du moins celui d'avoir pu s'occuper de ses cheveux qu'il avait l'impression de trainer avec une odeur d'haleine de baleine.

S'il n'avait pas eu droit au calme, il avait au moins pu se laver. Les habits, il les abandonnera et ne sauvera que ses chaussures. Il possédait assez de chemises et pantalons. Il devait être sapé correctement non ? Tout de même.

Il écoutait cependant quand même ce que la Mésange radotait. D'une oreille. Il arrêtait la douche pour mieux comprendre, il se sécha. Toujours une oreille à l'écoute. Il renfila caleçon et pantalon, puis chaussures avant de passer la tête par la porte de sa cabine. C'était que la Récolteuse lui parlait, de plus en plus émotive en plus. Il trainait sa chemise dans une main, il avait cette impression que le tissu ne perdrait jamais l'odeur écoeurante.

Ses pas le conduire finalement dans la zone de passage, hors de la cabine. Les yeux bien trop verts dirigés vers la source des paroles, distinguée par une serviette posée sur la porte. Pit observa les alentours. Pour voir s'il n'y avait pas quelqu'un d'autre. Ce serait compliqué à gérer. Il leva les yeux au plafond. La miss avait choisi le bon moment au bon endroit pour lui faire cette crise existentielle. Pure ironie, c'était enquiquinant. Les malentendus bizarres qui pouvaient se dégager avaient TOUT de difficile à gérer. Surtout en dehors du Jeu. Ici, rien n'était sous son contrôle. Pas autant que dans son confortable plateau.

Le Joueur avait pris la place du Pion, parce qu'il n'était pas question du Jeu. Et là, la Poupée déguisée s'était égarée. Comment gérer ça ? Elle ne vivait pas sur plusieurs plans.

Gérer. Encore et encore. La cicatrice au torse lui faisait encore un peu mal, et la boule au ventre demeurait encore présente. La proximité du monde ordinaire ne le réussissait pas. Il avait toujours cette impression que quelque chose le cherchait et l'attraperait pour lui faire vivre un enfer. Il angoissait. Et pourtant, il essayait de se détourner de cette peur étrange sans fondement en se concentrant sur la douleur de la vaste blessure fraichement fermée. La peau tirait.

Le Joker remit ses lunettes d'aviateur sur la tête avant de les faire descendre au cou.

- On est dans un sous-marin, proche du monde ordinaire. On y est peut-être même déjà, j'en sais rien. Tu penses pas que je peux avoir d'autres soucis dans ces conditions particulières ?

Ton un peu monotone. Sans méchanceté, juste une tentative de lui faire réaliser un peu. Un temps, il eut tout de même un petit rictus. Fit quelques pas vers la cabine. Veillant à ne pas non plus trop s'en approcher. Il valait bien éviter les scandales.

- Tu voulais que je te fasse des sous-entendus ? Que je continue de jouer avec toi ? Alors qu'on est plus dans le Jeu ? C'est beaucoup plus dangereux pour toi.

Un rire, forcé.
Il disait une vérité, mais aussi... il essayait de la ramener un peu dans un état "normal". Que les choses soient stables au moins où il pouvait encore exercer un peu de pouvoir.

Il porta une main à ses propres cheveux, se disant qu'il n'allait pas tarder à frisotter.

Il se demandait aussi, où ses rires étaient partis. Qu'est-ce qui l'inquiétait tant que ça ? De quoi avait-il peur ?

Pit n'aimait pas cette situation. Pas du tout.

C'était un peu bizarre mais, le Joker avait l'impression qu'il attendait que la Mésange sorte. Juste pour ne pas être seul. Il surveillait la porte de la pièce, inquiet d'y voir une personne y entrer. Mais pas un Garçon Perdu, il ne saurait pas dire qu'est-ce qu'il appréhendait.

Bref, il devait régler tout ça. Rapidement, parce qu'il avait cette peur dans l'estomac qui grandissait.

Les vêtements lavés prestement avec une savonette de fortune qui se trouvait miraculeusement là séchaient. Heaven aussi, sans le vouloir, était en train de sécher, alors qu'elle s'était mise à soudainement se plaindre de constats qui restaient infondés. Elle aurait dû en profiter pour se laver, mais il semblerait que cela reste en option pour l'instant.
Tremblant quelques peu à cause de l'action du froid et de la peur d'une éventuelle réponse, la Mésange restait ainsi, les mains plaquées sur la paroi de la douche, alors que de l'autre côté, tout près, derrière sa porte, Pit lui répondait :

- On est dans un sous-marin, proche du monde ordinaire. On y est peut-être même déjà, j'en sais rien. Tu penses pas que je peux avoir d'autres soucis dans ces conditions particulières ?

