Ca y est...Tout le monde dort. Le bateau est calme. En fermant les yeux et en restant calme, on peut sentir par endroit le leger roulis des vagues. Quand on a passé au moins 20 ans sur ce bateau, on s'y fait. En fait, je le trouve même rassurant, ce roulis. C'est comme une preuve que le temps continue même ici. A sa façon. Je range un peu mon infirmerie, je fais mon lit... Mais il n'est pas encore l'heure de dormir pour moi. Avec cette journée fort remplie, je n'ai pas eu le temps de faire le Maariv. Qu'est-ce que le Maariv ? La prière du soir dans la religion juive. Bon, le souci, c'est que dans un bateau, on a pas de synagogues. Et que je n'ai aucune idée de par où est... Je ne me souviens plus du nom de la ville où il faut se tourner. Ca aide pas. Je sors tout de même de ma cabine pour me mettre sur le bon et faire face à une direction au hasard. Pendant ce temps, je commence déjà à réciter sagement les psaumes appris durant mon enfance.

C'est amusant la mémoire, non ? Je ne me souviens pas du nom des Rabbins qui m'ont élevé et enseigné ces prières. Ni de leurs visages, ou à quoi ressemblait la synagogue de l'orpelinat. L'orphelinat tout court d'ailleurs. Mais je me souviens toujours avec précisions de chaque prière, chaque rituel de ma confession. Et je me rapelle avec exactitude des légendes et mythes de ma chère  Prague. Seul le mystique du réel est resté ancré dans mon esprit. Etrange non ? Quand j'arrive au bord du pont, les yeux clos, j'ai fini mes psaumes et m'attaque à l'Amidah, une des prières du Maariv :

"Baroukh Ata Ado-naï, Elo-hènou ve-Elo-hèi avoténou... Elo-hèi Avraham Elo-hèi Its'hak ve Elo-hèi Yaacov, haè-l hagadol hagibor vehanora... El elyone, gomèl 'hassadim tovim, koné hakol, vezokhèr 'hasdé avote, oumévi goèl livné venéhèm lemaan chemo beahava... Mélèkh ozèr oumochia oumagèn, Baroukh Ata Ado-naï, magèn Avraham.."

Bon sang, on pouvait pas avoir nos prières en Anglais, ou au moins en Tchèque ? Enfin je dis ça, mais en environ 40 ans, je ne me suis jamais plaint plus que de raison de ses prières. Une fois qu'on les connait et qu'on se rapelle le sens... Surtout qu'on se rapelle le sens. C'est comme ça que je m'y retrouve.

"Ata gibor leolam Ado-naï, me'hayé métim Ata... rav lehochia, morid hatal, mekhalkèl 'haim be'héssèd me'hayé métim bera'hamim rabim... somèkh noflim, verofé 'holim, oumatir assourim, oumekayèm émounato lichéné afar..."

Au fur et à mesure que ma prière avance, j'ouvre les yeux vers la Lune... Oui. Faute d'avoir une ville à regarder, la Lune est un parfait élèment sacré. Au moins, elle a la bonté d'être la même partout.

[HRP : désolé de ne pas mettre de traduction, j'ai vraiment repris des extraits de l'Amidah...Et je n'ai pas la moindre idée de la traduction, juste du sens général. Patapé.]

Les prières ne sont pas dans le genre courtes chez moi. Je n'ai jamais pensé à calculer ou mesurer le temps mit pour prier. Je suis trop concentré à prononcer la bonne syllabe au bon moment de toute façon. Alors toujours concentré sur la grande orbe blanche dans le ciel, je finit enfin la longue prière :

"...Retsé Ado-naï Elo-hènou beamkha Israël velitefilatam chéé, vehachèv haavoda lidvir bétékha, veiché Israël outefilatam beahava tekabèl beratsone, outehi leratson tamid avodate Israël amékha."

