La vie de château, ça avait un quelque chose amusant. Il avait envie de courir dans toutes les pièces, de faire la course avec ses gars ou ses jolies Fleurs si elles en avaient envie. Juste pour jouer à glisser sur les tapis et les sols lisses. C'était qu'aux USA il n'y en avait pas vraiment de construction de ce genre.

Pitt avait le sourire aux lèvres, il riait beaucoup et se gavait de pâtisseries. Charly avait préféré continuer à cuisiner dans son fief du Zeppelin March. Il avait aussi ri, pour une fois, en se rendant compte du titre que le foutu Lièvre de Mars avait réussi à attraper. Comment un gars qui était sorti un jour du Nebraska, sans aucun lien nul part avait-il réussi à jouer dans les empires invisible de la pègre. Juste en se prenant de fascination pour n'importe quel personnage qui croisait un jour son chemin. Le jeune homme sentait toujours autant fort la mort et l'anis, il peinait réellement à se vêtir aussi bien que les autres grands hommes de France.

Et oui, Pitt aimait tout le monde. Et il détestait ceux qui étaient ennemis de ses proches.

Au final, il n'y avait que ça qui comptait. Juste les amis et les ennemis des amis. Et brûler le monde pour faire sourire Ashes.

Le proxénète riait aux éclats juste avant de finir son verre d'absinthe, il applaudissait l'arrivée des cupcakes de son Charly. Ils parlaient tous anglais, sans aucune notion de français, mais il allait peut-être falloir des bases. Un rustre qui finissait Marquis de France... ce monde n'avait réellement aucun sens. Pitt précisait encore que de toute façon, le même jour n'arrêtait pas de se répéter. Grand sourire, et des rires.

Un regard à celui qui était Famine, les yeux d'absinthe jamais autant rieurs et surtout très heureux de retrouver son ami.

- Tes cheveux sont vraiment sympas avec cette longueur. Ashes sait y faire, hein ?

Il devrait emmener Dahlia ici aussi d'ailleurs, elle voudrait sûrement voir le monde.

La remarque du Lièvre lui fit porter la main à sa chevelure sacrifiée. Après plusieurs mois de convalescence les boucles noires – dans lesquelles se dissimulaient désormais quelques discrètes mèches poivre et sel - peinaient encore à atteindre ses épaules, ersatz d’une magnificence perdue.

Je suppose, fut la réponse dont se contenta sobrement le Marquis déchu.

Un sentiment de ruine au fond du ventre, il tira une bouffée salvatrice de la cigarette entre ses doigts. Son apparence actuelle, Mistral la haïssait, elle le dégoûtait. Sans doute n’était-il pas laid mais la guérison avait affecté son corps plus qu’il ne l’aurait imaginé. Pas de fée pour le sauver cette fois-ci, il s’était battu seul en haut de cette maudite montagne, évitant de justesse l’hémorragie mortelle grâce à cette récente magie qu’il rechignait encore à utiliser.

Il avait survécu mais au prix de sa forme physique. Les fièvres avaient creusé ses joues, fait saillirent ses côtes et peut-être étaient-elles également à blâmer pour les fines rides au coin de ses yeux et de sa bouche. Ou le Marquis devenait-il simplement vieux ; il avait perdu le compte des mois mais devait approcher des quarante-cinq années.

Écrasant son mégot dans un petit cendrier de porcelaine, le français accrocha le regard de son ami Mort.

J’ai terminé le testament, il ne devrait pas y avoir besoin d’authentification. Officiellement, tout t’est légué, le titre également.

Mistral eut une pensée pour feu Ange, son arrière-grand-père. Sans doute aurait-il été horrifié de voir le château familial envahi par les criminels et les putains. Mais au moins, même illégitime, le nom des De Raincourt ne s’éteindrait pas avec lui. Et puis ses chats étaient bien nourris et ils avaient réussi à faire rapatrier le corps du jeune marquis centenaire pour l’enterrer parmi les siens. Pas de quoi se retourner dans sa tombe.

Tu es désormais mon fils d’adoption. Il aurait été trop difficile de falsifier des papiers prouvant un lien du sang mais avec ceux-ci le reste des nobles des alentours devraient te laisser en paix.