Ils approchaient du Monde Ordinaire, c'était un souci. La façon dont il avait tourné sa phrase semblait laisser entendre que non seulement Heaven elle-même était un autre souci, mais en plus qu'il ne pourrait pas s'occuper d'elle. Elle était un poids.
Ce simple constat fit l'effet d'un coup de couteau en plein cœur à la jeune fille. Touché, coulé. C'était sûr : le Joker la considérait juste comme un boulet, il avait fini de s'amuser de ses lunatiques états, à présent.

La Mésange s'était retenue de lamentablement se laisser glisser contre la paroi de la cabine, et à la place s'était reculée d'un pas traînant afin de continuer ce qu'elle avait commencé, c'est-à-dire se laver. Ses cheveux étaient encore poisseux, après tout.

- Tu voulais que je te fasse des sous-entendus ? Que je continue de jouer avec toi ? Alors qu'on est plus dans le Jeu ? C'est beaucoup plus dangereux pour toi.

- Je vois pas pourquoi...

Le blond l'avait interrompue dans son entreprise ? La voilà qui lui répondait d'une voix morose. Puis, sans demander son reste, sans prêter attention à une éventuelle chose qu'il aurait pu lui dire ensuite, l'adolescente enclencha l'eau et se frotta vigoureusement les cheveux. Attrapant la savonette (ou du moins, ce qui en restait) dans un coin en l'amenant vers elle avec son pied, elle fit son lavage intégral, pestant des noeuds dans ses cheveux.
Elle fit ainsi silence tout le temps de sa douche, et ne sortit qu'après avoir essoré et remis sa culotte -c'était froid et désagréable mais il le fallait bien, rien que pour la protection qu'elle contenait- et s'être consciencieusement emballée dans le long drap/serviette à la manière d'une toge romaine.

En sortant, regardant ses pieds, elle faillit littérallement percuter le Chef des Raccommodeurs, qui se tenait là, en pantalon, chaussures aux pieds, traînant un morceau de tissu blanc qui ne devait être autre que sa chemise. Reculant alors de quelques pas afin d'éviter un quelconque choc, Heaven leva lentement les yeux vers lui, ne sachant ni que dire, ni que faire.
Enfin, ça, ce fut avant qu'elle ne pose son regard sur le torse nu du blond, et qu'elle remarque l'affreuse balafre qui l'ornait.
Poussant l'une de ces exclamations inspirées, la jeune fille eut un mouvement de recul -décidément, elle avait vraiment tendance à faire marche arrière aujourd'hui- et plongea ses yeux fuschia dans le vert de ceux de l'adolescent en face d'elle, signe qu'elle demandait des explications.

- Oh mon Dieu... Que t'est-il arrivé ?

Avait-elle questionné en approchant timidement sa main de la blessure qui ne semblait pas non plus toute récente -étant donné son ampleur, cela a dû mettre du temps à cicatriser, non ?- pour y passer ses doigts. Sentir l'étrange texture la fit frissoner alors qu'elle retirait vivement sa main, affichant une expression reflétant clairement son inquiétude.
Elle aurait voulu rajouter "mon pauvre Pitou" mais elle n'en avait pas eu l'envie ni le courage. Après tout, après ce qu'il avait dit auparavant, la Récolteuse se sentait rejetée. Cela lui laissait un goût amer.

Alors que le Joker était plongé dans ses sources d'angoisses sans origine, il en fut arraché lorsque Heaven sortit de la cabine. Il semblait qu'elle ne l'ait pas tout de suite vu.

Puis l'inquiétude qui prit place le fit sourire, un genre de rictus, comme il le faisait si souvent.

Il ne réagit pas plus que ça quand la Mésange toucha la cicatrice indélébile, gardant le sourire éternel. Bien que dissonant.

- Ce qu'il m'est arrivé ?

Un léger rire, là, le joueur avait de crever de rire. Parce qu'au fond, ça lui rappelait une soirée hilarante. Absolument magnifique. D'ailleurs, le Panda n'était-il pas dans le même dortoir que lui ici ? Dommage que le Joker n'était pas d'humeur à enquiquiner. Par contre, il sentait que son attitude actuelle dérangeait. Même Heaven en était affectée apparemment.

Large sourire, il fallait penser à ces "bons moments". Le contrôle.

- J'ai juste prouvé à quel point je contrôle tout ce que je veux.

Un rire, sans quitter la Récolteuse des yeux.

- C'est moi qui me suis dépecé cette partie, j'ai juste laissé une poupée jouer. Puis je lui ai montré que ce ne serait jamais physiquement qu'on pourrait m'atteindre.

Comme s'il était invincible. C'était presque comme s'il pensait qu'il vivrait même sans corps. Pourtant, là, dans son angoisse permanente... quelque chose chantonnait dans son esprit qu'il était piégé. Par qui ? Impossible de savoir. Mais en allant dans le mon ordinaire, il retournait vers la perte de contrôle.

Il ne se défaisait jamais de son canif, comme s'il devait absolument avoir la peau de quelqu'un. Il ne lâcherait pas son pouvoir si facilement, non ? Absolument pas.

