Une nouvelle journée vient de commencer. Pour une fois, tu n'as pas grand chose à faire. Pas encore, du moins. Alors tu vagabondes dans le camp, cherchant à te rendre utile. Tu n'as pas envie de prendre du temps pour toi. Sinon, ton esprit va s'affoler et les mauvaises idées vont t'envahir. Et ça, ce serait pire que tout.

Alors tu donnes des coups de main, à droite à gauche. Tu passes par les cuisines mais les Mamans déjà sur place ont l'air de s'en sortir. Tu évites soigneusement l'infirmerie – où tu serais plus un poids qu'une aide – même si tu aimerais bien passer voir Soul. Et enfin, tu te diriges vers le Bassin. Qui sait, peut être quelqu'un aura besoin d'aide pour faire les lessives. Et tu adores faire les lessives.

Mais au lieu de ça, tu aperçois un garçon perdu. C'est étrange, car ils ne sont pas souvent ici. Sûrement à cause de l'eau, justement. Tu as l'impression que quelque chose ne va pas et tu t'approches, intriguée. Tu as juste le temps de voir ce qui ressemble à du sang, lorsque l'enfant enfonce sa tête dans l'eau.

Paniquée, tu cours vers lui et le sors immédiatement. Tu as reconnu Dummy et tu as peur qu'un geste aussi bénin puisse être dangereux pour lui. Il pourrait se noyer. D'une voix que tu veux rassurante, tu t'adresses à lui, en faisant attention à bien articuler.

« Tu vas bien ? Fais oui ou non de la tête. »

Tu n'as jamais passé du temps avec le Petit, mais dès que tu entends parler du lui, c'est pour dire à quel point il est bizarre, différent, bête. Tu lui souris, pour bien lui montrer que tu ne comptes pas lui faire de mal. Puis tu enlèves ton écharpe et la trempe dans le bassin.

« Je vais nettoyer ton visage, d'accord ? Ça ne fera pas mal, ne t'inquiètes pas. »

Et un énième sourire.

Tu n’es pas certaine qu’il ait compris ce que tu voulais faire, mais tu n’as pas le choix. Il faut nettoyer la plaie, pour voir si c’est grave ou non. Alors, c’est avec une délicatesse évidente que tu appliques le tissu sur son visage. Tu as terriblement peur de lui faire mal ou pire, de le voir s’affoler. S’il part en courant, tu auras tout perdu.

Et malheureusement, c’est ce qui semble se passer. Dummy commence à faire des gestes brouillons, s’accrochant en premier à ton bras. Tu continues, plus lentement, à essayer de laver le sang. Mais c’est bien vite impossible, alors que l’enfant se colle à toi.

« Mmmm, mmm, mmmmmm...
Tout va bien Dummy. Shhht, tout va bien. »

D’une main, tu reposes ton écharpe sur le sol alors que de l’autre tu caresses les cheveux du Garçon Perdu. On dirait que les « soins » vont devoir attendre. Malgré tout, tu trempes le bout de ta main dans l’eau et vient essuyer le sang sur les lèvres de l’Enfant. Même s’il ne parle pas, ce sera beaucoup plus agréable pour lui. Puis, tout doucement, tu passes tes bras autour de lui, en continuant de caresser ses cheveux.

« Tout va bien. On a tout notre temps. Je ne vais pas partir. »

Ce qui est vrai. Ou presque. Après tout, on peut te donner une tâche d’une minute à l’autre, non ?

Dummy semble minuscule dans tes bras. Un tout petit être, tout fragile, qui n’a pas demandé pas ce qui lui arrive. Et cela t’attendrie et te contrarie encore plus. Pourquoi a-t-il été blessé ? Pourquoi les autres enfants sont aussi méchants avec lui ? Parce que ce ne sont que des enfants, sûrement.

L’Enfant éternue plusieurs fois et te surprend. Tu n’essaies pas de le retenir contre toi, ce serait la meilleure façon de vous faire mal tous les deux. Et puis, maintenant, tu as compris que plusieurs Garçons Perdus n’étaient pas très attachés aux Mères. Et pour peu que ce soit la même chose avec lui, tu ne veux pas le forcer à quoi que ce soit. Malgré tout, tu restes proche de lui, remarquant qu’il n’est pas complètement remis. Tu te demandes si tout ce sang ne cache pas quelque chose d’autre, mais es parfaitement incapable de dire quoi. Ce n’est pas ton rôle.

Perdue dans tes pensées, tu le regardes sans le voir, et remarques au bout de quelques longues secondes qu’il est en train d’essayer de se soigner lui-même. Tu te rends vite compte qu’il ne fait pas grand-chose de concluant, mais le laisses faire. A tes yeux, il est plein de bonnes volontés, et tu ne veux pas lui enlever ça. Et puis, il a besoin d’apprendre, pour se débrouiller s’il y a une prochaine fois. Et tu sais qu’il y en aura une.

Résolu, Dummy te rend l’écharpe et te montre qu’il est prêt à se laisser faire correctement cette fois-ci. Tendrement, tu lui souris et reprends les « soins », en essayant d’être plus délicate encore que tout à l’heure. Tu fais attention à ne pas couvrir son nez ou as bouche, et à ne pas appuyer trop fort sur ses yeux. Ce sont autant de façons d’éviter de le faire paniquer.

« Je crois que c’est bon. Si tu as encore mal, il faudra aller à l’infirmerie. » Tu reposes ton écharpe sur tes genoux et répètes, toujours tranquillement « Si douleur, infirmerie. D’accord ? » Silencieuse, tu regardes s’il t’a bien comprise, avant de passer à autre chose « Tu as faim ? On peut essayer de piquer quelque chose en cuisine. »

Comment ça, tu es censée montrer l’exemple ? Tu ne fais rien de mal, voyons. Il n’y a rien de mieux pour soigner un bobo qu’un peu de chocolat. Ou ce que vous trouverez sur le camp. Et c’est ton rôle de Maman. Et tout simplement, ton rôle de toi, Mirka. Tu cherches tout le temps à sauver tout le monde. C’est pourquoi tu te redresses – pouvant constater au passage l’étendue de la bout sur tes vêtements – et tends une main au Garçon Perdu.