Un doux fumet emplit soudainement la pièce ; on allait servir le repas. Le Marquis se resservit du vin pendant qu’une copieuse assiette de chasse était déposée devant lui. D’ordinaire, jamais il ne mangeait autant, mais il se forçait pour remplumer au plus vite sa chair décharnée.

Il leva son verre en direction de Pitt, solennellement, un sourire à peine ironique au coin des lèvres.

Bienvenue dans la famille, marquis de Raincourt. Mistral but une gorgée, s’amusa de sa propre réflexion et ajouta, Fils.

À y réfléchir, considérant lui-même et ses aïeuls, le Lièvre de Mars avait sans doute bien sa place dans cette noble et étrange lignée.

Le Lièvre de Mars était un peu désolé de voir son ami dans un état moins éclatant qu'auparavant, mais peu à peu il retrouverait sûrement cet homme plein de force. Du moins, il le pensait. Tout pourrait se résoudre, Pitt ne partait jamais vaincu. Sûrement plus parce que son esprit volait plus souvent avec la fée verte qu'avec la terre pragmatique. Bref, le proxénète eut un rire à l'annonce de Mistral. Un testament, et ils étaient maintenant père et fils adoptif. Le tableau était bien étrange. Mais particulièrement unique. Et l'Américain adorait ce qui se promenait d'une cape de singularité.

La nourriture venait même accompagner cette scène surréaliste. Un repas entre Famine et Mort. Et la bienvenue. Pitt leva aussi son verre rempli à en vomir sur les doigts, le sourire à s'en déchirer les joues. Et un rire.

- Merci, Daddy !

Et d'une gorgée, l'absinthe coula dans l'oesophage. Impossible de désigner le Lièvre de Mars comme étant accoutumé aux bonnes manières. Il apprendrait un minimum si besoin, enfin, il suivait ce que Ashes lui dirait sur le sujet lorsque la nécessité se présenterait à sa porte. Pour le moment, Pitt ne pensait qu'à juste continuer de vivre, continuer de faire son petit commerce. Il aimait bien trop voyager à bord du March... mais il faudrait garder un oeil sur le domaine du coup, ou Mistral s'en chargerait s'il voulait rester ?

Pitt fit une moue en posant son verre pour s'enquérir des services et attaquer la nourriture, puis il pointa le vrai Marquis avec sa fourchette terminée d'un morceau de viande.

- Du coup, c'est quoi la suite ? Tu restes avec nous, hein ? Ou t'as prévu quelque chose où je pourrais te porter mon aide ?

Le Lièvre était un peu déconnecté, mais il était fidèle à ses amis. Il avait réuni tout son esprit pour se concentrer sur Mistral, pour ne pas porter attention aux serviteurs, à ce qui l'entourait. Pour ne pas divaguer. Il faisait des efforts pour quelques personnes parfois.

Le premier élément que releva Mistral, au-delà de la question de son avenir incertain, était que le Lièvre avait spontanément offert son aide.
Fou fidèle mais pas à lui. À leur amitié alors ; mais le mot sonnait étrange. Le Marquis croyait en l’amour prisonnier et aux liens du sang mais n’aurait su distinguer ce que définissait ladite amitié. Peut-être s’étaient-ils simplement reconnus comme faisant partie de la même espèce. De ceux qui n’avaient pas de dieu et voyaient la beauté dans le chaos du monde.

Le français fit tourner le vin grenat dans son verre convaincu de la justesse de sa réflexion, un souvenir assez lointain lui troublant le regard. Une nuit d’apocalypse qu’ils avaient partagée ; où il avait joué un requiem, magnifique et surplombant une infernale Londres en flammes. Et à vrai dire, jamais il n’avait été plus proche de l’extase que cette fois-là.

Il répondit enfin :

Je suis mort pour le monde, que reste-t-il à faire ?

Enterré dans l’esprit de tous et tant mieux se disaient-ils sûrement. On le disait créature horrible sans chercher à comprendre, sans être même capable de comprendre. Bassesse des hommes que la morale. Le Marquis laissa échapper un soupir lassé, mâcha un morceau de viande sans envie et reprit :

Je vais sans doute rester ici, le temps déjà de guérir entièrement. Ensuite nous verrons, il me faudra forger une nouvelle identité.