Pit tapota ses lunettes d'aviateur, un peu distraitement. Sans cesser de fixer la silhouette aux cheveux roses.

Il fit quelques pas en avant.

- Tu veux un câlin ? Je suis pas lassé, je peux toujours te donner ce que t'as envie.

Large sourire, un sourire peu commun. Celui du joueur. Vrai, mais acide, comme prouver que malgré le poids dans le ventre... il restait sur son "trône" de bouffon. Il parlait aussi plus "ailleurs", comme si Heaven devait être consciente des niveaux du Joker, comme si elle devait comprendre instinctivement qu'il avait en tête d'aller toujours plus loin. Lentement, puisqu'il ne comptait pas la faire tomber.

Ce serait dans un autre niveau du Jeu.

En fait, cette cicatrice, elle lui rappelait qu'il était capable de beaucoup.

Heaven écoutait attentivement les explications que lui fournissait le Chef des Raccommodeurs. Une expression d'horreur passa brièvement sur son visage à l'annonce du fait qu'il se soit lui-même fait cette hideuse cicatrice, puis elle laissa échapper un soupir de résignation.
Après tout, la Mésange savait très bien ce dont Pit était capable pour prouver (que ce soit aux autres ou même à lui-même) qu'il avait raison, qu'il maîtrisait les choses. Et visiblement, cette marque était le fruit d'une altercation avec une fille, ce qui fit se planter les ongles de la jeune fille dans ses paumes. Qui était-elle ? Qu'avait-il bien pu se passer ? Rien de bénéfique, étant donné l'issu que cela avait pris.

La Récolteuse sursauta brièvement lorsque le Joker s'avança avec un grand sourire aux lèvres, lui demandant alors si elle voulait un câlin. À ces mots, Heaven se détendit brusquement, le soulagement se peignant sur son visage.
Finalement, c'était juste un malentendu. Ce n'était pas à cause d'elle qu'il était dans un tel état, mais plutôt à cause du voyage (en fait, ils étaient tous un peu tendus, non ?) et tant mieux ! Après tout, elle n'avait rien fait de mal, non ? Et puis, s'il venait à la laisser en plan, elle se retrouverait toute seule... Et c'est bien une chose qu'elle ne souhaiterait pour rien au monde !

S'inspectant alors afin de vérifier que son "peignoir de bain de fortune" tenait bien, la jeune fille s'approcha du blond, puis se blottit doucement contre lui, bien contente de ce contact. Elle qui s'était fait une frayeur juste avant était soulagée que rien n'ait changé. Elle en laissa même échapper un léger soupir satisfait pour le montrer, passant distraitement ses doigts sur la plaie refermée de l'adolescent.

- N'empêche, tu es décidément un grand malade... Mais bon, je commence à m'y faire. Fais attention tout de même, ce que tu peux faire est dangereux...

Avait-elle soufflé d'une petite voix. C'est vrai qu'une plaie d'une telle ampleur pouvait comporter des risques ! Elle s'imaginait déja tout ce sang qui avait pu être versé simplement pour une démonstration de supériorité. L'inconscience du Chef des Raccommodeurs égalait son désir de contrôle. Il fallait croire qu'il en venait même à s'abîmer pour détruire les autres.
Heaven elle-même s'étonnait d'en être venue à cette conclusion, que ce soit parce qu'elle avait pensé à une chose aussi ignoble mais aussi parce que cela paraissait un peu surnaturel... enfin, il y a bien des tueurs en série et des personnes aux lubies étranges dans le Monde Ordinaire, pourquoi serait-ce si déconcertant de trouver des personnes comme Pit sur l'Île ?

En y regardant de plus près, Never Neverland est un ramassis de criminels, un asile, une prison qui fait lentement mais sûrement débloquer ses habitants, les uns après les autres. Et, afin que l'Île ne devienne pas qu'un joyeux chaos, d'autres enfants viennent s'y échouer, et d'autres, là depuis longtemps, arrivent à rester sains d'esprit... tout est vraiment bien pensé, en fait. Et le pire, c'est que le Tyran miniature, celui qui a tout crée, semble ne même pas s'en rendre compte !
Malgré tout, même en le sachant pertinemment, la Mésange préférait mille fois sa vie sur l'Île que celle d'avant. Pourtant, il ne lui en restait que de vagues souvenirs, mais elle sentait qu'il y avait quelque chose de mauvais dans le Monde Ordinaire. Quoi ? Mystère.

- Donc, ton attitude n'est due qu'à un genre de spleen, c'est ça ? Tu n'as pas changé, tu ne me laisseras pas seule, n'est-ce pas ?

