La Louve ressent de la fierté, quelque chose qui lui brûle dans la poitrine et explose avec la même force que son cri, lorsqu'elle charge sur les ennemis.
La Louve est épuisée, aussi. Comme si tout son Esprit se vidait par les extrémités et qu'une autre poche, au dessus de sa Fierté, s'était rempli d'air.
Mais la Louve va voir sa petite protégée, une de ses petites protégées, et elle a progressé. Alors la fatigue, les douleurs, l'épuisement du Grand froid ne la touchent plus.
Elle les dévore par sa force, elle les écrase par sa joie.
Et elle a préparé ce qui permettra de tester la force.

Alors qu'elle remonte vers le canyon avec sa jument, Louve s'arrête et lève le nez, elle renifle, tâte le pouls du monde pour entendre la musique des vivants et des morts.
Puis elle montre les dents : un rictus. La guerrière sait qu'elle va être joie, exaltation.

Dans une humeur étrangement radieuse – presque au point d'en écarter la pesanteur du Givre – la guerrière va s'installer au terrain d'entraînement pour attendre la Perche. Elle arrive vite, et Louve perd son sourire pour se faire dure et mauvaise. La gentillesse est une faiblesse qu'elle ne se permettra plus d'avoir, même si elle l'envahit toujours, comme une idée en tête qui tape à l'entrée du tipi.
Sa voix rocailleuse et autoritaire rebondit contre les buées du froid.

« Tu es à l'heure papoose. Prends ce que tu penses utile pour une excursion, dans l'abri là-bas, puis suis-moi ».
La papoose du Roi de l'Arbre devra se débrouiller pour porter, se débrouiller pour marcher, et tenir seule, avec la Louve qui ouvre le chemin.
A l'entrée du château des singes.
Zone des créatures, zone dangereuse malgré les paix mises en place.
Zone de l'épreuve finale de l'apprentie guerrière.

« Tu chasseras – sans le blesser – deux fumerolles. Si tu y parviens je continuerai à m'occuper de toi, sinon tu finiras seule et tu rentreras sans aide. Je serai derrière toi. Mais je ne ferai rien si tu es en danger ».

L’Oiselle ne s’était ni habituée à la morsure du froid, ni à celle de sa formatrice. Les entrainements s’étaient enchaînés, cycle solaire après cycle solaire, pour laisser la Garçonne meurtrie et poussiéreuse, mais aussi plus dure et saillante, sous le regard de la Louve. Feather était devenue plus vive, moins maladroite, mais son corps et son esprit crevait de ne plus jamais avoir à tomber, et d’être enfin utile aux siens.

L’étincelle du premier jour était toujours présente dans ses prunelles orageuses, mais plus le temps s’écoulait, plus elles devenaient sombres, comme si les nuages s’y amoncelaient, présageant que l’éclat finisse par devenir un éclair. Pendant leurs entrainements, elle avait parfois eu les lèvres pincées sur le gout de sang qu’elle avait dans la bouche, et le regard contenant sa fureur de ne pas aller aussi vite qu’elle le voudrait, et lorsque la Sans-Pitié lui rappelait sa faiblesse, elle ne lui en voulait pas. Elle savait qu’elle aurait difficilement une meilleure formatrice, elle savait que la Piccaninny ne faisait pas ça par plaisir. L’Echasse lui était reconnaissante : on lui donnait les clefs qui lui permettraient peut-être à elle et à sa famille de vivre plus longtemps.

Elle avait à nouveau rendez-vous avec son instructrice, et elle s’était hâtée de sortir pour la rejoindre au petit trot, elle savait que Louve n’était jamais en retard, et qu’elle ne l’accepterait probablement pas chez les autres. Foulant la terre meuble malgré le Givre, elle se planta face à cette adulte qui lui inspirait tant de chose ; respect, peur, admiration, curiosité, alors qu’une fois de plus sa voix forte claquait comme un fouet pour lui expliquer la tâche qui lui incombait aujourd’hui. Elle ne put s’empêcher de déglutir alors qu’elle s’imaginait déjà encerclée d’animaux aux dents acérées n’attendant plus que de se planter sans son cou. Elle frissonnât, alors que pourtant elle savait qu’elle pourrait s’en sortir sans avoir à combattre.