Voilà... C'est  rassurant de rester fidèle à sa culture et ces quelques règles, non ? Vivant sur un bateau et ayant souvent du travail, je ne peux pas faire toutes les règles. Pour commencer je mange comme tout le monde, et je suis bien trop perdu dans le calendrier pour faire des fêtes religieuses. Mais j'ai ma prière du matin, de l'éprès-midi, et celle du soir. Une base rassurante. Une jeune femme sur le port m'apelle, me faisant quitter les yeux de l'astre céleste. Elle est pas laide. Jeune, très jeune, avec des cheveux d'un rouge assez vif. Et Seigneur qu'elle est curieuse. 5 questions à la seconde la petite, et je sens qu'elle se force à faire une pause pour que je puisse répondre. Ca me fait un peu sourire.

-Merci mademoiselle. Je suis effectivement le médecin de bord, mon nom est Dabeid... Je venais juste de faire une prière avant d'aller me coucher, c'est de l'ancien hébreu je crois...

Par reflexe, je regarde autour de moi sur le pont avant de répondre. De toute façon, je n'oserais jamais dire du mal de mon capitaine. Mais par sécurité...

-C'est un mode de vie assez unique. Ca fait bien longtemps que j'ai choisi cette voie et je ne la regrette jamais. Pas plus que de servir le Capitaine... C'est un homme très respectable. D'ailleurs, je suis assez impoli, j'ai oublé de vous demander... Quel est votre nom mademoiselle ?

Je sourit gentimment, en sortant de ma poche une cigarette que je coince entre mes lèvres avant de chercher mon paquet d'allumettes...

Par les griffes du Malin... Cette fille est un moulin à paroles. J'ai du mal à retenir toutes ses questions. Je n'ai pas réussi à en placer une seule... Ca me laisse le temps d'allumer ma cigarette et de prendre une bouffée en tout cas. Et même de descendre du bateau pour me rapporcher. Je n'ai pas de raison d'avoir peur d'une sirène après tout. Je sais ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Alors euh... La langue des prières, les femmes à bord, les sirènes à bord... Ma cicatrice, la piraterie, les sirènes, quand je me blesse... C'est bon, la liste est finie ? Ah non. Le Capitaine... Mais c'est qu'elle a le béguin non, cette petite sirène ? C'est adorable... Et un peu triste. Pauvre petite.

...ah ? Ca yest, c'est fini ?... On dirait vu son regard. Je ricane en prenant une grande inspiration, levant mes mains pour faire le compte :

-Alors... On va essayer de faire dans l'ordre ? Pour la langue je crois... J'ai appris les prières dans cette langue par coeur, mais je ne sais rien dire d'autre. C'est une tradition de ma religion de prier en cette langue. Et ma mémoire n'était pas parfaite, j'ai un doute quand à son origine, mais tant que je connais mes prières ce n'est pas grave.

Voilà, les prières et l'ancien hébreu, fait. Ensuite... Elle a dit quoi la petite Ecume ? Ah oui, pour entrer dans l'équipage. Je pense à mon apprenti, Crow et je sourit un peu :

-C'est une vieille tradition de ne pas accepter une femme à bord. En temps normal je vous conseillerais de ruser... Mais en étant une sirène, ça me semble hélas impossible. C'était quoi la question suivante ? Ma cicatrice je crois ? Et bien je l'ai eu un protégeant un membre de l'équipage. C'est comme ça que j'ai eu la plupart de mes blessures, à force j'ai même été surnommé le Bouclier. J'ai déjà évité quelques vilains coups au Capitaine comme ça je crois. Je le fais avec tant de monde... Je suis devenu pirate parce que je suis tombé amoureux, au sens figuratif du terme, de la mer... Je ne sais plus comment...

Ah, de nouveau, les mystères de la mémoire. Ce qui compte c'est que je sois un pirate aujourd'hui et que j'en suis très heureux, n'est-ce pas ? Allez, c'est reparti.