Ennuyante fatalité dont il avait de la peine à se faire à l’idée. Des années à se construire, à s’élever pour tout perdre à cause d’un détective de misère qu’il n’avait jamais rencontré. Celui-ci l’avait dépeint comme un monstre alors qu’il en était lui-même un au sens propre du terme. C’était encore plus écœurant.

Ah, j’aimerais parfois avoir réellement le pouvoir d’amener l’apocalypse. Ce serait beau, non ? Le feu partout et nous en train de dîner tranquillement ici.

Mistral s’essuya la bouche d’un coin de serviette puis saisit la canne au pommeau d’argent orné appuyée contre la table ; il en avait encore besoin pour se relever et monter les escaliers. Sa Petite Fleur, pour autant qu’elle méritât encore ce nom, avait été encore plus déterminée cette deuxième fois où elle l’avait tué. Il avait espéré en voir son amour pour elle entaché mais il était définitivement maudit. Pour ça il la haïssait mais au moins leurs chemins ne se croiseraient sans doute plus ; à distance la chose était plus facile à vivre.

Se relevant avec un imperceptible grognement de douleur, il invita Pitt à le suivre.

Viens, je vais te présenter le reste de la famille. Il faudra te rappeler au moins leurs noms. Les tableaux sont près des quartiers d’Ange.

Pitt dévorait, avec son éternel appétit, avec ses manières inexistantes, son plat qui était délicieux. Il trouvait toujours les choses bonnes. Mais jamais plus que le goût du sucre et de l'alcool. Il peinait à être un fin gourmet ou encore un connaisseur en vin, mais il profitait tant que ses papilles lui procureraient tous les sensations des aliments. Cependant, il ne pouvait pas se goinfrer alors que Mistral semblait parler avec une âme de poète empli de spleen. Le Lièvre de Mars chérissait toujours autant les siens. Le plan qui se peignait ne plaisait qu'à moitié, le proxénète avait l'impression qu'attendre de guérir était d'un ennui mortel. Oh, il venait de se souvenir qu'il avait en effet failli mourir un peu comme ça à cause d'une épidémie. Il détestait qu'un mal décide à sa place.

Mais les mots parlant d'apocalypse étirèrent le sourire du fossoyeur, avec un rire. L'image de Londres en flammes revenait, une belle balade de zombies et de feu.

Tandis que Pitt rêvait de magnifiques créations apocalyptiques, Mistral captiva à nouveau l'attention du distrait descendant de façade et de contrat. Le frais marquis s'étira juste après lui aussi s'être essuyé les lèvres avec une serviette brodée destinée à cet usage, il accéléra le pas pour arriver à la hauteur de Famine.

- Oh tu veux essayer de faire entrer des choses intéressantes dans mon crâne ? Tu sais, Pensée a essayé une fois... elle a pas réussi.

Un rire. Puis il s'arrêta net, se retourna et observa son reflet dans une glace, Bloody se faisait bien rare. Comment l'esprit avait-il sauté ainsi ? Juste en pensant à une fleur, puis à celle qu'il avait offerte à Guerre. Moment égaré à laisser l'esprit s'envoler dans les divers souvenirs, au rythme des pas de Mistral. Parce que Pitt ne faisait que suivre, en laissant trainer ses yeux bien trop verts sur les différents tableaux et autres décorations. Ça lui donnait quelques idées pour New-Wonderland.

- Ange... Ah ! Oui ! J'me souviens de lui, il est venu une fois sur le March. Mais j'ai oublié pourquoi.

Le Lièvre de Mars n'était pas un exemple de mémoire.

L'escalier était devenu sa Némésis. L'effort était intense et il souffrait de prendre appui sur sa jambe déchirée. La faiblesse physique horrifiait le Marquis ; il brûlait d'une rage difficilement contenue à chacun de ses pas de boiteux. Heureusement le handicap ne serait que momentané et il hurlerait de douleur s'il le fallait pour forcer sa jambe à reprendre muscle et fougue.

Arrivé au bout de son ascension, par fierté, il régula discrètement le flux de son sang d'une étincelle de magie pour paraître moins essoufflé.

