« Tu es un bâtard.
Un homme s’appelle Homme.
Un crime s’appelle Crime.
Un bâtard s’appelle Bâtard.
Jamais, on ne t’as donné ce nom.
Jamais, on ne t’a jeté la pierre.
Mais tu te nommes Bâtard.
Car tu l’es.


Non, tu es un huron.
Tu es chez toi. Chez toi.
Vois.
Ta famille qui t’entoure et t’aime.
Et tu les aimes en retour.
Mais quelque chose ne va pas.
Tu te sens sale dans les veines.
Ton bonheur est agité par tes doutes.
Mes doutes.


Tu es un huron. N’oublie pas.
N’oublie jamais.
Même si tu cries parfois.
Même si tu t’agites souvent.
Même si tu cours.
Même si tu frappes.
Même si tu tiens tête.
Même si tu aimes et hais comme un fou.
Pour de bonnes raisons pourtant.
Tu es un huron. Ça fait partie de ton sang.
Ton sang sale.


Ils t’excusent.
Ils excusent tout.
Car ce sont des hurons.
Ils sont comme ça.
Et pour cela, on les a nommés Huron.
Tu reconnais tes fautes et tu obéis.
Pardon.
Mais tu recommenceras.
Tu recommences toujours.


A côté de toi.
Regarde.
Il est là.
Près de toi.
Tout près.
C’est ton jumeau. C’est ta moitié.
Tu reconnais ta mère en lui.
Tu reconnais cette même mère en toi.
Et tu lis en vous deux, les mêmes traits d’étrangers.
Tu peines pourtant à croire qu’il est le fruit du même crime.
Que vous êtes de la même source.
Le meilleur de toi.
Lui.
Le pire de lui.
Toi.
C’est comme ça que tu vois les choses.
En bonne ombre, tu te plies sous ses mots, ses caprices.
En bonne ombre, tu le protèges et le couvres.
Et tu l’aimes.
Ce petit miracle.


Plus loin.
Tu vois.
Maman.
Douce et gentille.
Mais salie.
Elle qui vous transmet l’honnêteté et la bonté.
Elle qui agit toujours avec droiture envers les autres.
Le sort est ingrat.
Un l’a pourtant salie, un jour.
Il lui a laissée deux souvenirs chauds, qui grandissent auprès d’elle.
Qui l’a vengée ?
Qui l’a honorée ?
Personne.
Pour l’instant.


Toi, tu le feras.
Tu tueras cet homme.
Tu le hais sans le connaître.
Non.
Au fond, tu le connais si bien.
Le noir qui est en toi, la suie mauvaise dans tes veines.
C’est lui.
Lui qui ronronne en toi.
Satisfait de tes violences.


Les regards sont consternés.
Tu as encore frappé.
C’était pourtant pour protéger.
Venant de toi, ce n’est pas étonnant, si ?
Tu es un bâtard, après tout.
Né du viol.
Mais ils ne le diront pas.
Parce qu’ils sont hurons.
Parce qu’ils t’aiment.
Toi tu sais ce qu’ils ne peuvent pas avouer.
Ta conscience te le murmure pour eux.


Ta mère t’enlace.
Ce n’est pas grave.
Elle est si fière.
Toi.
Son fils.
Plus brave qu’un Picaninny.
Mais tout de même.
Ne recommence pas. D’accord ?
D’accord.


Ta mère a raison.
Tu peux être brave.
Aussi brave qu’un pirate.
Tu es un bâtard.







…


Stop.

STOP.

Brise cette boucle.
Freine le manège infernal.
Délasse les bras de ta mère.
Arrache-toi au cœur de ton frère.
Ton devoir t’appelle.
La vengeance te réclame.


Lave le sang des frères dans celui du père.
Lave la chair de ta mère, rends-le à la terre.


Tu dois le tuer.
Tu dois le terrasser.
Mais les hurons ne tuent pas.
Mais les hurons ne blessent pas.
Soit.
Pour cette tâche, abandonne ce nom pour un autre.
Quitte ta famille pour une armée plus vaste.
Laisse les tiens pour mieux les retrouver.
A ton retour, tu seras lavé.
Pur.
Un huron authentique.


Ce sera dur.
Tu le sais.
Ça fera mal.
Tu n’as pas peur.

Car tu es Porc-épic Impétueux.
Tu seras digne d’être huron. »

Le monde est si petit.
C’est une main avide qui se resserre,
Qui presse les individus.
Elle les confronte, elle les rassemble
Et parfois, elle les mange.

Le monde est trouble.
Il est facile de s’y vicier,
Jerk le sait.
Quand il a quitté sa moitié
Son univers s’est encore tassé sur lui-même.
Puis la douleur s’est lassée,
Une nouvelle liberté s’est offerte à lui.
Terrifiante,
Grisante.

Mais il ne faut pas.
Il y a des règles, il y a le devoir.
Jerk ne compte pas les abandonner.
Car c’est son ciment, son squelette.

