Même s'il l'avait souhaité de tout son être, jamais il n'aurait pu devenir le combattant qu'il pense incarner. Un accident brutal dans l'usine où il travaillait depuis des années lui a laissé des dégâts irréversibles au niveau de son dos. Rien dont il ne se plaint, sauf que Samurai a du mal à lever les bras au-dessus de sa tête. Tant que ça ne gêne pas pour transporter des choses, ce n'est pas dramatique, et il se garde bien d'en parler. Si quelqu'un venait à le découvrir, il dirait que c'est une blessure de guerre, causée par un ennemi puissant l'ayant attaqué par derrière, comme un traître. Mieux vaut ça que de se souvenir qu'il a failli mourir, écrasé par du métal. La longue ligne qui lui traverse le dos ne l'empêche pourtant pas d'avoir son épée accrochée à cet endroit en permanence. C'est d'ailleurs pour ça qu'il porte toujours une tenue épaisse. Sinon le manche de l'épée frotte contre la cicatrice et c'est douloureux. Et puis, ce n'est pas un accoutrement ridicule. Non, c'est sa tenue de samurai. Avec la veste du Shinsengumi, une prodigieuse équipe qui a défendu son pays il y a longtemps. Enfin, quelque chose du genre. Parce que sa mémoire est floue, et que tout cela est arrivé bien avant sa naissance. Généralement, il porte cette veste ample par-dessus des vêtements plus simples. D'ailleurs, si auparavant Samurai portait des chaussures traditionnelles, cela fait bien longtemps qu'il les a perdu et qu'il se balade pieds-nus. Sauf si la météo ne le permet vraiment pas. Ou le boulot.

Avoir travaillé la majorité de son existence aurait pu lui ruiner la santé outre son accident. Sauf que non, il est au contraire résistant à tout. Par contre, c'est le premier à se plaindre s'il se coupe ou qu'il salie sa veste adorée. Le sang ne le dérange pas le moins du monde, sauf si c'est le sien. Là c'est toujours plus problématique, surtout que ça fait mal. Pourtant, il lui en faudra beaucoup pour que les plaintes exagérées deviennent véritablement une preuve de souffrance. D'une taille d'un mètre cinquante-quatre Samurai ne se distingue pas des enfants un peu plus jeunes venant d'autre pays. De toute manière, mieux vaut parfois se fondre dans la masse.

Ses yeux ne sont pas bleus, contrairement à ce qu'il prétend. Leur gris un peu plus clair que la moyenne pour un Japonais se reflète juste plus facilement avec ce qui l'entoure. C'est sa couleur fétiche, et il adore accrocher un ruban bleuté dans sa chevelure en bazar pour les maintenir en place. Détachés, ils arrivent tout de même au niveau de ses omoplates, ce qui est peu pratique pour courir partout. Alors il effectue souvent une queue de cheval haute le matin avant de commencer sa journée. Autant Samurai lave sa chevelure avec soin, autant il ne la brosse pas. Pas le temps, flemmardise. En tout cas, il ressemble à un hérisson avec sa tignasse.

Il est du genre à se retrouver couvert de poussière à la fin de la journée, pour avoir voulu aller trop vite, avec un entrain trop prenant. Alors son écharpe blanche se prend quelque part. Ou encore le fourreau de son épée. Parfois c'est sa tenue qui accroche un buisson. Et il chute, ou bien il trébuche tout du moins. Et le voilà passant sa soirée vers la rivière à laver et relaver ses pauvres vêtements lui-même parce qu'il n'a pas envie que Peter le voit tout tâché. C'est dans son code d'honneur, d'avoir l'air bien sur lui. De toute façon, au dîner, ce n'est jamais le plus enclin à piocher dans son assiette. En effet, son estomac ne s'est jamais habitué aux goûts de ses compagnons, alors il mange toujours la même chose, à la même place, après avoir retiré sa veste pour ne pas la salir lors d'une bataille de nourriture. Vous avez déjà essayé de retirer une énorme tâche de framboise sur un tissu bleu vous ? Pensez un peu aux mères !

Une chose que Samurai ne fait que rarement, en vérité. Sans doute parce que les démonstrations d'affection n'étaient pas courantes durant son enfance, que sa mère s'est sans doute tuée en travaillant trop peu après son départ. Alors, celle qui est supposée veiller sur lui est lointaine à ses yeux. Cependant, il fait tout de même attention à ne pas lui apporter de travail supplémentaire, parce qu'il sera un bon fils, cette fois ci. Pas que nouer des liens lui paraisse évident même avec les autres perdus. Il peut se montrer sympathique et les aider, mais il ne ressent rien lors de leur disparation. Comme si la mort n'était pas quelque chose de réel. Pensait-il ainsi avant de se retrouver sur cette île merveilleuse ? Sans doute que non.

