Plus Coquillage passait du temps dans le bayou, plus elle se familiarisait avec ces eaux auparavant si étranges. Elle s’était habituée à la relative obscurité des lieux, aux lumières discrètes et aux senteurs âcres des alentours. Mais, malgré la tiédeur de ces eaux, rien ne pouvait réchauffer le froid qui attaquait son être.

Le froid, la peur dans son coeur. La peur que le givre ne s’en ira jamais, qu’elle ne pourra jamais retourner à la lagune, que ses soeurs frappées par la malédiction gelée seront perdues pour toujours. Certaines fois, des vagues de désespoir la menaçaient de l’emporter mais le soutien des soeurs présentes au bayou l’aidait à tenir, à ne pas abandonner. Ses soeurs tant aimées qui lui parlent, la consolent… Coquillage ne sait pas ce qu’elle ferait sans elles toutes ou bien elle le sait mais elle ne préfère même pas y penser…

Le froid, la douleur qui s’est fait une place dans ses entrailles. Comme des pics de glace la transperçant, l’immobilisant dans une frustrante prostration… Elle s’y était habitué à cela aussi mais ça la faisait toujours aussi mal. La fit toujours se sentir inutile. Elle qui voulait tant aider ses soeurs, pouvoir les protéger et les soutenir, rendre l’affection qu’elle a tant reçue d’elles !… C’est peut-être ça qui lui fait le plus mal, en fin de compte…

Pendant longtemps, la situation lui semblait aussi stagnante que ces eaux, sombre sans signe de changement à l’horizon. Mais une rumeur se fit peu à peu entendre. On parlait de Pan, enfermé dans un cocon de lumière… Puis d’autres rumeurs, celles d’un peu de chaleur retrouvée dans l’île…

Un rumeur de chaleur…Une lueur d’espoir.

Cela faisait un certain temps déjà qu’elle cherchait quelqu’un qui puisse la guérir de cette malédiction, sans aucun résultat… Plusieurs fois elle se demandait si elle devait juste abandonner sa quête et se résigner à vivre dans cet état mais ces murmures ont fit naitre en la jeune sirène un nouvel élan de courage. Elle ne pouvait passer tout son temps dans les marais à se morfondre !

Aujourd’hui donc, elle a décidé d’accompagner les autres sirènes à la ferme, malgré ses maux de ventre qui la tourmentaient déjà depuis le passage de l’esprit nuit…Elle marcha doucement, supportée par ces soeurs… Malgré la douleur, la curieuse était reconnaissante de pouvoir au moins marcher et d’avoir ses soeurs auprès d’elle.

Arrivées à la ferme, elles se dirigèrent vers l’endroit où étaient gardé leurs habits.
Coquillage pris sa robe bleu azur, celle que la belle dame qui habitat ici lui a fabriqué exprès pour elle, quelques temps avant. Coquillage n’aurait jamais imaginé pouvoir porté quelque chose de si beau surtout depuis que sa robe du bal était devenue complètement importable, pourrie et recouverte d’algues. De plus, le bleu de la robe allait de pair avec le tissu bleu clair nouée dans ses cheveux, précieux présent de sa soeur Marée…

Une fois sa robe mise, Coquillage alla s’asseoir sur une chaise au fond de la cantine et souhaita bon courage à ses soeurs, qui partaient rendre de menues services à la ferme. Elle aimerait tant les accompagner mais vu son état, elle serait plus un poids qu’autre chose…
Elle resta un moment, touchant son ventre dans un geste futile d’apaisement. La douleur était encore supportable mais elle craignait qu’elle se fasse plus vive durant la nuit… Soudain, une voix familière la fit sortir de ses pensées maussades.

« Coquillage ! »

C’était Rivage, une des sirènes les plus actives dans la ferme. Elle est une sirène d’un âge assez avancée, à la silhouette fine aux cheveux vert clair. Les premières choses que Coquillage avaient appris sur les humains et la terre ferme, c’était par les récits de Rivage.

Pour la plupart des sirènes, Rivage était souple, légère, s’adaptant à toutes les situations.
Mais pour Coquillage, elle était comme un roc, forte et solide, sur laquelle la jeune sirène pouvait s’accrocher.

« Coquillage ! »  Répéta-elle encore, sautillant sur place,  « Je crois avoir trouvé quelqu’un qui peut te guérir ! » Puis plus bas, sur le ton de la confidence.  « J’ai entendu deux pirates parler d’un sorcier du bayou qui réside dans la ferme. Ils disaient qu’il contrôle le feu ! Et puis qu’il pouvait résoudre n’importe quel problème ! Il pourra surement t’aider ! »

Un sorcier du bayou ici ?

« Tu… tu crois ? »  Ça avait l’air trop beau pour être vrai…Cette pensée, venant d’elle, la surprit : Depuis quand était-elle devenu si méfiante ?

« Non tu, tu as raison, il pourrait peut-être me guérir… »

« Oui, ça vaut coup de lui demander ! Viens, je vais t’y amener ! » Rivage prit la main de la curieuse et l’entraina hors de la cantine en vitesse. Elles montèrent les escaliers non loin de là ( dans lesquels Coquillage manqua de tomber ) pour ensuite arriver dans un couloir. Elles marchèrent quelques pas jusqu’à que Rivage la fit arrêter devant une porte.

« Il est là je crois… Les pirates l’ont pointé du doigt quand ils ont parlé de lui… »

Coquillage regarda la porte d’un air anxieux. Il n’y avait rien d’extraordinaire dans cette porte, elle était comme toutes les autres dans le couloir… Il habitait vraiment ici ? Après, peut-être que l’intérieur était différent…

« Tu frappes la porte comme ça, la main serrée, au moins deux fois. " Rivage lui montra le geste, le poing bougeant élégamment dans l'air. "Et il va surement venir t'ouvrir. Je dois partir aider les autres mais si ça se passe mal, cours et rejoins nous en bas ! Bon courage, petit soeur ! » Rivage l’embrassa sur le front et parti descendre l’escalier.

Coquillage resta planter devant la porte, immobile, les yeux s’attardant encore sur les escaliers. Ne sentant plus la présence de sa soeur, elle tourna ses yeux de nouveau vers la porte. Un sorcier…Ses doutes restaient encore : Pourrait-il vraiment l’aider ?…

… Il n’y avait qu’une façon de le savoir. Elle ne pouvait pas laisser cette lueur d’espoir filer entre ses doigts.


knock knock