Clip, clap, clop.

Il avait fui. En un instant. Trente secondes avaient suffi. Peut-être même juste vingt-quatre, mais là tout de suite nous n’étions plus à quelques secondes de décalage. Le plus important dans le moment présent était qu’il était loin.

Clip, clap, clop.

Son pied droit donnait le rythme. Elle ne savait pas trop de quoi, mais il donnait le rythme. Peut-être celui des secondes qui passent. Peut-être que si elle attend là en continuant de battre son pied dans l’eau du bassin il va revenir. Peut-être, oui. Ou non. Dans le doute elle attendra.

Clip, clap, clop.

Pourtant c’était un simple bain. Un frottage intensif de savon contre une peau pour lui redonner une allure viable. Une odeur vivable aussi. C’était peut-être car elle frottait trop fort qu’il avait fui. Certainement. Una avait déjà entendu des enfants perdu se plaindre de cela. Pas seulement d’elle, mais de toutes les mères, il lui semblait. Si seulement, il faisait l’effort de le faire régulièrement elle n’aurait pas à frotter aussi fort.

Clip, clap, clop.

Tout de même ce qui l’énervait plus était qu’elle allait devoir punir. Il avait fui après tout. Elle était sa mère, l’enfant lui devait obéissance, au moins pour cela. Un soupire las sortit de sa bouche avant qu’un sourire plus grand se forme sur ses lèvres pour effacer l’air de lassitude sur son minois. Au moins cette fois elle savait ce qu’elle attendait, en tout cas il lui semblait. Elle ‘assit sur le bord du bassin et cette fois ce fut ses deux pieds nus qui bâtèrent le temps pour elle.

Clipclip, clapclap, clopclop.

Elle prit le savon qu’elle pensait utiliser sur le garnement. Autant attendre en faisant quelque chose d’utile. Se nettoyer le dessous des pieds serait une bonne idée. Même le fait de marcher sans aucune protection rendrait l’action inutile à partir du troisième pas qu’elle ferait loin du bassin. Quelle importance ? Elle devait aussi montrer l’exemple après tout, même s’il n’y avait personne. Au moins si son enfant revenait il aurait un exemple, au pire elle aurait les pieds propres pour cinq minutes. Elle se mit à fredonner une berceuse sans parole pour ne pas être pris dans un silence qui lui donnerait encore plus l’impression d’attendre plus que ce qu’elle faisait déjà. En plus le savon faisait des bulles au creux de ses doigts.

Sharpy était d'excellente humeur aujourd'hui. Ils avaient pu recycler les dernières armes ennemies et celles que les Garçons avaient cassées ou abîmées pendant la bataille étaient comme neuves ! C'était du bon boulot et le chef était fier de ses petits Armuriers. Maintenant qu'ils avaient bien travaillé, il s'était permis une petite pause et déambulait dans les environs les mains dans les poches, sifflotant, profitant de l'ombre des arbres et de l'air frais bienvenus après des heures passées devant le four de l'atelier. Soudain, un petit garçon apparut entre les branches, tout essoufflé et tout mouillé. Il avait vu un monstre ou quoi ? Mais le gamin avait l'air plus amusé qu'effrayé, aussi Sharpy l'arrêta-t-il avec un grand sourire :

"Hééé ! Où est-ce que tu vas comme ça ?"
"Sarpy ! Lâsse-mouaaaa !"
"Pas tant que tu m'auras pas dit ce que tu fais ! Tu dois être poursuivi par un ours pour courir aussi vite !"
"Non, z'aime pas les bains !"
"Ahaa, je vois. Mais si tu veux mon avis", ajouta-t-il se bouchant le nez d'une main, plus pour dramatiser la scène que par réelle puanteur – il avait senti pire – "c'est un mal nécessaire. Allez, viens !"

Et de l'autre main, il traîna le petit derrière lui. Le gamin ne se laissait pas faire bien sûr, mais on parlait d'un enfant qui ne devait pas avoir plus de cinq ans, contre S(h)arpy. Aucune chance, donc. Comme il faisait de grands moulinets des bras et plantait les pieds dans le sol pour ne pas avancer, Sharpy le prit simplement sur son épaule, comme un petit sac de patates, et se dirigea vers le bassin en rigolant, sourd aux protestations du gamin. Il avait de l'énergie, tiens ! Il plaignait la personne qui avait essayé de le mettre à l'eau. Lui, il allait le jeter de loin, comme ça, et admirer le spectacle.
Il réalisa après coup que la personne en question était forcément une Mère.
Bon.

Il pouvait aussi le jeter de très loin.

"Salut", dit-il en voyant une fille assise au bord de l'eau. De dos il ne la reconnaissait pas, mais c'était forcément la responsable du gamin sale et décidé à le rester. Sharpy se dit qu'elle avait bien de la patience. "Il est à toi ce petit monstre ?"