Lâcha l'adolescente après un temps, sans prévenir. Elle voulait juste s'assurer que tout irait bien, à présent. Que c'était juste une mauvaise passe. Et, pendant qu'elle parle, ses doigts effleurent le dos du blond et sa nuque en de douces caresses. Son contact l'apaise, et, paradoxalement, la rend fébrile.
Et, pendant qu'elle prend le temps d'apprécier cette étreinte, la Récolteuse se pose des questions : va-t-elle devenir mauvaise comme elle l'appréhende si elle reste trop en contact des mauvaises personnes comme Pit ? Finirait-il par déteindre sur elle ? Que se passera-t-il alors, ensuite ?
Pourtant, bien que tout cela l'inquiète, elle avait choisi, une fois de plus, de se laisser aller. C'était tellement plus simple... Ah, elle faisait encore preuve d'une belle neutralité...
... mais pour quelle raison avait-elle décidé cela, d'ailleurs ?

La Mésange sortait de sa crise d'inquiétude. Enfin, le Joker la jugeait plus correcte comme ça. Juste à se soucier de l'état du Chef. Il ne prêta pas d'attention aux paroles, il prit surtout la Récolteuse dans ses bras. Sans lâcher la chemise qu'il tenait dans l'une de ses mains, mais bizarrement... Quelque chose clochait dans ce contact si commun pour Pit. Le Joueur, c'était la présence du Joueur. Toujours sur ses gardes, attendant quelque chose, une menace, mais sans avoir aucune idée de qui ou de quoi il pouvait bien s'agir. Le sourire de façade s'était effacé, parce que les yeux de la Poupée Déguisée ne le verrait pas, du moins... il le pensait. Il n'avait pas vérifié, il laissa sa main libre jouer avec les mèches de cheveux d'Heaven.

- Ouais... un spleen, on peut dire ça... je pense.

Il n'avait aucune idée de ce qu'était un spleen, mais il supposait que ça avait un rapport avec un genre de malaise ou d'attitude plate. Un genre d'inverse de la bonne humeur.

Bizarrement, toujours, quelque chose le dérangeait dans les gestes de la Mésange. Le Chef était partagé entre une sensation agréable et un appréhension. Comme si on attendait quelque chose de précis de lui, mais ce "on"... c'était quelque chose qui le surveillait tout le temps.

Alors, il s'écarta un peu de l'adolescente et l'observa, comme s'il cherchait à comprendre quelque chose. Il cherchait à trouver ce qu'il était sensé faire, une donnée, parce que quelque chose lui murmurait de devoir faire ce qu'on lui demandait. Mais... le contrôle, c'était lui et lui seul qui devait l'avoir. La boule au ventre devenait plus grosse encore.

C'était plutôt bien, non ? D'avoir une poupée pendant que quelque chose essayait de reprendre le pouvoir perdu. Enfin, cette "chose" était dans un continent bien lointain et peut-être déjà morte. Mais le Joker n'en savait rien, puisqu'il ne savait même pas de quoi il s'agissait.

Tant qu'il n'était pas seul, c'était mieux. Vieille pensée lointaine, le plus de temps et le plus de service, ainsi Elle sera contente et le laissera peut-être tranquille le soir prochain.

L'esprit ne se souvenait de rien, ne pouvait rien lier, mais à cet instant... proche du monde ordinaire, on lui soufflait de prendre le plus de temps, ...

Pit ne comprenait pas du tout ce qui se passait dans son esprit, ça tournait en rond, ça répétait sans cesse les mêmes trucs. C'était cette inquiétude réveillée par l'approche du monde d'origine. Le sourire revint se montrer, mais c'était un autre genre. Etrangement, il était dénué de tour amusé ou carnassier. Il se montrait "gentil", puis le Joker embrassa la Mésange. Le joueur, le pion et le gamin s'étaient un peu éloignés. Comme s'ils se souvenaient qu'avant... il fallait profiter des choses les plus sales afin d'être sauvé pour les prochaines heures. Ça calmait l'angoisse d'un "devoir non accompli".

Heureusement qu'il ne se souviendrait jamais d'Avant.

Il y avait décidément quelque chose qui n'allait pas dans l'attitude du Joker. Il semblait aussi mou que de la pâte à modeler, ou, ayant cet effet d'un glaçon qu'on laisserait trop longtemps à la chaleur; il fondait. Du moins, mentalement, si l'on pouvait dire ça. Physiquement, il restait bien là, mais son esprit semblait s'être envolé loin, loin dans les méandres de... de quoi, d'ailleurs ? À quoi pouvait-il bien penser ?
Là, Heaven pouvait s'inquiéter, s'arrêtant net dans ses caresses lorsque le blond approuva d'un ton pâteux qu'il devait être en proie au spleen. Pourtant, il paraissait ne même pas savoir de quoi il parlait exactement.

- Pitou...?