Devant eux s'étendait un long couloir avec sur chaque mur d'innombrables portraits alignés et seulement entrecoupés de quelques portes de bois laqué. Vieille et grande lignée que celle des de Raincourt dont le nom allait subsister mais le sang mourir. Un gâchis de noblesse, pensait Mistral. Il aurait souhaité que le Lièvre puisse enfanter et transmettre la vraie gloire de leur famille. La pensée absurde de remplacer le sang dans les veines de l'américain par le sien le traversa brièvement sans qu'il s'y attarde.

Du pommeau de sa canne, il pointa le premier tableau ; celui d'un homme majestueux aux cheveux noirs sous son casque et aux yeux clairs monté sur un grand destrier blanc.

Voici le premier ancêtre Jophiel, sa femme Colombe et juste après leur fils Loup. A l'origine nous étions de grands éleveurs de chevaux, la plupart des poulains destinés à la famille royale naissaient dans notre domaine. Ange n'a jamais su m'expliquer pourquoi, il y a un peu plus de deux siècles, nous avons abandonné le sublime animal pour des chiens. Vraiment, quelle chute de prestige. D'ailleurs j'ai dans l'idée de faire rénover les veilles écuries et peut-être essayer de récupérer mon cheval à Emerald.

Il avait laissé sa jument, Amarante, au pied de la Cité dans une grande ferme et n'avait pas eu le temps de la récupérer dans sa fuite. C'était une majestueuse bête d'un mètre soixante-dix au garrot aux jambes fines et hanches bien placées. Elle était d'un brun brûlé ; le crin noir et la robe café seulement dérangée par une goutte de lait au bout du nez. L'oeil vif, elle lui avait opposé au départ un fort caractère pour mieux céder ensuite dans cette soumission amoureuse et satisfaite comme seuls les chevaux savaient le faire.

Certain d'ennuyer son ami mais porté par le devoir familial, le Marquis poursuivi sa présentation ponctuée d'anecdotes.

Arrivé à mi-chemin, un détail attira son attention. Au pied d'un des tableaux, un aïeul quelconque, le sol était comme frotté. Les yeux remontant le long du mur il remarqua un petit trou dans la pierre qui ressemblait grandement à une serrure dissimulée. C'était la première fois qu'il remarquait la chose, passant rarement dans cette aile du château et sans jamais prendre le temps de s'attarder.

Regarde ! Mistral fit signe au Lièvre d'approcher Il y a un passage dissimulé dans ce mur, j'en suis sûr.

Après tout, le français avait l'expertise du spécialiste. Faisant glisser ses doigts le long des briques, il accrocha soudain une fibre de tissu blanc. Pas une preuve décisive mais indice non négligeable qu'Ange était passé par là.

Il doit y avoir une clé. il tourna la tête vers Pitt et haussa les épaules Sinon quelques explosifs feront l'affaire.

Les escaliers, les escaliers, Pitt aimait bien les marches pour grimper ou descendre. Comme dans les recoins du Zeppelin, on pouvait s'engouffrer dans des enfers de barres de fer. Il ne remarquait pas la magie, puisqu'il avait déjà les yeux attirés par le couloir. C'était grand, c'était imposant, c'était amusant. Le Lièvre appréciait sa petite visite, même si les histoires ne parvenaient pas toujours à maintenir son esprit éveillé. Il écouta la première, reconnaissant aussi la qualité des peintures. Il nota le projet concernant les écuries, qu'il approuva d'un grand sourire au Marquis. Il gagnait le titre, mais jamais il n'osera déplacer une pierre de cet endroit. Du moins, pas du vivant de Mistral. Même après d'ailleurs, peut-être qu'il serait hanté par son ami.

Pitt trouvait tout de même intéressant le fait de connaître une lignée, de savoir d'où le sang venait e et comment l'héritage s'était mis en place. Lui-même n'avait aucune idée de son passé au-delà de ses parents.

Puis, Mistral attira son attention, le proxénète s'approcha et découvrit que la zone semblait... différente. Evidemment, tout la lumière de la curiosité se refléta dans ses prunelles d'absinthe. Il rit tout en s'approchant, encore plus à la mention d'explosifs.

- Oh-oh ! Ça ferait du bazar !