Elle se dirigea rapidement vers l’abri, tentant de se remémorer ce qu’elle savait sur sa cible. Elle empoigna deux bocaux en verre épais munis de gros bouchons de liège, qu’elle accrocha de chaque côté de sa ceinture en les encerclant avec une corde. De toute façon elle n’avait pas besoin de beaucoup plus, son atout principal était sa vitesse et se surcharger d’équipement lui enlèverait. Elle commençait à avoir l’habitude d’utiliser des épées courtes, alors c’est l’arme qu’elle choisit alors qu’elle sortait déjà de la petite bâtisse, sanglant le fourreau en travers de sa poitrine. Elle était toujours loin d’être la plus adroite avec, mais elle savait au moins s’en servir pour se protéger et rendre quelques coups.

Elle se planta à nouveau devant la Louve, hochant la tête alors qu’elle nouait sa chevelure ébène dans une queue de cheval serrée, son regard braqué dans le sien alors qu’elle imaginait déjà avoir oublié quelque chose dans l’abri sombre.

"Je suis prête.", annonça-t-elle d'une vois plus sûre qu'elle ne l'était vraiment.

Une lueur de fierté.
Pour la papoose – bien sûr – mais aussi pour elle, qui parvenait doucement à former une guerrière, dans le bois tendre de ce petit mammifère.
Il y avait eu du travail, de la peur, de la douleur mais toujours de la force, une grande force.
Oui. Maintenant Louve est fière : fière de donner naissance à une pousse qui rejoindra la tribu, pour la rendre plus forte.
Fière e pouvoir, à la fin de l'épreuve, lui donner un nom.
Le premier.
Un caillou sur le chemin qui mène à la meute.

Après l'annonce de la tâche, la Louve observe en silence, son joli visage concentré. La douleur dans son giron se fait plus vive, et la caverne intime brûle atrocement, de plus en plus.
C'est l'effet du froid, elle le sait. De ses dents mauvais, le Givre la dévore de l'intérieur. Elle aura besoin de soin, plus tard, pour essayer d'apaiser le gouffre qui hurle.
Qui souffre. Parce qu'on l'a creusé.

Alors que la petite revient, Louve monte sur Outtgueté. La jument est nerveuse, piétine le sol gelé de ses sabots. La Louve a beau prendre soin de l'animal, lui aussi commence à sentir les dents du méchant Froid. Bientôt elle ne pourra plus voyager avec la monture, pas sans lui nuire.
Et la guerrière refuse de blesser sa sœur de combat.

Soudain elle se raidit, tend l'oreille, réfléchit. Son idée était de laisser la papooze se rendre seule sur place, mais ce serait inutile, alors elle tend la main, invite la perche à s'installer derrière elle.
Lui offre une preuve de confiance, une denrée précieuse qu'elle échange contre une promesse de réussite.
Parce qu'elle ne tolérera pas l'échec.

Louve sent la petite peau froide dans sa main de tueuse, et son cœur bat un peu plus vite.
Dans son esprit résonne les cris des bébés, les rires des papooses...
La joie des mères.
Les perles blanches se serrent dans le rouge de sa bouche.
Pas penser.
Chasser les échos qui rebondissent dans son crâne.
La douleur dans son ventre.

Un peu rudement elle cale la petite derrière elle, et lance sa jument au galop.
Soudain elle se sent vivante.
Sous ses cuisses serrées, la puissance musculaire du cheval réchauffe son être. Elle pense combat, elle pense vent – le bon, pas celui qui tue en ce moment – et enfin elle pense liberté. Tout son corps chante le bonheur du dehors et l'impatience de l'aventure.

Elles filent, volent. Chaleur dans son dos, présence encore vivante.
L'animal sait où il va.
Elles mangent le monde dans leur cavalcade.
Jusqu'à l'entrée du Château des singes.
Alors seulement la Louve flatte l'encolure, demande l'arrêt.
Une toux, celle de la Louve. Lèvres gercées, gorge gelée, douleur des tempes, muscles pétrifiés.
Lorsqu'elle parle, la voix est enrouée et cristallise un peu de souffrance, un peu de fatigue aussi.

« On y est. A ton tour. Je te regarde, je te juge ».

Et je déciderai de ce que tu vaux.