Tout est altéré ici. Le bien et le mal sont devenues des notions abstraites, replacées par l'adoration de Peter et les attaques des pirates. Lors des duels contre les membres de son propre camp, Samurai ne sort pas son épée de son fourreau. Il se contente d'esquiver un maximum pour épuiser son adversaire, de lui sourire tout en courant partout. Jusqu'à ce que l'autre se fatigue. Alors là, il se déchaîne, frappant jusqu'à ce que ses mains soient maculées de sang. Sa force physique n'est pas très grande, mais ça l'excite de se battre, ça lui donne l'impression de devenir quelqu'un digne de faire couler le sang des méchants.

Parfois, Samurai rêve de trancher la tête d'un autre enfant. Juste pour voir ce que ça ferait. Ou bien d'un pirate. Sauf qu'ils sont trop grands et que ses bras sont faibles à cause de son dos abîmé. Alors il ne le fera jamais, c'est évident. Peter serait déçu. Et puis, les livreurs ne sont pas des assassins. C'est mal de se détourner de sa mission principale et de se comporter comme un enfant gâté voulant tout posséder. Il n'ignore pas qu'il est injuste et parfois même cruel, parce que Peter est le seul à avoir raison. Et qu'il n'écoute pas. Bon sang, si seulement il écoutait au lieu d'entendre sans même regarder qui s’adresse à lui. Samurai ne fait pas attention à ce qui l'entoure, enfermé dans le même jeu incertain depuis son arrivée ici. Tout est fantastique, amusant, et exaltant.

Et pourtant, c'est cette frasque qui risque de l'emporter un jour.

✘ Son épée reste pratiquement en permanence dans son fourreau. En vérité, Samurai a peur de la briser, et ne sait toujours pas s'en servir correctement après tout ce temps. C'est son trésor, un qu'il a nommé Fin du monde en Japonais (Sekai no Owari). Il faut savoir que l'objet, volé dans un musée, a bel et bien appartenu à un véritable samurai. Et elle est plutôt en bon état.

✘ Pendant très longtemps, les Anglais le dégoûtaient. Et, il en est venu à se persuader que tous ceux que Peter sauvaient devenaient autre chose, et méritaient la vie. Contrairement aux colonialistes qui sont venus distribuer leur marchandise maudite dans son pays.

✘ Samurai s'est inventé un passé complexe, avec tant d'histoires merveilleuses qu'il lui arrive régulièrement de se mélanger. Notamment au niveau des noms des batailles où il prétend avoir été présent. Dans son esprit, il est un véritable héros, et pas un enfant prétendant l'être.

✘ Ayant passé de longues années à travailler sans aller à l'école, Samurai sait à peine lire sa langue maternelle. Quand à l'Anglais, il est toujours en train d'apprendre. La connaissance est la clef du pouvoir, mais lui ne veut pas régner. Seulement se sacrifier pour que Peter puisse prendre un trône qu'il possède déjà.

✘ Incapable de nager, ou plutôt n'ayant pas eu l'occasion d'apprendre, le gamin perdu évite l'eau en dehors de la rivière. Sans compter que trimballer une épée et une veste encombrante ne sont pas les meilleurs moyens de traverser une étendue d'eau. La mer, il ne s'en approche pas, se méfiant plus de la noyade que des sirènes attendant qu'il ne respire plus pour dévorer son corps.

✘ Dormir entouré d'autres gosses ne le dérange pas le moins du monde. D'ailleurs, il lui est impossible de s'endormir dans un silence complet. Ça le dérange, lui qui partageait une chambre avec toute sa famille dans l'ancien monde. Alors un gamin qui ronfle c'est plutôt relaxant.

✘ Le gamin a un tic verbal dans le son "ne", une particule Japonaise qui n'a rien à faire dans ses phrases en Anglais. Il s'en sert quand même pour dire 'n'est-ce pas', ce qui peut être déstabilisant lorsqu'on a pas l'habitude.