Souffla la Récolteuse -qui faisait de nouveau usage de ce surnom- lorsque Pit se détacha d'elle de lui-même, l'observant sous toutes ses coutures.
Il agissait définitivement de façon très étrange, et ça, elle était sûre que ce n'était pas naturel. Ce petit trip dans le Monde Ordinaire ne semblait pas lui réussir... et étrangement, bien que sa curiosité fut grande, la Mésange ne voulait pas savoir pourquoi, elle ne voulait pas connaître ce que cela pouvait réveiller dans l'esprit du Chef des Raccommodeurs.
Il est si étrange, si malsain, après tout... qui sait ce qui a pu se passer dans sa vie antérieure ?

La jeune fille n'eut même pas le temps de se poser la question, car voilà que le Joker changeait de nouveau d'attitude, lui adressant un simple sourire, doux, avenant, avant de lui voler un baiser.
Elle se laissa faire, pensant simplement qu'il devait se changer les idées, d'une façon ou d'une autre, afin de sortir de ses idées noires. À moins qu'il ne soit revenu à la normale, qu'importe.
Collée a la paroi, entre deux portes, Heaven attira un peu plus le blond à elle, recommençant à laisser balader ses mains sur son torse, sa nuque et son dos, décidant de lui faire lâcher, par la même occasion, la chemise qu'il tenait toujours.

- Tu es trop bizarre, Pitou...

Gloussa-t-elle, le rouge lui montant aux joues alors que tout au fond d'elle, elle trouvait la situation de plus en plus insécurisante, elle craignait les débordements. Elle se répétait en disant qu'elle le trouvait "bizarre" aujourd'hui, ce n'était pas une coïncidence...
L'adolescente sait de quoi il est capable. Mais sur ce point, il doit être digne de confiance, non ? Il tient à elle. Pourquoi se laisserait-il aller, pourquoi dé iderait-il d'aller plus loin ? Un simple voyage dans le Monde Ordinaire ne pouvait pas le dérégler ainsi, non ?

Sur ce sujet-là, cela arrangeait bien Heaven de faire aveuglément confiance au Chef des Raccommodeurs, elle pouvait pleinement profiter de l'instant sans jamais être en danger pour autant.
Pourtant, ici, à l'approche du Monde Ordinaire, et étant donné le comportement étrange de Pit jusque maintenant, elle aurait dû se méfier...
Elle ne savait rien de sa vie auparavant, elle ne comprenait pas ce qu'il pouvait avoir en tête à ce moment précis, ce retour aux sources.

Heaven était câline, probablement dans ces inquiétudes au sujet du Joker. Du moins, c'était ce qu'il se disait. Même s'il n'y accordait qu'à moitié son attention.

Il ne se soucia pas plus de 4 secondes de la chemise par terre, il s'était dit qu'il devrait peut-être revoir les coutures des vêtements, il se concentrait bien trop sur les peaux. Il en oubliait les tissus qu'il portait.

Heaven le trouvait bizarre, avec un gloussement. Un peu ailleurs, il ne fit que lever un sourcil interrogateur. Pour lui, la bizarrerie était la normalité. Alors il ne comprenait pas bien. Mais, mais, mais... ouais, là il était bizarre. Même en tant que normalité.

Pit ne se rendait presque pas compte que la Récolteuse l'avait tirer vers elle un peu avant, comme si tout était mécanique. Basique, normal, habituel.

Et toujours cette boule au ventre, comme si on s'approchait chaque seconde de quelque chose de dérangeant. Quelque chose qui bousculait l'esprit du Joker. Il avait pris du retard. Il était très en retard. Il n'avait même pas pris ce qu'il devait toujours ramener... Il devait ramener quelque chose ? Il devait quelque chose à quelqu'un ? Tous les jours, à la même heure ?

Mais bordel... il vivait sur l'Île, tout le monde savait très bien que le temps y était sans queue ni tête.

Aucun sens.

Y penser donnait la migraine au Joker. Le Joueur était silencieux, en train de réfléchir à comment s'en sortir... mais s'en sortir de quoi ? Le Pion restait reclus dans un coin de la fosse, et le Gamin avait relevé la tête de la boue. Le seul plus conscient. Le seul qui savait gérer cette boule au ventre.

- Pitou, c'est le nom affectueux, hein ?

Il posa les mains sur les joues de la Poupée Déguisée. Pourquoi "Poupée" ? Ah oui, le jeu, tout ça. C'était bizarre en dehors.

- Tu sais, j'ai un truc qui reste sur l'estomac. J'ai l'impression que je dois donner quelque chose d'important à quelqu'un. Mais impossible de se souvenir de quoi, ni de qui. Juste que ça va pas aller si je le donne pas.

Il glissa les doigts dans les cheveux roses, comme les bonbons sucrés qu'il pouvait manger quand il ne rentrait pas. Il ne rentrait pas ? Pourquoi et où ? Le Joker n'avait plus rien d'avant.

- Hey, tu me laisses rester avec toi ? Parce que... parce que...