Ça peut paraître insensé,
Cette droiture
Qu’il porte gravée sur sa figure
Qu’il applique sans trêve.
Mais c’est ce qui l’a dressé,
Ce qui l’a bâti.

Son cœur, pourtant, s’arrache à cette discipline.
« C’est un outil pour comprendre,
Pas pour penser. »
Lui disait sa mère.
Mais il est ainsi, il n’y peut rien.
Son noyau est trop tendre, trop mou.
Trop enclin à s’attacher quand on lui tend la main.
Trop enclin à s’enflammer quand on s’en prend aux siens
Il attendrit son regard
Il donne un léger sourire à sa figure de roc.

Jerk, ils l’appellent.
Un nom qui racle les gorges.
Parce qu’il est brusque, parce qu’il est secousse.
Jerk, ils l’appellent.
Une légère moquerie passe dans les regards.
Mais il ne répond pas,
Car il sait reconnaître la crainte derrière les rires
Et la méfiance derrière les murmures.
Face au temps, la peur passe.
Et des amis apparaissent.

Face au temps,
Le passé se dérobe aussi.
Il a beau lister les noms,
Se rappeler les visages…
Ce qui faisait son quotidien est devenu lointain.
Ceux qui lui étaient proches deviennent distants.

Alors il s’accroche
À des miettes,
À des bribes,
À des détails insignifiants.
L’odeur de sa mère qu’il retrouve dans les champs,
Les rires de ses amis dans le chant de la cascade
La paix du camp dans le silence des bois.
Pourtant sa mémoire s’estompe
Irrépressiblement.

Mais il y en a un qui ne le quittera pas,
Il y en a un qu’il se sait incapable d’oublier.
Lui.

Tandis qu’il se penche sur son reflet,
Il le voit
Et alors son cœur s’allège.
Car dans ses yeux sombres et durs,
Il voit les siens, rêveurs mais perçants.
Car sous sa peau caramel et rugueuse,
Il devine la sienne, douce et fine.
Jerk sait :
Il ne peut pas l’oublier,
C’est impossible.

Les autres s’interrogent parfois
Quand ils le voient fixer son reflet
Avec une tendresse étrange.
Ils ne savent pas,
Ils ne peuvent pas comprendre.
Comme lui le faisait.

♊ Jerk mesure 1m48 pour 39 kg.

♊ Cela fait un an qu’il a quitté les hurons pour devenir un garçon perdu.

♊ Il a prêté serment de loyauté envers Peter. Par conséquent, il a juré de se battre pour lui et de ne pas chercher à revoir son ancien clan.

♊ Jerk se sépare rarement de son tonneau, c’est même là qu’il y dort. D’où ses surnoms.
L’objet a été amélioré par des artisans : il est désormais pourvu d’une barre transversale par laquelle Jerk peut le soulever depuis l’intérieur. Comme la plupart de ses congénères, il compte également un trou refermable par un bouchon ainsi qu’un couvercle.

♊ Jerk a appris l’anglais auprès de ses camarades, mais il a encore des progrès à faire.

♊ Il est végétarien.

♊ Son péché mignon est le miel.

♊ Il a un véritable talent pour la navigation et l’orientation. Sa bonne connaissance du terrain fait de lui un bon éclaireur.

♊ Jerk porte des tatouages temporaires, cadeaux de ses amis perdus.

♊ Sa coiffure est un accident.

♊ Il éprouve quelques difficultés avec le port de vêtements mais il se soigne.

♊ Il porte à son cou une dent noire recouverte d'or.

♊ Jerk se parle souvent à lui-même, comme pour combler le vide d’une présence.

L’île n’a jamais été douce ou juste. Mais c’est son seul foyer.
Il l’accepte, il lui survit.

Sa famille et son clan lui manquent. Mais Jerk ne laisse pas ses sentiments le faire douter dans sa résolution. Cette séparation n’est que temporaire après tout, il doit traverser cette épreuve.
Il le doit.

Quant à l’autre monde, Jerk n’y pense guère. Il a toujours cru que les enfants perdus venaient d’autres îles semblables à celle-ci. Il n’a donc rien à leur envier.
Ici, il est à sa juste place.

Never Land compte des chefs, Peter est l’un d’entre eux. Pour cela, Jerk le respecte. Il lui est également reconnaissant de l’avoir accepté parmi les siens, dans son armée d’enfants.
Même si cela lui en coûte parfois, il est prêt à tout pour respecter ses serments et ne pas trahir la confiance de l’Enfant-Roi.

Never Land compte des monstres, le Capitaine est l’un d’entre eux. Le chef d’une armée de vermine, d’une horde de barbares. Les hommes sel, violents, sales, pervers, mauvais.
Jerk lui concède une certaine bravoure pour arriver à diriger autant d’hommes. Mais cela reste un ennemi, qu’il faut combattre sans trêves.