Genoux à terre, il observait la sorte de trape. Ils avaient l'habitude de déterrer des cercueils, de saccager des petits villages pour voler les miroirs, résoudre des énigmes ça finissaient généralement par des gros boum.

Pitt aimait bien les boum.

Mais, il avait un peu de remord à l'idée de casser la maison Mistral, ou de la famille de Mistral.

- T'as vraiment pas d'idée où on cacherait une clé par ici ? C'est grand comme zone, si j'étais un gars qui vivait dans un château, ça me botterait pas de devoir faire 4 fois le tour de la zone pour une clé. Mais si t'es ok avec un feu d'artifice, on se lance.

Grand sourire, toujours.

Encore plus avec Famine.

Utilisés dans une juste mesure, les explosifs ne causeraient sans doute pas de dégâts excessifs mais le Marquis ressentait tout de même une once de culpabilité à l'idée du beau patrimoine abîmé. Il avait toutefois trop perdu le goût des choses pour réellement s'en soucier. Ils mèneraient rapidement l'enquête sans y passer la journée, une brève mise à l'examen de sa perspicacité et de sa connaissance de la psyché d'Ange.

Mon aïeul était un homme d'un physique fragile, particulièrement sur la fin. Le passage semble avoir été utilisé assez récemment et il n'aurait pas eu la force de courir tout le château pour la clé.

Mistral pivota vers la double porte derrière lui qui s'ouvrait sur la chambre de maître. Il fit son entrée prudemment, presque sur la pointe des pieds comme un enfant outrepassant l'interdit. La pièce subsistait comme son arrière-grand-père l'avait laissée. Blanche et dorée, à peine grisée de poussière et baignée d'une douce lumière extérieure. Il l'embrassa du regard, surpris du reflux de deuil qu'il en éprouva. L'âge le rendait-il donc émotif ? Mais le blond marquis méritait bien ses sentiments, si dévoué à son sang qu'il avait été.

Ange n'aura pas caché la clé n'importe où. L'endroit doit être symbolique, c'est un trait familial vois-tu.

Au moment où il allait s'avancer plus loin dans la chambre, une flèche de feu fila entre ses jambes manquant de le faire trébucher. Le matou roux dont il avait oublié le nom sauta sur le lit drapé de soie bientôt suivi par un chat blanc aux longs poils. L'accès à la couche de leur maître semblait leur avoir manqué. Il ne s'en émeut pas mais il ne détestait pas les chats comme les chiens alors il leur octroya une caresse en passant.

Ah, parfois je me dis qu'il préférait presque ses chats à moi dit le Marquis en jetant un regard au Lièvre, sa propre réflexion cheminant en idée dans son esprit.

Sur tout le côté droit de la pièce s'étalait un véritable musée en honneur du félin. Des dizaines représentations de dieux lions ou tigres de religions variées ou de sculptures en mémoire de compagnons perdus. Parmi les statuettes plusieurs avaient été offertes par lui-même, choisies avec soin dans les pièces dont il faisait commerce. Il avait été un petit-fils attentionné. Il essaya de se souvenir si certaines d'entre-elles pouvaient être creuses, Ange n'aurait pas déshonoré l'un de ses cadeaux en le modifiant.

Mistral tapota du bout de sa canne ornée une déesse aux bras multiples chevauchant un tigre. Durga si ses souvenirs étaient exacts.

Je suis presque que certain qu'elle est cachée dans l'une de ces statues. Une assez légère puisque Ange a du pouvoir la manipuler. le Marquis se laissa choir dans un siège de brocart d'or appuyé contre une fenêtre et tira une cigarette de sa blague à tabac Quel dommage qu'il me soit encore trop douloureux de m'accroupir... ajouta-t-il, l'air contrit, en exhalant un nuage de fumée blanche.

Parfois, en utilisant la tête, il était possible d'économiser des munitions. Et ce fut donc ce que Mistral venait de permettre. Le sourire du Lièvre de Mars s'était élargit en devinant que des jeux d'énigmes auraient leur place, il se hâta de suivre le grand homme. Et le proxénète nota le joli détail concernant la symbolique, qui semblait couler dans le sang de la famille de Famine.

Pitt aimait bien cette idée, la symbolique.