✘ Samurai adore avoir de longues conversations avec son épée. Ou plutôt il s'exprime à voix haute en déambulant sur l'île pour faire son travail et prétend s'adresser à son arme adorée. Même s'il est vrai que c'est une preuve de solitude, l'adolescent ne s'en rend pas compte.

✘ Possède une profonde aversion de la technologie causée par l'accident à l'usine.

Une terre supposée être bénie et dévouée de cruauté, voilà ce que devrait être Never Never Land. Sauf que c'est un terrain de combats et de crimes où les adultes pensent être en mesure de détruire le monde. Ce monde réclame justice, et il doit s'atteler à réaliser les rêves de Peter, même s'ils changent chaque matin pour s'effacer avec le coucher du soleil. Et pourtant, malgré les moments difficiles et tout ce qui se trame, c'est sa demeure. Tout devient merveilleux ici, comme un arbre étant un palais à ses yeux, ou encore des baies fraîches aussi bonnes que le plus cher des festins. Samurai adore ce monde, et son créateur. Tout à ses yeux n'est qu'une sorte de jeu géant où il est un participant comblé de bonheur lorsqu'on lui confie des tâches dénuées d'importance. Rien ne lui réchauffe plus le cœur que de bien faire son travail de livreur et il ne refuse jamais de donner un coup de main à ses camarades.

Avant, il pense qu'il était le plus grand des samurai, et que son maître lui a confié la lourde tâche de protéger ce qui est devenu la réalité. Sauf que non, tout ceci est faux. Le temps des samurai était déjà révolu depuis longtemps et lui n'a fait que voler une épée dans un musée. Une qu'il trimballe toujours avec lui d'ailleurs. Alors non, rien de tout ça ne lui manque. De toute façon, oublier a été une chance, et Samurai ne fait pas le moindre effort pour faire fonctionner sa mémoire de temps en temps.

Peter est Dieu. Ou tout du moins un esprit protecteur ayant accepté de prendre forme humaine pour les bénir. Il ne peut pas y avoir qu'une unique divinité, alors tout ce qui existe sur l'île est une sorte de créature inférieure qu'il a sans doute créé pour l'assister. Samurai ne sait pas trop, en vérité, il assume et le fait trop franchement. Ainsi, il lui semble simple de défendre Peter haut et fort même lorsque ce dernier commet des actes impardonnables. Sauf que rien ne l'est si c'est leur chef qui en décide. Et là se situe toute la stupidité de l'acceptation aveugle de Samurai pour Peter.

Hook ne peut pas disparaître, sinon plus personne n'aurait besoin des héros que sont les enfants perdus. Et pourtant, sa mort serait un tel soulagement. La paix serait rétablie et tout irait bien. Samurai ne désire pas une telle chose, il veut que le jeu continue jusqu'à la fin des temps, pour que personne n'en vienne à sombre dans l'ennui. Qu'importe si les pirates décèdent, ou même les enfants de son camp. Après tout, il y en aura des nouveaux, et c'est ça qui est bien. Samurai ne sera plus jamais seul ici, avec tant d'amis dont il ne retient même pas les noms.

★ La première fois, il ne fut pas un bon fils. Dans un monde ruiné par des conflits qui s'amenuisaient, l'enfant rêva d'une nouvelle guerre. Une qui ignorerait les fusils et les canons pour revenir aux épées, si belles et brillantes. N'importe quoi pour croire que ce qu'il subissait n'était pas quelque chose de définitif.

Avant 1911, il n'y avait aucune loi sur le travail des enfants. Alors, né quelques années avant cette date fatidique, l'enfant se retrouva dès sa plus tendre enfance à soutenir une mère éplorée. Une veuve qui pleurait un mari qui était déjà trop loin pour compter à ses yeux. Mais ce fut sa ligne de défense face au monde. La seule manière que sa mère trouva pour justifier sa fatigue et son manque d'envie de vivre. Une excuse comme une autre, quoique pathétique. Ce fut son ancre à elle, sa façon de se raccrocher à quelque chose tout en sombrant petit à petit.

L'enfant fut secondaire, considéré plus comme un soutien qu'un trésor. Une façon pour eux deux de rester en vie, parce que c'était ainsi qu'ils devaient demeurer. Ensemble, et misérables. Les rizières n'étaient pas le pire endroit où se trouver. Juste un peu trop humides et froides à certains moments. Et puis, ce n'était que quelques heures par jour. Trébucher devint une habitude, et les bêtes qui frôlaient ses chevilles cessèrent de lui faire peur rapidement.