-Ensuite, j'aime beaucoup les sirènes et les espèces dites magique. Je savais énormement à votre sujet avant même d'arriver sur cette île... Et quand je suis blessé, c'est soit mon apprenti soit moi-même qui me recouds. Et pour finir, j'ignore si la capitaine vous a déjà vu... Moi, je pense vous avoir déjà vu du coin de l'oeil, la vie de pirate c'est la plus belle des vies, avec beaucoup d'action... Ca c'est sûr, on s'ennuie pas... Et on est comme une grande famille. Etre votre amie, avec plaisir. Vu d'autre sirènes, oui de loin je n'ai jamais conversé avec, et bien entendu que je vous protégerais.

J'ai un peu acceléré la fin mais je commencais à manquer d'air, même en parlant lentement pour prendre des pauses. Je tire aussi une bouffée de ma cigarette avant de la regarder et demander de façon taquine :

-Ca y est, Ecume ? Curiosité satisfaite, ou il va y avoir une nouvelle vague de question ?

Sirène, écume, vague. Hahah.

J'étais ravi de voir la sirène aussi captivée par mon radotage, et souriante. Ca me fait penser aux soirées de contes, quand je parle de mes légendes... C'est souvent ce geenre de regard que j'ai dans l'assemblée, mais obtenir le même d'une sirène a quelque chose d'agréable. Pauvre petite en plus, qui se sent seule sans amis. En plus elle me met en garde contre les autres sirènes, je ne vais pas lui dire que ça ne m'impressionne pas. Ca ne ferait que l'inquieter. Déjà que son coup de coeur a apparement fini en bouchées...

-Comment s'apellait-il ? Peut-être que je le connaissais.

Mais elle repartit sur le capitaine. C'est qu'elle est sacrément entichée. Elle me fait un peu rire, mais aussi de la peine. Ca continue, vu que le sujet revient à moi, et mes potentielles histoires de coeur, puis sur ma cigarette... Oups... Je secoue la tête et éloigne ma cigarette d'elle :

-Ca, ma petite, c'est une cigarette. C'est une drogue lente... J'ai fait l'erreur d'y tomber, et pour ton propre bien je te déconseille d'y toucher. Pour répondre à l'une de tes questions... Non, je n'ai jamais été amoureux. Pas de mémoire en tout cas.

Mon seul 'amour' c'est l'océan. Les légendes à la limite, mais je n'ai jamais eu de coup de foudre pour le moindre comparse humain ou humaine. Pas que je recherche cet amour... J'ai déjà l'amitié de nombreux collègues, et une affection presque familiale de certains de mes patients, comme Annabelle. Je tire une bouffée et je souris gentimment à Ecume.

-Pour le Capitaine Hook... Je ne peux pas être catégorique, je ne le connais pas assez bien. Mais je peux toujours lui parler de toi. Je ne sais pas s'il m'apprécie, mais en tout cas il me fait confiance ainsi qu'en mes compétences. Il sait que je suis fidèle à l'Equipage et à lui quoi qu'il arrive... On verra ce qu'il dit quand je te mentionnerais. Je te tiendrais au courant !

Je rajoute avec un clin d'oeil complice. Je pense qu'il a déjà quelqu'un en tête ou dans le coeur, mais si
ça peut au moins lui faire plaisir, ça vaut le coup d'essayer.

Pauvre enfant... Ainsi cet endroit donne des vilains tours de mémoires même à ses propres enfants ? Heureusement pour elle elle a pu trouver quelqu'un d'autre à aimer avant de commencer à oublier... Sans être un psychologue je n'ose imaginer la culpabilité qu'elle ressentirait si c'était arrivé ainsi, sans la personne du Capitaine pour lui donner un semblant d'espoir et de réconfort. Elle me demande quand même mon avis, visiblement inquiète. J'attends un peu avant de répondre, assez peu sur moi-même. Je ne suis qu'un simple humain qui n'a jamais connu la sensation de l'amour. Heureusement, en parlant de ma cigarette, je lui avais changé les idées. J'étais surpris qu'elle ne connaisse pas le terme de la drogue... Peut-être les sirènes emploient-elles un autre mot. Ou la légende avec les Nénuphars ne s'applique qu'aux Ondines Tchèques. J'allais expliquer juste après avoir promis quand je fut surpris par une accolade douce et un petit baiser sur ma joue. Même sans être attirée par ses charmes de sirènes, je ne peux m’empêcher de rougir :

-Heh, je t'en prie... Entre amis, c'est normal de se rendre service. Mais à nouveau je ne peux rien te promettre sur sa réponse... Pour répondre à tes inquiétudes, il n'y a rien de mal à oublier des choses ou des personnes, même si elles étaient important pour nous à une époque... Si tu as tant peur d'oublier, écrit quelque part ce dont tu te souviens et garde cet écrit.