Puis des créatures les devancèrent, et l'américain se retint de rire. En réalité, il avait très envie d'aller enquiquiner les chats. Mais les paroles de Mistral ramenèrent l'attention volatile sur lui.

- Tes cheveux n'étaient pas assez soyeux à son goût ?

Vague taquinerie, il ne connaissait pas assez l'ancêtre en question, tout passait tant qu'on les servait avec le sourire. Enfin, presque.

Le musées de... félins eut le mérite d'aspirer encore l'esprit peu attentif de Pitt qui s'en approchait en même temps que Mistral expliquait. La statuette tapotée par la canne était vraiment bizarre, selon le Lièvre qui l'observa sous tous les angles. Les puits d'absinthe se tournèrent sur Famine qui finissait dans un fauteuil en fumant. C'était vrai que son ami avait encore de la peine à se mouvoir.

Mais le ton chaleureux reprit place pour prendre la parole.

- Te fais pas de mourrons, je déterre des corps, je saurais chercher dans des statuettes.

Et Pitt se mit à porter son intérêt aux statuettes.

- Ça aurait pu être à New Wonderland une pièce pareille !

Et il riait, mais fit l'effort de se pincer les lèvres pour ne pas s'effondrer et briser les pièces. Du moins, les plus fragiles. Il poussa légèrement du bout de l'index la dame avec trop de bras, pour voir si ce serait assez léger, puis il observa dans la gueule du tigre.

- Pourquoi elle a toutes ces mains ? C'est pour descendre plus vite les bouteilles ?

Sur ces mots, Pitt se mit au travail de recherche. Il essayait d'être soigneux, et de ne pas tout casser. De plus, il était souvent distrait par les chats, il avait bien envie d'aller les caresser un peu. Le proxénète faisait de son mieux pour ne pas être trop distrait.

- Dis, vu le nombre de petites... icones, est-ce que y en a qui aurait une signification particulière qui s'y prêterait ? J'y connais rien du tout à ces bestioles, à part que c'est mignon ou dangereux.

Le Lièvre était perdu certes.
Mais tout en demandant, il soulevait et entendit un son intéressant dans l'une des babioles.

- Oh, je crois que celle-ci cache quelque chose~

La plaisanterie sur son manque de soyeux tira un sourire au Marquis. Peut-être n'était-ce pas entièrement faux ; sans doute son arrière-grand-père aurait-il apprécié qu'il soit plus doux. Plus doux avec le monde, les filles et lui-même. Mais Ange lui même était de fer sous son velours alors il tenait bien de sa famille.

Se replaçant légèrement sur son fauteuil, Mistral masqua une grimace lorsqu'une lancée lui traversa la jambe. La douleur amena avec elle une impérieuse envie de la faire taire d'une injection de morphine au point de lui en faire tourner la tête et l'estomac. La substance qui avait été essentielle aux premiers temps de sa convalescence semblait à présent faire planer sur lui l'épée de Damoclès de l'addiction. Mais le français, une goutte de sueur à la temps, se conforta dans l'idée que s'il en était conscient cela n'arriverait pas et se concentra plutôt sur Pitt.

Le Lièvre mettait du zèle à la tâche. Toujours si complaisant envers lui alors que l'américain dirigeait presque un empire quand lui n'existait même plus au yeux du monde. Il avait côtoyé nombre d'hommes mais jamais une telle amitié qui devenait presque familiale. Comme jadis Trajan pour Hadrien, son successeur n'était pas fils de sang mais choisi et adopté. Mais pour continuer quel ouvrage ? La question était pertinente ; le Marquis n'avait pas l'impression d'avoir marqué le monde d'un grand héritage, on ne relierait son nom qu'à l'enquête de cet androïde stupide.

Dis, vu le nombre de petites... icônes, est-ce que y en a qui aurait une signification particulière qui s'y prêterait ? J'y connais rien du tout à ces bestioles, à part que c'est mignon ou dangereux.

Ramené à la réalité par la voix de son ami, Mistral survola du regard la vaste collection.

Vraiment je ne sais pas. Je n'ai pas une grande connaissance des mythologies et Ange aura sans doute choisi un symbole en fonction de ce qui se trouve derrière la porte.