Il désigna le gosse sur son épaule, qui avait cessé de s'agiter, comme s'il acceptait son destin. Mais avec les enfants, on était certain de rien. Sharpy décida de ne pas baisser sa garde, tout comme il gardait une bonne distance entre la petite Mère et lui.

La jeune Mère semblait absorbée dans sa contemplation de l'eau et ne se retourna que lorsqu'il mentionna le petit monstre. Ou, comme elle l'appela, le dragon. Sharpy sourit, en voilà un surnom imagé ! Et probablement approprié. Elle se releva maladroitement et se rapprocha en sautillant. Sharpy recula légèrement mais elle n'alla pas plus loin. Il était étrange comme elle s'était soudain animée en entendant parler du petit. Les Mères prenaient leur rôle très à cœur... Le Garçon recommença à se tortiller et Sharpy raffermit sa prise sur le sac de patates vivant, même s'il n'en avait pas vraiment besoin.

"T'as pas honte de fuir le bain comme ça ?" le gronda-t-il gentiment.

Il souriait, ce qui rendait la chose plus ardue. De toute manière, Sharpy n'était pas très doué pour gronder ou punir un enfant. Il les aimait trop pour s'énerver vraiment contre eux. Ce qui n'aidait pas sa crédibilité. Heureusement, il avait d'autres moyens de se faire respecter.

Il hésitait à déposer le petit sur le sol quand la Mère lui demanda si son chef ne serait pas contre l'idée que Sharpy l'aide. Il haussa les sourcils. Son chef ? Il pensa à Peter mais il était presque certain qu'elle l'aurait nommé si elle parlait de leur roi. Il sourit en comprenant qu'elle faisait allusion à lui. Enfin, indirectement. Apparemment, elle ne le connaissait pas, ce qui n'avait rien d'étonnant quand on savait que Sharpy évitait toutes les Mères – sauf Agathe, mais il n'avait pas le choix.
Lui-même ne connaissait pas cette fille-là.
Elle était peut-être nouvelle.
Ou peut-être pas. Il faisait vraiment beaucoup d'efforts pour ne pas côtoyer les petites mamans adoptives que Peter ramenait régulièrement. Celle-ci était gentille de demander s'il avait la permission de l'aider, en tout cas. Il n'était pas sûr de vouloir se présenter clairement, ça allait briser sa réputation d'anti-Mères, par contre il pouvait bien l'aider à mettre le Garçon à l'eau.

"Je ne pense pas que Sharpy y verra d'inconvénient", répondit-il avec un petit haussement d'épaule.

Le petit, qui le connaissait, lui, ne réagit pas. Il était trop occupé à se débattre pour échapper à sa Mère, et à son bain. Sharpy souriait toujours, amusé par la situation. Tant qu'elle n'essayait pas de lui faire un câlin ou un bisou, ça devrait très bien se passer. Et puis, il n'y avait pas de raison : chacun ses Garçons, et Sharpy n'était pas le sien. Elle le salua enfin, ce qui ne fit qu'agrandir le sourire de l'Armurier :

"Bonjour !"
"Laisse-moi partir !" les interrompit le très jeune Garçon.
"Noooon je ne crois pas !"

Le petit essayait de profiter d'un début de conversation pour se faire oublier et partir en douce, mais Sharpy le retint et le mit sous son bras en se rapprochant du bassin.

"Naaaaaan !"
"Fais pas ta tête de lard, de quoi t'as peur ?"
"Z'ai pas peur !"
"C'est pas ce que je vois. Je te trouve pas très courageux."
"Z'ai pas peur ze te dis ! Z'aime pas les bains !"

Sharpy soupira et se retourna vers la Mère :

"Il est toujours comme ça ?"

Elle devait le connaître. Elle avait sûrement une technique ou une feinte secrète qui leur permettrait de jeter, pardon, de mettre l'enfant à l'eau sans trop se mouiller.
Façon de parler.

Quand avait-elle entendu le nom de Sharpy pour la dernière foi ? Dans la bouche de sa Cheffe ? Non, pas quand elle lui parlait en tout cas. A un repas dans l’enthousiasme d’une victoire contre les pirates ? Certainement, mais il semblait que c’était plus récent que cela. Ah ! Mais, bien sûr ! C’était dans la bouche d’une autre mère. Grognant contre lui. Un truc d’ignorance des mères. Quelque chose comme cela. Sans importance, ce n’était pas son chef et si ce perdu disait que ça ne le dérangerais pas que lui aide une mère tout devrais bien aller.

Elle haussa les épaule en écoutant la mini dispute face à elle. Puis, s’approcha franchement du plus grand comme elle avait obtenu son accord pour l’aider. Les pieds bien ancrés au sol elle tendit sa main rapidement vers le visage du bambin récalcitrant pour tenter de lui attraper l’oreille. Il lui manquant une petite hauteur pour le faire sans se mettre sur la pointe des pieds. La main approcher du visage du plus petit lui fit avoir un grand mouvement de recul.