Il fronça les sourcils et s'éloigna. Un regard jeté en arrière, avant de revenir sur Heaven. Pit devenait agité, comme s'il se réveillait et tentait de comprendre où il était. Sauf que... il savait très bien où il était. Juste l'esprit qui bousculait par les mécanismes, par les moyens de se protéger de ce qui pouvait l'attendre. Impossible et illogique. Ça l'agaçait. Beaucoup.

Les yeux toxiques tombèrent sur la Mésange.

- Cherche pas à comprendre, me demande pas non plus. Je pourrai pas de dire pourquoi je suis bizarre, genre plus que d'habitude. Mais honnêtement, ce qui me traverse l'esprit là... c'est que je dois rendre le temps fructueux. Mais je comprends que dalle.

Il resta planté là, les mains dans les poches, après un long soupir. Aucun sourire.

- J'en ai un putain de mal de ventre.

Il ne répondait pas à son étreinte, au départ. Alors, au bout d'un moment, Heaven releva un peu la tête, puis se détacha légèrement du Joker pour voir quelle expression il affichait.
Il n'était simplement plus là.

- Pitou, c'est le nom affectueux, hein ?

Elle acquiessa d'un signe de tête, sans dire un mot pour ne pas le déranger dans son étrange et profonde songerie, ou elle ne savait quoi d'autre, avant qu'il ne pose les mains sur ses joues, en un geste qu'elle jugeait dénudé d'affection. Peut être faisait-il juste cela pour la regarder bien en face ?
Le voyage jusqu'au Monde Ordinaire ne lui réussissait vraiment pas. La Récolteuse l'avait bien compris, et elle s'en était même rendu compte par le fait qu'il soit extrêmement calme depuis le début du voyage, ce qui était déja étrange en soi. Il devait cacher quelque chose.

La jeune fille ne cessait de regarder le Chef des Raccommodeurs, qui semblait complètement perdu. Il finit par lui expliquer que quelque chose lui pesait sur l'estomac à cause d'une certaine autre chose qu'il devait donner à une personne dont il ne se rappelait plus. Et que, visiblement, cela n'allait pas passer s'il ne le faisait pas.
Heaven était quelques peu étonnée : le blond en venait à lui livrer des choses qu'il lui aurait sûrement caché en général s'il avait été dans son état habituel. C'est forcément quelque chose en lien avec le Monde Ordinaire.

Pendant qu'il jouait sans grande conviction avec ses cheveux, la demoiselle se posait des questions : devait-il de l'argent à un dealer ? Le simple fait d'associer Pit avec la drogue la dégoûtait. Ce produit illicite n'avait jamais rien fait de bon, comme la cigarette ou l'alcool, l'alcool étant la chose la moins dangereuse en terme d'habitude de consommation -sans excès- et des effets sur le long terme.
Oui, le trafic de drogue était une piste possible.

- Hey, tu me laisses rester avec toi ? Parce que... parce que...

La réplique fut soudaine, inattendue, comme cet éloignement et ce stress dont Pit semblait être en proie. Ce n'était qu'une simple phrase traduisant son besoin de compagnie, mais cela avait fait bondir le cœur de la Mésange dans sa poitrine. Il battait si fort à ce moment là, simplement parce que le Chef des Raccommodeurs avait clairement dit vouloir passer un peu de temps avec elle ! Elle en était aux anges.
Elle commençait à avoir peur de son étrange comportement depuis leur départ. Lorsqu'il commença à devenir plus agité, l'adolescente eut d'abord peur de s'approcher et de troubler le blond qui semblait voir des choses que lui seul pouvait voir.

Pourtant, elle finit par contredire ce qu'elle se disait, et s'était avancée vers lui, sans contact au premier abord, puis lui mettant une main sur l'épaule pour le calmer et lui signifier qu'elle était là, la glissant ensuite dans ses mèches blondes.
Elle avait quelques peu rompu le contact visuel pour ne pas qu'il se sente oppressé (dans son cas, parfois, le fait que les autres la fixent la rend vraiment mal à l'aise), puis s'était ensuite remise à le regarder, le Joker cherchant visiblement lui-même à s'accrocher à son regard.

- Calme-toi, Pitou, tout va bien, on est en sécurité ici...

Avait tenté de le rassurer Heaven, d'une voix faible et cassée par l'incompréhension et la fatigue, cessant alors ses caresses. Elle se sentait même mal elle aussi de le voir dans cet état là.
C'était risible d'avoir dit qu'ils étaient "en sécurité" alors qu'ils se trouvaient en ce moment-même dans la bouche d'une baleine qui avait ni plus ni moins essayé de les avaler (et y était parvenue sur le coup) juste avant.