Tout ça pour son caprice de voyeur. De quelle tristesse était devenu son quotidien pour qu'il s'excite à la découverte d'un placard caché ? Et puis il était possible qu'il n'apprécie pas ce qu'ils y trouveraient, Ange avait eu ses propres petites déviances.

Oh, je crois que celle-ci cache quelque chose.

Il fit signe au Lièvre de lui passer l'objet. Intrigués par ce qu'ils pensaient sans doute être un échange de nourriture les deux chats quittèrent leur couche pour venir minauder près d'eux, se frottant lascivement à leurs jambes.

Concentré sur la statuette en bois qui renfermait effectivement un objet mais sans ouverture apparente, le Marquis ignora les félins. Il faisait courir ses doigts sur la surface à la recherche d'un mécanisme caché. Ce n'était pas l'image d'un dieu, du moins pas à sa connaissance, mais un simple chat assis sculpté d'une main précise. Sa seule particularité était le troisième oeil qui s'ouvrait sur son front, taillé légèrement et presque invisible au premier coup d'oeil.

Quelque chose cliqueta lorsqu'il pressa le bout de son doigt sur la pupille frontal. Une jonction sous le ventre de l'animal qu'il n'avait pas remarqué s'ouvrit et une petite clé d'or tomba dans son giron.

La voilà ! Félicitations Lièvre, tu auras épargné la dynamite à la galerie des ancêtres. En espérant qu'il s'agisse de la bonne clé.

Énergisé, Mistral se rendit dans le couloir sans trop tarder. Il aurait été un mensonge de prétendre qu'il ne sentait aucune appréhension au moment de déverrouiller la serrure. Il était pris d'un pressentiment étrange et aurait soudain souhaité avoir emporté l'un de ses petits revolver.

Derrière la porte qui s'ouvrait vers l'intérieur, des escaliers de pierre qui s'enfonçaient dans l'ombre.

Il doit y avoir une lampe à pétrole dans la chambre, j'en avais fais fournir le château pour remplacer les vieilleries à l'huile d'avant Sommeil.

Pitt aimait les félicitations. Il n'avait plus réellement l'âge d'en demander et d'en recevoir à tout va, mais il était ainsi. Il eut un petit rire fier en réponse, et suivit de près son cher Famine. Il aurait presque croisé les doigts pour mettre le sort en sa faveur, et que la clé soit l'élue. Et son souhait se trouva exaucé. Grand sourire, les yeux brillants, le Lièvre ne se fit pas prier plus de quatre secondes pour observer le chemin caché.

Mais Mistral ramena le proxénète à la réalité, ils ne pourraient pas vraiment se promener dans le noir complet. Il leur fallait une lampe. Et heureusement, apparemment le matériel ne devait pas être loin. Un grand sourire, et il disparut aussitôt fouiner dans la chambre pour attraper leur lumière. Peu de temps passa avant que le Lièvre ne refasse surface avec la lampe, objet brandi avec un enthousiasme peu discret dans l'attitude.

- Maintenant qu'on a des yeux, on peut descendre dans les boyaux !

Plonger dans des endroits froids et profonds, comme les fosses des morts, ça rendait toujours Pitt très enjoué.

- Héhé, tu permets que je me jète le premier dans la gueule du loup ?

Comme un enfant qui oubliait la présence des dangers, il entamait déjà les premières marches. Cela semblait être un genre d'escalier en colimaçon, et pendant que l'heure était à la découverte d'un chemin qui progressait à tâtons, Pitt ne pouvait pas retenir des ricanements amusés. Il faisait tout de même de son mieux pour ne pas éclater de rires en plein milieu. Il ne voulait pas risquer de briser la lampe.

Le proxénète sentait déjà l'air se rafraichir un peu plus en finissant les marches, qu'est-ce que le grand-père de Mistral pouvait bien cacher dans une cave pareille ? Un élevage de Maine coone ?

- Ah, je crois qu'on touche l'fond ! C'est pas trop tôt.

Et il rit un peu, savourant un léger écho. Il dévoilait un couloir de pierres du bout des rayons de leur soleil portatif. Une fois à plat, il s'écarta pour laisser Mistral juger de lui-même la zone.

- Ça te rappelle quelque chose cette zone ? Ça ressemble aux donjons dans les histoires d'épouvantes, mais je croyais que c'était plutôt les anglais qui avaient des fantômes collés aux maisons.