Parfois, l'eau se tâchait de rouge à cause d'une vilaine coupure et le patron leur criait dessus, comme si c'était de sa faute s'il était trop jeune pour une quelle tâche. L'enfant se contentait de sourire, de faire comme s'il n'avait rien entendu ni vu. Et, ainsi, avant son dixième anniversaire, la réalité s'effaçait déjà de son esprit, au fur et à mesure que rien de ce qu'il accomplissait n'était suffisant.

L'usine fut un changement presque plaisant. Du froid et de l'humidité, il passa à la chaleur étouffante et à la lumière presque absente dès que le soleil se couchait. A présent, il fallait avoir douze ans pour travailler, et pas plus de douze heures par jour. Un traitement presque trop gentil, n'est-ce pas ? Une faveur, répéta la patron qui l'embaucha dans un coin de l'usine après lui avoir à peine lancé un coup d’œil. Sa mère était dans une autre partie. Assez loin pour qu'il ne la croise que dans le dortoir où ils s'entassaient avec d'autres proches qui s'endormaient sans avoir le moindre loisir.

L'enfant n'était pas ainsi, et malgré l'heure avancée de la nuit, il aimait à s'échapper pour respirer l'air frais, marchant pendant un moment jusqu'à trouver le lieu parfait pour disparaître. Les adultes finissaient après lui en général, alors il se laissait attirer par les autres gosses dans des jeux idiots. Comme celui d'entrer dans un musée après la fermeture pour observer des objets auxquels ils ne comprenaient rien. Peu savaient lire correctement, et le gamin n'échappait pas à la règle.

Ce fut dans ce musée qu'il tomba amoureux de son épée, et également que son passé lui revint en mémoire.

Son nom n'avait pas d'importance. Quand à son maître, le pauvre était mort depuis si longtemps, assassiné par la faction ennemie. Un tragique événement dont il parvint à se rappeler seul dans la salle austère où des statues le jugeaient derrière des vitres. Ses mains pressèrent un peu contre celle qui emprisonnait sa promise. Le silence était pratiquement étouffant, alors que l'enfant se demanda pourquoi est-ce qu'il s'était perdu en chemin. Sa mère l'avait-elle kidnappé avant de prétendre qu'il était sien pour éviter qu'il ne soit assassiné par des rivaux ? La solution la plus probable.

Lorsqu'il revint au dortoir quelques heures plus tard, le gosse se glissa sous ses couvertures, un sourire aux lèvres. Les autres enfants étaient rentrés bien plus tôt, mais il n'avait plus prêté attention à eux depuis déjà longtemps. Bientôt, il allait quitter l'usine lorsque ses compagnons viendraient le chercher. Par conséquent, ils pourraient reprendre le Japon au nom de leur maître.

Dehors, les cheminées de l'usine crachaient toujours la même fumée noire indiquant que ce temps était déjà révolu.


★ Jamais il ne s'égara lors de ses escapades au coucher du soleil. Comme si la ville qui ne cessait de grandir s'était transformée en un vaste terrain de jeu qu'il connaissait par cœur. Pourtant, un tel endroit ne possédait rien de fascinant, pas alors que les gens s'éteignaient trop tôt de part leur mode de vie, ou que tout était toujours sale et poussiéreux. Bien vite, le garçon s'éloigna des autres enfants pour vivre ses propres aventures. Il se mit à poser des questions sur ses anciens compagnons à sa mère, qui cessa de lui répondre pour ne pas l'encourager dans cette voie idiote.

Vouloir échapper à la réalité ne changerait rien. Il devait travailler plus dur s'il voulait avoir une chance d'avoir quelques années de bonheur vers la fin de sa vie. Sauf qu'au lieu de rêver au futur, il ne s'intéressa qu'au passé. Au point de se glisser dans le musée chaque soir pour observer cette épée qui avait été la sienne dans une autre vie. Un jour, il serait un héros, le plus grand d'entre eux, au lieu d'être un gamin épuisé qui ne savait même pas ce qu'était un jour de repos.

Tout s'écroula avec la maintenance pitoyable de l'usine. Quelqu'un aurait dû vérifier les boulons au moins une fois, au lieu de les fixer n'importe comment. L'enfant a tout oublié de cela, mais ce jour là, la peur lui dévora le ventre tandis que le métal fit un bruit assourdissant derrière lui. Et tout devint noir, jusqu'à ce qu'il se réveille avec l'impression d'avoir été avalé par un dragon de feu, puis recraché sans ménagement.