Tout était étrange, Pit lui-même ne souriait plus, avouant même qu'il était bizarre en temps normal, essayant tant bien que mal de se souvenir de ce qu'il devait et à qui il le devait. Dans son explication, il disait même devoir "rendre le temps fructueux".
Cela fit tilt dans la tête de la Mésange : il travaillait jadis, d'où le fait qu'il rende le temps fructueux, et devait de l'argent, ce quelque chose si précieux, à quelqu'un.
Sa famille était-elle tant dans le besoin pour lui réclamer sa paye avec tant d'insistance ? À moins qu'il ne travaillait pour rembourser un bien ou un service... oui, de la drogue par exemple. Cela pouvait être même autre chose, comme des avances.
Son malaise présent était peut être dû au fait qu'il n'aimait pas son travail, ou que cette personne qui lui réclamait l'argent se faisait trop oppressante. Ou même les deux.

- Tu ne veux pas aller dans ma cabine, ou la tienne comme tu veux, pour pouvoir t'asseoir un peu ? Promis, je reste avec toi.

Lui demanda l'adolescente alors qu'elle récupérait ses habits et ses bottes dans sa cabine, réagissant au fait que le Chef des Raccommodeurs se plaignait d'avoir mal au ventre. Se mettre assis apaiserait peut être son mal, qui sait. Mine de rien, ils en avaient aussi bavé pendant le voyage.

- Si tu veux mon avis, je crois qu'avant tu travaillais et que tu devais de l'argent à quelqu'un. Je ne sais pas ce que tu faisais ni qui était cette personne, mais cela devait t'oppresser.

Rajouta-t-elle alors qu'elle finissait de rassembler tout ce qui lui fallait, n'osant même pas se diriger vers la porte des Douches de peur que le blond ne refuse de partir de la pièce.

La Mésange voulait aider, apparemment. Le Joker écouta les paroles. N'y accordant intérieurement qu'un soupir. Le reste restait un brin de marbre, un sourire vague pour la forme et l'habitude.

Une grande inspiration, et de quoi réfléchir dans l'esprit. Avant de prononcer des mots.

- Dans les couloirs, peut importe où. Mais ma chère, on doit pas aller dans les cabines qui ne sont pas les notre. Je vais respecter cette simple règle-là. Ici le jeu est différent.

Pit s'étira, recula vers la sortie. Il voulait reprendre le dessus, et surtout... il réfléchissait à ce que Heaven avait dit. Par rapport à l'angoisse qui lui collait à la peau. Ça ne lui plaisait pas du tout. Il détestait ça.

- Heaven, je veux pas ton avis. Il ne faut jamais supposer ou chercher ce qui a pu se passer avant l'Île. Ça compte pas.

Mortellement sérieux le bouffon.
Il ne plaisantait pas. Il ne riait pas au nez de tout et n'importe quoi. Il détestait qu'on cherche à retrouver le gamin dans la boue. Particulièrement à ce moment. Sans doute parce qu'en dehors du jeu, Pit avait conscience de ne pas tout savoir sur lui-même. Que des réponses à ses agissements qui font tant de peine aux rares en dehors du jeu se trouvent dans ce que l'Île avait pris. Il n'y avait plus aucune traces à part les marques d'impacts dans l'âme. Sur les cicatrices en tous genres.

Il se massa les tempes, avant de finalement relever la tête et de sourire à la poupée qui lui rappelait Stockholm. Pourquoi ce certain Stockholm ? Impossible de dire, mais Pit trouvait que ça allait bien. Poupée de Stockholm. Du rose alors que le monde était écoeurant.

Là, le sourire était sincère. Mais conscient de quelque chose que le joueur prenait soin de laisser dans la boue. Les restes de souvenirs pas encore disparus en entiers. Il n'en restait presque rien. Peut-être une image ou deux. Mais sans aucun lien, sans aucune explication. Le chef attendait simplement que l'Oubli fasse son oeuvre.

Le joueur reconnaissait la poupée face à lui, il lui avait changé de nom.

- Va te chercher quelque chose pour mieux t'habiller. Les serviettes n'ont jamais été considérées comme étant un vêtement.

Selon lui, selon celui qui se voyait pour un styliste.

Il ouvrit la porte.

Il faisait un peu tout pour ne pas penser à cette angoisse dans le ventre, il tentait de ne pas perdre la face. Garder le minimum de contrôle.

Il y avait bien une poupée, et une autre, et d'autres encore. Pourquoi ce serait différent ? Beaucoup se sentaient mal à cause de l'autre monde, Pit le traduisait peut-être de cette manière. Très probablement.

- Ça passera. Je retrouverai mon sourire bientôt, tu sais que je lâche pas si facilement.

Heaven attendait patiemment que le Chef des Raccommodeurs se décide à avancer, un peu anxieuse à propos du fait qu'elle se soit peut être trompée sur ce qu'elle avait supputé. C'était si rare que Pit ne se livre sur son passé, et même si c'était nébuleux, cela paraissait beaucoup le contrarier. Était-ce l'origine de son comportement actuel ?
La Mésange ne put s'étaler d'avantage sur ses suppositions, car déja, le blond lui répondait qu'ils seraient mieux dans les couloirs ou ailleurs, mais pas dans la cabine de l'un ou de l'autre, car ce n'était pas permis. Il disait que c'était une règle simple qu'il allait respecter car le Jeu ici était différent.