« NON ! Mama, ze veux pas. »

Sa langue claqua contre son palais agacer et elle fit un sourire encore plus grand avant de sauter pour lui tirer l’oreille rapidement et s’éloigné sous le grognement complément indigné de son fils.

« Sorcière !
- Oui, oui mon petit dragon. »

Elle ria doucement et fut fière d’elle. Elle l’avait punis, ça c’était fini, elle n’aurait plus à le faire. Elle avança vers le bassin en faisant signe au plus grand de venir aussi.

« Oui, ils sont presque tous comme cela pour prendre leur bain chez les éclaireurs.
- Tu trottes trop fort.
- Frotte.
- Pareil ! Personne n’a dit que ze sentait le caca de croco. »

Elle ria encore une fois à son dire. C’est certain, celui qui c’était plaint n’avait pas cela, mais l’avait tout de même comparé à du vomi de zèbre cornu. Tellement mieux quand on y réfléchit deux secondes. Les points de comparaissons des odeurs pouvait être si riche et varié avec les enfants.

« Il faudrait le jeter dans le bassin...
- C’est collant !
- En retirant les vêtements avant …
- C’est froid !
- Mais pas trop loin.
- Tu es une pierre. LAISSE-MOI PARTIR ! »

Adorable les enfants et leur commentaire tellement constructif. Avec le temps elle avait appris à continuer à parler même si on la coupait, pas certain que cela soit une bonne chose. Quoi qu’il en soit le savon dans sa main droit, les manches relevées, les jambes légèrement écarté, presque en position de combat, le regard déterminé elle se tourna vers son compagnon de tache.

« Tu lances à trois ? »

Pitié qu’il sache compter jusqu’à. Au pire elle fera la course pour l’avoir cette fois. Un hochement pour sa propre idée et elle attendit impatiente le début de ce fichu bain.

Si on qualifiait souvent Sharpy de grand frère, il aurait en revanche fait un très mauvais père. Ou une mère. Sharpy aimait occuper les petits en jouant avec eux, leur apprendre de nouvelles techniques de combat, les faire rire pendant les repas, mais on ne pouvait pas dire qu'il savait "s'occuper d'eux". Il leur tenait compagnie. Leur apprenait quelques trucs utiles à leur survie. Mais de leur vie au jour le jour, il ne savait rien. Sharpy faisait les choses automatiquement ; il se levait, se lavait, s'habillait, mangeait, automatiquement. Mais les plus petits avaient besoin d'aide pour toutes ces choses simples de la vie de tous les jours. Pour un enfant de cinq ans, le mot "simple" avait une toute autre signification.
Enfin. Sharpy considérait aussi que se battre avec un sabre dans chaque main, c'était "simple". Ce n'était pas une référence.

Il observait et écoutait la Mère avec un air interrogateur, le même qu'il prenait quand un autre chef lui expliquait son travail quotidien. Il n'y connaissait rien mais il voulait bien apprendre. Et Sharpy n'avait jamais eu l'occasion ou l'envie d'apprendre à s'occuper d'un enfant de cinq ans, mais là il s'était engagé à aider la Mère, il était bien obligé de le faire. *Ça m'a pas l'air simple*, commenta-t-il mentalement alors que la fille lui expliquait que oui, tous les Éclaireurs étaient comme ça – il sourit en se demandant s'il fallait forcer Stealth à se laver aussi. Il ne savait pas pourquoi mais l'idée le faisait beaucoup rire – intérieurement. Extérieurement, Sharpy avait l'air extrêmement concentré. Il suivit la jeune Mère près de l'étang et écouta ses explications, entrecoupées des commentaires du gamin. Cela ne rendait pas les choses plus claires, bien au contraire. Sharpy fit la moue.

"Attends, j'ai pas compris. D'abord je le jette ou on... tu le déshabilles ?"

La correction était importante. Il ne tenait pas à materner le gosse, ce n'était pas son rôle et puis franchement, il n'avait aucune idée de la façon dont il devait s'y prendre. À tous les coups il allait se manger un pied dans le nez. Il attrapa l'enfant sous les bras et l'approcha de l'étang et de la Mère, prête à en découdre. Peut-être qu'elle arriverait à lui enlever son pantalon pendant qu'il le tenait ? Mais l'enfant se tortilla et glissa entre ses mains. Sans réfléchir, Sharpy fit un geste vers l'avant et cria :

"TROIS !"

Un grand "plouf" lui annonça que son lancer très maladroit était réussi. Pendant une terrible seconde, Sharpy craignit que l'enfant ne sache pas nager. Puis le gamin refit surface en crachotant.

"Ze vous déteste !"

Sharpy retint un soupir de soulagement. Il remonta ses manches et le bas de son pantalon, déjà trempés, et mit un pied dans l'eau :

"Et t'as intérêt à écouter ta Mère si tu ne veux pas me détester davantage !" prévint-il, menaçant.

Il jeta un bref regard vers la fille et grimaça :

"Désolé pour les vêtements ?"

Il avait décidément beaucoup de talent avec les enfants.