Sa mère pleura beaucoup. Les médicaments coûtaient chers, tout comme le médecin. Et puis, ce n'était pas comme si son enfant était paralysé. Par conséquent, autant essayer de garder quelques économies.

Après ça, travailler à l'usine devint plus complexe pour l'enfant de treize ans. Il vint moins souvent alors que la cicatrice naissait lentement dans sa chair, lui infligeant un souvenir permanent que quelque chose était arrivé.

L'éloignement avec la réalité se fit de plus en plus présent, au point que son esprit cessa tout simplement de considérer que ce qu'il devait subir se produisait véritablement. Bientôt la vitre qui le séparait de la vie qu'il aurait dû avoir le mit dans une rage insurmontable. Chaque nuit, alors qu'il s'infiltrait dans le musée, ses ongles tentaient de laisser des marques sur cette barrière transparente qui paraissait le narguer. Six mois après l'accident, le travail était devenu plus complexe, et sa place sur la chaîne de production ne cessait de changer pour s'adapter. Sauf que le contremaître s'énervait plus qu'autre chose de devoir faire un effort pour un gosse inutile.

Se plaindre était un luxe, et l'enfant ne le possédait pas.


★ Difficile de dire à quel moment il cessa d'exister en tant qu'enfant exploité pour renaître comme un samurai. Une nuit un peu plus chaude que les autres fut le témoin de ce changement, et ses vêtements lui collaient à la peau alors qu'il courrait dans les rues sombres en plein milieu de la nuit. Impossible de se reposer, et la chaleur ne cessait de le réveiller dès qu'il osait fermer les yeux.

Autant se rendre au musée et vagabonder dans les différentes salles pendant quelques heures. Quelques jours plus tôt, une troupe de théâtre était passée en ville, et il avait volé un costume qui pour lui était vraiment une veste de samurai. Ce n'était qu'une reproduction destinée à rejouer des scènes du passé, sauf que l'enfant ne s'en rendit pas compte. Elle lui allait si bien, et personne n'était là pour se moquer.

A mi-chemin, le sol se mit à vibrer sous ses pieds, le projetant sur le sol sans crier gare. Un tremblement de terre n'était pas ce à quoi le garçon s'attendait en s'échappant à la lumière de la lune. Rien ne s'écroula, la magnitude n'étant pas assez forte pour cela, mais quelques vitres explosèrent dans la rue. Oh non, son épée !

Si le monde se réveillait, alors quelqu'un risquait de venir la lui prendre. Sa seule et unique amie, faite prisonnière par des ennemis aussi cruels que le contremaître, ne méritait pas un tel sort. Alors, malgré un genou en sang, il se força à marcher jusqu'au musée. Personne n'était encore là, mais un gardien risquait de venir vérifier que tout était en place.

La première chose que son regard capta fut la fêlure qui traversait la vitre de haut en bas. Exactement comme sa cicatrice. Un signe, une invitation à prendre sa destinée en main. Et si le tremblement de terre était en fait un avertissement. Les monstres du passé risquaient de revenir à la vie pour plonger le monde dans le chaos et faire pleurer les enfants. Perdu, il chercha quelque chose pour terminer le travail avant qu'un soldat n'arrive pour lui trancher la tête.

Une chaise, destinée au gardien de la salle durant la journée, attira son attention. Sauf que son dos n'allait pas supporter un tel effort. Et qu'il risquait de finir incapable de bouger. Pourtant c'était son destin, son avenir et son seul espoir de ne pas finir par se faire tuer au travail. Alors le gamin traîna la chaise vers la vitre, pour la soulever de ses mains tremblantes.

La douleur fut assez intense pour que ses yeux se retrouvent baignés de larmes. Terrifié par ce qui risquait d'arriver à son dos, il balança la chaise contre le verre de toutes ses forces. Des morceaux de verres l'entourèrent, coupant ses mains et une de ses joues. C'était douloureux et sa vision devint floue à cause de ses pleurs.

Sauf que la joie qui traversa son cœur à cet instant fut plus forte que tout. Passant ses mains au travers de ce qui restait de la vitre, l'enfant récupéra ce qui avait toujours été à lui. Chancelant, il parvint à s'échapper dans la nuit. Dehors, des habitants étaient sortis pour constater les dégâts, et il fit de son mieux pour les éviter, serrant l'épée dans ses bras tout en avançant lentement. Un pas devant l'autre, sans s'écrouler. Son dos le brûlait de nouveau, et une fois qu'il se retrouva dans les champs, son corps céda.