Les écossais plutôt, mais Pitt était Pitt. Il loupait deux trois choses assez régulièrement. Comme la dalle à laquelle il s'achoupa en reculant, fesses au sol, l'arrière du crâne frappa le mur juste derrière. La douleur se répandit dans les nerfs, mais assez brève, et pas assez puissante pour déranger le peu de raison du Lièvre de Mars.

- Bordel ! Gn.

Il se frottait le cuir chevelu dans une grimace qui se transforma en un rire.

- J'ai sauvé la lampe !

Mistral se dégoûtait de sa curiosité excitée. Incessante, la pensée qu’il était tombé bien bas dans l’ennui pour se réjouir d’un vieux passage secret tournait dans sa tête alors qu’il descendait difficilement le colimaçon. Sa jambe le narguait, envoyant une pique de douleur à chaque pas comme pour marquer encore davantage sa gloire déchue.

Qu’était devenu le pirate en lui, le capitaine, le père d’Emerald, le marquis de sang presque royal ? Pas cinquante ans et il était déjà devenu un vieillard sénile errant dans un château qui ne lui appartenait même plus. De noble il n’avait plus que le titre.

Alors qu’il commençait à se poser la question de s’il n’aurait pas mieux fait de demander à Pitt de l’achever tout de suite, le Marquis arriva au bas de l’escalier.

Ça te rappelle quelque chose cette zone ? Ça ressemble aux donjons dans les histoires d'épouvantes, mais je croyais que c'était plutôt les anglais qui avaient des fantômes collés aux maisons.  

Il se retint de dire que s’il y avait un fantôme dans cette demeure c’était bien lui. Après tout il était mort et enterré aux yeux du monde. À choisir il serait plutôt allé hanter celle qui avait main mise sur son amour depuis longtemps. Peut-être qu’il l’aurait tuée pour partir en paix.

Ça me rappelle vaguement une cave à vin mais je ne nie pas que ce soit mon inconscient qui par- sa phrase fut coupée par le bruit d’un impact sur la pierre qui le fit sursauter.

En se retournant, Mistral découvrit le Lièvre au sol, l’air un peu sonné mais pas départi de sa folle humeur habituelle.

J’ai sauvé la lampe !

Charitable, il lui offrit une main pour l’aider à se relever.

Bien heureusement, je ne serais pas remonté dans le noir complet.

Il ne s’enquit pas davantage de son état, se contentant d’appliquer brièvement sa paume à l’arrière de sa tête, stoppant de sa magie de sang toute hémorragie potentielle. Il n’aurait pas voulu que l’américain s’abîme, celui-ci était un ami cher et divertissant.  

S’emparant de la lampe, le Marquis prit le devant de leur équipe et, au bout de quelques pas, tomba nez à nez avec une porte ; encore une.

Ah non ça suffit. Celle-ci on la fait sauter si elle est verrouillée

Elle ne l’était pas et s’ouvrit sur une grande pièce ovale et haute de plafond. Le français avança prudemment et fit signe à son acolyte de le suivre. Avec leur seule lampe, la visibilité était plutôt mauvaise.

On dirait qu’il y a un bassin. Et regarde ça reflète un peu comme du marbre. Ça sent un peu le souffre aussi ce qui peut être des ennuis ou une source chaude. Est-ce qu- le verre de la lanterne explosa avant qu’il n’aie eu le temps de terminer. Décidemment.

Au travers des ténèbres, semblant jaillir de tous côtés à la fois, s’éleva un grand rire à l’accent germanique.

Perspicace joli brun !

Le Marquis sentit son estomac se serrer lorsqu’il cru reconnaître la voix de leur interlocuteur. Son horreur fut certifiée au moment où une dizaine de torches autour de la pièce s’allumèrent de flammes violettes – qui se reflétaient mauves sur le marbre blanc.

Face à eux, le vampire souriait de toutes ses dents acérées. Chauve et lisse, il n’était vêtu que d’une robe de chambre lâchement nouée.

Joignez-moi dans ces thermes je vous prie de l’eau chaude se mit à jaillir de la gueule de trois lions sculptés Je n’ai pas eu de visite depuis longtemps et puis nous avons beaucoup à nous dire.