Au matin, tous se lèvent, s’enlèvent.
Tous se pressent, s’empressent.
Un seul pourtant reste.
Et sourit.
Parmi les draps froissés, les lits défaits,
Il voit.
Ce tonneau renversé
Duquel dépassent, deux pieds immobiles.
Furtivement, il approche.
De baguettes, il se saisit.
Takatakatakatak !
Battements furieux sur le bois.
Les pieds tressaillent.
A l’intérieur : un bruit sourd.
Il rit, puis s’enfuit.


Du tonneau, enfin, une tête émerge.
Sa demi chevelure en tempête,
Ses yeux gonflés.
L’enfant s’éveille.
Deux sont entrés, deux le regardent.
- Jerk ? Ça va, Jerk ?
Une fille, l’air navré.
- T-tu comptes r-rien dire ?
Un garçon, l’air outré.
Non.
Jerk ne dira rien
Car il s’y est fait.


Quand enfin, il émerge tout entier
La fille se détourne, rouge.
- S-sérieux, D-Diogène…
Sourcils froncés,
Jerk réalise
Et tire de son antre
Un tissu chiffonné
Qu’il déplie,
Qu’il enfile.
- Je n’aime pas ce.
Il confesse.
Ça est serré.
Ah, les hurons…


Du bras,
Le garçon repousse les écuelles vides,
Leur taille une place
Où ils s’installent, où ils mangent.
Entre deux bouchées,
Entre deux silences,
Elle demande soudain :
- Jerk ? C’était quoi ton nom
Quand t’étais peau-rouge ?
Jerk lève les yeux de son repas.
Le garçon s’étouffe.
Mais elle poursuit :
- J’adore vos noms !
S’appeler comme des animaux, c’est trop cool !
Jerk n’est pas surpris
Car il sait.
A leurs yeux, c’est encore un étranger.
- El’ !
Coupe le garçon.
Dio-Diogène est un garçon pe-perdu,
Maint-maint’nant.
Arrête d-de lui pa-parler des indiens.
- Tu n’es pas marrant, Stammer…
Moi, ça m’intéresse !
- Il est c-comme nous.
P-Peter lui a pris s-son nom.
Tu le sais b-bien,
A-alors arrête un peu !
Il a gagné.
Il gagne toujours.
Se tournant vers Jerk,
Elle lui demande doucement :
- C’est vrai ?
Jerk hoche la tête,
Un sourire désolé.
Elle fait la moue,
Déçue.
Alors se penchant,
A tout hasard,
Jerk chuchote :
- Je suis sûr ça commençait par « hé ».
Ses yeux brillent
Quand elle propose :
- Hérisson ?
- L’encou-courage pas !


Aux bois jolis,
Le ciel ruisselle, le vent gémit.
Ce matin, l’île pleure
La gaité perdue de son souverain.
- Il fait vraiment pas beau…
J’ai envie de rentrer !
- Va di-dire ça à S-Stealth.
Deux marchent, deux discutent.
Un garçon bègue,
Une fille potelée.
Mais ils sont trois.
Car à leur côté,
Un tonneau claudique.
- T’as bien fait de le prendre, Jerk.
Le garçon soupire.
- C’est-c’est pas discret du tout.
- On ne me voit pas
Quand je suis dans.
- C-c’est p-pas comme ça que ça marche !
- Jerk, c’est pas trop lourd ?
- Pas trop.


Le garçon soupire.
Encore.
- Ce n-nom…
- Bah quoi c’est son nom !
A l’intérieur du tonneau,
Jerk fronce les sourcils.
- Quoi ?
- Ç-ça n’a p-pas toujours un sens…
T-très sympa…
- Pas toujours ?
Les mots changent ?
- Oui !
Et puis des fois,
Selon le contexte,
Ils veulent dire encore d’autres choses !
Chez toi non ?
Ces enfants
Ils parlent tous cette langue étrange
Et compliquée.
Si compliquée.
- Chez moi, les mots ont un sens.
On peut pas changer ces,
Pour ça, ils ont grand pouvoir.
C’est ce que son frère lui disait.
Autrefois.
- Vous en avez beaucoup alors !
En silence,
Jerk opine.
- Un temps comme ça, vous dîtes comment ?
Chez moi, on dit qu’un temps comme ça,
C’est un temps à ne pas mettre un chien dehors !
- V-vous l-les frenchy…
Et vos stup-pides…
- Tu n’es vraiment pas drôle, Stammer !

Deux marchent, deux se disputent.
Car ils sont deux, désormais.
Derrière eux,
Loin d’eux,
Un tonneau s’est immobilisé.
Jerk ne les écoute plus.
Car il est pétrifié.
- Oh, ça va ?
Un instant,
Son regard s’était égaré.
Et soudain,
Il a mal.
La main au cœur,
Il respire à peine.
Les larmes coulent d’elles-mêmes.
Sans qu’il sache pourquoi.
Une douleur étrangère qui se fait sienne.
- Oui... Pardon.
Il voudrait les suivre,
Vraiment.
Mais il peine.
Car il se sent faible, soudain.
Terrassé mais debout.
Seul et incomplet.
Sans lui.