Son bras le lance depuis un bon moment déjà—bien sûr c’est toujours en pleine nuit, une fois qu’il a accepté l’idée de s’allonger et de tenter de dormir un peu. Le souci, c’est que ce n’est pas la cicatrice, si fraîche et devant être surveillée pour éviter une infection, mais bien le fait que c’est la partie manquante qui tire sur ses chairs. Impossible d’y faire quelque chose, autant attendre que ça passe. Rain—vaguement utile après une énième engueulade entre eux—a fait un nœud à son sweat trop long, et au moins ça lui fait un poids à gauche.

Sur son skateboard, profitant que l’endroit soit majoritairement vide—en tout cas personne ne l’a dérangé depuis un moment, Sky s’amuse à traverser le couloir, appuyant sa main sur le mur pour s’aider. L’équilibre lui fait défaut—un autre souci, un de plus—même si il y a une certaine satisfaction dans les vagues progrès qu’il fait. Ce n’est pas l’idéal, d’être coincé là. Pas le pire non plus. Ses blessures sont loin d’être guéries, bien que tout est relatif vu leur gravité, mais au moins il n’a pas à subir le froid de l’extérieur et à risque de retomber sur… Cette fille. Chamboulé par son souvenir, il s’arrête, s’asseyant sur son skateboard pour reprendre sa respiration.

Lorsque des pas résonnent, au lieu de se cacher—c’est épuisant de n’être qu’un secret, patient devant rester enfermé—Sky ne prend pas la peine de bouger, se retrouvant avec le visuel d’un adulte qui n’est pas Earl ou Rain, contrairement à ce qu’il pensait. Ni l’autre gosse qui est un traître à toute la communauté des enfants perdus. Son humeur n’étant pas des plus fortuites ces derniers temps, Sky se contente de l’observer, dents serrées autour de la paille bambou qui trône dans un gobelet de médicaments et d’eau que l’on a mélangés sans se soucier du goût.

« Oh non, le cruel pirate m’a vu, c’est si terrible. Mon honneur est détruit. »

Ah, c'est que l'ambiance du lieu déteint sur sa personne.

Sa notion du danger a été mise à mal par les dernières lunes, et il ne voit chez cet adulte un peu vantard qu’une présence non-désirée. Un ennemi—tous les pirates le sont, c’est la nature même de leur relation, les gentils perdus contre les monstres qui les dépassent—n’est pas un terme approprié pour quelqu’un qui n’en a pas l’étoffe. Il prend une gorgée de sa boisson, au goût peu agréable, sirotant un peu plus fort que nécessaire.

« Où sont les contes à vôtre sujet ? Qui pour chanter vos prouesses ? »

Il doit reposer le gobelet sur le skateboard pour désigner l’espace désert qui les entoure du bras. Sky n’est pas d’humeur à écouter les louanges de ce pirate qui ressemble à un bonhomme de paille tout droit venu d’une des portes étranges où ils ont parfois des aventures. Le skate glisse un peu, à gauche puis à droite, tandis qu’il reprend sa boisson pour éviter qu’elle ne chute. Le gobelet pend au bout de sa main, son contenu ne lui faisant décidément guère envie.

« Vous n’avez pas l’air très cruel—ni effrayant. J’ai vu pire. Pourquoi êtes-vous ici ? »

En posant la question en premier, le menteur aura le temps d’élaborer un contre attaque, de se montrer plus malin. C’est étrange, de procéder ainsi, d’être Injuste de façon si volontaire. Sky s’amuse bien, pour l’instant. Même si le traitement qu’il suit, les antidouleurs qui brûlent ses veines, ça doit sans doute lui retirer une partie de ses capacités à évaluer la situation.

Aux confins du ranch, se tiennent deux aventuriers, l’un qui se gorge de ce statut, et le second qui refuse d’entendre parler de l’extérieur tant son corps gronde encore de l’injustice qu’il a enduré. Tout est désaccordé, tandis que ses doigts pressent contre sa boisson, refermant ses dents autour de la paille sans pour autant aspirer le liquide.

« N’est-ce pas qu’un refuge temporaire ? » Ne vivent-ils pas au Port, là où métal et bois ne font qu’un sur les coques des bateaux et leurs armes qui pourfendent l’air ? Il y a un soupçon de logique derrière considérer le lieu comme une demeure, même si ce n’est que pour un instant. Après tout, c’est la sienne également, qu’importe qu’il ne fasse que la rejeter.

« Un immense requin, écailles violacées et dents acérées, » qu’il ment comme si c’était naturel, aspirant quelques gorgées juste après. Dégueulasse, vraiment ; Reaper, debout devant son corps, tandis que ses yeux se fermaient—un tremblement le traverse, terminant par un mouvement involontaire de son épaule qui lui fait presque renverser son médicament. Heureusement, cela n’arrive pas, et son regard, caché derrière des mèches sombres, dévisage l’homme comme pour le défier de s’approcher.

« Je ne suis pas pirate, et je n’ai perdu que la moitié du bras, pas la peine de me regarder comme ça. » Se redresser serait complexe, sans pouvoir s’appuyer sur sa main à cause de la boisson qui s’y trouve, alors Sky reste sur sa planche, amertume au fond de sa gorge, « C’est cruel, bleh. »

Sa langue se tire, blanchie par le liquide. Au moins, il apprend des chose utiles ici.

Les héros pavent leurs exploits de mensonges, d’exagérations, simplement pour vendre une histoire, un mythe. Sky a conservé son amour pour la trame narrative qu’il tisse à présent, tout en rejetant pleinement ces anciens concepts qui ne lui apportent plus que du dégoût. ‘Pas un héros’ qu’il marmonne, pressant sa langue contre son palais jusqu’à ce que le goût du médicament se soit décidé à totalement imprégner sa bouche.

Les excuses sont entendues, quoique pas acceptées. C’est de la mauvaise foi, quelque chose de dur dans un coin de son cœur qui lui fait oublier le reste. La planche glisse un peu d’un côté, puis de l’autre, sans qu’il ne se décide à rouler ailleurs pour avoir la paix. Jack n’est qu’un visage de plus. Un qu’il aimerait retenir, pour ne pas se remettre sur sa route. Il a envie d’être—cette bonté énergique lui inspire uniquement de la fatigue, et un soupçon de tristesse. C’est se revoir jeune, bien que l’autre soit vieux, en se sentant âgé alors qu’il est encore un gamin.

« Les pirates et les perdus ne sont pas souvent alliés, qu’importe les circonstances, » il se demande, brièvement, comment Rain a réussi à le faire entrer sans se faire voir, avec tout ce sang—au fond, ce n’est qu’un détail au milieu de dizaines de problèmes bien plus importants. Aspirant bruyamment sa boisson, il pause à la dernière question, la décortiquant dans sa tête. Des deux choix qui s’offrent et qui apportent suffisamment de protection—il n’est pas si bête, c’est étrange, il s’est toujours pensé stupide—l’un a plus de sens. Quoique ça serait moins marrant, hein ?

Il ne se sent pas de sourire, d’apporter quoique ce soit de chaleureux à la discussion.

« Mon nom est Sky, je suis le fils d’Earl, » être l’enfant de, Sky n’est plus certain de ce que ça signifie, outre en théorie, « c’est pour ça que les pirates m’ont secouru, sinon on m’aurait laissé mourir. » Un haussement d’épaule suit, geste qu’il regrette immédiatement, un frisson traversant son corps et lui arrachant une grimace.