Maintenant la partie délicate... Je me sens un peu comme un père pour avoir à expliquer 'la drogue c'est mal' tout en fumant, et à bord d'un bateau pirate où on apprécie l'alcool, les cigares et pour certains l'opium -je n'utilise les opiacés qu'à petites dose d'anti-douleur personnellement.

-La drogue est une substance qui entraine une accoutumance. En résumé, après en avoir pris, on ne peut plus s'en passer et il est très dur d'arrêter. Il en existe de différentes sortes et certaines sont plus nocives que d'autres. La cigarette n'est pas la plus dangereuse, heureusement pour moi. Mais dans le doute évite d'y toucher... Peut-être les sirènes ont leur propres 'drogues' sous un autre nom ?

Et oui, je reste curieux sur cette question. Si je peux en apprendre plus sur la culture des sirènes je ne vais pas me gêner.

Ses réactions sont à la fois très surprenantes et touchantes. J'ai vraiment l'impression d'avoir une petite fille à mes côtés... Surement cela vient de son bannissement précoce de chez les sirènes. Mais dans tout les cas c'est tant mieux si elle n'a jamais connu une quelconque drogue... Quoi que de nouveau je suis très mal placé pour en parler. Je veux dire, pour les pirates il n'y a rien de plus normal que du tabac et un bon rhum, ou tout autre alcool préparé par notre Brau. Personnellement j'ai tendance à me méfier, et puis de toute façon je ne suis pas un grand consommateur d'alcool. Un cigare et une légende me suffisent amplement pour me calmer, me changer les idées... Trouver refuge. Je baissais les yeux sur mon bâtonnet incandescent quand une petite main me l'arracha. Non ? Elle n'a pas osé ? Si si. Elle m'a confisqué ma cigarette.

-Tu sais, il en faut bien plus pour que je tombe malade...

Et c'est qu'en plus elle me menace, même pour plaisanter. Je ne peux m’empêcher d'exploser de rire. Mais sa petite moue est très enfantine. On m'a déjà dit que je pouvais avoir un rire effrayant, mais j'estime qu'il n'est pas pire que ma gueule couturée. Au pire il n'y a rien de mal à rire.

-Bien, bien ma grande. Je m'avoue vaincu, tu as gagné. Passe la moi, je vais l'éteindre... Je n'ai pas envie que tu te brûles quand même.

A noter : ne plus fumer devant la petite sirène... Je reprends doucement la cigarette et je l'écrase fermement sur le pont, m'assurant qu'elle est bien éteinte. Je le montre à Ecume

-Tu vois ? Ca ne brille plus.

Une fois que je l'ai prouvé et mis le mégot dans ma petite boite -un cendrier portatif est toujours du meilleur effet-, je me lave les mains dans l'eau fraîche et salée en réfléchissant :

-Si tu as besoin d'aide, bien sur que je peux rester avec toi pour écrire tes souvenirs... Et si tu veux, je peux aussi les garder. En tant que médecin j'ai ma chambre dans l'infirmerie, personne ne viendra fouiner. Et quand tu auras besoin de rafraîchir ta mémoire tu n'auras qu'à venir les récupérer. Personnellement, j'ai appris et retenu beaucoup de choses par cœur à force de les lire et relire à voix haute.

En tout cas c'est ma théorie sur le fait que je connaisse toujours avec autant de soin les légendes du musée, et mes prières. Même si c'était une plaie à lire. Et puis il y a les légendes de marins et de pirates, que j'ai également entendu et répêté assez souvent pour les garder également ancrée.