Salissure

with Miss Babylone

La pluie était revenue. La pluie et le crépuscule, et toutes – ou presque toutes – étaient remontées s’abreuver au ciel, tendant la langue sous le crépitement, retrouvant l’âme à nouveau vive de leur Père Océan. Ensemble elles s’étaient extirpées de la noirceur des profondeurs, le corps alerte de mutations propres à leur nature mais parmi ces figures extatiques, il y avait eu un museau plus fragile encore, mutin et néanmoins inquiet, au regard tourné vers le rivage.

Saline avait la première à quitter les couvertures à nouveau éclatées de ses vagues. Elle s’était glissée hors du chant de bonheur, en direction des rochers et elle s’était hissée, jusqu’aux cavernes, pour reprendre son bien sans plus attendre. Une odeur de sel, de fientes et d’herbes l’attendait mais aussi la vie et avec un rire cristallin elle avait étreint ses petits avant de les ramener sur terre, suivant le discours toujours enjoué d’un Barbecue aux milles découvertes.

Le gros lapin avait assisté à sa sortie et aux changements de sa maitresse. Sa queue, autrefois blanche, se parait d’écailles transparentes ou se détachaient des filaments dont il prit garde à éviter tout contact. Ce renflement à ses hanches, un peu malléable et presque gélatineux, ressemblait fort bien à la jupette d’une méduse et il vint le renifler, avant que la lune ne fasse naitre ses jambes d’humaines et que la cavalcade reprenne, comme autrefois.

Saline ne se sentait pourtant pas différente et son appétit était toujours le même. Elle avait rabattu ses crocs sur une pauvre mioche un peu trop éloignée, au sceau à demi rempli – une victime de plus pour les livreurs au métier décidément fort difficile. Et caressant la fourrure blanchatre de son meilleur ami, avait pris la route du port pour constater les changements.

Il y avait eu du mouvement là bas. Et les maisonnettes avaient poussé comme des champignons, remplies de victimes toutes alléchantes, malgré leur vieil âge. La sirène avait gloussé, avant de reprendre les marques de son territoire, se promettant d’y emmener Clapotis pour de fraiches retrouvailles.

Puis son corps nu avait repris le fil de l’Océan et faute de pouvoir dormir, elle avait fait le tour de l’Île, cinquante ou mille fois à peu près.

Ce soir là, le crachin s’était un peu calmé et la lune jouait à cache-cache avec les Nuajolis. Elle avait faim, d’un appétit que seule la présence d’un Grand-chose pouvait apaiser. Aussi dédaigna-t-elle les fourrages du Grand Arbre et même la Rivière Mystérieuse à nouveau abondante pour aller traîner près du Rivage Echoué.

Il y avait toujours des pirates par là-bas. Et son corps nu apparu aux falaises, fixant en contrebas les silhouettes qui s’y enchevêtraient. Ah, il lui avait bien semblé entendre des éclats de voix mais la scène qui se jouait, elle ne la compris pas de trop.

Il y avait un Grand-chose tout puant d’alcool – elle pouvait le flairer. Et une autre chose, aussi féminine qu’elle-même, drapée dans des vêtements inutiles et semblant se débattre. Pâle mais néanmoins adulte. Était-elle pirate ? Depuis quand en existait-il de ce genre là ? Cela rendrait bien vite les choses plus intéressantes mais ce drôle de monsieur était entrain de lui faire mal et le profil poupon de Saline se plissa de dégoût.

Ah, son truc. Elle le voyait maintenant. Tout affairé à vouloir posséder la fille qu’il venait d’attraper. C’était comme avec les sirènes en somme. Ils venaient et prenaient et détruisaient tout ce qui bougeait. Si son empathie s’arrêtait à ses sœurs, elle fut tout de même concernée par le sort de cette chose vagissante, le visage écrasé sous la main du pirate et les seins dévoilés.

En plus, Saline avait faim.

Sautillant sur le chemin, comme une gamine après l’école, Saline garda Barbecue à distance raisonnable de ce potentiel chasseur et clama un « Bonjour bonjour ! » qui fit sursauter l’être, malgré son taux d’alcool.

Figé dans son entreprise, le regard flou et la barbe à l’écume de bière, le vilain plissa les yeux, et éructa une injure qui lui fit tressaillir le masque. Ah vrai, elle avait oublié de l’abaisser et la présence d’une donzelle complètement nue avec un visage de lapin en carton à la place de la tête avait sans doute de quoi surprendre.

« Dis ! » Les poings sur les hanches, l’apparition le fustigeait. « Je reviens par ici et voilà que tu fais le méchant ! Tu es comme un Maidinetaillouane toi ! On va devoir te couper tout ça et tu seras aussi gentil que mes vieux lapins ! Lâche la, grand moche ! Et range-moi ton bidule, que ça traine pas sur son ventre ! »

Trop de mots pour la tête pleine de ce vilain.

« Ferm’la toi t’es qui d’abord ! T’en veux aussi hein ! »

Son sabre toujours à la hanche, il porta la main au fourreau pour dégainer la lame qui étincela sous la lune. Soulevant le masque pour prendre conscience du danger que ses percées minimes lui faisaient à peine entrevoir, Saline dévoila un visage carmin et furibond.

« T’as l’sabre aussi vif que ton truc dis-moi ! » L’imita-t-elle, goguenarde, avant d’éclater de rire. « Et j’parie que si la demoiselle n’est pas trop occupée à geindre, elle saura bien vite t’mettre un coup de pied là où je pense – hihihi – ça c’est Tempête qui m’l’a appris ! »

C’était marrant d’écorcher les mots ainsi. Mais le conseil valait bien son or, et Miss Babylone avait intérêt à suivre.