- Ah... Ah oui ?

Avait alors lâché la jeune fille, un peu perdue. Elle ne savait pas exactement s'il était sérieux ou non en disant cela.
Ce n'était pas le "Ah oui ici c'est différent du Jeu ?", ça elle le savait, mais le "Ah oui on a pas le droit d'aller dans les cabines d'autrui ?". Pourtant il avait semblé à la Récolteuse qu'elle avait vu des Perdus se rejoindre dans des cabines qui n'étaient pas les leurs...

Lorsque Pit se recula, elle fut sur ses talons, tel un bon chien suivant son maître. Elle avait un peu de mal à maintenir ses vêtements en plus de sa "serviette de fortune" qu'elle failli même raccrocher à la clanche de sa cabine de douche à un moment donné.

- Heaven, je veux pas ton avis. Il ne faut jamais supposer ou chercher ce qui a pu se passer avant l'Île. Ça compte pas.

Stop.

L'adolescent s'arrête, regardant le Joker qui paraissait tout sauf plaisanter. Elle baissa alors les yeux, voulant avec empressement s'enterrer six pieds sous terre, ou, dans l'instant présent, vingt mille lieues sous les mers. Il l'avait si sèchement rembarrée alors qu'elle essayait d'aider que cela lui fit tout de suite regretter ses paroles.
Heaven avait parfois l'impression de faire des choses de travers face au blond, comme par exemple dire des choses qui lui auraient semblé réconfortantes ou apaisantes et qui ne lui faisaient que du mal, à lui. Parfois, oui, elle ne semblait pas le comprendre, et elle se disait que cela l'éloignait de lui.

- P-pardon, je... je savais pas mais... Oui, j'aurais dû m'en douter...

La Mésange resta un moment sans rien dire, tête baissée, et ne releva les yeux qu'après un temps, juste le temps de voir que le sourire était revenu sur les lèvres de Pit. Étrangement, cela ne la rassura pas plus que cela, maintenant qu'elle se sentait honteuse d'avoir fait un faux pas.
Et lorsque le Chef des Raccommodeurs lui demanda d'aller chercher autre chose que sa serviette pour s'habiller, elle ne voulut pas le contredire en disant que ce n'était pas exactement une serviette mais un drap qu'elle portait, et garda le silence sans répondre. De toute façon, elle n'avait rien d'autre à se mettre si ce n'est ses affaires encore mouillées.

- Ça passera. Je retrouverai mon sourire bientôt, tu sais que je lâche pas si facilement.

Rajouta l'adolescent en ouvrant la porte. La Récolteuse releva la tête pour de bon, les yeux brillants de larmes qui ne coulaient pas. Elle détestait être aussi émotive durant une certaine période, elle s'était sentie tellement mal pendant un moment qu'elle avait failli en pleurer.
Et maintenant, elle était si heureuse que Pit ait pratiquement lu dans ses pensées qu'elle... en pleurait presque. Encore.

- Je n'en doute pas...

Fit la jeune fille avec un fin sourire. Alors, le Joker n'allait pas rester étrange comme il l'était aujourd'hui, c'est cela ? Quelle bonne nouvelle... C'est qu'Heaven ne savait plus où se mettre, avec tout ça.
Un temps.

- Par contre, Pitou, tu peux m'attendre un peu le temps que je me change ? Je serai pas longue...

Conclut-elle, disparaissant dans sa douche aussi vite qu'elle en était sortie. C'est qu'elle n'avait rien d'autre à se mettre que ses affaires mouillées, ce qui en soi était assez désagréable physiquement parlant mais aussi, augmentait le risque de rhume.
Pourtant, la Mésange s'habilla de mauvaise grâce, se couvrant le dos et les épaules de son drap-serviette afin d'avoir un peu moins froid. Les bottes, au moins, avaient le mérite d'être sèches.

- C'est idiot, mais je n'avais que ça à me mettre sur le dos...

Dit-elle en sortant de sa douche, et cette fois pour de bon. L'adolescente se passa distraitement la main dans les cheveux, rougissante de honte parce qu'elle n'avait pas prévu de rechange et qu'elle avait décidé de faire sa lessive en même temps que de se laver.
Au moins, l'odeur de la bave de cétacé s'était un peu atténuée, mais dans un sens, Heaven n'avait -pour une fois- pas prévu de rester autant de temps en compagnie de Pit. Sinon, elle serait bien restée dans son drap dans un coin le temps que toutes ses affaires sèchent. Cela ne la dérangeait pas, elle.
Mais il fallait faire plaisir au Joker avant tout, c'est ce qu'elle avait décrété.

- Viens, on bouge. On arrivera peut être à trouver un coin où se poser, qui sait...

Déclara la Récolteuse. Et sur ces mots, elle prit les devants et s'engagea dans le couloir de métal.