« On y va ? »

Il ne faut pas bien longtemps à Dummy pour comprendre ta phrase et cela t’amuse. La nourriture est toujours la première chose que l’on apprend, comme si ne pas savoir demander à manger pouvait nous être fatale. Ce qui est plutôt sensé, certes, mais en même temps assez étrange. On devrait d’abord savoir demander de l’aide, non ? Peu importe.

Bien qu’il ne semble pas tenir solidement sur ses deux pattes, ton petit compagnon ne lâche pas ta main. Alors tu n’y prêtes pas attention. S’il pense être capable de marcher et de te suivre, autant le laisser essayer. Au pire, il tombera et apprendra à se relever. Et puis, tu sauras que sa blessure est plus grave qu’elle n’y parait et l’emmèneras à l’infirmerie avec une bonne raison.

Vous vous mettez en route, silencieusement, et tu ne remarques pas tout de suite qu’une étrange créature vous suit. Oh pourtant, elle n’est pas bien discrète avec toutes ses couleurs et sa taille plutôt imposante. Mais tu es trop concentrée sur le Garçon et sur le goûter improvisé pour réaliser que vous êtes suivis.

Et puis, il y a aussi toutes les questions que te traversent l’esprit, pour essayer d’en savoir plus sur Dummy. Mais tu te doutes qu’il n’y répondra pas et n’oses pas demander. Et rester silencieuse, pour toi la grande bavarde, c’est presque un supplice. Plus d’une fois, les mots manquent de franchir la barrière de tes lèvres, et tu les arrêtes juste à temps. Il n’y a qu’une question que tu oses formuler, car trop importante à tes yeux pour être mise de côté.

« Comment tu t’es fait mal, Dummy ? » Trop vague, trop compliqué. Il faut que tu sois plus précise. « Tu es tombé tout seul ? Ou des garçons perdus t’ont fait mal ? »

Tu es quasi certaine que ce sont ses compagnons qui s’en pris à lui. Mais malgré tout, tu as besoin de le savoir, besoin d’avoir la confirmation. Pour les gronder ? Tu ne sais pas encore. Après tout, ça pourrait ramener plus d’ennuis encore au Petit.

« Ils n’ont pas le droit de faire ça, de te faire mal, tu comprends ? C’est vraim- OH MON DIEU QU’EST-CE QUE C’EST QUE CA »

Ce cri t’échappe sans que tu ne puisses rien y faire, et tu le regrettes presque immédiatement. Mais c’est trop tard maintenant. Tout ce que tu peux faire, c’est espérer que tu n’as pas effrayé Dummy ou la drôle de créature qui – en regardant mieux – n’a pas l’air bien dangereuse.

Dummy a été effrayé par ton cri, et tu regrettes un peu plus de t’être laissée surprendre de la sorte. Il ne faut pas qu’il ait peur de toi, sinon tu auras fait tout ça pour rien. Et donc, tu ne pourras plus lui venir en aide. Ce qui serait vraiment très embêtant. Alors il faut que tu te rattrapes. Surtout que ce drôle de rat n’a rien d’effrayant maintenant que tu regardes bien. Ce n’était bel et bien que la surprise qui t’a faite crier ainsi.

L’animal a eu beaucoup plus peur que toi, et le voilà qui se blottit contre l’Enfant. Tous les deux ont l’air très proches et ils font fondre ton petit cœur sensible. Ça te rappelle des souvenirs, sans que tu ne saches vraiment lesquels. Ce ne sont pas des images, mais plutôt des sensations et des sentiments. C’est très étrange et perturbant, alors tu préfères les chasser de ton esprit, pour te concentrer sur l’instant présent.

Dummy te regarde avec ses grands yeux plein d’interrogation et tu devines que quelque chose le tracasse. Tu ne sais pas quoi, mais il est plutôt évident que ça concerne ta réaction exagérée et son « petit » compagnon. Alors tu lui souris avec douceur, avant de t’excuser.

« Pardonne-moi, je n’aurais pas dû crier. J’ai été surprise par ton ami et j’ai eu peur. » Tu hausses les épaules et reprends « Il est mignon comme tout pourtant, c’est un peu bête d’avoir eu peur comme ça » Un peu maladroitement, tu t’agenouilles pour être au niveau du rat « Bonjour toi ! Moi c’est Mirka. Je suis désolée de t’avoir crié dessus. J’espère que tu ne m’en voudras pas ? » Est-ce que tu te sens bête ? Pas le moins du monde « Je suis ravie de faire ta connaissance en tout cas »

Là, normalement, tu lui aurais pris la patte pour la serrer – comme le font les humains. Mais tu n’es pas tout à fait certaine que ce soit une bonne idée. Si le Petit Inconnu a encore peur de toi, il pourrait prendre ton geste pour agression. Et s’il te blesse, il pourrait attirer des ennuis sur Dummy. Ou alors, il pourrait même directement blesser l’Enfant ou l’effrayer, et ça c’est tout à fait hors de question.

« Nous devrions nous remettre en route avant que nos estomacs ne grondent trop fort. Je suis désolée Petit Rat, mais tu devras attendre en dehors des cuisines. Mais promis, on te trouvera un petit quelque chose »

Un dernier sourire et tu te redresses, avant de te remettre en route. Il faut vous dépêcher un peu, pour que le Fourmilier puisse manger rapidement.