Allongé dans l'herbe, l'enfant vida le contenu de son estomac à ses côtés, tentant ensuite de reprendre son souffle. Il se remit en route après quelques minutes, essayant de trouver la bonne direction. Où était le passé et cette ère glorieuse à laquelle il souhaitait appartenir ? Au Nord ou bien au Sud ?  

Finalement, l'enfant alla à gauche, sans savoir à quelle direction cela correspondait. Quelle importance ? Il laissa ses pas le guider pendant plusieurs heures, jusqu'à tomber de fatigue près d'une route. S'asseyant contre un arbre, il leva les yeux vers le ciel, ses mains serrant son seul allié dans ce monde. La beauté de la lame lui parlait plus que n'importe quoi d'autre. Comme si ses mensonges possédaient un fond de réalité. Sauf que ce n'était pas possible, et qu'il s'était déjà perdu trop loin pour revenir en arrière.

C'est ainsi que Peter vint à sa rencontre. Un enfant étrange qui avait réussi à le trouver malgré l'absence de lumière dans la campagne Japonaise.

Sans hésitation, il décida de le suivre.

Après tout, Peter était le maître qu'il avait tant attendu.


★ Samurai. C'est comme ça qu'un gosse l'appelle le premier jour. C'est d'ailleurs le seul foutu mot qu'il pige au départ, parce que l'Anglais lui fait tourner la tête. Mais Peter semble content, alors il se contente d'accepter son nom. Celui qu'il avait toujours rêvé de porter comme un titre. Oh, c'est déjà loin tout ça. Et il adore être Samurai, celui qui se trimballe avec sa veste de costume et son épée accrochée dans son dos en permanence. Il s'amuse, il existe. Et puis sur l'île, il y a des pirates et des monstres à combattre.

L'Anglais lui vient très lentement, mot à mot. Au contraire de son nouveau travail. Au début, on lui assigne la tâche de grimpeur, sauf que c'est impossible avec son dos. Samurai ne le dit pas, parce que c'est un secret. Pourtant, après sa quatrième chute en quelques jours, on le change de groupe pour ne pas qu'il serve à rien. Et puis livreur, il semble être fait pour cela. Son esprit imprime l'île rapidement, comme s'il en avait toujours fait parti. Et c'est le cas, pour Samurai. Il autorise le passé à disparaître parce qu'il a commencé à le remplacer par ses fantaisies depuis longtemps.

Il transporte l'eau avec un sourire, observe les autres garçons perdus qui marchent à ses côtés, et prétend même retenir leurs noms au début.


★ Tout dérape de temps en temps. Un peu comme la météo qui se fait changeante. La canicule a été particulièrement terrible ces derniers temps. Assez pour que Samurai doive cesser de porter sa veste bleue adorée parce qu'il a l'impression d'étouffer. Même son épée est devenue trop lourde. L'eau est supposée être la plus belle ressource en ce monde, après les sourires de Peter, et pourtant elle manque tant que le garçon a presque envisagé le fait que le jeu ne lui plaisait plus.

Presque un crime. Beaucoup ont disparu, ou plutôt péris, durant cette période. Bien sûr, Samurai s'en fiche, et il remarque plus le nombre que les visages familiers qui ne sont plus présents. Il reçoit un choc en tombant sur le cadavre d'un autre enfant perdu pourtant. C'est sa énième quête d'un point d'eau, lorsque ses pieds trébuchent sur un corps. Sans doute est-ce la soif ou la chaleur qui a causé le décès. Il ne s'interroge pas là-dessus.

Pour une fois, Samurai reconnait son vis-à-vis ; Slumber. Un des rares à comprendre le Japonais, même s'il ne l'a jamais apprécié. L'autre a vécu en Angleterre ou quelque chose du genre. En fait, plus il observe le corps à ses pieds, moins il parvient à se souvenir de ses raisons pour ne pas supporter le plus jeune. Quelle importance, il est mort. Et personne n'est présent, alors il pourrait faire n'importe quoi.

Même tirer son épée de son fourreau et décapiter celui qui ne risque plus de crier. L'envie est sagement tapie dans le creux de son ventre depuis plusieurs minutes déjà, lorsque Samurai réalise qu'il n'en était pas capable. Ce n'est pas le bon moment, et puis ça risque de salir sa lame.

Alors il décide de s'enfuir.